Anonyme
Texte établi par Paul Meyer, Gédéon HuetÉdouard Champion (p. 173-180).

NOTES

V. 56. Voici le passage du Charroi de Nîmes, auquel renvoie la variante, d’après le texte établi par M. Meyer lui-même (Recueil d’anciens textes, p. 280, v. 36-38)

Nostre empereres a ses barons fievez.
Cel done terre, cel chastel, cel cité,
Cel bour et ville selonc ce que il set.

V. 102-109. On remarquera que la ville où eut lieu le mariage de Doon et d’Olive n’est pas indiquée ; d’autre part, dans la suite du poème, deux fois (v. 1959 et 2084) Montreuil-sur-Mer est nommé comme la ville où Do gist o lui (Olive). Il est par conséquent possible qu’il manque dans ce premier passage un vers, où Montreuil-sur-Mer était désigné.

V. 654. Audegour. Voici les différentes formes de ce nom dans le manuscrit de Londres : vv. 654, 913, 1030, 2114, 3865, 3878, 4038, Audegour ; v. 887, Audegours ; vv. 1193, 2819, 2922, 3026, 3038, 3468, 4005, Andegour ; v. 2581, Andegou (lecture de M. P. Meyer ; Sachs et M. Benary ont lu Andegon) ; v. 3304, Andegon ; v. 3131, And’ ; v. 3191, Audeg’. Quant aux fragments L, on lit v. 1193, Andegour (nettement, et en toutes lettres) ; v. 3130, And’ (leçon douteuse, mais plutôt And’ que Aud’) ; v. 3190, Aud’ (nettement) — Dans cette incertitude, la faute n pour u étant tout aussi possible, paléographiquement, que u pour n, nous avons donné la préférence à Audegour, qu’on peut expliquer comme une altération d’Audegon, nom qui se trouve dans plusieurs chansons de geste (voir la Table de M. E. Langlois), tandis qu’Andegour ne correspond à rien ; on peut en outre remarquer, avec M. Benary (p. 329), que dans le roman espagnol le personnage s’appelle Aldigon. D’autre part, nous sommes bien obligés de conserver la terminais our, quelque singulière qu’elle puisse paraître : elle est certifiée par l’accord du manuscrit de Londres et du fragment L.

V. 659. Ce vers est peut-être quelque peu altéré dans la forme, mais le sens général parait clair : « Ce que chacun lui demande de dire, il veut le dire de son propre mouvement. » En effet, dans la suite, nous voyons que le petit garçon parle très bien.

V. 1198. Tomiles fu senez (ms. senes). Il faut corriger Tomiles fu sanez.

V. 1219. Ce vers est sûrement altéré, malgré l’accord du fragment L et du manuscrit de Londres. En admettant la correction restera pour recevra indiquée en note (Li niés le roi de France restera par folie) on obtient le sens : « le neveu du roi de France fera une folie en restant (ici), car sa mort ont jurée.... » Comp. Roman de Thèbes, v. 4209 édit. Constans : Cist remandra ci folement. Pour par folie= folement, comp. plus loin, v. 3728 et les locutions par estultie « follement », par vertu, « courageusement » etc.

V. 1429. La correction Lalice pour lice a déjà été proposée par M. Benary (p. 318 note, de son mémoire) mais avec un point d’interrogation. Elle nous parait absolument certaine, à cause de la mention des Hermins (Arméniens) dans le vers suivant. Lalice (Laodicée) est nommée dans le Pélerinage de Charlemagne v. 106 ; pour d’autres mentions, voir la Table de M. E. Langlois. D’autre part, les Arméniens sont à leur place comme défenseurs d’une ville chrétienne de l’Asie Mineure.

V. 1609. Gontiaume. Cette forme ne se trouve qu’ici ; dans la suite, on lit presque toujours Gonciaume. C’est Gontiaume qui est la bonne forme ; comp. dans la Table de M. E. Langlois, Gontelme, Gontiaume ; Förstemann, Altdeutsches Namenbuch, 2e édit. Bonn, 1900, I, 703, Gunthelm, Gunthalm.

