Poèmes Premier et second carnets de poèmesmanuscrits autographes (p. 3).

I

Douleur.

Agar s’éloigna d’Ismaël d’un trait d’arc, et s’assit vis à vis, en disant : « Je ne verrai point mourir mon enfant. »
— Genèse, Ch. 21, V. 16. —


Oh ! laissez-moi !
Mon cœur me fait bien mal ! un peu de solitude !
Le voyage est bien long, et le chemin bien rude !
À l’humble sujet comme au roi !
Oh ! laissez-moi !
Laissez-moi tomber seul en heurtant les racines,
Et seul, me déchirer aux ardentes épines,
Oh ! laissez-moi !

Oh ! laissez-moi !
Car l’organe du mal, car Satan m’accompagne,
Et dans son vol brûlant traverse la campagne.
Il a pris mon âme et ma foi !
Oh ! laissez-moi !
Qu’aurais-je à faire ici d’inutiles services !
Laissez-moi, seul, tomber aux rocs des précipices,[1]

Oh ! laissez-moi !

Oh ! laissez-moi !
Car j'ai rage et colère, et dans le fond de l’âme,
J'ai là, plus de douleur que n'a la pauvre femme
Au glas glacial du beffroi.
Oh ! laissez-moi !
Un infernal penser me déchire la tête,
J'ai là plus de fureur que la mer de tempête,
Oh ! laissez-moi !

Oh ! laissez-moi !
La lionne rugit, quand sa cruelle engeance
Sous les coups des chasseurs a subi la vengeance,
Elle emplit l'air de son effroi !
Oh ! laissez-moi !
Plus tranquille, et plus triste en sa calme tristesse,
La colombe maudit le destin qui l’oppresse,
Oh ! laissez-moi !

Oh ! laissez-moi !
Au désert, la gazelle exhale pleurs et plainte ;
Le sang de la douleur l'a jusqu'au cœur atteinte ;
Le désert entend son émoi !
Oh ! laissez-moi !
La tigresse a perdu ses petits. Sa colère
Ébranle terre et cieux !… moi… ! j'ai perdu ma mère !!!
Oh ! laissez-moi !

  1. Note Wikisource : La partie après cette note est manquante sur le manuscrit.