Doon de la Roche/Introduction

Anonyme
Texte établi par Paul Meyer, Gédéon HuetÉdouard Champion (p. i-civ).

INTRODUCTION

CHAPITRE PREMIER

historique de l’édition.

L’édition de Doon de La Roche a eu une histoire longue, compliquée et finalement douloureuse.

Le manuscrit de Londres qui contient le poème avait été signalé dès 1838 par Francisque Michel, parmi les résultats du voyage d’exploration dans les bibliothèques anglaises, dont il avait été chargé par le Ministre de l’Instruction publique[1]. — Lorsque Guessard conçut le projet de la publication intégrale des chansons de geste, dans la collection des Anciens poëtes de la France, il songea à Doon de La Roche. Un romaniste allemand, Carl Sachs[2], fut chargé, en vue de cette publication, par Fortoul, alors Ministre de l’Instruction publique, d’une mission littéraire en Angleterre : il en rapporta, entre autres, une copie de Doon de La Roche, qui fut, tout porte à le croire, remise à Guessard, et une analyse du poème, que l’auteur publia en allemand, à Berlin, en 1857, avec d’autres travaux sur la littérature du moyen âge[3].

Dans le prospectus joint au volume des Anciens poëtes de la France qui parut en 1858 et qui contient Gui de Bourgogne, Otinel et Floovant, on annonce comme devant paraître : « Fiérabras par M. Kröber, Doon de La Roche, par M. le doct. Ch. Sachs ». — Dans le prospectus joint au volume qui contient Gaufrey et qui est daté du 1er octobre 1859, Doon de La Roche est indiqué comme devant être le 19e volume de la série ; C. Sachs n’est plus nommé comme éditeur. — En 1864, G. Paris écrivait : « … le roman de Doon de La Roche… qui prendra bientôt sa place dans la collection des Anciens poëtes de la France[4] » : l’œuvre n’avait toujours pas paru.

Guessard se méfiait, semble-t-il, de l’exactitude de la copie de Sachs ; il profita d’un voyage que fit en Angleterre M. G. Fagniez, alors élève de l’École des chartes, pour obtenir une révision du manuscrit. M. Fagniez fit des collationnements et des conjectures : le tout fut remis à M. Paul Meyer[5], qui fut alors, semble-t-il, chargé définitivement du soin de l’édition. M. Meyer, collationna de nouveau la copie de Sachs sur le manuscrit de Londres[6] et prépara cette copie revue et corrigée pour servir de base à l’édition, conformément au principe établi par Guessard pour la collection des Anciens poëtes, savoir : reproduction fidèle du texte du manuscrit principal (ici manuscrit unique), sauf dans le cas de leçons manifestement erronées.

Après les événements de 1870-1871, la publication de la collection des Anciens poëtes (qui, il faut le dire, n’avançait que très lentement pendant les années qui précédèrent immédiatement la guerre franco-allemande) fut définitivement abandonnée ; en revanche, en 1875 fut fondée la Société des Anciens Textes Français. Dans la séance du Conseil d’administration de la Société du 24 avril 1878, M. Meyer proposa deux nouvelles publications : Yder et Doon de La Roche ; le projet fut renvoyé à une commission, composée de MM. Michelant, G. Paris et G. Raynaud ; dans la séance du 22 mai 1878, G. Paris fit un rapport et conclut à l’admission du projet. G. Paris fut nommé commissaire responsable[7].

Dans l’assemblée générale de la Société qui eut lieu bientôt après, le 29 mai 1878, M. Meyer, dans le rapport qu’il fit en qualité de secrétaire, parla en détail des deux poèmes qu’il s’agissait de publier. Ce qu’il dit alors[8] mérite d’être reproduit ici en entier, du moins en ce qui concerne Doon de La Roche :

J’ai encore à vous entretenir de deux projets réservés à un avenir moins prochain, mais au sujet desquels il importe de prendre date. Il s’agit de deux poëmes, encore inédits… Ce sont le roman d’Yder et la chanson de Doon de la Roche

Doon de La (sic) Roche est une chanson de geste d’environ 4,600 vers dont l’action se passe sous Pépin le Bref. Pépin a donné en mariage sa sœur Olive à Doon de la Roche. Injustement accusée, la malheureuse épouse est chassée par son mari, et le poëme est le récit des exploits à la suite desquels le jeune Landri, fils d’Olive et de Doon, réussit à se venger des traîtres qui ont calomnié sa mère. Ce thème, d’ailleurs connu, est traité avec originalité. Le récit est bien conduit, on peut même dire bien écrit, et abonde en traits intéressants. La chanson de Doon est ancienne : tout entière en assonances, on ne peut guère la faire descendre plus bas que la fin du xiie siècle. Signalée pour la première fois, il y a plus de quarante ans, par M. Fr. Michel, dans un manuscrit du Musée britannique, analysée sommairement il y a vingt ans par M. le Dr Sachs, elle est restée jusqu’à ce jour inédite, et aucun nouvel exemplaire n’en a été découvert. M. Guessard ayant bien voulu nous faire don de la copie qu’il avait fait exécuter autrefois du manuscrit du Musée britannique, votre Conseil a pensé qu’il y avait lieu de placer Doon de la Roche, aussi bien qu’Yder, au nombre des publications dont il convient de s’occuper dès maintenant.

Dix années passèrent, pendant lesquelles d’autres travaux, notamment l’édition de la Vie de Guillaume le Maréchal, absorbèrent l’activité de M. Meyer. Mais en 1908 il revint décidément à Doon de La Roche. Dans le procès-verbal de la séance du Conseil de la Société du 19 novembre de cette année nous lisons : « M. P. Meyer informe le Conseil qu’il a mis sous presse le poème de Doon de La (sic) Roche… Le Conseil nomme M. Thomas commissaire responsable pour cette publication, en remplacement de G. Paris. Le tirage est fixé à 625 exemplaires dont 25 sur papier Whatman[9] ». Des communications au Conseil le tenaient au courant des premiers progrès de l’impression[10]. Mais, dans le procès-verbal de la séance du Conseil du 15 décembre 1910, on lit[11] : « M. Meyer espère reprendre l’impression de Doon de la Roche, que son état de santé l’a obligé d’interrompre ». Avec sa conscience habituelle, il crut devoir donner des explications plus détaillées dans le rapport qu’il lut à l’assemblée générale de la Société, le 28 décembre suivant[12] : « Nous devons encore un livre, et j’ai le regret de dire que la faute est mienne. Je suis en effet atteint, depuis plusieurs mois, d’une affection dont je ne suis pas guéri, et qui rend mes travaux très pénibles. Toutefois mon édition de Doon de La Roche est assez avancée et j’espère réussir à la terminer pendant la prochaine année ».

Mais M. Meyer avait trop présumé de ses forces. Il ne revint sur Doon de la Roche que dans son rapport lu à l’assemblée générale de la Société le 23 décembre 1913 ; il y expliqua en même temps pourquoi et en quelle mesure il s’était adjoint un collaborateur[13].

Il convient maintenant de vous entretenir des autres publications depuis longtemps préparées et annoncées, et qui ne pourraient être retardées sans inconvénient. L’une est la chanson de Doon de la Roche dont les trois premières feuilles sont en épreuves depuis 1909, et que j’ai dû interrompre, comme bien d’autres travaux, par l’état de ma santé. Cependant il faut bien en finir. Ce qui me fatigue particulièrement, ce n’est pas l’établissement du texte, qui peut être terminé en peu de mois, c’est la rédaction de l’introduction, ou plus spécialement d’une certaine partie de l’introduction : la légende de dame Olive, la femme de Doon de la Roche. C’est une variante de l’histoire de la femme injustement accusée et persécutée qui finalement est réhabilitée et reprend sa position première. Les versions de ce récit, en quelque sorte banal, sont très variées et ont été maintes fois étudiées. Pour caractériser la forme que présente le poëme de Doon de la Roche il me faudrait poursuivre des recherches que mes loisirs et surtout l’état de ma santé, notamment la faiblesse de mes yeux, ne me permettent pas de conduire à bonne fin. Je me suis donc adressé à notre confrère M. Huet, qui est fort au courant des travaux publiés sur le groupe de légendes auquel appartient Doon de la Roche. Grâce à lui j’espère avoir terminé l’an prochain l’édition depuis si longtemps commencée.

Le rapport où se trouvent ces paroles fut le dernier que M. Meyer put rédiger en sa qualité de secrétaire de la Société des Anciens Textes. Le mal dont il était atteint fit malheureusement des progrès de plus en plus rapides et devint bientôt incurable.

Quand M. Meyer se fut éteint, après de longues souffrances, la confiance de Madame Meyer et celle de la Société des Anciens Textes me chargèrent de l’achèvement d’un travail auquel M. Meyer lui-même, on l’a vu, m’avait en quelque sorte associé pendant sa vie.


CHAPITRE II

Le manuscrit et les fragments. — langue des fragments et du manuscrit.

La chanson de Doon de La Roche ne nous est parvenue que dans un seul manuscrit complet, conservé à Londres, dans le British Museum : il y est côté Harley 4404. Quelques détails sur ce manuscrit ont été donnés par H. L. D. Ward[14] ; j’en dois d’autres à l’obligeance de MM. L. Brandin et O. H. Prior, qui ont bien voulu examiner le manuscrit à mon intention. D’après ces données, le manuscrit est un in-4o, sur papier, de 251 feuillets, de 294 sur 210 millimètres ; l’écriture est du xve siècle. La reliure est en cuir de Russie et porte en repoussé les armes du second comte d’Oxford, Edward Harley. Au dos sont écrits les titres : Le roman de Doon l’Allemand de la Roche. Epistre de Prestre Jehan. Le Romans des Anfances Ogier. Au dessous : mus. brit. bibl. harl. 4404 plut. lxx. e. Aucune note d’un genre quelconque sur les feuilles de garde ou ailleurs, de sorte que nous n’avons aucune donnée sur les origines du manuscrit et ses destinées jusqu’au moment où il fit partie de la collection harleienne[15].

Le volume, écrit d’un bout à l’autre de la même main, contient : fol. 1-88 recto, Doon de La Roche ; 3 ff. blancs, non numérotés fol. 89, Lettre du Prêtre Jean à l’empereur Frédéric[16] ; fol. 12-251, les Enfances Ogier. — Dans la partie qui contient Doon de La Roche, il y a 24 à 27 vers par page une initiale rouge marque le début de chaque laisse. — Le manuscrit est bien conservé dans la partie qui contient Doon de La Roche on trouve, au fol. 82 b, des vers incomplets (voir notre texte, v. 4356-4364), mais le feuillet est intact ; l’écriture n’a pas souffert ; il est probable que le manuscrit que le scribe avait sous les yeux offrait à cet endroit un texte en partie illisible et que le copiste s’est borné à transcrire ce qu’il pouvait lire, s’abstenant sagement de compléter les vers par des conjectures personnelles.

Si, dans ce cas, il a fait preuve de discrétion, il a malheureusement, au cours de son travail, donné de nombreuses preuves de négligence[17] et de précipitation ; de plus, il connaissait mal la langue des chansons de geste, déjà archaïque de son temps[18]. La tâche de l’éditeur eût été moins ardue et incertaine, si, au lieu du manuscrit de Londres, il avait eu à sa disposition un autre manuscrit, plus ancien et meilleur, dont il ne reste malheureusement que deux feuillets.

Ces deux feuillets, que nous désignerons par la lettre L, appartiennent à M. Eugène Lelong, qui les a achetés avec un lot de papiers et de débris provenant de Saumur. M. Lelong suppose que ce sont des débris d’un manuscrit qui aurait appartenu à la bibliothèque de Saint-Florent de Saumur ou à celle de Fontevrault. Il est probable que ces fragments ont servi de couverture à un registre et ont été ainsi préservés de la destruction.

Les deux feuillets de parchemin ont une dimension de 328 sur 210 millimètres[19]. Il y a deux colonnes par page, chaque colonne comptant 45 vers ; le début de chaque laisse est marqué par une grande initiale, alternativement bleue et rouge ; la première lettre de chaque vers est marquée d’un trait rouge. — L’écriture est du premier quart du xive siècle ; elle est soignée, mais un peu carrée et épaisse, de sorte qu’elle produit, à première vue, une impression confuse. Malgré les épreuves qu’ils ont traversées, les fragments ont peu souffert et sont lisibles, dès qu’on est habitué à l’écriture. Ces fragments vont, le premier, du v. 1146 au v. 1325 ; le second, du v. 3110 (ce premier vers a été en partie endommagé par le couteau du relieur) au v. 3289 du texte.

M. P. Meyer a noté que le manuscrit auquel ces fragments ont appartenu doit avoir été, par un hasard singulier, l’original du manuscrit de Londres. En effet, ce manuscrit reproduit, au v. 1155, une leçon fautive, qui est le résultat d’une correction mal faite dans L ; si ce fait peut ne pas être évident pour celui qui lit la note (p. 44 de notre texte) où cette faute est indiquée et où l’origine en est démontrée, d’une façon nécessairement un peu complexe, il est absolument clair pour celui qui a sous les yeux le fragment lui-même, et le met à côté de la leçon du manuscrit de Londres.

Une étude attentive des leçons du manuscrit, comparées à celles des fragments, confirme ce résultat les fautes des fragments se retrouvent régulièrement dans le manuscrit[20] ; nulle part[21] celui-ci ne présente une variante préférable à la leçon des fragments[22].

La langue des fragments L mérite d’être étudiée avec soin, étant plus près de celle de l’original que celle du manuscrit de Londres. L’exposé qui suit reproduit, avec quelques additions et modifications, une note détaillée de M. Meyer, rédigée en vue de l’Introduction à l’édition projetée.

Phonétique. — Voyelles.

A pour e est constant dans fame, 1221, 1298. L’auteur confondant les sons originairement distincts an et en (voir ce qui est dit plus loin sur la langue du poème), il est naturel que le copiste ne se soucie pas d’employer ces deux groupes conformément à l’étymologie et qu’il ait une tendance à écrire le plus souvent an[23]. Cependant, il conserve très souvent la graphie étymologique en, soit à la tonique, soit avant : argent 3121, enfes 1183, 1307, 3224 ; enfant 1166, 1179 ; enraigier 3281 ; entendez 1146 ; entendui 1249 ; gent, genz 3120, 3141. Pour la préposition et l’adverbe, (in ou inde), on a plus souvent en qu’an 1156, 1157, 1159, 1163, 1164, 1171, 1226, etc. — On est porté à considérer comme une erreur de copiste danrons (pour donrons) 1149 ; cf. donroie 1174. Cependant on ne peut affirmer que cette prononciation n’ait pas existé.

Ain par an se rencontre en des cas assez bien déterminés, avant ch et g continu : maingier 3275, maingeroient 3260, plainchier 3265. Estrainglaie (étranglée) 1208 où le g est explosif, est exceptionnel ; la finale n’en est pas moins surprenante, car -aie, pour le latin -ata, est une prononciation de la région alpine[24].

Ai pour a se rencontre devant g continu (suffixe -aticus, etc.) : putaige 1168, 1312, hontaige 3148, anraige 1223, 1253, enraigier 3179, saiges 3132. — Si mas (mais) 3189, n’est pas une faute de copiste, c’est un exemple de la réduction d’ai à a, que nous retrouverons en étudiant la langue du manuscrit de Londres.

Si aseier 3279 était vraiment l’équivalent d’essaier, on aurait un exemple du passage d’e protonique initial à a, dont nous trouverons des traces assez nombreuses dans la graphie du manuscrit de Londres, mais le vers n’est pas bien clair et il peut être altéré.

Poichiez (= pechiez) au v. 3238 nous offre un exemple du passage d’e protonique à oi ; d’autre part e tonique, issu d’ῐ latin entravé, passe à o dans eschevole 1305, correspondant au francien eschevele.

Oi pour o est habituel avant ch et g continu : La Roiche 1146, 1318, 3288 ; loiges 3204 ; dans ces deux exemples, l’o est ouvert et tonique ; de même avant l’accent : loigié 3113, broichant 1160, et dans boiche 1285, où l’o est fermé et tonique. On lit ois pour os (première personne du présent de l’indicatif) au v. 1262.

Dans ensoigner 3227, proinne 1297, roinne 1233, roigne 3150, oi correspond à la forme française ei (enseigner, preigne, reigne), l’i servant à marquer le mouillement de l’n. On a aussi oi dans consoil 1209, moillor 3249, ploin 1213.

O, ou sont employés indifféremment pour l’o fermé (latin ō, ŭ) : d’une part, nos, vos, lor, por, jor, mots qui reviennent fréquemment, gloz 3111, desoz 3201, trestot 1280, toz 1188, 1247, traïtor 1188, seinnor 1244, ore (lat. hora) 1261, jornées 1319, secors 1268, plore 1265, ploroient 1304 ; d’autre part, bourc 1259, court 1259, glorious 3217, nevou 3138, 3214, prouz 3228. — Dans douce 1262, l’u peut représenter l vocalisée, mais il y a doz (masculin) au v. 1272. — Dans pou 135, etc., l’o est ouvert (lat. paucum), mais il y a po aux vers 1281 et 1313.

U représente ue : mute 3195, illuc 3186 ; mais on lit bues au v. 3205. — On lit veul, pour vuel, au v. 3242. — Gurpie, pour guerpie, au v. 1258, peut être une faute du scribe.

Ui dans fuissiez 1166, à côté de fusse 1167, n’est point une forme insolite ; mais ce qui est bien exceptionnel, ce sont les participes passés entendui 1249, corrui 1161 ; la forme habituelle u se trouve dans venu 1309, 1319 et descendu 1320. Fui (lat. fuit) est constant (1156, 1194, 1198, 1206, 1287, 3136, 3216, 3243) ; de même on a connuit 3215 et estuit 1195.

Consonnes. — L n’est pas toujours vocalisée devant une consonne : on trouve nel (ne le) au v. 3287, mais il y a nou au v. 3234 ; viels (pour vuels) 3286, 3287, mais voudrai 3222, 3223. L’article masc. sing. combiné avec de est tantôt écrit dou 1214, 3123, 3198, 3241, tantôt do 1270, 1274.

La notation de la finale us (ls) est flottante : aux 1161, mais ax 1214 ; biaus 1232, 1236 ; biax 1250, 1294, 3256, 3272 ; bex 1165 ; damoisiax 1302.

L mouillée, entre deux voyelles, est écrite ll : essilliez 3183, 3237, moillier 3181, 3191, 3229 ; suivie d’une consonne, elle est écrite l : mielz 1324, iels 1161, ou se vocalise en u : euz 1254.

N mouillée, entre deux voyelles, est figurée par nni : gaainnier 3194, plainnier 3202, ou par gni : ensoignier, 3227, ensoigniez 3165 ; devant une atone on a nn : vinne (lat. vinea) 3197, Coloinne 1301.

Le son résultant de t + s latins est noté par z dans ensoigniez 3165, outragiez 3167, mais par s dans amïés 3178.

Morphologie. — Déclinaison. — On trouve s analogique au cas sujet singulier des substantifs : hons 1248, 3187, prodons 3186, 3220, peres 3125, 3144 ; la forme Doz pour Do, constante dans le manuscrit, se lit dans le fragment au v. 3238 ; je n’ai pas trouvé d’exemple de Do. — Dans la déclinaison du pronom possessif, on peut noter tui 1234 (cas régime pluriel).

Conjugaison. — Nous ne voyons à relever que redoz 3210 (1re pers. du sing.[25] du présent de l’indicatif), gardoit 1307 (3e pers. du sing. du présent du subjonctif) et haubergetes 3259 (2e pers. plur. du présent de l’indicatif).

Si la langue des fragments a un caractère oriental nettement prononcé (à noter ai pour a dans certains cas, oi pour ei, oi pour o), ce caractère est encore bien plus marqué dans la langue du manuscrit de Londres, qui offre d’ailleurs une plus grande variété de faits, ce qui s’explique par la différence d’étendue, le manuscrit contenant plus de 4600 vers au lieu des 360 des fragments. Remarquons dès maintenant que, par un hasard singulier, les traits les plus frappants de la langue du manuscrit, pratiquement unique, qui contient Doon de La Roche, se retrouvent dans le manuscrit également unique qui nous a conservé la chanson de geste d’Orson de Beauvais. Dans l’exposé qui suit, nous renverrons, pour ces traits, à l’étude de G. Paris, dans l’Introduction à son édition de ce dernier poème[26]. Nous prenons comme point de comparaison le « francien » normal.

Notons, avant de passer aux faits de phonétique proprement dite, quelques particularités de graphie, qui s’expliquent par la date du manuscrit : au (issu d’al) s’écrit parfois aul : aultres 15, 26, aultre, 1298, hault 46, etc. ; us final s’écrit lx, ux et même ulx : bealx 2847, chevalx 1317, joieulx 3216, beaulx 3207, chevaulx 18, 573, 2469, damoisiaulx 2680, glorieulx 3198, mieulx, 1324, mantiaulx 25, morciaulx 3448, senechaulx 3555, etc. De même, i est assez souvent écrit y : tournoy 17, loyaulment 12, roy 20, joye 80, etc. — Il y a des traces d’orthographe étymologique : corps 43, monstré 45, nepveu 520, 3138, etc. (très fréquent)[27].

Phonétique. — Voyelles.

A est représenté par ai dans les syllabes protoniques : aisiet, aissiet (assiet) 2763, 3200, maingier 1443, 1537, mainja (mangea) 1228, et plus souvent dans les toniques : baire (barre) 3092, baires 3614, barnaige 16, 107, lignaige 88, pais (pas) 3416, etc. Ces formes se retrouvent naturellement dans les verbes : abaitre, 1394, availlent (avalent) 3575, chaice (chasse) 1403, faice (fasse) 3097, osaites (osaistes, osastes) 3626, paissent (passent) 2911 ; ai (a) 1849, ait (a) 1742, 2773, vai (va) 272 ; vait (vat, va) 267, etc., et surtout aux deuxièmes et troisièmes personnes du singulier du futur : irais 1294, 1362, serais 1349 ; avrai 2251, dirai 545, ferai (= serai, sera) 152, irai 130, vandrai (viendra) 3306, etc., et aux troisièmes personnes du singulier du prétérit : plourai (ploura) 187[28]. Comparer Orson de Beauvais, Introduction, p. VIII. — A peut devenir au devant l et bl : maul 3357, maule 3410, saule (sale) 3535, 3557 ; conestauble, 3568, quennissauble 3601, tauble 3412 (cf. Orson, Intr., p. VIII-IX). — Parfois a devient e : Elemens (Allemands) 13, essaus (assaut) 1867, leniers (laniers) 2453, chevellerie 2691, vessaulx (vassaus) 3704, pert (part) 3821. Dans Orson, G. Paris n’a constaté ce fait que pour a devant n (Intr., p. IX). — Une fois, devant une chuintante, a devient oi : broichès (brachez) 3303.