V. 1661. En voyant que dans ce vers et plus loin, vv. 1665 et 1680, les montures des messagers qui jusqu’ici ont été qualifiées de dromadaires, sont appelées chevaus, tandis que dromadaire reparait au vers 1696, on pourrait croire à des altérations du texte ; mais une telle supposition n’est pas nécessaire. Les gens instruits, au moyen âge, savaient bien que le dromadaire était une variété du chameau (on peut citer, par exemple, Sicard, évêque de Crémone, Mitrale, lib. V, c. 9, dans Migne, Patrologia latina, vol. 213, col. 235 : dromedarius est animal minus camelo, sed velocius eo ; currit enim una die quantum equus tribus diebus) ; mais les auteurs des chansons de geste ne se faisaient pas une idée bien nette de l’aspect de la bête : pour eux, le dromadaire était avant tout un animal courant très vite ; voir F. Bangert, Die Tiere im altfranzösischen Epos, Marburg, 1885 (Ausgaben und Abhandlungen, fasc. 34), p. 49. Le « trouveur » de Doon de La Roche est donc excusable d’avoir cru que le dromadaire était une sorte de cheval, courant beaucoup plus vite que les chevaux ordinaires.

V. 1720. [D’]or et [d’]argent ai ge .xxx. somiers trossez. On pourrait lire, sans correction, mais en introduisant une ponctuation : Or et argent ai ge, .xxx. somiers trossez.

V. 2128-2129. Li rois vos a mandé par menace et par ban Qu’ele ne soit destruite ne des membres perdant. Il n’y a rien de pareil dans ce qui précède : Pépin n’a rien mandé à Malingre. On pourrait corriger nos a mandé, en se rappelant le v. 635, où Pépin dit à Doon en parlant d’Olive : Et qui mal lui fera, si soit chier comparée.

V. 2215 Que l’avoient juré a Tomile et Malingre. C’est la leçon du manuscrit, mais on obtiendrait un vers plus conforme aux habitudes du style et de la versification de l’auteur en biffant a et en lisant Que l’avoient juré Tomile et Malingre. Comp. v. 1937 Tomile et Malingre fera les chiés coper.

V. 2347-2348. Li cembels s’en torna ; s’ont la bare guerpie Et dus Do les enchauce com chevaliers nobile. — Le sens parait être : les chevaliers qui font partie du cembel et qui s’étaient avancés jusqu’à la bare (la barrière, la fortification extérieure du château de La Roche) en guise de défi (comp. G. Paris, Mélanges de littérature franç. du moyen âge, p. 115, note 1), lâchent la bare, dès qu’ils voient que Doon sort avec sa troupe, et tournent bride ; Doon les poursuit.

V. 2720. Je te conjur ta loi et [tres]tot ton batisme (le manuscrit porte batesme). Nous avons noté trop tard pour pouvoir l’introduire dans notre texte la correction plus simple de M. Benary (p. 387 de son mémoire) : Je te conjur ta loi et tot ton batestire. On sait que batestire pour batesme est fréquent dans les chansons de geste.

V. 2728. Certes m’amor m’avez afïée et plevie. Ce vers est certainement altéré ; on pourrait lire, en biffant le premier m’ : Certes amor m’avez afïez et plevie ; cette correction a déjà été proposée par M. Benary (l. c.). Seulement, le vers ainsi corrigé se relie mal à celui qui suit : Ja set bien toz li monz tis peres est mes sire ; il faudrait admettre un mais sous-entendu, à moins de supposer un vers sauté par le copiste.

V. 2730. La restitution indiquée en note — Ma terre tient Malingres, par coi il me jostise — suppose que le pronom il ne se rapporte pas à Malingre, mais à l’empereur, dont il a été question dans le vers précédent. Des équivoques syntaxiques toutes semblables se trouvent ailleurs dans notre chanson ; par exemple, v. 2545-46 :

Mout fu granz li eschas que il ont conquesté.
Enz en parfonde chartre les fist li rois jeter.

Le les du v. 2546 désigne Doon et Jofroi, dont il a été question aux vv. 2542-43 tandis que il dans le v. 2545 se rapporte aux guerriers du roi Alixandre. — Pour la pensée, plutôt suggérée qu’exprimée, comp. plus loin, v. 2747 Ne ja ver[s] Alixandre n’avrai ma foi mentie, et le récit en prose sur Ami et Amile, publié par Mone, d’après un manuscrit de Lille, dans Anzeiger für die Kunde der teutschen Vorzeit V (1836) col. 162 : elle (la fille de Charlemagne) le requist qu’il (Ami) fust son ami. Et Ami en nulle maniere ne s’i acordast, que il ne vouloit mie faire traïson a son seingnour.