E provenant d’a latin tonique libre devient ei (sporadiquement) : grei ou grey 77, 595, 1587, 3031, crestientey 407, maufei 3291, prei 2068 ; dans les participes : donney 408, gardei 872, ancontrei 1604, etc. Dans ces exemples, ei est final, mais on le trouve aussi à l’intérieur d’un mot : meire (mère) 490, remeist 865, sceit, 814, 887, 3111, etc., de savoir (cf. Orson, Introd., p. IX). — E de toute provenance peut devenir a, soit dans les syllabes toniques : ast (est) 2051, duchasse 2570, remas (remés, de remanoir) 3067, sale (selle) 2012, 3792, soit surtout dans les protoniques : assauça (exhaussa), 5, arastement 2614, armine (ermine) 2706, aseier (essayer) 3379[29], assauça, 2967, avesques 2936, 2967, etc., Barnars 3191, 3660, Barnart 3215, gardon (guerredon), 3326, palée (pelée) 4110, ramés 1002, trabuchier 2304, 2481. On trouve même assongne 4340, pour enseigne, ce qui semble supposer une forme esseigne. C’est surtout quand ce fait phonétique s’accompagne de la chute de l’s, dont nous parlerons plus loin, que le mot prend un aspect quelque peu déconcertant : amaier (esmaier) 3100, avoilla (esveilla) 2713, aposa (esposa), 4533, malée[30] (meslée) 2059, ratoié (restoié) 2537. Ce changement d’e en a se retrouve dans Orson de Beauvais (Introd., p. IX). — Un cas spécial, où e est supplanté par a, est celui des troisièmes personnes du pluriel du prétérit : retournarent, 1184, jurarent 1202, montarent 2972, lassarent 4377, etc. ; nous reviendrons sur ce fait à propos de la langue du poème. — Notons encore quelques formes où ĭ latin entravé est rendu par o (vove 29, lat. vĭdua) ou par oi (eschevoille 1305, lat. *excapillat), et joignons-y (quelle que soit l’explication qu’il en faille donner) aort 1341.

E protonique peut passer à i : giter 2546 et à au : Leauroine (pour Loeroine, Lorraine) 130, guerraudon 3383. — On le trouve quelquefois représenté par o et par u : proer 35, gurpie 1258. — Notons encore vaiai, pour veai, 3234, qui reproduit une forme que nous avons déjà signalée à propos des fragments. Nous traiterons plus loin, en parlant de la morphologie, de la chute de l’e protonique dans le futur des verbes de la première conjugaison. — Par contre, un e posttonique inorganique paraît dans avecque 3222, avecques 3316 (pour avoec, avec)[31]. On a également la forme singulière peres 36, pour pers, pairs.

E nasalisé (en) devient a (an) beaucoup plus fréquemment que dans les fragments : anfes, 75, 94, apant 8, antandre 80, 94, antans 1227, ante (ente) 1394, 1418, jugemant 21, panre 253, etc. ; les exemples abondent. De même dans les syllabes protoniques : amperieres (empereres) 41, anraige 785, 819, 937, 1223, tanra (tenra, tiendra) 68, vanrai (venrai, viendrai) 1277 etc., et dans les posttoniques : gisant (gisent) 2912, montant (montent) 2286, pendant (pendent) 2287, presentant (presentent) 3028. Une fois on a ain, et une fois on, pour en : gainchi 1178 (pour guenchi), l’ondemain 2117 (pour l’endemain).

En ce qui concerne l’i, nous avons déjà remarqué que cette voyelle s’écrit souvent y. — Nous avons noté un exemple d’i inséré entre deux voyelles : joier 2358, pour joer (jouer) ; ou bien i représente-t-il le c de jocare ?

Il y a maint exemple d’o libre tonique (ō latin) devenant eu : pluseurs 24, leurs 25, seigneurs 47, doleur 485, joeux 993, honeur 4312, moilleur 3318, etc. Mais, à côté d’o (enor 8, jugleors 24, seror, 89, baudor 113, etc.), ou n’est pas moins fréquent : prou 40, seignours 52, juglour 104, ploure 146, nevou 493, baudour 971, anour 974, etc. — O devient oi devant ch, n, v, s, t : boiche 2442, broiche 1099, cloiches 2931, La Roiche 2914, 2965[32], boins 2444, oir (or, lat. aurum) 2907, oireille 2065, ois (os, mod. « ose ») 1262[33], oitour (ostor, mod. « autour ») 2180, oit (ot, lat. habuit) 2987, oit (ot, lat. audit) 2825[34], voit (vot, lat. voluit) 3245.

Diphtongues. — Ai se réduit à a : lassent (laissent) 2370, mas (mais) 1252, 2410, 2446, 2613, 2672. Ce fait se présente surtout dans les premières personnes sing. des verbes. Présent : a (ai) 2411, 3820, sa (sai) 556, 1147, sça (sçai) 1278, la (lai ou lais) 2197 ; futur celera 2238, donra 2685, prendra 3522 ; prétérit amena 3821, aporta 3498, engendra 240, jura 1349, 1363, 1372, laissa 2025, mena 3095, planta 1272[35]. — Cette réduction, contrepartie du passage d’a à ai, se retrouve dans le manuscrit d’Orson de Beauvais (Introd. p. VII).

Ai passe parfois à oi : deloier (delaier) 276.

Au (issu d’al) est réduit à a[36] : habergié (haubergié) 2773 ; chevache 3058, 3722, 3824, chevacha 3848, ignas (isniaus) 3703, madie 2955 ; de même dans l’article : a (au) 2555, 2556, 2581, 2771. — Même fait, en ce qui concerne l’article, dans Orson de Beauvais, Introd. p. XII. — Tout à fait insolite est le passage d’au à oi dans chevoichent 4350.

Ei s’écrit parfois ai : esvailliés (esveilliez) 3529. Il devient très fréquemment oi, spécialement devant l mouillée, n, gn et ng : aparoilliés 2761, evoilliés 3484, mervoille 195, 782 ; moilleur 3318, etc., amoine, (ameine) 2918, ramoint (rameint) 3418, estroint (estreint) 2976, dointié (deintié) 3103, poine (peine) 4197, etc. ; amoine (ameine) 2918, amoingne (ameine) 1402, doingna (deigna) 1865, Leoroingne 2816, soigne (seigne) 2235, 2699, 2943, 3542 ; roiné (reigné) 315, 3014, voigne (veigne, viegne) 1554, 1557, voinges (veinges, venges) 1040, voingier (veingier) 1075. — Même fait dans Orson de Beauvais, Introd. p. XI.

Eaus, du latin ellus, devient souvent iaus : biaulx 1250, 1282 (mais beaulx 1235), damoisiaulx 1250, 2677 (mais damoiseaulx 7306), piaulx (peaus) 1358, mantiaulx 25.

J’ai noté un exemple d’, devant consonne, réduit à i : laissirent (laissiérent) 1625.

Oi devient parfois ai : maie (moie, latin mea), plaier (ploier, plier) 3088. De même que ai se réduit assez souvent à a, oi peut se réduire à o : joe (joie) 107, 3642, joeux (joieus) 444, ors (oirs, latin heres) 2957. Le fait se retrouve dans Orson de Beauvais, Introduction p. VII[37].

Ou passe à au dans faulx (fous, lat follis) 3578. Cette forme se trouve ailleurs.

Nous avons relevé un exemple d’o non diphtongué dans mor 2726, première personne du sing. de l’indic. présent de morir, au lieu de la forme normale muir.

Avant de passer à l’étude des consonnes, signalons encore quelques contractions, qui n’ont rien d’étonnant quand on se rappelle la date du manuscrit : citain (citeain) 3115, fel (feeil) 2669, gaingne (gaaingne) 18, gaingnier, 2535, juglour 104, Loroigne 2385, plust (plëust) 2693. — E protonique, entre deux consonnes, tombe parfois : guerdon 3134, gardon 3326, pour guerredon ; chiermant 3148, pour chierement.

Consonnes. — Un fait qui intéresse plutôt la graphie que la phonétique, c’est que c est parfois (très rarement) remplacé par s : sens (cens) 3130 nous verrons plus loin la graphie inverse, s remplacée par c, qui est beaucoup plus fréquente. — La graphie brance (prononcez branke), pour branche, 1413, est bien connue. — Une graphie qui intéresse la phonétique est mange, pour manche, 3027

B peut tomber dans le groupe mb : tumeresces (écrit tumerestes), pour tomberesses, 4563, tumé, pour tombé (même vers).

D, entre deux consonnes, peut tomber : panre (pendre) 253, et (prendre) 3585.

G continu passe à ch dans lignaiche (lignage) 700 ; nous venons de relever le fait inverse, ch s’affaiblissant en g[38].

H (aspiration dans les mots d’origine germanique) tombe (très rarement) : iaume (heaume) 3004 ; on a de même autain (hautain) 3419.

L, à la fin d’un mot, peut tomber : ici 125, ci (cil) 355, si (cil) 355 (?), osté (ostel) 3253 ; de même à l’intérieur devant consonne : vité (vilté) 2892. — Pour lr on peut avoir rr : torrai (tolrai) 1316. — Une forme tout à fait singulière est solmiers 2809, pour sommiers.

N, suivant i dans le corps d’un mot, s’écrit parfois gn, ce qui semble exprimer un mouillement : ignias (iniaus, isniaus) 3703, magnie et maignie (mainie, maisnie) 2374. Même fait dans Orson de Beauvais, Introd., p. XIV parmi les exemples cités figure justement magnie, pour maisnie. — On a, de plus, dans le manuscrit de Londres, roigne (rêne) 3014, 3853, et chaingnes (chaînes) 3091.

N mouillée peut s’écrire ngn : congnuit 3856, Coulongne 112, rongne 115, et roingne (règne) 3150. D’autre part, n mouillée s’exprime assez souvent par in ou inn : Alemaine 2602, broinne (broigne) 3739, Coloinne 2657, poinant (poignant) 3666, toinne (lat. teneat) 3747, etc. — Le groupe nr peut se réduire à rr : corrée, pour conreée, 4616.

R, dans les verbes, s’emploie parfois d’une façon irrationnelle, car on trouve l’infinitif pour le participe : travaillier, pour travaillié, 3528, esploitier, pour esploitié, 3517, ce qui semble prouver que, à l’époque et dans le pays où le manuscrit fut écrit, l’r final, de l’infinitif ne se prononçait plus.

C est souvent écrit pour s : ces (ses) 20, 3020 et ailleurs, c’il (s’il) 10, ce (se), 99, 1408, cés (sés, 2e p. sg. ind. pr. de savoir) 3227, etc. Même fait dans Orson de Beauvais, Introduction, p. XIV. — La graphie de c pour s, à la fin d’un mot, explique sanc, 179, 1169, 1787 et 2637, pour sens. Nous avons déjà vu sanc, pour sans, dans les fragments (ci-dessus, p. XI, n. 1) ; la même graphie se retrouve dans Parise la Duchesse, v. 1616.

S initiale s’écrit parfois sc, particulièrement dans le verbe savoir : sçai 75, sçait 70, sceit 815, 2773, sçavoir 1915 etc. ; on trouve aussi sciet (siet, du verbe seoir) 3086, 3567, 3813. — S, suivie d’une autre consonne, tombe assez souvent : amitié (amistié) 1179, ainé 3206, blemie (blesmie) 2715, chatie (chastie) 3015, coutés (coustez, costez) 1174, fut (fust, lat. fuisset) 2849, mainnie (mesnie) 2211, ponnée (posnée) 4124, etc. Ce fait peut s’expliquer par la date seule du manuscrit, mais ce peut également être une particularité dialectale, car dans le manuscrit unique de Parise la Duchesse, qui est du xiiie siècle, la chute de l’s avant consonne est assez fréquente[39]. — S, à la fin d’un mot, s’écrit assez souvent x : boix 3173, 3236, 3386, dux 11, etc., desormeix 1882, foix 3455, jamaix 2799, moix 103, Parix 12. — Même fait dans Orson de Beauvais, Introd., p. XII. — Parfois, s s’emploie d’une façon irrationnelle : asmonne (aumosne) 3416 ; cheuste (cheüte), 2577 ; ois (oi, lat. habui) 2857[40]. — On a noté une fois la chute du groupe st à la fin d’un mot : dona, pour donast, 2641.

Une prononciation très indistincte des consonnes finales semble indiquée par la graphie chant, pour champ, 2454[41].

Z issu de t + s latin devient à peu près toujours s : adoubés 34, consoilliés 3139, preis 3118, orés (orrez) 10, souffrés 1292, etc. ; les exemples sont innombrables.

Finalement, on peut observer que le copiste a une tendance à doubler les consonnes : corraige 3300, donney (doné) 408, pallais 3121, remesse (remese) 3098, seullement 8, taissiés (taisiez) 840, tollir 29.

Morphologie. — Déclinaison. — Notons l’emploi continuel du cas régime pour le cas sujet. Il est inutile de citer des exemples ; il suffit de renvoyer le lecteur aux variantes, relevées complètement, des 118 premiers vers du texte.

Conjugaison. — Nous avons relevé redoz (première personne du singulier du présent de l’indicatif) dans les fragments ; nous trouvons, dans le manuscrit, à côté de redouz 3210, qui correspond au redoz du fragment, deux autres exemples : menz 185, ratenz 2799. On sait que ces formes ne sont pas rares ailleurs[42]. — La première personne du singulier du présent de l’indicatif offre dans quelques cas un e final analogique : doute 3797, loe 4436, prie 3413, prise 4331. La troisième personne du singulier conserve parfois le t final du latin : at 1001, ait 1742, et vait (va) 267 ; de même au futur : pourat 3650, et au prétérit : servit 11. — La forme analogique parle 2674, pour parole, n’a rien d’étonnant, vu la date du manuscrit. — À l’imparfait, amot 44, pour amoit, peut s’expliquer par la réduction d’oi à o. — Au v. 1208, on lit euissient, pour eussent. — On trouve deux exemples de la deuxième personne du plur. du futur en -ois : seroit (pour serois) 83 et durerois 3009[43]. — La désinence -ut de la troisième personne du singulier du prétérit est notée parfois -uit : congnuit 3856. — On trouve -etes et -estes, pour -astes, à la deuxième personne du pluriel du prétérit de la première conjugaison : melletes 4003, chaceste[s] 4005. — Nous avons vu que l’e protonique tombait parfois entre deux consonnes ; le même fait se retrouve naturellement dans les verbes : enarbrai 3106, getrai 2754, getrés 2738, mandrai 3101 ; en revanche, un e est inséré dans averoit 3212. Ici et là ces formes faussent le vers.

L’ensemble des faits que nous venons de passer en revue indique nettement la région de l’Est, et spécialement la Lorraine, comme patrie du scribe ; c’est dans le dialecte lorrain que nous retrouvons notamment deux des faits les plus frappants, la réduction d’ai à a et le passage d’es initial à a[44]. La langue des fragments appartenant à M. Lelong présente, nous avons pu le constater, de grandes analogies avec celle du manuscrit de Londres ; pourtant elle n’offre pas une couleur dialectale

aussi prononcée.

CHAPITRE III

Versification, langue, patrie et date du poème[45].

Doon de La Roche est écrit en vers alexandrins assonancés. La structure des vers, avec la césure après le sixième pied, ne présente rien de particulier. Comme d’ordinaire dans les chansons de geste, les monosyllabes suivis d’un mot commençant par une voyelle, ce, je, ne, que, se (latin si), peuvent faire hiatus : avers ce quë il est 56, ne lance në espée 1297, Së il est niés le roi 2046, cë est chose provée 2539, jë ai au cuer grant ire 2648. — Une autre licence bien connue[46] permet la non-élision de l’e posttonique d’un mot polysyllabique quand le mot suivant est un monosyllabe commençant par une voyelle. Cette licence, qui se retrouve dans d’autres chansons de geste est fréquente chez notre auteur ; on dirait qu’il a une prédilection pour les vers ainsi construits. Voici les exemples que nous avons relevés :

713 Il est molt juenes enfes, si dit quanquë il set.
808 Je ne vuel mie perdre la merë et le fil.
834 Com or le voit Landris, si commencë a rire.
972 Olive la duchesse ; n’a plus belë ou mont.
1206 Et fu lez une pile repostë et mucie.
1265 Quant l’entent la duchesse, si plorë et sospire[47].
1540, 1647 Car hom de riche cort doit estrë a barné.
1937 Tomilë et Malingre fera les chiés coper.
2215 Que l’avoient juré Tomilë et Malingre[48].
2315 Serjans et chevaliers enmoinnë a grant flote.
2320 Tomilë et Malingre va noncier la parole.
2726 Se je muir par amor, m’armë en ert garie.
3330 Sire, ce dist li dux, Frobert m’apelë on.
3562 Dont ot li dus pitié, si sospirë et larme.
3705 Encontre lor seignor poindrë et galoper.
3966 Tomilë en menerent [lïé] a un chalant.
4247 Si dist cele donzelle : « Reveignë ou païs. »
4283 Et sa fille la gente, la bellë a[l] cler vis.
4298 Pitié ot de s’amie, si sospirë et larme.
4443 En pais tenront la tere, des orë en avant.
4469 Monta en .j. destrier qui la cropë ot lée.
4521 Est frerë a sa mere, bien veoir le poez.
4608 A grant peinë ont fait entre eus la departie.

On peut encore citer un exemple, où le mot qui suit l’e posttonique non élidé est polysyllabique :

662 Quant vos verrez vo pere au pueplë assemblé[49].

L’i de qui, suivi de voyelle, s’élide parfois :

117 Damedex le confonde, qu’en la croiz fu penez.
2623 Qu’estoit au roi Dorame remés novelement.

De même l’i de si :

4534 Dis avesques i ot et s’i ot .c. abez.

Si me est une fois contracté en une syllabe :

2873 Sim desfia en France Pepin[s] li emperere.

Si on lisait Si me, avec le manuscrit, le vers serait trop long[50].

Si les peut de même se contracter en ses (v. 1805).

Ainsi que nous l’avons dit, les vers sont assonancés ; on ne découvre nulle part une véritable tendance vers la rime. Le poème est divisé en 130 laisses, dont 78 masculines et 52 féminines. L’étude des assonances étant le principal moyen de connaître la langue du poète — moyen imparfait, il est vrai, puisqu’elles ne nous renseignent que sur les voyelles —, nous allons les passer en revue.

Assonances masculines.

L’a non nasalisé occupe les laisses XXXVIII et XCVI ; elles ne présentent pas le mélange d’a avec ai, mais c’est un hasard, car nous rencontrons ce mélange plus loin, dans les laisses féminines. Le seul mot intéressant à noter est saus 3356 (lat. salsus), où l’u se prononçait évidemment comme une semi-voyelle.

A nasalisé se rencontre dans seize laisses : I, IV, VI, XVIII, XXXVII, XL, XLII, XLVI, LXI, LXXX, LXXXIII, LXXXIX, XCIII, XCIX, CXIII, CXXVI. — Dans ces laisses, le mélange d’an avec en est constant ; il n’y a pas de laisses exclusivement en an ou en en. La laisse LXXX (36 vers) est presque entièrement en en ; les seules exceptions sont garant 2605 et dolenz. 2629 qu’on pourrait lire dolanz (le ms. porte dolans). Dans la laisse XCIX, où il y a également une prédominance d’en, on peut noter, au v. 3457, Olivant, cas régime d’Olive[51]. — Ai, ei nasalisé n’occupe qu’une laisse, CXVIII ; les seules assonances à noter sont Jherusalem 3398 et entreprains 3449, pour entreprens, première personne du singulier du présent de l’indicatif du verbe entreprendre.

É, onze laisses : II, VII, X, XXI, XXV, XXX, LIX, LXIV, LXXVIII, CV, CXXIX. — Ces laisses ne présentent rien de remarquable au point de vue de la phonétique : set (lat. sapit) y figure plusieurs fois (v. 56, 305, etc.), ce qui est normal ; de même Dés ou Dex et le cas régime . Parfois cependant y apparaissent des mots en , particulièrement dans la laisse LIX, qui est d’une longueur démesurée (580 vers) : droiturier 1652, engigniez 1713, espargnier 1845, enginié 1914 (corrigé, peut-être sans nécessité, en engané dans le texte) ; de même dans la laisse VII, beaucoup plus courte, envoiez 306. Ce ne sont pas des faits de phonétique, mais de véritables licences ; l’auteur de Parise la Duchesse se les permet fréquemment[52]. Dans la laisse CV, vaillant, 3717 et dans la laisse CXXIX, Jehans 4537 sont sûrement fautifs. Comme forme verbale arbitraire, on peut signaler fondez 1579, pour fonduz.

I, quatorze laisses : V, VIII, XIII, XXVI, XLI, XLIV, LVI, LXIX, LXXXVII, XC, CXII, CXIX, CXXI, CXXIV. — Partout, sauf dans LVI, on trouve des exemples d’i nasalisé. Comme faits phonétiques intéressants, on y relève la présence de puis (pluriel de pui, lat. podium) 2269, bruit, 3932, qui semblent supposer la prédominance du second élément de la diphtongue, et de Mongiu 4255, qui n’est explicable que par la supposition contraire. — Au point de vue de la morphologie, on peut citer les pronoms mi 228, 479, 809 ti 788, 1232, 1446 ; li 209, 732. Au v. 2860, le manuscrit porte lui, qu’il n’est pas nécessaire de corriger en li, car il rentre dans le cas de puis et bruit dont nous venons de parler. Comme formes verbales, on a seïr 2934, 2937, 3931, aseïr 4277, cheïr 2305, 3935, veïr 3923, la troisième personne du singulier du préterit de l’indicatif toli 199 et celle du présent du subjonctif aïst. 1470.

, onze laisses : XVII, XXXIII, LVIII, LX, LXXV, LXXXII, LXXXV, XCII, XCIV, CI, CVIII. — Dans les laisses LXXXII, XCII, XCIV, CI, CVIII, on trouve des exemples d’ nasalisé. Au point de vue de la phonétique on peut noter regniez, 1522 ; ce mot se trouve aussi assonant en é (v. 1552), particularité qui n’est pas propre à notre poème[53]. Au point de vue morphologique, signalons le pronom féminin lié 1515, le subjonctif griet 1528, le futur iert 1500, 1509, 1512, 2462, 3055. La forme d’impératif ailliez 3507, pour allez, paraît être une licence du poète en vue de l’assonance.

O fermé, onze laisses : III, XIV, XXXVI, LV, LXVII, XCV, XCVII, C, CVII, CX, CXIV. — Dans toutes ces laisses, sauf dans la laisse LV, on trouve des exemples d’o nasalisé ; dans la laisse XCVII (13 vers), la seule assonance qui fasse exception est jor 3386 ; la laisse III (36 vers) n’a que deux assonances non nasalisées, jors 148, sejor 150 ; dans la laisse CXIV (46 vers), on n’en compte que quatre : Audegour 4005, 4038, vos 4009, anor 4016. — Parmi ces assonances on peut signaler les premières personnes du pluriel soms 143, escouton 4023, iron 4030. À côté d’o nasalisé, on trouve oi nasalisé : besoing 494, poinz, poins (lat. pugnos) 984, 1420. Dans la laisse XXXVI, aux vv. 967, 986, on trouve deux fois l’adjectif douz assonant avec vos, baudor, mont, dous (nom de nombre écrit en chiffres romains), secors, font, moi[54], etc. On peut encore citer ailleurs les formes verbales bout (lat. bullit) 3783, dont (lat. donet)3321 et sourt (lat. surgit), 3782 ; le participe derouz (lat. diruptos), 2253, etc.

Oi, sept laisses : IX, XXIII, XXXII, XLVIII, LIII, LXVIII, CXXV. — On peut noter les formes phonétiques de l’infinitif : veoir 351, 356, 390, cheoir 395, tenoir 627 ; nous avons rencontré plus haut les formes analogiques, en ir, dans les laisses en i[55]. — La forme phonétique de la deuxième personne du pluriel du futur, verroiz, se lit au v. 4418, mais dans les laisses en é on trouve la forme analogique : contredirez 664, demanderez 1536, irez 881, etc., voudrez 79, etc. ; l’emploi simultané des deux formes est habituel[56]. Toloiz, à la même personne de l’indicatif présent, se lit au v. 2556. — On peut encore signaler le cas sujet doi 371, 402 ; de même enoi « ennui » 624, fréquent ailleurs.

U, cinq laisses : XXIX, XXXIX, LI, LXVI, LXXXVI. — Dans les quatre premières laisses, on trouve ui à côté d’u : tuit, fruiz, bruit, etc ; c’est un fait habituel. On peut signaler spécialement ambedui 1017 ; nous avons vu plus haut doi ; cette double forme du cas sujet est également habituelle. — À la fin de la laisse LXXXVI, on trouve deux assonances en o fermé (lion 2855 ; seror 2856), qui semblent difficiles à corriger. Ce n’est pas la seule irrégularité dans l’emploi de l’assonance qu’on rencontre dans la seconde partie du poème ; elles se multiplient vers la fin.

Assonances féminines.

A-e non nasalisé, deux laisses : CII et CXXII. — À côté d’a-e (sale, heretage, larme, etc.), on trouve dans ces laisses des assonances en ai-e (aigue, plaise, laisse, paile [lat. pallium], maistres) et en au-e (maubre, aube). Parmi les assonances en a-e, on peut remarquer la troisième personne du pluriel du prétérit, entrarent 3615. — Dans la laisse CXXII, povres 4317, doit être fautif.

A-e (e-e) nasalisé le plus souvent, six laisses XXXI, LIV, LXXI, LXXVI, LXXXIV, CXI. — On voit figurer dans ces laisses des mots comme lances 2334, lande 2493, adente 907, ensemble 908, enfes 1385, prennent 3887 etc., et aussi dame 900, fame[57] 1415, 2819, forsane 2498 ; puis Loereigne, Looraingne, 1402, 2816, compaignes 2333, chataigne 2508, et même maille 2506.

É-e, onze laisses : XV, XXIV, XLIX, LXXVII, LXXIX, LXXXVIII, CIV, CIX, CXVI, CXVIII, CXXVII. — Dans ces laisses, on ne trouve guère à relever que teles 3839, pluriel féminin de tel, et Pere (corrigé à tort en Piere dans le texte), 4101. Notons pourtant, aux vv. 4118 et 4163, le cas sujet emperere, employé en fonction de régime.

È-e, trois laisses : XXXIV, L, LXXIII. — Il n’y a à noter que la forme francienne duchesse 1323, un exemple d’e nasalisé dans gente 1326. et laissent 2370 (nous avons signalé plus haut laisse parmi les assonances en a-e). Cette présence de la diphtongue ai dans celles en è est un fait que connaissent d’autres poèmes relativement anciens, notamment la Prise de Cordres[58].

I-e, dix-sept laisses : XVI, XIX, XXII, XXVII, XLIII, XLV, LVII, LXV, LXXII, LXXIV, LXXXI, XCI, CVI, CXVII, CXXVIII, CXXX, auxquelles il faut joindre, semble-t-il, les deux laisses LXII et CXV, qui ont un caractère spécial. — De ces laisses, neuf (XXII, XLIII, LVII, LXV, LXXII, LXXIV, LXXXI, XCI, CXXX) offrent des exemples d’i nasalisé : princes 845, quinze 842, Malingres 1191, 1220, etc. — Le fait le plus intéressant qu’on peut constater dans ces laisses en ie, c’est la réduction d’iée à ie : corrocie 507, 830, enseignie 602, mucie 1206, rafichie 2411, esmaïe 2743, etc. Le prétérit assemblirent 2968, pour assemblerent, est tout à fait surprenant.

Les laisses LXII et CXV donnent lieu à des difficultés spéciales. Telles qu’elles se présentent dans le manuscrit. elles offrent des mots assonant en i-e, d’autres en ié-e, et d’autres encore qui ne rentrent ni dans la première catégorie ni dans la seconde. On peut ramener un certain nombre de mots en ié-e à la forme i-e, en supposant que nous avons ici affaire à réduit à i devant une consonne, fait souvent signalé[59], qui aurait été méconnu par les copistes ; on pourrait ainsi restituer, dans la laisse LXII, porquirent, pour porquierent, saint Pire, pour saint Pierre, jugire, pour jug[i]ere, etc., et faire des corrections analogues dans la laisse CXV. Mais il y a des mots qui résistent à toute correction : on peut lire tirie, pour tirée 4086, mais il paraît difficile de corriger affiirent, 2146, pour affierent, considéré comme équivalent d’affiierent et le cas des mots (laisse CXV) detiennent 4060, entrerent 4085, novelle paraît désespéré[60]. — Nous avons par conséquent laissé les assonances de ces deux tirades à peu près telles qu’elles étaient dans le manuscrit, les abandonnant, comme un problème à résoudre, aux phonétistes de profession. — Ce qui complique encore le problème, c’est que la réduction d’ à i devant consonne ne se rencontre dans aucune des nombreuses laisses incontestablement en i-e qu’offre le poème ; d’autre part, on ne saurait considérer les laisses LXII et CXV comme des interpolations, car elles sont nécessaires à la marche du récit.

O-e, neuf laisses : XI, XXVIII, XXXV, XLVII, LII, LXX, CIII, CXX, CXXIII ; l’o doit être fermé dans les laisses XLVII et CXXIII. — On peut noter que, dans la laisse CXXIII, dolce (féminin de l’adjectif) assone avec plore[61] 4539 et tote 4939, de même que le masculin, douz dans la laisse masculine XXXVI, assone avec menor, seignor et toz. Dans la laisse XI, cloistres 436 assone avec ofre, ores, sorent ; dans la laisse LXX, Antoine avec offrent, broche, parole ; de même, dans la laisse CXX, istoire et victoire avec deporte, queroles, etc. Enfin oi suivi d’n mouillée se rencontre dans la laisse CXXIII (Coloigne, Sasoigne [2 fois], Tresmoigne).

U-e, trois laisses XII, XX, LXIII. — La seule observation à faire, c’est que, dans les laisses féminines en u, comme dans les laisses masculines, on trouve ui à côté d’u : destruite 449, 454, destruire 457, Puille 2192, desduire 2186. — Dans la laisse XII, martin 458 doit être fautif[62].

L’étude du texte, en dehors des assonances, nous donne quelques faits grammaticaux de plus. — Dans la déclinaison, l’s analogique de flexion peut faire défaut au cas sujet : Asse (A 30) 1343, 4151, mais Asses 1385, 1405, etc. ; de même emperere 4597. — À côté des premières personnes du pluriel des verbes en -on, que les assonances en o nous permettent de constater (escouton 4023, iron 4030), nous trouvons -omes dans le corps du vers : assauromes 1767, empliromes 3713, lairomes 2110, parleromes 318, poomes 1768, savomes 2047 si on lisait assauron, etc., le vers serait trop court d’une syllabe[63]. — En ce qui concerne le futur et le conditionnel d’avoir, on trouve avera 4516, av[e]rez 4524, mais avrai 1938, aras 2252, avra 2251, avroit 3212 ; de même dureroiz 3009, à côté de durra 291. — La forme analogique aima (première personne du présent de l’indicatif) se trouve au v. 1181. La terminaison -iens (première personne plur. du subj. imparfait ou du conditionnel) ne compte pour deux syllabes qu’au conditionnel : morrïens 1275, serïens 3211, garirïens 3212 ; cf. au subjonctif imparfait, dëussiens 3279. Dans la syllabe radicale des verbes, compte généralement pour deux syllabes ; on trouve cependant les formes contractées : geu 3174, eu 3563[64]. — Meïsmes compte pour trois syllabes à l’intérieur du vers 3153 comme à l’assonance de 2145 (je n’ai pas trouvé d’exemple de la forme contractée) ; nient (ms. neant) est monosyllabe au v. 591, mais dissyllabe au vers 1391. On peut encore signaler li comme article féminin singulier : li aigue, 4427. Mais il faut se borner[65].

Essayons maintenant de déterminer, à l’aide des données grammaticales que nous venons d’énumérer, la région dans laquelle notre poème a été écrit, bien qu’il ne soit pas facile d’arriver à des résultats très précis.

Un fait qui frappe d’abord est la réduction d’iée à ie. Cette particularité se rencontre depuis le nord de la Normandie jusqu’en Lorraine ; elle exclut, comme patrie de notre auteur, l’Ouest, le Centre, la région au sud de Paris, même une partie de la Champagne[66]. Chrétien de Troyes fait, dans ses rimes, la distinction d’iée et d’ie. — La réduction d’ à i devant consonne, que nous avons remarquée dans deux laisses, se rencontre, nous l’avons vu, dans un domaine tout aussi étendu, mais plutôt sporadiquement, semble-t-il, que régulièrement. — La confusion d’a et d’e nasalisés permet une constatation plus précise : c’est un fait distinctif des dialectes de l’Est, opposés à ceux de l’Ouest et du Nord[67]. — Nous avons noté, dans les assonances en a-e, un prétérit en -arent au v. 3615 : ces formes sont caractéristiques des dialectes de l’Est et du wallon[68]. — Li, comme article singulier féminin, n’est pas aussi nettement délimité, mais se rencontre dans les dialectes de l’Est[69].

À ces constatations, tirées de la langue, viennent s’en ajouter d’autres, tirées du contenu du poème. L’auteur se montre spécialement préoccupé de l’Est, de la vallée du Rhin. C’est là qu’il place en grande partie l’action de son poème : il parle des villes du Rhin, de Worms (Gormaise), de Spire (Espire), de Mayence, de Cologne[70]. Il sait que ces villes remontent à une haute antiquité ; il dit de Mayence (v. 3838) :

Mais la citez est forte, Sarrazin la fonderent.

« Sarrazin » ici équivaut à « Romains ». Il sait qu’il y a à Cologne un archevêque et une église Saint Pierre[71].

Tout cela plaide en faveur d’une origine orientale de la chanson que nous a conservée le manuscrit de Londres.

Quant à la date, on a pu remarquer[72] que M. Meyer, en 1878, était d’avis qu’on ne pouvait guère la faire descendre plus bas que la fin du xiie siècle. Il attachait une importance spéciale au fait que le poème était entièrement écrit en assonances ; s’il avait pu traiter la question à fond, il aurait sans doute fait valoir d’autres arguments, empruntés à la langue : c’est ainsi que nous avons vu plus haut que, comme des poèmes qu’on tient habituellement pour antérieurs à l’an 1200, Orson de Beauvais, Jourdain de Blaie, notre chanson n’admet que très rarement la contraction d’ et eu ou u. — M. Meyer avait noté le passage de notre chanson où Landri et ses compagnons, arrivés à Constantinople, s’émerveillent de la richesse[73] et de la force de la ville (v. 1390 et suiv.) :

Et dit li uns a l’autre : « Povre terre est de France :
Li sires qui la tient par droit niënt s’en vant[e] ;
Mais servons bien cestui s’il vuet et il commande,
Que il n’a souz ciel homme qui tant ait ars ne lances,
Qui peüst ceste vile ne abatre ne prendre ».

Comme M. Meyer le faisait remarquer, l’observation que Constantinople est imprenable « date d’avant 1204 » ; en effet, après la prise de la ville, en cette année, par les Croisés, la remarque n’eût plus eu de sens. — Le raisonnement serait absolument probant si le poème que nous a transmis le manuscrit de Londres était une œuvre originale mais nous verrons plus loin que l’auteur a travaillé d’après une chanson plus ancienne, dans laquelle il était également question du séjour de Landri à Constantinople ; il reste la possibilité que le renouveleur ait reproduit mécaniquement un passage de son original. Il faut cependant observer que, si l’auteur du roman espagnol a fidèlement résumé, en cette partie du récit, le poème qu’il avait sous les yeux, il n’y avait pas de place dans ce poème pour une conversation paisible entre Landri et ses compagnons sur la richesse et la force militaire de la ville de Constantin[74].

Nous croyons donc que la conséquence tirée par M. Meyer des vers cités a bien des chances d’être juste et que cet indice vient s’ajouter à ceux qui nous obligent à placer la rédaction de notre poème au plus tard dans les premières années du xiiie siècle.

Avant de passer aux questions d’histoire littéraire que soulève Doon de La Roche, nous devons parler ici de l’aspect du texte. Ainsi que nous l’avons dit plus haut, l’idée primitive de M. Meyer, quand il préparait pour l’impression la copie du manuscrit de Londres, était manifestement de s’écarter de ce manuscrit aussi peu que possible, et d’en conserver la graphie. Lorsque, après un long intervalle, il s’occupa de nouveau de Doon de la Roche, il changea de système, probablement sous l’influence des fragments qui lui avaient été communiqués par M. Lelong et dont la langue, ainsi que nous l’avons vu, ne présente pas le caractère nettement lorrain du manuscrit. En établissant le texte, M. Meyer adopta une graphie très rapprochée du francien. Nous avons suivi ce système, malgré ses inconvénients, car l’abandonner et revenir à la graphie du manuscrit, c’eût été recommencer tout le travail et retarder indéfiniment une édition attendue depuis des années. Dans la partie du texte que nous avons eue à établir[75] nous avons par conséquent maintenu autant que possible l’orthographe adoptée par M. Meyer, notamment la distinction d’an et d’en, d’s et de z de issu de t + s. Certaines inconséquences étaient difficiles à éviter ; on voudra bien nous les pardonner[76]. — À partir du v. 118, M. Meyer n’avait pas cru utile de noter intégralement dans les variantes toutes les leçons corrigées dans le texte.

Dans l’édition d’un texte qui ne nous est parvenu, à 360 vers près, que dans un manuscrit unique, de date récente et plein de fautes, il fallait nécessairement avoir recours à la critique conjecturale : M. Meyer ne s’en était naturellement pas fait faute[77], et, d’autre part, M. Antoine Thomas a remédié par des émendations personnelles à des passages qui semblaient désespérés et à d’autres dont l’altération avait pu échapper à un lecteur moins attentif et moins familier avec notre ancienne langue. Nous n’avons pas cru nécessaire d’indiquer chaque fois le nom de l’auteur de l’émendation ; le lecteur voudra bien admettre que les meilleures conjectures sont de MM. Meyer et Thomas, les moins bonnes de l’auteur de ces lignes.

M. Meyer, en préparant une édition, songeait à tout : j’ai trouvé dans ses papiers, outre quelques notes pour l’Introduction, un embryon de Glossaire, et même des éléments pour l’Index des noms propres. Tout m’a été fort utile.

CHAPITRE IV

analyse du poème.[78]

Doon l’Allemand, chevalier presque sans terres (il ne possède que la ville de La Roche), a servi fidèlement, pendant trois ans, le roi Pépin, mais le roi ne lui a rien donné, et Doon, de son côté, ne veut rien lui demander. La sœur du roi, Olive, aime Doon, mais elle ne le dit à personne. Le jour de la Saint-André, le roi récompense les « soudoiers et les princes de sa cour ; cette fois encore, il ne donne rien à Doon. Les chevaliers couards débitent à ce sujet des plaisanteries qui parviennent à l’oreille de Pépin ; il fait venir Doon et, pour le récompenser, il lui offre la main de sa sœur Olive et toute la Lorraine[79]. Doon refuse d’abord, mais, par la volonté du roi, le mariage se fait : Landri est engendré. Doon s’établit à Cologne [avec sa femme] et sept cents chevaliers (v. 115).

Dans cette ville, il y avait un traître, Tomile, oncle de Ganelon, cousin germain de Hardré et de.. (nom altéré). Il dit à Doon que sa femme ne l’aime pas, qu’il l’a surprise, couchée avec un « garçon »[80]. Doon menace de le faire pendre, s’il tient encore de tels propos. Le traître appelle un « garçon » et le pousse à se glisser dans le lit d’Olive, qui a bu trop de « piment » ; elle n’entend rien, ne voit rien[81]. Le garçon, en effet, se glisse sous la couverture du lit, sans autre vêtement que ses braies, mais il n’ose faire violence à la duchesse. Tomile, de son côté, appelle Doon. Celui-ci vient, accompagné de trois comtes ; il soulève la couverture, et trouve le garçon couché à côté de sa femme (v. 116-196).

Doon coupe immédiatement la tête au misérable, sans le mettre d’abord à la torture. Il veut de même couper la tête à sa femme, qui s’est éveillée et ne comprend rien à ce qui se passe ; mais ceux qui l’accompagnent le retiennent et lui donnent le conseil de faire venir le roi Pépin. Olive, de son côté, offre de se justifier par l’épreuve du feu ou de l’eau ; Doon est sur le point d’accepter, mais, Tomile excitant sa jalousie, il se met en colère, et frappe même d’un coup de pied le petit Landri[82]. Doon envoie à Pépin son chapelain, Grégoire, pour l’inviter à venir, sous un prétexte, à Cologne. Grégoire part pour Paris et s’acquitte de sa mission. Pépin se rend à Cologne, où Doon expose l’affaire : Tomile veut qu’Olive soit brûlée vive ; Jofroi, cousin de Doon, s’offre à combattre pour Olive en duel judiciaire ; Doon repousse toute proposition de cette nature[83]. Avec l’approbation de Pépin, Doon se sépare de sa femme ; on assigne à celle-ci, malgré ses lamentations, une demeure (ostel) hors de la ville, où elle aura chaque jour deux pains pour toute nourriture. Elle garde auprès d’elle le petit Landri, qui a sept ans (v. 197-532).

Tomile conseille à Doon de répudier définitivement Olive, et d’épouser une fille à lui [Audegour] : elle lui apportera en dot les villes de Worms (Gormaise) et de Spire (Espire) et vingt mulets, chargés d’or et d’argent. Doon déclare qu’il accepte cette proposition, si le roi donne son consentement. Doon et Tomile vont à Paris, où le roi consent, en effet, au mariage, après que Tomile lui a livré vingt mulets chargés d’or[84] ; seulement, il exige que sa sœur Olive soit traitée et vêtue conformément à son rang. Après Pâques, à Cologne, a lieu le mariage de Doon et d’Audegour. Au moment où le mariage se célèbre, Olive se rend à l’église, son petit Landri dans ses bras : l’enfant élève la voix, s’adressant à son père et à l’archevêque, et proteste contre le mariage[85] ; il menace Tomile d’un châtiment futur. De l’église, on se rend au palais. Tomile injurie Olive, et Doon renie son fils. Celui-ci se déclare prêt à combattre le calomniateur de sa mère ; Tomile lui tend son gant ; l’enfant saisit un bâton et frappe Tomile à la tête, si rudement qu’il tombe par terre. Doon défend à Tomile de se battre avec son fils ; il ordonne à Olive de rentrer à son « hôtel », où elle pourra se livrer à sa « puterie ». Olive proteste de nouveau de son innocence ; le petit Landri déclare qu’il vengera sa mère dès qu’il sera en état de porter les armes. L’auteur prédit qu’en effet Landri se fera redouter, d’Aix-la-Chapelle jusqu’à Constantinople. Désormais commence une merveilleuse chanson (v. 533-869).