V. 2782. Il y a ici, et dans la suite de la chanson, des confusions singulières, qui peuvent difficilement être imputées aux copistes, mais qui semblent être le fait de l’auteur. Jofroi, qui figure ici comme compagnon de Landri, était représenté dans ce qui précède comme compagnon de Doon ; il est fait prisonnier en même temps que celui-ci au v. 2542. Par une confusion en sens contraire, Asson, le fidèle compagnon de Landri dans son voyage en Orient (v. 1425, 1469) et qui se bat à ses côtés en même temps que Guinemant (v. 2542), partage au v. 2802 la captivité de Doon. Enfin, au v. 2859, Landri reconnaît avec joie, comme délivré en même temps que Doon, son « maître Guinemant », qui a toujours figuré et figure ici (v. 2782) comme compagnon de Landri, pendant son voyage et à la cour de l’empereur Alixandre. Ici, au v. 2782, on pourrait, au besoin, substituer Asses à Jofroiz, mais il est impossible de changer, au v. 2802, Asse de Maience en Jofroiz de Maience, Mayence étant, dans tout le poème, la ville d’Asson et non celle de son frère Jofroi. Et il est impossible de modifier Guinemant son maistre au v. 2859 sans fausser le vers. On pourrait, il est vrai, considérer ce vers comme interpolé, mais cela ne résoudrait pas les deux autres difficultés, relatives à Jofroi et à Asson. — Dans le roman espagnol, le compagnon d’Enrique (Landri) en Orient s’appelle Jufre, et nous montrons dans l’Introduction que l’auteur du poème conservé et celui du roman espagnol ont travaillé d’après le même original perdu ; il est par conséquent possible que le souvenir du Jofroi de ce poème perdu se soit mêlé aux inventions personnelles de notre « trouveur » ; mais ce souvenir n’explique pas les deux autres erreurs que nous venons de constater.

V. 2923. Seine la ville est en réalité, ainsi que l’a déjà vu M. Benary (p. 321, note 1 de son mémoire), la ville de Sienne en Italie, que notre auteur a transportée du côté de la Hongrie (voir au v. 2162). Faut-il, avec M. Benary, ici et aux vv. 2068 et 3894, corriger (Seine la vieille) = Sena vetus ? Nous ne le croyons pas. Saine ville se lit également dans le Roman de Cassidorus, Bibl. Nat., ms. franç. 22549, fol. 56 f, comme nom d’une ville de « Lombardie » (dans la suite du récit, fol. 57 f, le nom est écrit Scienne, sans adjonction). Seine la ville était une forme fautive, mais consacrée par l’usage.

V. 2961. Pepin s’en est clamez, coresos et plein d’ire. Leçon du manuscrit, littéralement : P. s’en est clamés. Naturellement, on pourrait aussi interpréter Pepins s’en est c., mais cela serait moins satisfaisant. Selon nous, le sujet est Doon, dont il a été raconté, v. 3226 et suivants, qu’il alla se plaindre à Pépin. Il faut peut-être supposer, après le v. 2961, un vers perdu, rappelant que Pépin se déclara contre Doon et le chassa de ses terres.

V. 2967. Li avesques manda qui ses sodoiers prirent. Ce v. n’est pas clair et paraît altéré. On pourrait corriger : des sodoiers, et comprendre « l’évêque manda [des gens] qui prirent (= levèrent) [pour lui] des soudoiers. »

V. 2992. Va ferir Grifonel, .j. des neveuz Malingre, Fil sa seror germaine, la dame Malsarie. Le nom de « Malingre » est sûrement altéré : Malingre est toujours représenté comme l’enfant unique de Doon et d’Audegour. Il faut probablement corriger : Tomile ; comp. le v. 119, où il est dit de celui-ci : oncles fu Guenelon. — Dans d’autres poèmes, Grifonel est fils de Ganelon (comp. G. Paris, Mélanges de littér. franç. du m. â., p. 200) ; pour l’auteur de Doon de la Roche, semble-t-il, Grifonel et Ganelon étaient frères, fils de Malsarie (et de Griffon de Hautefeuille ? comp. v. 3755, où Hélie et Hardré, fils de Griffon, sont également dits « neveux de Tomile »).

V. 3010. Ça me lairez La Roche ; ne l’avrez mie. C’est la leçon du manuscrit ; on pourrait corriger : n’en avrez iamais mie, suivant la locution bien connue ; comp. Ne de Carlon mie vos n’en avrez, Roland, v. 1172 ; De Gaudissete mie n’i ont trouvé, Jourdain de Blaie, v. 3209, éd. C. Hofmann.

V. 3783-3785. Il y a dans ces vers une singulière confusion de sujets : au v. 3784, li enfes est évidemment Landri, mais au v. 3785, le sujet sous-entendu de fiert est Hélye, nommé au v. 3783. Cependant il nous semble inutile de supposer une altération du texte.