Audegour s’efforce d’exciter Doon contre Landri et sa mère ; elle insulte et frappe le petit Landri toutes les fois qu’il vient voir son père. Elle met au monde un fils, Malingre, qui sera félon et perfide ; quand Landri a dix ans, Malingre entre dans sa septième année. Lui aussi insulte Landri ; même il le frappe[86], et Tomile lui donne un coup de pied. Cette fois, Doon prend le parti de son fils aîné ; Landri, heureux de cette intervention, monte sur une table et tient des propos menaçants contre Tomile ; Doon adresse des reproches à celui-ci. Asson de Mayence conseille à Doon de donner La Roche à Landri ; Audegour proteste ; Tomile frappe Asson si rudement qu’il tombe aux pieds de Landri. Ce dernier arrache son « espié » à un veneur venu du bois, et en transperce le corps de Tomile, qui tombe également. En peu d’heures, il y eut soixante-dix combattants ; Landri et ses partisans ont le dessous ; ils vont à leurs hôtels pour s’armer ; c’est la première fois que Landri prend les armes. Il y a un combat sur les bords du Rhin ; Tomile est blessé ; il conseille à ses parents, Ganelon, Hardré et Hervi de Lion, de conclure avec Landri une trêve de quatre ou cinq ans ; on pourra toujours l’assassiner plus tard. Doon accepte l’idée d’une suspension des hostilités, et annonce à Landri qu’il a conclu une trêve ; il se déclare joyeux du courage de celui qu’il n’ose croire son fils. En entendant attaquer de nouveau le caractère de sa mère, Landri se fâche : il brandit sa lance contre son père, mais celui-ci réussit à le calmer. Landri retourne à Cologne, où la trêve est jurée solennellement pour cinq ans (v. 870-1194).

Au bout de six mois, Tomile et son lignage jurent, au « mostier », la mort de Landri mais la nonnain Beneïte, cachée derrière un pilier, entend le serment des conjurés[87]. Elle va au palais avertir Doon ; celui-ci fait venir son fils et lui conseille de quitter le pays et de se réfugier en France, chez son oncle Pépin. — Landri appelle Gilibert, Asson, Guinemant et d’autres, en tout 80 pairs de Lorraine, et leur demande de le recevoir dans leur « mainburnie » ; il sera leur homme lige. Mais ils refusent de l’aider, à cause de l’inconduite de sa mère. Landri, désespéré, retourne à l’hôtel de sa mère Olive et lui déclare qu’il va la quitter, puisque Tomile, Malingre et sa marâtre ont juré sa mort : il ira d’abord demander secours à Pépin ; si celui-ci ne le retient pas, il s’en ira en « paiennie ». Il montre à sa mère un arbre qu’il a planté : un « clerc » lui a dit que lui et cet arbre mourront dans la même année ; tant que cet arbre sera vert et bien portant, Olive pourra être sûre que son fils est en vie[88]. Sa mère est désolée ; Landri part avec Asson et Guinemant (v. 1195-1308).

Ils arrivent à Liège : Landri demande l’aide des bourgeois : ils la lui refusent, à cause du « putage » de sa mère. Ils s’en vont à Paris et descendent chez un bourgeois, qui va dire à Pépin que son neveu est arrivé ; le roi défend de laisser entrer Landri. Celui-ci vient frapper à la porte du palais ; le portier lui refusant l’entrée, l’enfant se met en colère et le maltraite ; Asson et Guinemant le calment. Pépin, du haut de son palais, adresse la parole à Landri ; il voudrait bien l’aider, mais il ne peut, car il est lié par un serment à Tomile. Le lendemain matin, il envoie cependant à Asson et à Guinemant deux mulets chargés d’or, pour qu’ils gardent Landri avec soin. Landri prie encore Pépin de le retenir près de lui : le roi refuse de nouveau, car il est lié par le serment qu’il jura après avoir reçu de Tomile les vingt mulets chargés d’or[89]. Landri part, arrive à Rome, s’embarque pour la Grèce à « Saint-Pierre au Bras » et arrive à Constantinople (v. 1309-1384).

Landri et ses compagnons contemplent avec admiration le luxe et la richesse de la ville imprenable, auprès de laquelle la France paraît une pauvre terre. Landri se présente à l’empereur Alexandre[90], qui le retient à son service (v. 1385-1407)[91].

Ce fut au mois de mai, que les arbres fleurissent. Olive se lève au matin : elle voit l’arbre [de Landri] couvert de feuillage ; il y a cependant une branche sèche. Elle comprend que son fils n’a pu obtenir le secours qu’il demandait ; elle se désespère et craint bien ne jamais le revoir. Pendant ce temps, Landri est à Constantinople. L’empereur est menacé d’une guerre : les Sarrasins se sont emparés de Lalice (= Laodicée) et en ont chassé les Harmins [= Arméniens] qui l’occupaient[92]. Landri, qui vient d’être fait chevalier par l’empereur, attaque les païens et fait leur seigneur prisonnier ; il le livre à l’empereur (v. 1408-1439).

Celui-ci a une fille, qui s’appelle Salmadrine ; elle est amoureuse de Landri au point d’en tomber malade. Voyant qu’elle est souffrante, près de mourir, l’empereur l’interroge ; elle dit qu’elle désire épouser Landri, qui vient de sauver le pays. L’empereur répond qu’il ne sait rien de certain sur l’origine de Landri ; il consentirait volontiers au mariage, même si le jeune chevalier était bâtard, si celui-ci était réellement parent du roi de France, ainsi que l’ont affirmé Asson et Guinemant ; mais l’empereur se refuse à le croire. Les barons conseillent à l’empereur d’envoyer deux messagers, qui s’enquerront de la véritable origine de Landri : s’il est réellement neveu du roi de France, l’empereur lui donnera sa fille en mariage ; s’il ne l’est pas, il le récompensera de ses services et le renverra (v. 1440-1500).

L’empereur ordonne à deux de ses chevaliers, Berengier et Outré, de s’en aller en France, à Laon, pour savoir la vérité au sujet de Landri. Salmadrine les fait venir de son côté et menace de les faire mettre à mort s’ils rapportent [au sujet de Landri] des choses qui lui seraient désagréables. Elle leur donne deux « dromadaires », qu’elle fait garder dans un cellier et qui courent merveilleusement vite ; avec ces montures, ils peuvent être de retour en huit jours et demi. Ils partent, richement costumés, assis sur les dromadaires et munis de malles remplies de « besants ». Au bout de huit jours ils sont à Cologne ; ils demandent l’hospitalité à un riche bourgeois, Gonteaume, originaire de La Roche et cousin de Doon. Gonteaume se déclare prêt à les loger pendant un an, sans rien leur faire payer, « pourvu seulement que Dieu ramène Landri, mon vrai seigneur, et qu’il maudisse Tomile et Malingre, qui l’ont chassé du pays » ! Les messagers sont ravis quand ils apprennent qu’il connaît Landri. Les chevaux (= les dromadaires) sont logés par Gonteaume dans un cellier (v. 1501-1668).

Mais Hardré a rencontré les messagers et remarqué leurs chevaux merveilleux ; il conseille à Malingre d’aller les enlever. Malingre suit ce conseil : il s’empare des chevaux, après un combat avec les serviteurs de Gonteaume, combat où il est blessé ; il se réfugie ensuite à l’hôtel de Tomile. Gonteaume va se plaindre à l’archevêque de la violence qui lui est faite, et l’archevêque convoque les bourgeois, au nombre de soixante mille. Ceux-ci conseillent à l’archevêque d’envoyer Gautier, cousin germain de Doon, à l’hôtel de Tomile, pour réclamer les chevaux ; s’il ne veut les rendre, il sera attaqué. Malingre refuse les chevaux ; l’archevêque ordonne alors aux bourgeois de s’armer. Ceux-ci s’arment en effet ; on sonne la « bancloche » ; Gonteaume et ses serviteurs se joignent à eux ; on attaque le château et les gens de Tomile : lutte violente, où Tomile et Malingre sont blessés. Tomile et les siens s’enferment chez eux ; Tomile se met à une fenêtre et propose aux assaillants de rendre les chevaux et d’en rester là : son jeune neveu, qui n’est pas encore chevalier, a fait une folie qu’il est prêt à réparer. L’archevêque accepte cette proposition ; l’assaut cesse et les bourgeois s’en vont. Tomile et Malingre vont rendre les chevaux à Gonteaume et s’humilient devant lui ; mais les bourgeois leur donnent des coups de pied et leur reprochent leur conduite envers Landri, leur seigneur. Les messagers assistent à la scène et se réjouissent : ils savent maintenant de science certaine que Landri est le neveu du roi et n’ont pas besoin d’aller en France (v. 1669-1882)[93].

Olive sort à ce moment de l’église où elle était allée prier. Gonteaume, qui seul lui est resté fidèle, l’invite à entrer chez lui et la fait souper avec les messagers, auxquels il explique qui est Olive ; les messagers lui donnent des nouvelles de Landri. Comme ils sont édifiés sur l’origine de Landri et se croient dispensés de poursuivre leur voyage en France, ils partent le lendemain matin ; Gonteaume, l’archevêque et Olive les convoient ; Olive leur remet, pour Landri, un anneau qu’elle a reçu de Doon pendant la première nuit de leur mariage (v. 1883-1972).

Après un heureux voyage, les messagers arrivent à Constantinople. C’est au mois de mai : l’empereur Alexandre est dans son verger, sous une tente ; Landri, Asson et Guinemant sont avec lui, en même temps que Salmadrine, gracieusement costumée. Elle adresse la parole à Landri ; celui-ci ne répond guère à ces avances et lui dit qu’il pense à sa mère, qui est en France au pouvoir de Tomile. À ce moment, les messagers arrivent ; ils mettent pied à terre devant la tente de l’empereur, et font le récit de leur mission : ils ont constaté que Landri est bien le neveu du roi Pépin ; en même temps, Outré remet à Landri l’anneau qu’Olive lui a confié. — Après avoir pris connaissance de ces nouvelles, l’empereur Alexandre n’hésite plus ; il accorde à Landri la main de sa fille (v. 1073-2100).

Le récit revient à Malingre, le fils d’Audegour. Doon avait « adoubé » (fait chevalier) son fils ; mais celui-ci, de plus en plus exaspéré contre Olive, veut qu’on lui enlève les terres qu’elle tient encore ; Doon s’y refusant, Malingre traite son père de couz sofranz (cocu complaisant) ; le père frappe le fils, qui réplique, et les deux hommes en viennent aux mains. Des chevaliers réussissent cependant à établir une trêve entre le père et le fils. Tomile et Malingre n’en chassent pas moins Olive de Cologne ; elle part, assise sur un mauvais « roncin », et se réfugie en Hongrie, où elle est recueillie par son oncle, l’évêque Auberi, à « Seine la ville » (v. 2110-2166 ; cf. v. 2925, pour la résidence d’Auberi).

Tomile et Malingre, craignant une invasion possible de leur terre par Doon et Landri, expulsent Doon de Cologne ; quand celui-ci veut se réfugier à Aix-[la-Chapelle], on lui en refuse l’entrée. Il se retire à La Roche et part de là pour Paris, afin d’y voir Pépin. Il trouve le roi malade ; Pépin demandant des nouvelles d’Olive, Doon raconte qu’elle a été chassée par Tomile et Malingre, qui ont occupé ses fiefs. Le roi se met fort en colère, reproche à Doon sa conduite à l’égard de sa sœur, et le défie[94]. Doon, épouvanté, se retire à La Roche, qu’il fortifie, puis il assiège Aix-la-Chapelle. Ceux de la ville font une sortie ; Doon les attaque avec succès et fait des prisonniers, qu’il amène à La Roche. Un écuyer va annoncer le désastre à Tomile et à Malingre ; ceux-ci s’avancent contre La Roche. Il y a combat devant la ville, et Doon lutte personnellement contre Tomile. Celui-ci, repoussé, s’enfuit à Aix, et Malingre à Spire ; mais bientôt tous deux réunissent de nouveau une armée de 40.000 hommes et attaquent de rechef La Roche. Doon et Jofroi défendent la ville ; ils auraient réussi à repousser les assaillants, si Pépin n’était survenu. Il attaque Tomile et Malingre et taille leur armée en pièces ; Tomile s’enfuit à Mayence, et Malingre à Spire. Alors le roi se retourne contre Doon : il prend La Roche et fait jurer à Doon et à son neveu Jofroi qu’ils quitteront le pays (v. 2167-2408)[95].

« Les autres jongleurs qui disent de Doon en ont beaucoup chanté, mais ils ne savent pas [la véritable histoire] : je la reprends là où ils l’abandonnent ; je reviendrai plus tard à Landri » (v. 2409-2412)[96].

Doon, [accompagné de Jofroi], s’en va en Hongrie : là règne le roi Dorame, vaillant chevalier, qui réclame la moitié de Constantinople ; pour cette expédition, il prend à son service des chevaliers, entre autres Doon et Jofroi. Les Hongrois campent sur la rive du « Hongre » ; ils jurent de tout ravager jusqu’à Constantinople. Un messager à cheval, blessé, annonce ces mauvaises nouvelles à l’empereur [Alexandre] ; Salmadine supplie Landri de marcher contre Dorame. Landri refuse d’abord d’intervenir, jugeant les Hongrois des adversaires indignes de lui. Mais, quand un second messager blessé survient, porteur de messages encore pires, Landri crie à ses chevaliers « Armez-vous ! » Quarante mille hommes partent avec Landri ; ils attaquent les Hongrois, et Landri tue Garnier (v. 2413-2489).

L’empereur Alexandre attaque son neveu Dorame : il est sur le point d’être vaincu, quand Landri survient : il frappe Dorame de son épée et l’étourdit d’un grand coup : Dorame se rend prisonnier.

Leur roi vaincu, les Hongrois prennent la fuite ; seuls Doon et Jofroi tiennent tête aux assaillants. Landri attaque son père, sans le reconnaître, et réussit à le vaincre ; il va lui couper la tête quand le duc lui crie merci ; Landri le remet alors au roi Alexandre. De leur côté, Asson et Guinemant ramènent Jofroi prisonnier. Doon et Jofroi, grièvement blessés, sont enfermés, avec quatre-vingts de leurs compagnons, dans une des prisons, où ils demeurent pendant sept ans (v. 2520-2550).

Le récit revient à Olive, qui est restée chez l’évêque (Auberi). Un jour, en sortant de l’église, elle est reconnue par quatre « pers de La Roche », qui rentraient d’un pèlerinage d’outre mer. Ils étaient partis de chez eux il y a sept ans, avant que la dame eût été accusée [d’adultère] ; quand ils voient Olive, ils s’étonnent beaucoup ; ils se disent entre eux : « Nous avons trouvé notre dame ». Ils l’arrêtent, s’inclinent devant elle et l’interrogent ; elle leur raconte son histoire. Ils jurent sur des reliques qu’ils lui rendront sa terre et sa contrée. L’évêque assure à Olive que ces quatre barons lui rendront en effet sa terre ; il l’engage [en attendant] à tenir large « mesnie » et à donner de grandes « soudées » (v. 2551-2595)[97].

Le récit revient à Landri : le « trouveur » rappelle ses aventures et l’amour de Salmadrine. Une nuit, Landri est seul, sans autre suite que les cinq compagnons qu’il avait amenés de France ; son maître Guinemant remarque qu’il pleure et soupire. Interrogé par Guinemant, Landri évoque ses malheurs : sa mère [probablement] tuée, le roi Pépin qui l’a abandonné, le mauvais « lignage » qui possède sa terre. Guinemant lui conseille de prendre congé du roi Alexandre, de retourner [en France] et d’y défier le roi Pépin. Landri approuve ce conseil (v. 2596-2670)[98].

Un écuyer de l’empereur Alexandre a surpris cette conversation et se hâte de la rapporter à son maître : celui-ci déclare qu’il approuve le projet de Landri et défend sa conduite contre les reproches de Salmadrine, sa fille. Il est minuit, on sonne les matines ; l’empereur va assister au service dans la crypte de Sainte-Sophie. Salmadrine se lève et, vêtue seulement d’un mantelet d’hermine, se rend dans la chambre où reposent ceux de France. Elle se glisse dans le lit de Landri, donne un baiser au jeune homme. Landri, troublé, s’éveille et la conjure de dire qui elle est ; Salmadrine se nomme et ajoute : « tu peux faire de moi ton plaisir ; si je meurs d’amour, mon âme sera sauvée ». — « Dame », répond Landri, « votre père est mon seigneur ; allez vous recoucher ». Salmadrine consent à se retirer ; elle veut cependant que Landri lui apprenne « un des jeux de France ». Landri répond : « J’y consens ; mais promettez-moi que, le jour de la Pentecôte, vous prierez votre père de rendre la liberté à ceux qui sont en prison : je leur pardonnerai, afin que Dieu m’accorde de me venger du traître Tomile ». Il consent alors à ce que Salmadrine lui donne un baiser, qu’il lui rend d’ailleurs : ce ne sera pas une honte pour elle, et, en ce faisant, il ne sera pas parjure à l’égard d’Alexandre (v. 2671-2750).

La jeune fille se retire. Le lendemain l’empereur fait venir ses barons, et les Allemands (c’est-à-dire Landri et les siens) se présentent devant lui. Alexandre offre à Landri sa fille et la moitié de son « fief », s’il consent à rester. Landri pleure : il pense à sa mère Olive et à son père Doon ; il ne sait pas que celui-ci est prisonnier de l’empereur Alexandre (v. 2751-2774.).

Il y a grande réunion dans le palais de l’empereur : les Allemands détiennent la « sénéchaussée » : Jofroi[99] et Guinemant portent les éperons ; Amauri et Andrieu, l’enseigne et les épées ; Landri, dans sa livrée à croix d’argent, dirige la foule. Les évêques et les abbés célèbrent le service divin ; les jongleurs violent et chantent. Doon, dans sa prison, entend ce bruit insolite ; il interroge le « chartrier ». Celui-ci répond qu’il y a aujourd’hui grande fête dans le palais de Constantin : le roi porte sa couronne et donne à ses princes leur « chasement ». Doon se lamente ; Asson de Mayence[100], pour le consoler, lui raconte un songe qu’il a eu. — Au sortir de l’église, Landri et Salmadrine prient l’empereur Alexandre de mettre en liberté les prisonniers ; l’empereur donne l’ordre demandé. Doon est si faible qu’il ne peut se tenir debout et qu’on doit le porter. Après qu’il a mangé, on le conduit devant le roi ; celui-ci lui demande son nom, en faisant l’éloge de son courage. Doon se fait connaître (v. 2774-2855).

Quand Landri entend ce que son père a dit et quand il reconnaît son maître Guinemant, il tombe à genoux et se nomme[101]. Il demande des nouvelles de sa mère. Doon raconte comment il a été chassé du pays par les traîtres et attaqué par le roi Pépin ; il ne sait ce qu’est devenue Olive. Landri pleure ; l’empereur lui conseille de reconquérir plutôt sa terre et de la rendre à son père, ou à sa mère, s’il peut la retrouver. Salmadrine intervient, et rappellant que Landri lui a promis le mariage, elle menace de se tuer ou de se déshonorer, si Landri part. Celui-ci la rappelle aux convenances. L’empereur donne à Landri de l’or et vingt mille hommes pour l’expédition qu’il doit entreprendre. Landri marche vers l’Allemagne en traversant l’Italie et la Maurienne ; de son côté, Tomile commence à garnir ses châteaux (v. 2856-2923).

Sur ces entrefaites, l’évêque Auberi, chez qui Olive est toujours réfugiée, tient sa cour à « Seine la ville », lors de la fête de Pâques ; il s’adresse à ses chevaliers, leur présente Olive et leur raconte comment elle a été chassée de son pays. Revêtu de son étole, il se jette à leurs pieds et leur annonce son intention de faire la guerre à Tomile : « Seigneurs, aidez-nous ». Il réunit ses « soudoiers » dans un pré hors de la ville. — L’armée se met en marche ; la duchesse la suit, assise sur une mule. Ils arrivent devant La Roche ; ils mettent des troupes en embuscade dans les prés devant la ville, pendant que, d’autre part, trente chevaliers enlèvent du butin[102] [sous les murs]. Malingre sort de la ville, suivi de cent quarante chevaliers ; ils réussissent à reprendre le butin enlevé, mais tombent dans l’embuscade ; des parents de Malingre sont tués. L’évêque Auberi s’attaque à Malingre lui-même. Olive, qui tient un bâton à la main, frappe Malingre à la tête ; il s’enfuit avec les siens ; Auberi et ses chevaliers prennent La Roche. Les chevaliers s’emparent d’Audegour et la présentent à Olive. Celle-ci veut d’abord la livrer à ses écuyers et à ses garçons mais, sur les supplications de sa rivale, elle se borne à la faire enfermer dans une prison souterraine (v. 2924-3058).

Pendant ce temps-là, Malingre s’enfuit jusqu’à Mayence. Il raconte à Tomile sa défaite et la perte de La Roche. Tomile est d’avis d’offrir la paix à l’évêque et à Olive, quitte à les empoisonner ou à les assassiner plus tard. De son côté, Doon, suivi de 20.000 chevaliers, vient camper devant Sobrie[103] : c’est une ville qui lui appartient en propre, son père, l’Allemand Florent, l’ayant jadis conquise sur un roi [païen ?]. Doon tient conseil : la puissance de Tomile l’inquiète ; Landri se fait fort de prendre la ville, mais Doon repousse cette idée, ne voulant pas dévaster son propre territoire. Avant d’agir, il ira, déguisé, avec Jofroi, parcourir le pays, pour s’assurer de la véritable situation de Malingre et de dame Olive. Doon et Jofroi partent, en effet, déguisés en pèlerins ; ils entrent dans une forêt où Doon, du temps de sa puissance, chassait souvent. À l’issue de la forêt, ils se trouvent dans les terres d’un maire, Bernard, homme et métayer du duc. Bernard a dix fils, dont cinq sont chevaliers, et cinq employés sur les terres de leur père. Malgré ses beaux troupeaux et ses meutes de chiens, le maire n’a pas le cœur joyeux ; il songe à Doon, son seigneur, qui est absent : il en parle à son fils aîné. Survient Doon, déguisé, qui reconnaît Bernard, et il lui demande l’hospitalité pour lui et Jofroi. Admis dans la demeure, il met Bernard à l’épreuve ; il se conduit exprès d’une façon insupportable : il renverse le dîner qu’on lui offre ou le donne à manger aux domestiques, surtout il dit sans cesse du mal de Doon, qu’il traite de couard. Les deux premières fois, le maire, sur les instances de sa femme, maîtrise sa colère ; après la troisième incartade du soi-disant pèlerin, qu’il prend pour un envoyé de Malingre, il le met à la porte avec son compagnon, malgré la nuit et le temps affreux qu’il fait (v. 3059-3391).

Une fois dehors, sous la pluie froide, Jofroi se lamente ; Doon se moque de lui. La femme de Bernard, entendant les plaintes de Jofroi, obtient de son mari qu’on fasse rentrer les deux hommes, et leur ouvre « l’ostel » ; elle fait allumer du feu et leur donne des manteaux. Bernard, toujours en colère, s’avance vers eux, et reconnaît Doon à un signe qu’il a sur la main. Doon renonce alors à feindre. Bernard et sa famille lui font fête ; on lui apprend qu’Olive se trouve à La Roche, d’où elle a chassé Tomile (v. 3392-3479).

Le lendemain matin, Doon et Jofroi revêtent de nouveau leur costume de pèlerin ; accompagnés de cinq des fils de Bernard, habillés en bergers, ils partent pour La Roche. Le but de Doon est d’éprouver Olive. Devant la « salle » [du palais], le duc rencontre sa femme ; il se donne pour un pèlerin qui chemine, avec ses compagnons, allant de France à Cologne. Olive ordonne à son sénéchal de les héberger et de leur donner de l’argent (v. 3480-3553).

Doon se trouve ainsi dans la « salle » de son château ; pendant le dîner, le faux pèlerin dit du mal de Doon, à la grande indignation d’Olive, qui le rabroue. Le dîner fini, on fait le lit des pèlerins au milieu de la salle ; le lendemain matin, avant l’aurore, ils se lèvent et s’arment[104], puis se postent aux fenêtres ; le duc crie « Sobrie ! », son « enseigne » (cri de guerre). Olive se désespère ; elle croit que le château a été surpris par des partisans de Tomile et de Grifon. Dans le bourg, en bas du château, les barons s’arment de leur côté, et pénètrent dans le château, pour châtier les « truants » qui s’y trouvent ; mais Jofroi de Mayence les apaise en révélant que c’est Doon de La Roche en personne qui est là. Olive, un peu rassurée, entre dans la salle et interpelle le faux pèlerin, qui reconnaît qu’il est Doon. Les fils de Bernard ouvrent les portes [du château] ; les barons pénètrent dans la salle et rendent hommage à leur seigneur ; mais Olive dit qu’elle ne pourra partager le lit de Doon tant que Tomile n’aura pas été pris et n’aura pas avoué ses machinations (v. 3554-3652).

Doon et ses compagnons, armés par Olive[105], reviennent à Sobrie. Devant la ville, ils trouvent Landri, à qui ils apprennent que sa mère a pris La Roche ; mais il refuse d’aller la voir avant le châtiment de Tomile. On envoie des messages à Sobrie pour faire savoir aux bourgeois que leur seigneur Doon est devant la ville ; ils sont très joyeux et font sonner les cloches. Les personnages les plus nobles de la ville s’avancent à cheval pour saluer Doon ; le maire lui adresse la parole et lui offre des vivres pour ses troupes, en vue du siège de Mayence. Doon refuse ; il a assez de provisions (v. 3653-3718).

L’armée du duc marche de Sobrie sur Mayence, à travers un territoire peu fertile. Landri, seul, s’éloigne de l’armée, assis sur un mulet, pour aller chasser au faucon. Il est surpris par deux fils de Grifon [de Hautefeuille], Hardré et Hélie, au moment où son faucon vient d’abattre un cygne. Hardré insulte Landri, lui reprochant de chasser près du vivier de son père Grifon ; il en résulte une querelle et un combat. Hardré tue le mulet de Landri ; Hélie l’attaque de l’autre côté, mais Landri le tue. Hardré veut venger son frère, mais Landri le désarçonne, le lie sur son cheval et l’amène à Doon, qui le fait pendre devant Mayence (v. 3719-3831).

Les troupes de Doon sont devant Mayence. On dresse des machines de guerre pour battre les murs ; mais la ville, fondée par les Sarrasins, est forte, et les assiégeants ne parviennent pas à endommager ses portes d’ivoire[106]. Landri jure qu’au besoin il assiégera la ville pendant sept ans. Malingre fait une sortie avec la meilleure partie de sa suite armée ; mais les hommes de Landri réussissent à lui couper la retraite. Dans la mêlée, il lutte avec son frère, qu’il reconnaît, et est fait prisonnier par celui-ci[107]. Le siège de la ville se prolonge. Doon permet au menu peuple, aux femmes, aux vieillards et aux enfants de sortir de la ville pendant la nuit ; après un siège qui dure trois ans et demi, il ne reste à Tomile que vingt hommes. Quand ils n’ont plus à manger qu’un poulet, ils se lamentent et veulent aller demander grâce à Doon et à Landri. Mais Tomile refuse ; il propose de s’enfuir de l’autre côté du Rhin, en « Saissoigne » (le pays des « Saisnes », Saxons) : il y reniera la foi chrétienne, puis, aidé des païens, il terrifiera de nouveau ses ennemis. Les autres approuvent cette idée (v. 3832-3915).

Mais Landri fait bonne garde autour de la ville ; il veille jour et nuit[108]. Survient enfin l’évêque [Auberi], amenant un ingénieur, Gillibert, fils d’Henri : celui-ci construit des machines de guerre qui détruisent cent quarante toises des murs et brisent les portes d’ivoire. Mayence est prise. Tomile veut s’enfuir, mais il est fait prisonnier par Landri. On rend la ville à Asson, qui en était seigneur jusqu’au moment où il la quitta pour suivre son maître Doon. Le duc part pour La Roche, emmenant Tomile (v. 3916-3966).

Après qu’Olive a embrassé son fils, Tomile est précipité dans la prison [souterraine] où se trouve déjà sa fille. On dîne dans le palais, puis on fait venir Tomile, qui avoue son crime, et est pendu par Olive en personne, après avoir été traîné par la ville ; le corps est brûlé. Ensuite, arrive le tour d’Audegour : on la dépouille de ses vêtements, et on la jette dans le bûcher, qui vient de consumer les restes de son père ; les cendres sont semées au vent[109]. Quant à Malingre, on lui coupe les jarrets[110] ; mais le clergé, par ses supplications, obtient qu’on lui fasse grâce de la vie : il devient moine blanc, au cloître de Saint-Pierre (v. 3904-4058).

Doon, suivi de ses troupes, se dirige vers Cologne ; comme on lui en refuse l’entrée, il assiège la ville et y lance le feu grégeois, qui incendie des rues entières. Les bourgeois avaient reconnu Pépin comme seigneur et lui envoyaient annuellement un tribut ; épouvantés, ils prennent la résolution d’offrir les clés de la « tour » à Doon ; l’archevêque et son clergé se présentent devant le duc, et lui livrent la ville. Doon épouse Olive une seconde fois à l’église Saint-Pierre ; on célèbre des noces magnifiques, et Pépin vient y assister. Il embrasse Olive ; quant à Landri, il lui adresse des paroles élogieuses, et il lui promet la Bretagne, l’Anjou, la Normandie et la « seneschauciée de France ». Mais Landri refuse : il ne veut rien tenir de son oncle, qui a abandonné sa mère, accepté les présents de Tomile et refusé de le recevoir, lui Landri. Une scène violente a lieu entre l’oncle et le neveu ; Pépin exaspéré par les reproches de Landri, veut le frapper, mais Asson et Guinemant le calment ; Pépin quitte la ville (v. 4059-4159)[111].

Landri réunit son armée, les hommes de l’empereur [de Constantinople], et va attaquer Hautefeuille, la ville de Grifon. La troupe de Landri rencontre celle de Grifon ; Landri tue celui-ci de sa propre main et met ses gens en fuite ; il prend ensuite la ville, où il trouve un riche butin, qu’il envoie à son père (v. 4160-4191).

Landri croit pouvoir se reposer enfin : mais il en sera autrement. Un jour que l’empereur Alexandre de Constantinople est assis à une fenêtre de son palais, il voit un beau cygne, qui lui rappelle le vaillant Landri. La fille de l’empereur paraît ; elle demande à son père de faire revenir Landri, qui lui a promis de l’épouser. L’empereur envoie en France un messager, Malprin, qui devra rappeler à Landri ses engagements. Le messager part et trouve Landri au château de La Roche. Il lui parle de l’empereur Alexandre et de sa fille, qui languit d’amour pour lui, et lui présente un anneau, sur lequel il jura jadis de revenir vers son pays [Constantinople], dès qu’on le lui présenterait (v. 4192-4295).

Landri ne sait que faire ; mais son maître, Guinemant, lui reproche ses hésitations : « Tu as reconquis tes terres et vaincu tes ennemis ; ton père et ta mère se sont réconciliés ; tu dois retourner au pays où tu as pris jadis les armes ; l’empereur t’y comblera de dons, et tu épouseras sa fille ; Landri s’y résout (v. 4295-4320).

Mais un second messager arrive, messager de malheur : il annonce que « l’empereres de France » a été pris à la chasse, avec cent chevaliers de sa suite[112]. Landri ordonne aussitôt qu’on lui apporte ses armes ; il réunit 4.000 chevaliers. Pendant ce temps, les « Saisnes » chevauchent et s’éloignent, emmenant Pépin ; [leur roi] Brohimax reproche à celui-ci la mort de son oncle Carsadoine, et lui annonce qu’il sera jugé le lendemain à Trémoigne. Pépin, transporté de colère et de douleur, brise les cordes qui lui lient les mains ; d’un seul coup de poing il abat l’un des Saisnes. Ceux-ci tirent leurs épées ; ils sont sur le point de le tuer, quand Landri, sortant d’une vallée, les attaque avec ses chevaliers : Brohimax est tué par Landri ; les Saisnes prennent la fuite ; les chevaliers [français] se délient mutuellement, revêtent les armures des Saisnes tués, et montent sur leurs chevaux ; Pépin, notamment, s’empare de l’armure de Brohimax. Ils se joignent aux compagnons de Landri : les païens sont mis complètement en déroute, et les chrétiens ramassent un grand butin. Quand Landri, l’épée rouge de sang, rencontre son oncle, il lui dit : « Roi, vous êtes pris ; vous me suivrez à Cologne ; après vous, c’est moi qui posséderai le trésor de Paris ». Pépin se résigne à son sort ; il descend même de cheval et tombe aux pieds de Landri. Mais celui-ci le relève : l’oncle et le neveu s’embrassent (c’était la volonté de Dieu) et se rendent ensemble à Cologne (v. 4321-4414).

Pépin fait peser trois fois en fin or son corps et son haubert ; il offre cet or à l’autel de l’église Saint-Pierre, distribue des dons à ses compagnons, et offre à Landri cent chevaux. À Cologne, au palais, les barons dînent : Landri leur annonce que, les traîtres étant punis et ses parents réconciliés, il partira le lendemain pour Constantinople, où il a promis d’épouser la fille du roi Alexandre. Pépin dit qu’il partira volontiers avec lui ; on envoie un messager à Constantinople, pour annoncer l’arrivée prochaine de Landri et de sa suite (v. 4415-4461).

Le messager arrive à Constantinople ; l’empereur, apprenant la nouvelle, monte à cheval pour aller à la rencontre de Landri. Rencontre de l’empereur et de Landri, d’Olive et de Salmadrine. On descend au palais, où a lieu un dîner magnifique ; jeux. L’empereur Alexandre envoie des messagers, pour que tous les barons de son empire viennent assister aux noces de sa fille. Tant de barons y vinrent que les noces durent se faire hors de la ville, dans une grande prairie. En présence de Pépin, l’empereur Alexandre adresse la parole à Landri et lui annonce qu’il lui donne sa fille, avec tout son empire. Le mariage de Landri et de Salmadrine est célébré par l’archevêque Jean, à la grande église, en présence des deux empereurs ; Landri et Salmadrine sont couronnés au palais, où a lieu une fête égayée par des ménestrels. Les réjouissances durent pendant un mois entier ; puis l’empereur congédie ses barons après avoir distribué des cadeaux ; mais Landri garde près de lui les Français, pour leur montrer ses châteaux. À la fin, Pépin annonce qu’il est obligé de rentrer dans son pays ; Landri lui recommande de vivre en paix avec Doon et Olive ; Pépin promet à Landri le secours de sa « chevalerie », s’il en avait jamais besoin. On donne le signal du départ et on prend congé ; Olive recommande à Salmadrine son fils Landri. Pépin, Doon et Olive arrivent à Cologne, où les bourgeois leur font fête, puis Pépin regagne Paris. Doon et Olive vivront désormais en paix. Landri et Salmadrine eurent des enfants qui tinrent à la fois Constantinople et le domaine qu’avait possédé Olive, et qui furent de bons chevaliers (v. 4462-4627).

La chanson est finie si vous voulez en savoir davantage, adressez-vous ailleurs (v. 4628-4638).


CHAPITRE V

formes diverses et évolution de la légende épique.

Le sujet de Doon de La Roche nous a été transmis dans plusieurs versions, en différentes langues.

En français : le présent poème (F).

En espagnol un récit en prose, Historia de Enrrique fi de Oliva (E), que Ferdinand Wolf, bon juge en ces matières, fait remonter au xive siècle. Il a été imprimé[113] à Séville en 1498 ; cette édition est très rare ; j’ai pu me servir d’une réimpression, faite également à Séville, en 1545, por Dominico de Robertis, et dont la Bibliothèque Nationale possède deux exemplaires, Rés. Yd. 238 et Rés. Y2. 818. Une analyse détaillée en a été donnée par Ferd. Wolf dans son livre intitulé : Ueber die neuesten Leistungen der Franzosen für die Herausgabe ihrer National Heldengedichte (Vienne, 1833), p. 98-132 ; une autre, plus rapide, mais accompagnée d’une comparaison suivie avec F, se trouve dans un mémoire de M. W. Benary[114], que nous aurons souvent l’occasion de citer (p. 313-324).

En vieux norrois : la seconde branche de la rédaction remaniée de la Karlamagnus-Saga (Nc). Cette branche, qui ne se trouve pas dans la rédaction primitive, a été traduite peu après 1284, non, comme l’ensemble de la Karlamagnus-Saga, sur un poème français, mais, ainsi qu’il est dit expressément, sur la traduction anglaise [perdue] d’un poème français[115]. Elle a été publiée par R. C. Unger, dans son édition de la Karlamagnus-Saga (Christiana, 1860, p. 50-75) ; l’éditeur a donné une analyse, en danois, dans son introduction. G. Paris a reproduit cette analyse, traduite en français, dans la Bibliothèque de l’École des chartes, année 1864 (5e série, tome V), p. 105 et suiv., en l’accompagnant de quelques remarques précieuses. F. Wolf avait donné une analyse plus sommaire (d’après Gundtvig) dans une note intitulée : Ueber die Olivasaga, dans les Denkschriften de l’Académie de Vienne, vol. viii (année 1857) p. 263-268.

Dans le dialecte des îles Fœroe : un chant populaire (Na), recueilli et publié, avec traduction danoise, par V. U. Hammershaimb, dans Antiquarisk Tidskrift, vol. Ier (année 1846-1848), p. 270-304.

Il existe également, sur notre thème, un chant islandais, mentionné par Hammershaimb dans son article cité, p. 280.

Quand on compare ces versions, on voit dès l’abord, qu’elles se divisent en deux groupes : 1°, le poème français et le roman espagnol ; 2°, le récit de la Karlamagnus-saga et le chant des îles Fœroe. Les deux versions septentrionales sont très étroitement apparentées : comme l’a déjà remarqué M. Benary, elles sont d’accord, même pour des noms de personnages de second plan. M. Benary (p. 236 de son mémoire) croit que la version des Fœroe est indépendante de la Karlamagnus-Saga, tout en provenant du même original ; mais ses arguments sont bien faibles, et une raison décisive nous porte à admettre que le chant populaire est une simple réminiscence, plus ou moins fidèle, du récit de la compilation norroise[116]. Il y a, dans le chant, des altérations et des transpositions évidentes[117] ; en outre, les exigences du style traditionnel des chanteurs des îles ont amené des développements et des modifications de la donnée primitive. Pour nous, dans la suite de la discussion, la Karlamagnus-Saga sera l’unique représentant du second groupe.

Examinons d’abord le premier groupe : le poème français et le roman espagnol (F et E). Dans les grandes lignes, E est d’accord avec F ; il doit avoir été traduit sur une rédaction très voisine de notre texte. Comme dans F, Oliva est la sœur de Pépin ; la substitution d’Enrrique à Landri (nom du fils) s’explique facilement : le nom peu connu de Landri a été remplacé par Enrrique (= Henrique, Henri), très répandu, dans la péninsule ibérique comme ailleurs. La première partie du récit, jusqu’à l’exil d’Enrrique (Landri) a de grandes analogies avec F ; notons cependant que Tomillas endort Oliva, non au moyen d’un soporifique, mais par une carta hecha con muchos conjuros y con muchos encantamentos (fol. a. iij. v°) ; mais immédiatement avant cet épisode (fol. a. ij. v°, a. iij.-v°), il est raconté que Tomillas verse à Oliva du vin aparejado con yervas, qui la rend malade, ce qui rappelle le « piment » dont il est question dans F (v. 169). Cette carta enchantée, qu’on retrouve dans d’autres récits du moyen âge[118], semble ici une interpolation du rédacteur espagnol. — L’homme que Tomillas place dans le lit d’Olive est un écuyer qui avia se hecho arlote[119] et s’était costumé en pèlerin (romero, fol. a. iij. v°) ; Tomillas l’ensorcelle au moyen d’un anneau magique (sorteja) et l’oblige à faire tout ce qu’il veut. — Après sa disgrâce, Oliva se réfugie, sur le conseil du comte « Jufré de Flandes », dans une abbaye de femmes, fondée par le comte (fol. a. vij. v°), version qui est un affaiblissement évident de ce qui se lit dans le passage correspondant de F.

La suite du récit présente des analogies avec F, tout en s’en écartant parfois : Enrrique (Landri) part pour l’Orient, accompagné du comte « Jufré », déguisé en marchand, qui le présente comme son fils ; un épisode, probablement interpolé par le traducteur espagnol, lui fait conquérir Damas et Jérusalem ; il reprend sur les Infidèles la vraie Croix[120] (fol. b. ij. v°-vj. v°). Comme dans F, il secourt l’empereur de Constantinople contre son ennemi, l’almirante Mirabel, réussit à le vaincre et à anéantir son armée ; l’empereur lui donne la main de sa fille Mergelina et lui cède l’empire (fol. c. vj. v°). — Bientôt après ce mariage, Enrrique se rappelle Tomillas et sa trahison envers Oliva ; avec l’approbation de sa femme, il organise une expédition pour châtier le traître. — Sur ces entrefaites, la renommée des exploits d’Enrrique étant parvenue en France, le pape avait ordonné au comte de La Roche de reprendre sa femme. Il en résulte un différend entre le comte et Tomillas, dont la fille se trouve répudiée ; le roi prend parti pour Tomillas ; guerre : le comte et Oliva sont assiégés dans La Roche. — Venu en France avec son armée, Enrrique trouve ses parents assiégés ; il pénètre sous un déguisement dans le château, sans cependant se faire reconnaître ; puis il attaque les traîtres avec son armée : il tue de sa propre main Malindre, son demi-frère (fol. d. iij. v°) ; Tomillas est pris et supplicié (fol. d. vij. v°)[121].

On voit que cette suite d’événements ressemble en gros à ce qui est raconté dans F, mais en diffère par bien des détails ; la grande différence consiste en ceci que, dans E, le fils, Enrrique (= Landri) passe seul en Orient, le père restant en France ; par conséquent, Doon n’est pas fait prisonnier en combattant l’empereur de Constantinople au service du roi de Hongrie ; la délivrance du père par le fils a lieu dans des circonstances tout autres. Cet épisode de la guerre d’Orient, du combat entre le père et le fils, etc., est-il une invention de l’auteur de F, ou bien se trouvait-il dans l’original de E et a-t-il été laissé de côté par le traducteur espagnol ? On pourrait discuter longuement là-dessus, si une particularité de F ne constituait une preuve décisive en faveur de la première hypothèse. Au moment où il va raconter le départ de Doon pour la Hongrie, dont le roi se propose d’attaquer l’empereur de Constantinople, l’auteur de F dit :

Cil autre jugleor qui de Doon vos dient
Assez en ont chanté, mais il ne sevent mie...
La ou il la vos laissent la vos ai rafichie[122].

Tous ceux qui ont quelque peu pratiqué les chansons de geste connaissent ces sortes de formules et savent ce qu’elles veulent dire : le poète les emploie quand il s’écarte de son original et se met à inventer de son propre crû ; ce qui suit est par conséquent une invention personnelle du trouvère. Nous pouvons donc admettre que l’auteur de F travaillait d’après un poème plus ancien et plus simple, qui ne contenait pas l’épisode des aventures de Doon en Orient, et que le traducteur espagnol a connu, directement ou indirectement, le poème perdu.

C’est là un résultat surtout négatif ; mais nous pouvons aller plus loin. Si la comparaison détaillée de F et de E est difficile, puisque nous ne pouvons déterminer avec précision les détails que le traducteur espagnol a modifiés, nous voyons cependant que la chanson de geste et le roman espagnol présentent en gros, en ce qui concerne Landri, la même suite d’événements : dans les deux récits, Landri (Enrrique) est aimé de la fille de l’empereur de Constantinople, auquel il a rendu, à la guerre, des services signalés ; dans les deux récits, il part de Constantinople avec une armée, pour châtier les traîtres qui sont cause des malheurs de sa mère. Nous avons vu que, en ce qui concerne la première partie du récit — les machinations contre Oliva et la disgrâce de celle-ci — il y a, à côté de grandes différences, des analogies essentielles entre E et F, qui confirment l’hypothèse d’un poème perdu, source commune de F et de E.