V. 3912. El regne de Saissogne voldrai Deu relenquir. On pourrait aussi restituer : El reiaume des Saisnes v. D. r. Ce vers a été terriblement maltraité par les copistes ; le sens général parait pourtant clair dès qu’on a substitué Deu relenquir à l’absurde Doz relenquir du manuscrit. Le premier hémistiche contient manifestement le nom de la Saissoigne ou des Saisnes, dont il sera question dans la suite du récit. Ces Saisnes, placés naturellement de l’autre côté du Rhin (v. 3911), sont, dans les chansons de geste, toujours représentés comme païens. L’ambition de Tomile est de jouer, avec leur aide, le rôle d’un Isambart, d’un Girard de Fratte (dans la suite d’Aspremont conservée en italien ; G. Paris, Hist. poét. de Charlemagne, p. 325). Dans Girbert de Metz, également, le vieux Fromont se réfugie chez les Sarrasins d’Espagne et en revient avec une grande armée pour attaquer ses ennemis ; voir l’analyse de P. Paris, dans Hist. littér. de la France, XXII, 625, 628.

V. 4030-4036. Cette description de la pendaison de Tomile est loin d’être claire. Qu’est-ce que l’auteur veut dire au juste par le cercle et le chaienon (v. 4032) ? Il n’est pas facile de le comprendre. Dans Florence de Rome on lit (v. 4079, éd. Wallensköld) : Veez le la aux forches, au cou le chaenon ; ici, chaenon semble l’équivalent de hart « la corde qui sert à pendre ». — Ce qui paraît certain, c’est qu’on attachait à la potence, aux forches (v. 4030), une poulie (v. 4035), sur laquelle passait la corde ; il faut admettre qu’on tirait sur la corde, le condamné étant soulevé de terre et s’en allant en haut, contremont (v. 4035). — La même façon de pendre semble indiquée dans Parise la Duchesse, p. 19, v. 601-602, à propos du supplice du traître Milon :

Puis li ont fait la hart entor le col noer,
Contremont la sacherent, si l’ont fait ancroer.

Cette façon de pendre diffère de celle généralement connue, où l’on obligeait le condamné à monter sur une échelle, que le bourreau retirait ensuite sous ses pieds (comp. Florence de Rome, v. 4955). — Ici il semble être question également d’une sorte d’échelle (v. 4031 : La duchesse meïsme monta sur l’eschaillon), mais elle sert au personnage chargé de l’exécution (ici Olive) pour mettre le cercle autour du cou du condamné et fixer le « crampon » (cf. feri le cranpon, v. 4034). La poulie était-elle attachée à ce crampon ?

V. 4121. Par le present Tomile faillistes vos ma mere. Il faudrait peut-être corriger : Por le present Tomile ; comp. v. 4136-4157 :

Quant vo seror faillistes
Et vo nevou petit por l’avoir le traïtre.

V. 4127. Carsadoine. Ce personnage, nommé dans le manuscrit Lazadoine, est évidemment le même qui, au v. 4355, est nommé dans le manuscrit Jazacoigne ou Jaracoigne. La restitution Carsadoine est due à G. Paris (Mélanges de littérature française du moyen âge, p. 203), qui connaissait notre poème par l’analyse de Sachs. « Carsadoine de Perse » figure comme ennemi de Pépin dans un fragment de Mainet (Romania, IV [1875], p. 229, v. 58). La correction paraît d’autant plus évidente que, dans ce passage, Carsadoine est également mis en rapport avec Justamont. Dans Mainet, il est, semble-t-il, son allié ; ici, il est son frère.

V. 4176. Landris si[e]t ou cheval qu’ot la crope levée. Comp. Fierabras, v. 4108 (dans la description d’un cheval) : le bu en haut levé. — C’est d’après ce v. 4176 que nous avons corrigé le v. 4369 : Landris si[s]t ou cheval a la levée crope. Si cependant ces expressions, qu’ot la crope levée et a la levée crope, paraissaient trop singulières, on pourrait lire, au v. 4176 : qui ot la crope lée et, au v. 4369 : qui ot lée la croupe ; comp. v. 4469.

V. 4373-4374. La leçon adoptée est celle des manuscrits, et suppose que Landri parle à Brohemau. Cependant, il y a quelque chose de singulier à ce qu’il s’adresse en de tels termes (vos me rendrez mon oncle !) à un homme qu’il vient de tailler en pièces. Faudrait-il plutôt admettre que Landri apostrophe les Saxons en général ? Dans ce cas, il faudrait corriger et lire : Fil à putain, païen, vos me rendrez mon oncle ! Cuvert, mar le baillastes, vos le laisez a honte. — Pour le premier hémistiche du v. 4374, comp. Roland, 3446 (Carles li dist : Culvers, mar le baillastes !) et Prise de Cordres, 1856-1857 (Fil a putain, gloton et pautonnier, Mar lou baillastes, par les anges du ciel !). Ces rapprochements justifient la correction mar, pour mal du manuscrit.