Le groupe des versions septentrionales — qui se réduit en fait au récit de la Karlamagnus-Saga, que nous désignerons simplement par N — présente des problèmes plus complexes. — N, rapproché de F, présente de grandes différences, surtout en ce qui concerne la seconde partie du récit, bien que la narration norroise se termine, comme celle de F et de E, par la réhabilitation d’Olive et le châtiment des coupables. — Dans la première partie du récit, nous avons en somme les mêmes événements que dans F, mais avec des différences de détail ; Olive (Olifa) est la fille, non la sœur de Pépin ; Charlemagne[123] joue un rôle dans le récit. Le mari s’appelle « Hugon » au lieu de Doon ; la machination dont se sert le traître (qui s’appelle ici Milon et qui a fait à Olive des propositions déshonnêtes qui ont été repoussées) pour perdre Olive est à peu près la même que dans F, mais les événements sont racontés d’une façon plus logique (voir plus loin, p. lxxiii) : l’homme que le traître place dans le lit est un nègre (blámann) ; les détails qui suivent (offre d’Olive de se soumettre à un jugement de Dieu, arrivée de Pépin) présentent également de grandes analogies. Finalement, Olive est condamnée à être enfermée pendant sept ans dans une tour remplie de reptiles venimeux ; on lui donne journellement une cruche d’eau et un pain grossier pour toute nourriture. — Hugon épouse la fille du traître, qui s’appelle ici Aglavia ; il en a un fils, Malalandres. Landri, le fils d’Olive (en norrois : Landres), cherche un asile chez son ancienne nourrice, Siliven. Sur le conseil de celle-ci, il se rend cependant de nouveau à la cour, pour y assister à un jeu de paume, et y faire l’épreuve de sa valeur ; il a une rencontre violente avec son demi-frère ; à la suite de cet événement, il doit s’éloigner définitivement.

À partir de ce moment, les événements sont tout autres que dans E et F : errant et affamé, Landri rencontre des nains, auxquels il enlève des objets merveilleux qui procurent à manger et à boire. Les nains, d’abord hostiles, se réconcilient avec lui et lui prédisent qu’il trouvera bientôt sa mère, qui est en prison. Il trouve, en effet, une tour ; près d’une petite lucarne, un oiseau chante ; Landri décoche une flèche à l’oiseau ; la flèche touche sa mère à la poitrine ; elle se lamente et se fait connaître. Landri ouvre la prison, voit sa mère entourée de reptiles, la délivre, la réconforte avec les mets que lui procure la nappe merveilleuse enlevée aux nains. Sur le conseil d’Olive, il retourne chez sa nourrice, afin d’aviser aux moyens de réhabiliter sa mère. Voulant se rendre à la cour de Charlemagne, qui a succédé à Pépin, il a à lutter contre de terribles enchantements de sa marâtre, puis à déjouer un attentat de Milon et de Malalandres, qui veulent le tuer. Finalement, Olive est réhabilitée en présence de Charlemagne, et Milon enfermé dans la prison qu’elle occupait naguère et où les reptiles le dévorent. Olive entre dans un couvent.

En présence de ce récit, si différent de F, nous devons rappeler d’abord que si la Karlamagnus-Saga reproduit habituellement des poèmes français que le rédacteur avait sous les yeux, il en est autrement pour l’histoire d’Olive et de Landri : le rédacteur travaillait d’après l’imitation anglaise d’un poème français. Il y a, par conséquent, deux intermédiaires : l’imitateur anglais et le traducteur norvégien ; de là une double cause d’incertitude.

G. Paris, en 1864, fut frappé de la simplicité relative du récit norrois, comparé à F. « L’original du livre islandais », écrit-il, « était évidemment plus simple, plus archaïque et meilleur sous tous les rapports ; il n’avait pas introduit dans son récit ces aventures insipides, dont la scène est en Orient, condition presque indispensable à tous les romans de la décadence au moyen-âge ». — M. Benary pense, au contraire, que la seconde moitié du récit, celle qui contient les aventures personnelles du fils d’Olive, a été modifiée sous l’influence des contes populaires (p. 324-326 du mémoire cité[124]).

Il est évident que la question de la valeur de N est très complexe. Certains détails ont été certainement introduits par le traducteur anglais. Si Gaston Paris avait écrit sur cette question une étude détaillée, au lieu d’une courte notice, il eût été le premier à faire remarquer que « Mimung », nom d’une épée, et « Kleming », nom d’un cheval, n’ont jamais pu se trouver dans une chanson de geste française : ces noms ont été introduits dans le récit par le rédacteur norvégien, ou, plus vraisemblablement, par le traducteur anglais, qui les a empruntés à des traditions germaniques.

Pour la première partie du récit, N a certainement de la valeur pour la reconstruction de la forme primitive de la légende. Seul, il a bien conservé un détail, altéré dans E et devenu complètement inintelligible dans F. Dans notre poème, Tomile, parlant d’Olive, dit (v. 199) :

Ele est molt forment ivre, tant a beü piment.

On ne voit pas à quoi rime cette accusation d’ivresse, portée ainsi contre Olive, que rien n’explique ni ne prépare. — Dans E, comme nous l’avons noté plus haut, Tomillas verse à Olive du vin, « préparé avec des herbes », qui la rend malade ; il l’endort ensuite au moyen d’une charte magique, ce qui est inutilement complexe. Seul N, donne un récit intelligible et logique. Après s’être réconcilié avec Olive, qui avait d’abord repoussé rudement ses propositions amoureuses, le traître (Milon = Tomile) prie la reine de sceller leur réconciliation en buvant avec lui à un gobelet, rempli d’un breuvage soporifique. « Il le porte à ses lèvres, fait semblant de boire ; la reine, au contraire, vide la coupe et tombe aussitôt dans un sommeil semblable à la mort » (analyse de G. Paris, p. 107). Grâce à cet engourdissement de la reine, Milon peut mettre à côté d’elle, dans son lit, un homme, un nègre, qu’il a assoupi avec le même breuvage. — Ce récit a tout l’air d’être la version originale : F voulu abréger et modifier, il a laissé de côté la scène de la réconciliation et la première mention du breuvage, et, ainsi, il est devenu inintelligible ; E a voulu mettre, dans le récit, du merveilleux, de la sorcellerie, et il a introduit la charte magique, qui fait double emploi avec le vin « herbé ». Cette fidélité manifeste de N, pour un détail essentiel, nous inspire de la confiance en ce qui concerne le reste de son récit, notamment pour le trait si curieux que l’homme que le traître introduit dans le lit d’Olive est un nègre.

Les doutes portent surtout sur la seconde partie de N, récit des aventures de Landri après qu’il s’est éloigné définitivement de la cour. Il est certain, nous l’avons vu, que le traducteur anglais a introduit dans son récit des noms empruntés aux traditions germaniques ; les nains, auxquels Landri vole les objets magiques, n’auraient-ils pas la même origine ? On sait quel rôle jouent les nains dans les récits épiques allemands et scandinaves. Cependant, il faut remarquer que les nains ne sont pas complètement absents de l’épopée française : Picolet, dans la Bataille Loquifer, est un nain, de même que Pacolet, dans Valentin et Orson ; Obéron, dans Huon de Bordeaux, est un nain secourable, exactement comme les nains mentionnés dans N. Le trait des objets magiques volés à des êtres surnaturels n’est pas propre aux Germains ; il appartient au folklore international, et figure notamment dans un conte mongol[125].

L’utilisation de ce thème des objets magiques se retrouve ailleurs dans l’épopée française. Il est question de la nappe merveilleuse qui fournit des mets dans une chanson de geste du xive siècle, Charles le Chauve[126]. — L’épisode où Landri doit lutter contre les enchantements de sa marâtre Aglavia paraît singulier au premier abord. Cependant les enchantements ne sont pas rares dans les chansons de geste. On connaît les sorcelleries de Maugis ; et les enchantements d’Orable, les « jeux d’Orange », dans les Enfances Guillaume[127], ont la plus grande analogie avec ceux d’Aglavia dans N. Orable est une magicienne sympathique, Aglavia une magicienne antipathique : voilà la seule différence. — De même, la prison affreuse, peuplée d’horribles reptiles, où, d’après N, Olive est enfermée, se retrouve dans Bovon de Hantone[128] et dans d’autres chansons de geste[129]. — On pourrait encore faire valoir que, pour une chanson de geste, N a un caractère fort peu guerrier, vu qu’on n’y trouve pas un seul récit de bataille. Mais il en est de même pour d’autres chansons de geste anciennes : il n’y a presque pas d’épisodes guerriers dans l’ancienne chanson de geste d’Ami et Amile publiée par Conrad Hofmann ; il n’y en a pas du tout dans le Pèlerinage de Charlemagne, ni dans le poème de Basin et Charlemagne, que nous connaissons par une ancienne traduction néerlandaise. Certes, les héros des chansons de geste sont toujours des guerriers ; mais ces récits incessamment répétés de sièges et de batailles, tels qu’on les trouve dans F et tels qu’on les trouvait également, bien que moins nombreux, dans l’original commun et perdu de F et de E, ne sont pas une preuve d’antiquité ; ils annoncent plutôt la décadence prochaine du genre, où l’épopée dégénère en chronique.

Nous sommes, par conséquent, ramenés à la théorie de G. Paris. N reproduit, avec fidélité dans les détails essentiels, un poème français perdu, ne contenant pas l’épisode des aventures de Landri à Constantinople, donc plus simple et plus ancien que le poème, également perdu, que postule la comparaison de F et de E.

Désignant par les sigles O1 et O2 les deux poèmes français perdus, nous pouvons établir le classement suivant de nos versions : [130]

On pourrait faire valoir, contre ce classement, que F a en commun avec N des traits qui ne sont pas dans E, notamment l’inimitié de Landri et du fils de la marâtre (Malalandres dans N, Malingre dans F) avant l’exil du premier. Mais il ne faut pas perdre de vue que l’auteur de E s’est certainement permis de grandes libertés : son idée de faire entrer Olive dans un couvent (idée qui semble bien propre à un Espagnol dévot) a pu entraîner des modifications dans l’histoire de la jeunesse d’Enrrique (= Landri), qui ont fait disparaître la donnée de l’inimitié précoce entre les deux demi-frères, que l’auteur de O2 avait conservée.

On pourrait encore objecter que notre hypothèse de deux renouvellements anciens, qui auraient bouleversé toute l’économie du poème primitif, n’est guère conforme à ce qu’on sait de l’histoire des chansons de geste. Il est certain, en effet, que beaucoup de « renouveleurs » de chansons de geste ont respecté le plan original du poème qu’ils entendaient adapter au goût de leur temps, et se sont contentés de modifier certains détails ; mais d’autres ont procédé d’une façon plus radicale. On peut citer le poème d’Ami et Amile, composé au xive siècle, et conservé dans le manuscrit fr. 12547 de la Bibliothèque Nationale, où les données anciennes ont été complètement remaniées. Si l’on récusait cet exemple comme trop récent, nous rappellerions, outre le renouvellement de Berte au Grand Pied par Adenet le Roi, si différent de l’ancien poème tel qu’on peut le reconstruire, la seconde rédaction du Moniage Guillaume, où a été inséré le long épisode de Sinagon, qui ne se trouvait pas dans les versions anciennes du poème, et, avant tout, la Reine Sebile, cette chanson perdue que nous pouvons reconstituer à l’aide de plusieurs documents et qui diffère à tant d’égards du poème franco-italien de Venise, publié sous le titre de Macaire par A. Mussafia et par Guessard. En effet, si Guessard s’est trompé en admettant que le poème franco-italien qu’il éditait était la transcription pure et simple d’une chanson française, il n’en reste pas moins que ce poème suppose un texte français perdu, plus ancien et plus simple que la Reine Sebile, et où manquaient des scènes entières et des personnages qui se trouvent dans le poème plus récent[131]. Et ce poème lui-même était relativement ancien, puisqu’Aubri de Trois-Fontaines le connaît déjà. Le renouvellement supposé de notre poème ne serait donc pas un cas isolé.

Nous ne devons pas non plus nous étonner de voir la version primitive de Doon de La Roche entre les mains d’un traducteur anglais. Le public français d’Angleterre était conservateur dans ses goûts littéraires ; il se plaisait aux formes anciennes des poèmes, tandis que les renouvellements se succédaient sur le continent. Fait remarquable : ce sont des manuscrits écrits en Angleterre qui nous ont conservé la forme primitive, ou du moins très ancienne, de la Chanson de Roland, de la Chanson de Guillaume, du Pèlerinage de Charlemagne, de Gormont et Isembart. Le récit que nous a transmis la Karlamagnus-Saga est aussi peu exceptionnel par son histoire externe que par son contenu.

Si nous voulons, après ce classement des versions conservées de la légende, nous faire une idée de son développement et de ses origines, nous devons d’abord nous demander si elle contient un élément historique. M. Ferdinand Lot a prononcé la parole décisive, dès 1903, quand il a qualifié Doon de La Roche de « composition de pure fantaisie[132] ». Cet arrêt d’un spécialiste de l’histoire carolingienne n’a pas arrêté le zèle érudit de M. Benary, qui s’est obstiné à chercher dans F des données historiques. Naturellement, il a fini par trouver ce qu’il cherchait ; mais à quel prix ! Il identifie (p. 365 de son mémoire) Landri avec Landfrid, duc des Alamans, adversaire de Charles Martel en 730 ; plus loin (p. 374), il tente d’établir l’équation : Landri = Childéric[133]. — Une théorie qui s’appuie sur de pareils rapprochements se condamne elle-même. Les efforts infructueux de M. Benary ne peuvent que confirmer la manière de voir de M. F. Lot : Doon de La Roche ne contient d’autre donnée historique que le nom de Pépin le Bref, qui y figure comme frère de la femme calomniée de Doon ; l’œuvre elle-même est une fiction, dont nous pouvons analyser les éléments divers.

Le premier élément est l’histoire de la femme innocente, vertueuse, odieusement calomniée, puis humiliée et maltraitée par suite de cette calomnie. C’est là un thème fréquent dans la littérature du moyen âge ; la forme du récit qui se rapproche le plus de Doon est celle qui forme le début de l’histoire de la femme de Charlemagne accusée d’adultère, telle qu’elle se lit dans le poème franco-italien (déjà cité plus haut) de Macaire[134]. Dans ce poème, comme dans N — nous avons vu plus haut que, des trois versions essentielles de Doon, N est la seule qui présente un récit consistant de la machination — le traître, Macaire, est amoureux de la reine et lui fait des propositions déshonnêtes, qu’elle repousse ; il les fait renouveler par un nain ; la reine manifeste son indignation et frappe même le nain violemment ; Macaire persuade à celui-ci de se glisser dans le lit de la reine. La conséquence est que Charlemagne, trouvant le nain dans le lit de sa femme, croit celle-ci coupable[135] ; plus tard, Macaire lance le nain dans le bûcher allumé destiné à la reine. Le trait essentiel, que le mobile du traître est la fureur de l’amant repoussé, trait qui se trouve à la fois dans Macaire et dans N, s’est complètement obscurci dans E et F. On retrouve de même dans les deux récits, Macaire et N, ce détail, que le calomniateur sait présenter comme amant de la reine un individu qui doit inspirer du dégoût à une femme normalement constituée, un nain dans Macaire, un nègre dans N, et aggrave ainsi la culpabilité de sa victime. — Ce trait du nègre, dans N, est remarquable. Les nègres n’étaient certainement pas communs en Europe au xiie siècle ; d’autre part, ce détail rappelle immédiatement les récits des Mille et une Nuits, dans lesquels des femmes blanches, plus ou moins haut placées, sont accusées, à tort ou à raison, de relations coupables avec des esclaves nègres. — Notre thème serait-il par hasard d’origine orientale, arabe ? Nous n’avons pas réussi à trouver, dans les traductions des contes et nouvelles arabes qui sont à notre disposition, un récit correspondant exactement à celui de N ; cependant dans un récit bien connu des Mille et un Jours, l’Histoire de Repsima, appartenant au cycle de la « femme chaste convoitée par son beau-frère », on peut signaler le thème de l’amant repoussé, qui introduit, dans la chambre [à coucher ?] de la femme qu’il veut perdre, un homme destiné à jouer le rôle d’amant[136] surpris avec la femme, en réalité innocente ; seulement, cet amant n’est pas un nègre. — Jusqu’ici nous n’avons pas réussi à trouver dans les traductions de contes arabes, ou arabo-persans, quelque autre récit, présentant une analogie plus précise avec le groupe de récits occidentaux que nous avons signalés, et notamment avec N ; un autre sera peut-être plus heureux.

Mais, dans Doon de La Roche — c’est toujours la rédaction N que nous avons spécialement en vue — ce thème de la femme calomniée ne forme que le début du récit ; le reste de l’histoire appartient à un autre thème, qu’on peut désigner comme celui de « la femme persécutée, maltraitée pendant des années, finalement délivrée et vengée par son enfant [ou ses enfants] ». En effet, dans N, nous voyons Olive enfermée pendant des années dans une prison effroyable, avec un pain grossier et une cruche d’eau pour toute nourriture ; c’est son fils Landri, devenu grand, qui l’en tire et qui la venge en châtiant les traîtres qui la persécutaient. — Dans la version de F, il n’est pas question de prison : Olive est réduite à une position humiliée et précaire ; elle perd ses droits d’épouse et est réléguée dans une maison située hors de ville, où elle vit dans la misère, avec son jeune enfant, qu’on considère comme bâtard ; pour sa nourriture, on ne lui donne que deux pains par jour (v. 514 et suiv.). Tout cela a l’air d’une version adoucie du récit primitif[137].

La version de E, où Olive se fait religieuse, s’écarte encore davantage de la version originale. Celle-ci, conservée, à notre avis, dans N, nous présente nettement le thème de la « mère persécutée, sauvée et vengée par son fils ». Ce thème, fort ancien[138] et qui tient aux sentiments les plus profonds de la nature humaine, a pu être réinventé au cours des siècles ; nous croyons cependant que l’auteur du poème primitif sur Doon de La Roche (O1) avait présent à l’esprit une version d’un conte extrêmement répandu — on l’a noté depuis l’Europe occidentale jusque dans l’Archipel indien —, où une jeune femme odieusement calomniée (le plus souvent par des sœurs, jalouses de son bonheur) et par suite soumise à des traitements indignes, est finalement sauvée et réhabilitée par ses enfants devenus grands, ce qui entraîne, dans les versions bien conservées, le châtiment des personnes qui avaient calomnié la mère[139]. Il est certain que ce conte était connu en France au xiie siècle : des données essentielles empruntées à ce récit ont été combinées avec celles d’un autre conte pour former la première partie du poème du Chevalier au Cygne[140]. Le trait commun à ces récits est avant tout le traitement abominable infligé à la mère calomniée dans un conte syriaque, noté d’après la tradition orale par Galland et inséré par celui-ci dans sa traduction des Mille et une Nuits, elle est exposée en public à une porte, et chaque passant doit lui cracher à la figure ; dans un conte russe, elle est emmurée. Dans la version primitive de la chanson de geste sur la Naissance du Chevalier au Cygne, que nous a conservée le Dolopathos latin de Jean de Haute-Seille, la mère est condamnée à être enterrée jusqu’aux mamelles dans la cour du château de son mari, où les gens du château doivent se laver les mains au-dessus de sa tête et les essuyer à ses cheveux[141]. Dans notre hypothèse, la tour terrible où Olive est enfermée est l’équivalent de ce supplice naïvement barbare ; et l’on peut noter que, dans des rédactions plus récentes du Chevalier au Cygne, le supplice décrit par la version primitive est également remplacé par une dure prison[142].

Dans le conte, les enfants, qui ont été exposés, une fois devenus grands, sauvent et réhabilitent leur mère. Ce trait est clairement marqué dans la version N de Doon, où c’est Landri qui tire Olive de sa prison et amène la punition des traîtres ; dans E et F, les événements sont plus compliqués et le thème primitif s’est quelque peu obscurci ; cependant, dans ces deux récits, c’est Landri, le fils, qui prend l’initiative de l’expédition destinée à châtier les traîtres qui ont fait le malheur de sa mère (E, fol. c. vi, v° ; F, v. 2645 et suiv.). Dans toute cette partie décisive du récit, c’est le fils d’Olive qui agit et commande (voir F, v. 2918) et non l’époux : au milieu de toutes sortes de complications, nous retrouvons dans les versions E et F la donnée de N, qui est également la donnée du conte populaire et du Chevalier au Cygne[143] : la mère réhabilitée par ses enfants (ou son enfant).

Voici comment a dû procéder l’auteur du poème primitif (O1), que nous pouvons restituer en gros par N. Connaissant le récit populaire, il le transforma en récit épique, en remplaçant par la prison le supplice singulier de la mère relaté par le conte[144]. Il transforma de même la suite des événements, d’un merveilleux bizarre, qui, dans le conte, amènent la délivrance de la mère, en une suite d’actions vaillantes du fils unique, qui remplaçait les deux fils et la fille qui figurent dans les versions bien conservées du conte. Il emprunta les détails de ces actions, soit à la tradition populaire (l’objet magique volé aux nains), soit à d’autres chansons de geste (les enchantements de la marâtre), ainsi que nous l’avons exposé plus haut. Quant au début du récit, comme la version du conte[145] (la mère accusée d’avoir mis au monde des chiens) lui paraissait par trop enfantine, il la remplaça par l’histoire de la femme accusée faussement d’adultère et du pseudo-amant introduit dans le lit, histoire alors répandue et qui était peut-être, ainsi que nous l’avons indiqué plus haut, un thème international, d’origine arabe.

Ce poème primitif (O1), dont l’action se retrouve, quant aux données essentielles, dans N, fut profondément remanié, surtout en ce qui concerne la seconde partie (les aventures du fils) : le résultat de ce remaniement fut le second poème perdu (O2), dont E nous a conservé les lignes principales. L’auteur de ce poème jugeait que le rôle du jeune Landri était à la fois trop fantastique et trop peu développé : afin de pouvoir y introduire les aventures lointaines et les récits de guerre qui lui plaisaient[146], il fit intervenir un autre thème, que M. Benary (p. 368 de son mémoire) appelle celui de « l’exil » et qui a été défini, avec une heureuse précision, par G. Paris, à propos de la chanson de geste provençale de Daurel et Beton[147].

Le jeune homme inconnu qui, chassé par un malheur quelconque de son pays, grandit à la cour d’un roi étranger, s’y distingue par ses exploits, se fait aimer de la fille du roi, et revient, d’ordinaire avec l’aide de ce roi, pour tirer vengeance de ses ennemis, est un thème fréquent dans notre épopée : nous le trouvons dans Mainet, dans Jourdain de Blaie, dans Orson de Beauvais, dans Bovon de Hanstone, dans le poème tout saxon de Horn ; il rappelle les aventures prêtées à Childéric par les légendes franques.

Si l’auteur de O2 envoie le jeune Landri chercher fortune à Constantinople, c’est là une conséquence de l’attrait que l’antique Byzance exerçait sur l’imagination des romanciers du xiie siècle[148]. Le rôle que F attribue à la fille de l’empereur et qui se retrouve, bien que d’une façon moins prononcée et moins choquante, dans E, est fréquent dans les chansons de geste, quand il s’agit de jeunes filles amoureuses, qu’elles soient chrétiennes ou sarrasines : elles font les avances avec la plus grande facilité (qu’on se rappelle Seneheut dans Auberi le Bourgoin, Oriente dans Orson de Beauvais, et surtout Belissent dans Ami et Amile). Dans E aussi bien que dans F, le fils de la femme persécutée, après avoir rendu à l’empereur de Constantinople par son courage des services signalés, revient dans son pays avec une armée pour châtier les traîtres[149]. Nous sommes obligé de nous en tenir à ce schéma sommaire, le rédacteur espagnol ayant probablement modifié et ajouté bien des détails ; il est cependant assez probable que l’épisode final, où l’on voit Doon et Olive assiégés par Pépin et Tomile dans La Roche, et délivrés par Landri (= Enrrique), se lisait déjà dans le poème français (O2).

C’est sur ce poème qu’a dû travailler l’auteur du poème conservé, F. Celui-ci était évidemment d’avis que, dans l’œuvre qu’il avait sous les yeux, le rôle du père de Landri, Doon, qui cependant donnait, déjà anciennement, son nom à toute la chanson[150], était trop sacrifié, et il résolut de le relever. Il modifia par conséquent l’action : au lieu d’être assiégé dans La Roche par Pépin, comme dans O2, Doon, dans F, est chassé de ses domaines par le même Pépin ; obligé de vivre de son épée, il prend du service à l’étranger, chez le roi de Hongrie, et se trouve ainsi mêlé à la guerre entre ce roi et l’empereur de Constantinople, qui, de son côté, a à son service Landri, le fils de Doon. Il en résulte l’épisode où le père et le fils se combattent sans se reconnaître, situation souvent traitée dans les littératures du moyen âge depuis le Hildebrandlied[151], de même que la scène où le fils délivre, sans le savoir, son père d’une longue et dure captivité, se retrouve ailleurs[152]. — Ces développements obligèrent l’auteur de F à modifier par contrecoup le rôle de Landri : dans O2, Landri assistait l’empereur de Constantinople une fois, contre les Sarrasins ; dans F, il l’assiste deux fois, la première fois contre les Sarrasins, la seconde fois contre le roi de Hongrie. Pour gagner de la place, et afin de pouvoir plus tard raconter en détail la seconde guerre, l’auteur de F a réduit à une mention sommaire le récit de la guerre contre les Sarrasins, qui, du moins à en juger d’après l’espagnol, était raconté longuement dans O2 ; tout l’intérêt se porte chez lui sur la guerre contre les Hongrois, et la défense de l’empire contre Dorame, roi de Hongrie, devient le service signalé rendu par Landri à l’empereur de Constantinople. Mais, encore une fois, toutes ces modifications sont la conséquence de l’importance du rôle donné au père de Landri.

Nous retrouvons cette préoccupation dans les scènes où Doon se rend, déguisé, dans ses terres, pour mettre à l’épreuve la fidélité de son vassal, le maire Bernard, et surtout celle de sa femme. On sait que ce thème du mari rentrant chez lui, déguisé, après une longue absence, est très ancien : il remonte à l’Odyssée. Au moyen âge, et dans le cycle carolingien, on le retrouve dans le récit fantastique du voyage de Charlemagne à Paris, inséré dans le poème de la Spagna, et qui pourrait bien remonter à un poème épisodique français perdu[153]. Ici encore, l’auteur de F est peu original pour le fond de son invention. Afin de maintenir jusqu’au bout l’importance attribuée au personnage de Doon, il lui attribue l’initiative du siège de Cologne, ville qui joue du reste, dans F, un tout autre rôle que dans E, où elle est aux mains de Tomile, tandis que dans F les habitants ont juré fidélité à Pépin.

Un épisode entièrement de l’invention de l’auteur de F est celui qui nous montre le roi Pépin, fait prisonnier à la chasse par les « Saisnes » et sauvé, grâce à l’intervention rapide et courageuse de Landri, intervention d’autant plus méritoire que le roi s’était fort mal conduit à l’égard de la mère de Landri, qui était pourtant sa sœur, et à l’égard de Landri lui-même. Il semble bien (quoique la chose ne soit pas clairement expliquée dans E) que, déjà dans O2, Pépin se laissait corrompre par Tomile pour donner son consentement au mariage de la fille de celui-ci avec Doon ; il y avait également (voir plus haut, p. lxi, note 3) une scène assez violente où Landri victorieux faisait à Pépin des reproches sur sa conduite. C’est cette scène qui a donné à l’auteur de F l’idée d’ajouter l’épisode de Pépin tombé au pouvoir des « Saisnes » et sauvé par Landri[154]. On reconnait dans cette invention l’esprit féodal, qui aime à opposer au roi faible, lâche ou même félon, le dévouement et le courage du vassal, qui sauve le monarque indigne en quelque sorte malgré lui ; on peut citer notamment le Couronnement de Louis, ou plutôt l’ensemble des chansons sur Guillaume d’Orange, qui ont pour idée fondamentale, ainsi que l’a montré M. Bédier[155], l’antithèse entre le roi, perpétuellement représenté comme un être lamentable, et le vassal, perpétuellement glorifié. Ici encore, l’auteur de F reste bien au-dessous de ses modèles.

Nous pouvons encore signaler un épisode qui tient du lieu commun dans une partie antérieure du poème (v. 1713 et suiv.) : c’est celui où les bourgeois de Cologne, après la plainte portée par Gonteaume, se mettent en mouvement contre Tomile et Malingre, qui se sont emparés des « dromadaires » des messagers de l’empereur de Constantinople, auxquels Gonteaume avait accordé l’hospitalité. Il est assez probable[156] que nous sommes ici en présence d’une invention de l’auteur de F. Quel que soit l’auteur de l’épisode, il n’a pas fait preuve d’une bien grande originalité. Nous avons déjà dit plus haut que ce soulèvement des habitants d’une ville contre un chevalier qui, à leurs yeux, s’est mal conduit, est une sorte de lieu commun, qui se trouve dans d’autres chansons de geste et même dans le Conte du Graal de Chrétien de Troyes. — L’évêque guerrier Auberi, oncle d’Olive, nous représente le type ancien du prélat féodal et guerrier ; c’est une copie affadie du Turpin de la Chanson de Roland.

Le classement des versions, tel que nous le proposons, diffère notablement de celui de M. Benary[157] ; cette différence est la conséquence naturelle de nos divergences d’appréciation, surtout en ce qui concerne la valeur de la version N. Notre système a sur celui du savant allemand l’avantage d’une plus grande simplicité ; il suppose moins de versions perdues. La partie de notre théorie relative à l’origine folklorique du thème est naturellement une hypothèse[158] ; mais si notre tableau généalogique des versions est juste, Doon de la Roche offre un exemple remarquable des formes diverses, de plus en plus compliquées, que peut revêtir un thème de chanson de geste[159].

Nous avons jusqu’ici négligé de propos délibéré un témoignage dans lequel on pourrait voir le reflet d’une version perdue de Doon de La Roche, différente de toutes celles que nous connaissons, mais qui nous semble plutôt une fantaisie individuelle de jongleur. Il s’agit de passages relatifs à Doon et à sa femme Olive qui se lisaient dans un renouvellement de la chanson de Doon de Nanteuil, actuellement perdu, mais dont le président Fauchet a pris des extraits qui ont été publiés par Paul Meyer[160]. On y lit (p. 22 de l’article de P. Meyer) :

Olive, seur de Charles, fut mariée a Doon de la Roche, seigneur de Frize (?), et fut separée de lui, puis espousée par Bertran, fils de Naismes.

Et plus haut, p. 21 :

Bertran, fils de Naismes, espouse Olive, fille de Pepin, seur de Charles, et d’elle eut Gautier, qui espousa Nevelon[161], fille dudit Charles et tua Justamont.

P. Meyer, en publiant ces extraits, conjectura (p. 10 de son mémoire) que l’auteur du renouvellement de Doon de Nanteuil connaissait Doon de La Roche « d’après une rédaction dont nous ne soupçonnions pas l’existence. » Cela est possible ; mais les imaginations que nous présentent ces deux extraits sont tellement étranges[162] qu’il est plus probable que nous sommes en présence d’une invention personnelle du jongleur tardif qui renouvela la chanson de Doon de Nanteuil. — On peut remarquer qu’ici, comme dans la Karlamagnus-Saga et le chant des Fœroe, Olive est la fille, non la sœur de Pépin ; cela est la conséquence du fait que l’action de Doon de Nanteuil est placée sous le règne de Charlemagne : voulant mêler Olive à cette action, l’auteur a été obligé de la rajeunir d’une génération, et d’en faire la sœur, non la tante de l’empereur. Le renouveleur de Doon de Nanteuil et le rédacteur de la Karlamagnus-Saga ont fait, chacun de son côté, le même changement.

Si, après cette étude sur les différentes formes de la légende épique de Doon de La Roche, on essaie d’apprécier la valeur littéraire de F considéré en lui-même, on arrive, je crois, à un jugement d’ensemble moins favorable que celui porté jadis par P. Meyer, dans son rapport de 1878 à la Société des Anciens Textes Français. Le style du poème a quelque chose de mou, les caractères sont souvent d’une grande banalité[163]. Une grande partie de F n’est, notre discussion l’a montré, qu’un renouvellement d’un poème antérieur (O2) : c’est ainsi que la comparaison avec E montre que la jolie scène où le petit Landri proteste contre le second mariage de son père, n’est pas de l’invention de l’auteur de F, mais se lisait dans son original. — Les épisodes que ce « trouveur » a ajoutés de son crû sont en grande partie des lieux communs, faisant partie du « matériel roulant » de l’épopée, suivant l’expression de G. Paris. Chose curieuse : notre poète, qui développe parfois avec une insistance inutile et choquante les scènes brutales et cruelles[164], montre le plus de talent dans les tableaux d’un genre paisible et en quelque sorte idyllique. La scène où Bernard, le riche « vavasseur », assis, le soir, sous un chêne, voit rentrer ses beaux troupeaux et a cependant l’âme attristée par le regret de son seigneur absent (v. 3200 et suiv.), est vraiment belle et originale. C’est également une invention curieuse que ce Gonteaume, à la fois guerrier et riche citoyen de Cologne, qui invite régulièrement à dîner la pauvre Olive, honnie de tous (v. 1889 et suiv.). Ici, comme ailleurs, l’esprit du poème se rapproche de celui du roman bourgeois[165].

Doon de La Roche n’a pas eu, sous ses différentes formes, un succès de premier ordre : il n’est pas devenu le noyau d’un cycle ; il n’a même pas eu une suite, ainsi que cela est arrivé à Ami et Amile et à Aye d’Avignon. Cependant, notre poème a pénétré dans le Midi. Dans l’Ensenhamen bien connu où le Catalan Guiraut de Cabrera, sous prétexte de reprocher à un jongleur son ignorance, donne une longue énumération de sujets épiques, figure entre autres Doon : le jongleur, dit Guiraut, ne sait chanter

Ni d’Oliva, ni de Doon[166].

Dans le Nord de la France, le succès de la chanson s’est longtemps maintenu, et Doon est devenu un sujet de tapisserie : en 1387, Jean Cosset, d’Arras, vendit à Philippe le Hardi l’Histoire de Doon de La Roche, pour 600 francs[167].

Enfin nous devons signaler l’imitation probable de certains épisodes, de certains traits de Doon de La Roche, et spécialement du poème conservé, dans la chanson de geste de Parise la Duchesse. Déjà M. W. Benary a noté (p. 333 de son mémoire) une scène analogue dans les deux poèmes, et conclu à une imitation de Doon par l’auteur de Parise ; on peut relever encore d’autres points de ressemblance. Remarquons d’abord qu’on retrouve dans Parise le thème principal de Doon, la mère réhabilitée et vengée par le fils[168], et aussi le thème secondaire, l’exilé qui se rétablit dans sa patrie avec l’appui d’un prince étranger ; mais il y a des ressemblances plus précises. Le vieux Clarembaut (c’est ce qu’a déjà noté M. Benary) proteste contre le second mariage du duc Raimond (p. 49 de l’édition) de même que le petit Landri, dans Doon, proteste contre le second mariage de son père ; on peut noter que Clarembaut, comme Landri, s’en prend, en termes violents, presque identiques, au prélat qui va célébrer le mariage, mais il faut remarquer que la scène a dans Doon quelque chose de plus original, vu que c’est un enfant qui parle. Ce vieux Clarembaut, le défenseur de Parise, présente de singulières analogies avec Gonteaume, le partisan d’Olive dans F ; tous les deux sont représentés comme souffrants, malades[169] ; mais dans Parise cette maladie n’est pas motivée, tandis que, dans F, elle l’est par le chagrin que cause à Gonteaume l’absence de Doon. Ici encore, F est supérieur à Parise. Enfin, Parise, dans la chanson qui porte son nom, est accusée, comme Olive dans F, de vivre en prostituée ; on peut noter que le vers 2546 (p. 76 en bas) de Parise est presque identique au vers 917 de F[170].

Ces faits sont d’autant plus curieux que Parise la Duchesse, au point de vue littéraire, nous paraît, dans son ensemble, préférable à Doon de la Roche. Mais il y a, dans l’histoire littéraire, d’autres exemples d’imitateurs supérieurs à leurs modèles.

Comme tant d’autres chansons de geste, Doon de La Roche a été populaire hors de France : nous avons vu que la légende épique, sous ses différentes formes, a été imitée ou résumée en Espagne, en Angleterre, en Norvège, en Islande ; dans la première moitié du siècle dernier, le récit des malheurs d’Olive et des aventures de Landri se chantait encore aux îles Fœroe. De toute cette gloire traditionnelle il ne reste actuellement, en langue française, qu’un seul document complet : le manuscrit de Londres contenant le poème qui voit enfin le jour.


APPENDICE

a. — remarques sur quelques noms propres

Le nom de Landri, le véritable héros du poème, se retrouve dans toutes les versions (dans N, « Landres », dans E, « Enrrique », par une altération que nous avons signalée plus haut, p. lxvii). M. F. Lot, dans son étude sur la chanson de geste perdue de Landri, qui aurait eu pour héros un Landri, comte de Nevers, fait cette remarque[171] :« Je hasarde en terminant l’hypothèse que Landri a fourni son nom, rien que son nom, au roman en vers de Doon de La Roche[172]. Le héros de cette composition de pure fantaisie, dont l’action est censée se passer sous le roi Pépin, est Landri, fils de Doon, surnommé « de la Roche ». Ce Doon de la Roche ne devrait-il pas son existence à Boon de Monceaux (Bodo de Moncellis), père du comte de Nevers, Landri ? Je suppose que Boon a été changé en Doon sous l’influence de « Doon de Mayence ».

Cette hypothèse est ingénieuse ; nous devons cependant faire observer qu’il n’est pas absolument sûr que le père de Landri se soit appelé « Doon de La Roche » dans le poème archétype. Dans N, il s’appelle Hugon, souverain du val de Munon. Il est vrai que l’on pourrait supposer que l’imitateur anglais du poème primitif perdu aura remplacé le nom de « Doon », dont il n’y avait pas d’équivalent en anglais, pour celui, plus connu de « Hugon ». L’auteur du roman espagnol s’est trouvé placé devant la même difficulté : il s’en est tiré en désignant constamment le mari d’Olive par une périphrase, « el Duque de la Roche ».

Que le nom de « Doon » se soit trouvé ou non dans le poème primitif, c’est certainement un ancien nom épique : à côté de « Doon de Mayence[173] », que rappelle M. Lot, on peut citer « Doon de Nanteuil », héros d’une chanson de geste qui n’est certainement pas de l’époque la plus reculée de l’épopée, mais dont la première rédaction devait remonter assez haut[174].

Le « val de Munon », dont Hugon (= Doon) est le souverain dans N, reste mystérieux[175].

La Roche est le domaine propre du père de Landri dans E comme dans N : ce nom remonte donc à O2. M. F. Lot, qui croit que l’auteur de Doon a été influencé, en ce qui concerne le personnage de Landri, par la chanson de geste perdue, qui avait comme protagoniste un comte de Nevers, rappelle[176] qu’il y a dans le Nivernais plusieurs localités du nom de « La Roche ». Mais la géographie de Doon indique plutôt l’Est comme théâtre de l’action ; cela est évident en ce qui concerne F. Les indications de E sont plus vagues ; toutefois le fait que, dans le roman espagnol, Tomillas (= Tomile) est comte de Cologne, semble bien indiquer que, dans O2, l’action était placée également dans l’Est. On peut par conséquent identifier[177] le La Roche de E et F avec la ville de Laroche dans le Luxembourg belge, localité certainement ancienne et qui était jadis le chef-lieu d’un comté. Il est vrai que La Roche, dans E aussi bien que dans F, est représentée comme une ville fortifiée, tandis que le Laroche belge ne fut entouré de murailles que dans la première moitié du xive siècle[178] ; mais on sait que, en pareille matière, les auteurs de chansons de geste ne se piquent pas d’une exactitude absolue.
Le nom d’Olive[179], qui se trouve à la fois dans F, dans E (« Olive ») et dans N (« Olif »), se lisait certainement dans le poème archétype (O1).
Dans N, le traître s’appelle Milon ; M. Benary a déjà fait remarquer (p. 355 de son mémoire) que Milon est un nom de traître dans Aye d’Avignon, Gui de Bourgogne et Bovon de Hanstone ; il peut donc remonter au poème français primitif.
Le nom de « Tomile », que donne F, se retrouve, légèrement modifié (« Tomillas »), dans E : il se lisait donc dans O2. Ce nom manque dans la Table de M. E. Langlois ; il a l’air fabriqué, peut-être sur le modèle d’Amile[180].
La fille du traître, seconde épouse de Hugon (= Doon), s’appelle Aglavia dans N, nom qui paraît singulier et qui ne se trouve pas dans l’onomastique de l’épopée française[181].

Le fils issu du second mariage de Hugon (= Doon) avec cette femme s’appelle Malalandres dans N. G. Paris (p. 109 de son analyse) a restitué avec beaucoup de vraisemblance comme nom français Mallandri ; le nom aurait été inventé pour faire antithèse à Landri. Dans F, ce personnage s’appelle Malingre ; dans E, où il ne paraît qu’une fois, Malindre (fol. d. iii, r° et v°). Cette forme semble à première vue un intermédiaire entre Mallandri et Malingre, mais il est plus probable qu’on est en présence d’une altération pure et simple de Malingre[182].

Cet examen des principaux noms ne répand pas autant de lumière qu’on le désirerait sur la question importante de la véritable nature de N. Le traducteur anglais de O1 a changé, semble-t-il, certains noms de son original, mais, d’autre part, l’auteur de O2 paraît avoir innové dans l’onomastique du poème, de même qu’il en modifie profondément le contenu.

b. — sur un détail du récit de la « karlamagnus-saga ».

Afin de réunir tout ce qui peut donner lieu à quelques rapprochements avec le récit du poème primitif, tel qu’il est résumé dans la Karlamagnus-Saga, j’appelle ici l’attention sur un récit épique irlandais, forme spéciale d’un conte international[183] dont l’origine première n’est pas encore certaine, bien que, en ce qui concerne le récit irlandais, une dérivation byzantine paraisse très probable. Dans ce récit, qui se trouve dans un manuscrit antérieur à 1150, se lit l’épisode suivant, dont j’emprunte le résumé au professeur R. Thurneysen :

Une reine coupable confesse ses méfaits (des meurtres) à son confesseur ; celui-ci les révèle à son tour au roi, qui ordonne de l’enfermer dans une logette de bois près d’un carrefour. Elle vit là pendant sept ans de ce que des gens charitables lui font passer par les petites fenêtres de la logette. Au bout de sept ans, le roi, apprenant qu’elle vit encore, la fait sortir, et, sur sa demande, fonde pour elle un couvent et une église.

Cela rappelle quelque peu le récit de la Karlamagnus-Saga (p. 108 de l’analyse de G. Paris) : « il [Charlemagne] approuve l’avis de Milon d’enfermer Olive dans une tour de pierre ; pendant sept ans elle y vivra d’un pain grossier et d’une cruche d’eau, et si au bout de ce temps on la trouve encore vivante, c’est signe qu’elle sera innocente et accusée à tort ». — La ressemblance des deux récits est plutôt extérieure que fondamentale ; cependant, il est possible que le récit byzantin ait influencé la chanson de geste[184].

Gédéon Huet.
c. — note complémentaire sur l’historique de l’édition.

Lorsque Gédéon Huet s’est éteint, à Paris, le 10 novembre 1921, les feuilles 1-11 de l’édition de Doon de la Roche (texte et début des notes) étaient tirées ; les feuilles a-g (Introduction) avaient été mises en pages après une première correction de l’auteur.

Comme commissaire responsable, secondé par M. Henri Lemaître, que Gédéon Huet lui-même avait désigné dans son testament, j’ai procédé à une dernière révision de l’Introduction et fait les quelques modifications de détail qui m’ont paru indispensables.

M. Henri Lemaître, utilisant les notes de Paul Meyer et de Gédéon Huet, a établi la copie du Glossaire, de l’Index des noms propres et de la Table des matières Grâce à son zèle, la disparition successive des deux auteurs n’a pas entraîné pour la publication de ce volume autant de retard qu’on aurait pu le craindre. Au nom de la Société des Anciens Textes français, je tiens à lui exprimer ici les plus vifs remerciements.

Antoine Thomas.

  1. Francisque Michel, Rapports à M. le Ministre de l’Instruction publique sur les anciens manuscrits… qui se trouvent dans les bibliothèques d’Angleterre et d’Écosse, Paris, 1838, in-4o, p. 55-56. Fr. Michel donne quelques détails sur le manuscrit du Musée Britannique, cite les 10 premiers et les 11 derniers vers de la chanson et indique un rapprochement possible avec Doon de Mayence. À ces 21 vers, publiés par Franc. Michel, il faut ajouter deux fragments, formant un ensemble de 122 vers, correspondant aux vv. 1258-1300 et 2696-2774 de notre texte, publiés par M. W. Benary, dans le t. XXXI des Romanische Forschungen, p. 385-392, en appendice à l’étude que nous mentionnerons plus loin. C’est tout ce qu’on a publié jusqu’ici de Doon de La Roche.
  2. Il fut plus tard, avec Césaire Villatte, auteur du grand Dictionnaire allemand-français et français-allemand.
  3. Beiträge zur Kunde alt-französischer, englischer und provenzalischer Literatur, aus französischen und englischen Bibliotheken, von C. Sachs, Berlin, Nicolai, 1857, in-8o. L’auteur donne, p. 2-10, l’analyse de Doon de La Roche, avec quelques remarques sur la langue du manuscrit.
  4. Bibliothèque de l’École des chartes, 5e série, V (1864), 105.
  5. Je dois la connaissance de ces faits à une communication obligeante de M. G. Fagniez, datée du 17 novembre 1917.
  6. À la fin de la copie collationnée, on trouve, écrite de la main de M. Meyer, la date du 3 octobre 1865.
  7. Bulletin de la Société des Anciens Textes, IV (1878), 72-73.
  8. Bulletin, année citée, p. 87 et suiv.
  9. Bulletin de la Société, XXXIV (1908), 58.
  10. Bulletin, XXXV (1909), 43 ; XXXVI (1910), 44.
  11. Bulletin, XXXVI (1910), 50.
  12. Bulletin, XXXVI (1910), 72.
  13. Bulletin, XXXIX (1913), 77-78.
  14. Catalogue of romances in the Department of manuscripts of the British Museum, London, 1883, I, 871. Une courte description du manuscrit avait déjà paru dans A Catalogue of the Harleian manuscripts in the British Museum, London, 1808, III, 141.
  15. On sait qu’Edward Harley avait hérité de la magnifique collection de manuscrits formée par son père, Robert Harley, premier comte d’Oxford ; il y ajouta des acquisitions nouvelles. Il mourut en 1741. En 1753, sa veuve vendit la collection à la nation anglaise ; elle fut placée au Musée Britannique ; voir Dictionary of National Biography, XXIV, 396. Nous ne pouvons remonter plus haut en ce qui concerne les destinées du manuscrit, qui n’a certainement pas été écrit en Angleterre et qui doit provenir de France.
  16. Incipit : « Prestes Jehans par la grâce de Dieu », etc. C’est une pièce qui se trouve dans de nombreux manuscrits (voir Romania, XV (1886), 177) et qui a été publiée par Jubinal dans son édition de Rutebeuf, édit., III, 356 et suiv. M. O. H. Prior a constaté d’assez fortes différences de rédaction entre le texte du manuscrit et celui de Jubinal, « mais le fond est le même, quoique la forme diffère souvent ».
  17. Cette négligence se manifeste surtout par de nombreuses lacunes de vers entiers ou même de petits groupes de vers qui ont été sautés. L’original sur lequel travaillait le copiste peut être responsable d’une partie de ces lacunes mais c’est bien le scribe du manuscrit de Londres qui a sauté le vers 1277, lequel se lit dans le premier des deux fragments appartenant à M. Lelong ; comme nous verrons, il est à peu près certain que l’auteur du manuscrit de Londres a travaillé sur le codex perdu dont ces fragments sont des débris. C’est donc lui qui est probablement responsable d’une bonne partie des autres lacunes qui défigurent le texte : s’il a sauté un vers dans ce passage, il a pu en sauter d’autres.
  18. Certains indices feraient croire que le manuscrit a été écrit sous la dictée. Nous signalons à ce point de vue la singulière faute cest pour sait, v. 3406 et l’emploi, tout aussi singulier, de l’infinitif pour le participe, travaillier pour travaillié, v. 3528, esploitier pour esploitié, v. 3517 ; des confusions du singulier et du pluriel à la 3e personne des verbes. Ces fautes s’expliquent plus facilement par des erreurs auditives que par des erreurs visuelles.
  19. Ces mesures sont celles du premier feuillet, qui paraît intact ; le second a été rogné en haut.
  20. On peut citer spécialement le v. 1187, (fuanz, faute commune au fragment et au manuscrit, pour flanz) ; le v. 1269 (es pour est, vo pour vos, fautes communes au fragment et au manuscrit) ; le v. 1275 (les mots et mi manquent dans le fragment et dans le manuscrit) ; le v. 1300 (le mot ja manque dans les fragments et dans le manuscrit). Le v. 1301 se lit dans le fragment et dans le manuscrit : Quant enfes issi fors de Coloinne a cel terme, ce qui donne une syllabe de trop. Au v. 3284, le second de manque à la fois dans le fragment et dans le manuscrit.
  21. La seule exception se rencontre au vers 3236, où le fragment porte, au lieu de grans qui se lit dans le manuscrit de Londres et qui doit être la bonne leçon, un assemblage de lettres dénuées de sens. Mais le copiste du manuscrit a pu restituer grans par conjecture : le scribe le plus négligent peut avoir par hasard une bonne inspiration.
  22. Un fait curieux qui mérite d’être noté à propos des fragments, c’est que le copiste ne paraît pas avoir compris la locution par som (ou son) l’aube (= au lever du jour), fréquente dans les chansons de geste : au v. 1230, on lit dans le fragment par sour l’aube. Cette expression est régulièrement estropiée dans le manuscrit de Londres, ce qui n’a rien d’étonnant, vu sa date ; il est plus singulier qu’elle ait embarrassé le copiste du fragment, qui écrivait dans le premier quart du xive siècle.
  23. Sur la graphie sanc, 1169 et 1281, pour sens, voir plus loin où nous traiterons de la langue du manuscrit de Londres.
  24. Dans notre fragment, c’est peut-être simplement une graphie particulière (aie pour ée) ; comp. vaiai = veai (lat. vetavi) 3234.
  25. Nous retrouverons plus loin une forme analogue dans le

    manuscrit de Londres, p. XXIII.

  26. Orson de Beauvais (Paris, 1899), p. VII-XVIII.
  27. La forme monstier pour moustier, 1201, 3516 se trouve déjà dans Jourdain de Blaie, édit. C. Hofmann.
  28. Il faut probablement expliquer par le passage d’a à ai, suivi de la simplification d’ai en e, les formes melletes (mellastes) 4002 et chaceste[s] (chaçastes) 4005 ; cf. haubergeres, faute pour haubergetes, 3259.
  29. Cette forme reproduit celle du fragment ; voir plus haut, p. XII.
  30. Cette forme est aussi dans Parise la Duchesse (v. 2333, édit. Guessard et Larchey), dont le manuscrit unique a une teinte orientale prononcée.
  31. Nous verrons que l’auteur employait parfois la forme avecque, mais, dans les cas cités ici, avecque (avecques) fausse le vers.
  32. Le scribe procède au hasard. Au v. 1146, où le fragment porte La Roiche, il écrit La Roche.
  33. Cette notation reproduit celle du fragment.
  34. Oit (lat. audit) se retrouve assez souvent ailleurs, par ex. dans Jourdain de Blaie.
  35. Ici le fragment porte plantai.
  36. On pourrait dire également que, au lieu de se vocaliser, l tombe
  37. Je n’ai pas trouvé d’exemple d’ui réduit à u, fait relevé dans Orson de Beauvais.
  38. Ces faits se retrouvent dans le manuscrit unique de Parisse la Duchesse ; voir la préface des éditeurs, p. XIV.
  39. Dans leur Introduction à l’édition de Raoul de Cambrai (p. LXXXVIII, note 2), P. Meyer et A. Longnon citent une charte de 1238, écrite dans la partie méridionale du département de l’Aisne, comme le plus ancien texte à eux connu où se rencontre ce fait.
  40. On peut comparer chastive (chative, chetive) dans Parise la Duchesse, p. 29.
  41. On trouve champs, pour chants, dans un manuscrit du xve siècle, cité dans le Bulletin de la Société des anciens textes français, III, 86.
  42. Crienz et redouz, v. 160 de Jourdain de Blaie ; doins, v. 1063 de la Chevalerie Ogier, etc.
  43. Nous verrons plus loin que l’auteur du poème employait les formes en -oiz concurremment avec celles en -ez : ce trait peut par conséquent remonter à l’original.
  44. Voir Lothringischer Psalter... herausgegeben von Friedrich Apfelstedt, Heilbronn, 1881, p. XVI et XIX de l’Introduction. — Aposer, pour esposer, doit être messin ; comp. aposelixe, pour esposalice, chez un chroniqueur de Metz, cité par Godefroy, v° aposelixe. — L’origine lorraine du manuscrit d’Orson de Beauvais, dont la langue, ainsi que nous l’avons constaté, présente tant d’analogies avec celle du manuscrit de Doon de La Roche, ne faisait aucun doute pour G. Paris (voir son Introduction, p. III et VII).
  45. Parmi les observations que M. Meyer avait consignées par écrit en vue de l’Introduction, se trouvaient des notes sur la langue du poème, ainsi qu’une table provisoire des assonances : le tout m’a été naturellement fort utile. M. Benary a donné, dans son mémoire cité (p. 331, note 2), de courtes remarques sur la langue, dont j’ai également profité.
  46. Voir Ad. Tobler, Le vers français, trad. K. Breul et L. Sudre, Paris, 1885, p. 70-71 ; P. Meyer dans son édition de l’Escoufle, Introd., p. lii, liii.
  47. Le texte imprimé porte : si plore et si sospire. Le second si devrait être entre crochets, vu qu’il manque dans le fragment et dans le manuscrit, mais cette adjonction est inutile. Même remarque pour le v. 3038.
  48. Le manuscrit porte : a Tomile et a Malingre, leçon corrigée à tort dans le texte en : a T. et M.
  49. Comp. Jourdain de Blaie, éd. Hofmann : 1008 cui male flammë arde ; 1701 ne m’en laissé issir.
  50. Comp. Vie de saint Alexis, v. 220, éd. G. Paris : Toz sui enfers, sim pais por soue amor.
  51. La rime besoin 3129 semble altérée. — V. 3457, on a aparmant, pour aparmain, aparmaint ; cette forme se trouve ailleurs. On pourrait, du reste, corriger en aparmaint, vu que dans les laisses féminines on trouve chataigne à côté de forsane, entendent, etc. (voir plus loin).
  52. Voir édit. Guessard et Larchey, p. 10 en bas, 24, 25, 20, (2 fois), 36 (2 fois siet), etc. — De même, dans la Prise de Cordres, Introd., p. CXXXI, l’éditeur, M. Densusianu, signale deux exemples de mots en dans les assonances en é.
  53. On la retrouve dans la seconde rédaction du Moniage Guillaume ; voir Les deux rédactions en vers du Moniage Guillaume, éd. W. Cloetta, t. II, p. 247.
  54. La présence de moi (v. 983) est si extraordinaire qu’elle paraît due à une faute du copiste ; il faut probablement corriger et lire : que soie bien o vos, au lieu de : que soiez bien o moi.
  55. Même emploi simultané des deux formes dans Orson de Beauvais ; voir l’Introduction de G. Paris, p. xxxv.
  56. Par exemple, dans la Prise de Cordres ; voir l’Introduction de l’éditeur, p. cxxxiii.
  57. M. Meyer avait note que fame (toujours écrit fâme dans les manuscrits) et dame sont réunis sous la même assonance dans d’autres poèmes, par exemple dans Aye d’Avignon, éd. Guessard et Meyer, p. 45, 53, 59, etc.
  58. Voir les observations de M. Densusianu dans son édition de cette chanson, Introduction, p. cxxix et cxxxv.
  59. On le trouve notamment dans le seul manuscrit connu du Tristan de Beroul (arire, pour ariere, escrive, pour escrieve, pice, pour piece, etc. ; voir l’Introduction de M. E. Muret dans sa 2e édition, Paris, 1913, p. xi) ; dans des manuscrits et des chartes d’origine normande (voir A. Långfors, dans son édition du Roman de Fauvel, par Gervais du Bus, Introd., p. lxvii). Pour la réduction d’ à i dans le dialecte liégeois, voir Gustave Cohen, Mystères et moralités du manuscrit 617 de Chantilly, Paris, 1920, in-4°, p. xxxix.
  60. Cette laisse CXV a manifestement embarrassé les anciens copistes, comme elle gêne un éditeur moderne ; nulle part le texte n’offre plus d’incertitudes que dans cette tirade.
  61. Ce mot, qui manque dans le manuscrit, a été suppléé par conjecture, mais c’est celui que le sens exige.
  62. Nous avons signalé plus haut des fautes contre la morphologie commises en vue de l’assonance ; il y a également des fautes contre la syntaxe : entrepris 235, pour entreprise ; froissiés 3092, (masculin), au lieu du féminin froissies ; envie 1479 (indicatif), pour envoit (subjonctif), qu’exige le sens de la phrase.
  63. Même emploi simultané des deux formes dans Orson de Beauvais ; voir l’édition de G. Paris, Introd., p. xxxv.
  64. On trouve des exemples plus nombreux de ces sortes de contractions dans Orson de Beauvais ; voir l’Introduction de G. Paris, p. xxxv, xxxvi. — On lit dust, pour deust, dans Jourdain de Blaie, éd. C. Hofmann, v. 683.
  65. Au vers 4174, on constate l’élision d’e posttonique devant hante (h d’origine germanique) : La ot tante hante frainte, mais c’est un fait habituel dans cette sorte de cliché ; voir Moniage Guillaume, 2e rédaction, 5409, et Florence de Rome, 2616. — Un fait analogue se rencontre aux vv. 3756 : Fil Griffon d’Autefeuille, 4179 : Fiert Griffon d’Autefeuille, et 4183 : Sur la gent d’Autefeuille, pour de Hautefeuille (on sait que l’h, dans l’adjectif haut, est d’origine germanique). Le manuscrit écrit Haulte Feulle au v. 4168, après la préposition à.
  66. Cf. O. Densusianu dans son édition de la Prise de Cordres, p. cxxxviii, note 4.
  67. Ed. Schwan et D. Behrens, Gramm. de l’anc. franç., trad. O. Bloch (Leipzig, 1913), § 42.
  68. Ouvr. cité, § 355.
  69. Ouvr. cité, § 333.
  70. L’original immédiat sur lequel travaillait l’auteur du poème conservé avait également placé une partie de l’action dans la vallée du Rhin ; il mentionnait Cologne (voir le chapitre suivant). Mais, à en juger par l’imitation espagnole, les noms empruntés à cette région étaient bien moins nombreux dans ce poème que dans la rédaction qui nous est parvenue.
  71. Il est vrai que cette église est mentionnée dans d’autres chansons de geste ; voir la Table de M. E. Langlois, au mot Saint-Pierre.
  72. Ci-dessus, p. iv.
  73. La richesse de Constantinople est encore mentionnée dans Florence de Rome, poème relativement récent (v. 120-121, éd. Wallensköld) : Qui tient Constantinoble mout a grant seignorie, C’onques ne fu citez de tresor si garnie.
  74. M. Benary (p. 318, note, de son mémoire) s’est efforcé de trouver un terminus a quo dans une prise de Laodicée (Lalice) par les Musulmans en 1188. Mais comme cette ville est fréquemment mentionnée dans les chansons de geste, un trouveur, voulant raconter une guerre entre Byzantins et Sarrasins, pouvait facilement tirer de son imagination une prise de Lalice par ces derniers, sans avoir présent à l’esprit un fait réel et contemporain.
  75. Le texte établi par M. Meyer allait jusqu’au v. 3365.
  76. Pour la graphie, comme pour le fond du texte, on ne s’est pourtant pas astreint à un respect superstitieux du travail de M. Meyer. Il est évident que, s’il avait pu terminer l’édition lui-même, il aurait changé bien des choses sur épreuve. — Au moment de sa mort, 3 feuilles seulement étaient composées.
  77. M. Meyer avait indiqué des émendations en marge de sa copie ; ces indications m’ont été fort utiles pour la partie du texte qu’il n’avait pas établie.
  78. Des analyses plus ou moins détaillées du poème (F), faites à d’autres points de vue que celle-ci, ont été données par Sachs, dans son travail cité, par Léon Gautier, Les Épopées françaises, 2e édit., II, 253-261, par W. Benary dans son mémoire cité, p. 313 et suiv. — Afin de décharger le chapitre suivant, on donne ici, en note, quelques indications sur les épisodes correspondants du roman espagnol en prose (E) et de la version norroise dans la Karlamagnus-Saga (N ; voir pour les détails bibliographiques le chapitre qui suit), et aussi quelques renvois à des épisodes analogues dans d’autres chansons de geste.
  79. Dans notre poème, ce terme a un sens fort étendu ; Cologne en fait partie, puisque Doon, après avoir reçu en fief la Lorraine, va s’établir dans cette ville.
  80. Dans F, le traître agit sans motif, ou du moins aucun motif n’est indiqué. Dans E, Tomillas (= Tomile) veut perdre Oliva (= Olive), afin de pouvoir plus tard marier sa fille Aldigon (= Audegour) au duc de La Roche, redevenu libre (fol. a. ij. v°). — Dans Nc, le traître, Milon, se venge de ce qu’Olif (= Olive) a repoussé ses propositions amoureuses.
  81. Pour ce trait du « piment », inintelligible ici, voir le chapitre suivant.
  82. Ce détail du coup de pied donné à Landri par son père se retrouve dans E (fol. a. viij. v°), mais plus tard, après la scène à l’église.
  83. Dans N, il y a réellement un duel judiciaire entre « Engelbert de Dynhart », qui prend la défense d’Oliva, et le traître Milon, qui l’accuse (analyse de G. Paris, p. 106-107). — Dans E (fol. a. vj. v°-vij. r°), il y a une ordalie par le feu, à laquelle Oliva se soumet et qui se termine à son honneur.
  84. Pépin est de même représenté comme vénal dans le Roman d’Aubery le Bourgoing, éd. Tarbé, Reims, 1849, p. 110 (comp. p. xiv) et dans des versions franco-italiennes et italiennes de Bovon de Hantone (voir G. Paris, Mélanges de littér. franç. du moyen âge, p. 110). Charlemagne se laisse corrompre dans Orson de Beauvais, éd. G. Paris, v. 340 et suiv., et dans Aye d’Avignon, éd. Guessard et P. Meyer, p. 99. — Dans E (fol. a. viij. r°), Tomillas donne de l’or au « duc de La Roche » (comme dans F, v. 565) ; quant à Pépin, pour le rendre favorable au mariage d’Aldigon (= Audegour) avec le duc, il lui promet que les terres de « Flandes » (= Flandres) et de « Florencia », qui avaient été données en dot à Oliva, feront retour au territoire royal, ce qui est une corruption déguisée.
  85. La protestation du jeune fils d’Olive contre le second mariage de son père se retrouve de même dans E (fol. a. viij, r°, en bas), mais cette protestation a lieu au palais, au moment où le repas de noces va commencer ; la scène à l’église manque. Cette scène se retrouve, au contraire, dans Parise la Duchesse, éd. Guessard et L. Larchey, p. 49 : le vieux Clarembaut y proteste contre le second mariage du duc Raimont qui a chassé sa première femme ; comme Landri, Clarembaut s’adresse directement à l’évêque (Parisse, v. 1631 ; comp. notre poème, v. 692-694).
  86. Ce thème de l’inimitié entre les jeunes Landri et Malingre se retrouve, avec d’autres circonstances, dans N (voir l’analyse de G. Paris, p. 109) ; il manque dans E. Dans ce dernier récit, Oliva, retirée dans un couvent et craignant les entreprises de Tomillas contre le jeune Enrrique (= Landri), fait répandre le bruit que celui-ci est mort, et l’envoie ensuite en Orient (E, fol. b. j.). Toute cette histoire semble une invention du rédacteur espagnol.
  87. Cet épisode manque complètement dans E ; dans N, il y a un attentat contre la vie de Landri, mais avec des circonstances entièrement différentes (analyse de G. Paris, p. 110, en bas). — Complot très semblable contre le jeune Milon dans Orson de Beauvais, éd. G. Paris, v. 640 et suiv. ; cependant la conjuration n’a pas lieu dans une église, semble-t-il, bien que les conjurés jurent sor sains, et c’est « uns gars de la cuisine » qui révèle le complot — M. Benary (p. 355 de son mémoire) en rapproche avec raison le complot de Pépin le Bossu contre la vie de Charlemagne, d’après le récit du Moine de Saint-Gall, II, 12, dans Monumenta Germaniae, Scriptores, II, 755.
  88. L’arbre « signe de vie » se retrouve (remarque de M. Benary, p. 386, note) dans Doon de Maience, v. 5395 (p. 163). Voir sur cette croyance en un lien entre la vie d’un homme et celle d’une plante : P. Sébillot, Folk-lore de France, III, 372 ; Mannhardt, Wald und Feldkulte, I, 45 et suiv. ; Frazer, The Golden Bough, III, 391 et suiv. (2e édit.) ; Hartland, Legend of Perseus, II, 28 et suiv. ; G. A. Wilken, Verspreide Geschriften (Semarang, 1912, III, 291 et suiv.
  89. Plus haut, v. 607 et suiv., où il est question de l’accord peu honorable conclu entre Tomile et Pépin et de l’or reçu par celui-ci, il n’est rien dit d’un serment du roi.
  90. Ce nom se trouve au v. 1436.
  91. Dans E (fol. b. vij. v°), Enrrique, apprenant que le « soldan » de Babylone va attaquer Constantinople, quitte Jérusalem, qu’il vient de conquérir sur les Sarrasins, pour aller au secours de la ville menacée ; il fait naufrage et réussit à gagner la terre avec deux compagnons seulement. Ils arrivent à Constantinople dénués de tout et affamés. Enrrique reste à l’entrée de la ville, au pied d’une tour, pendant que ses compagnons vont dans la ville pour chercher de la nourriture. En les attendant, il se plaint à haute voix et raconte son histoire. Mergelina, la fille de l’empereur, qui habite dans la tour, entend ses plaintes ; elle lui jette d’abord de l’or, puis donne ordre à un senescal de le faire monter. — Tout cela pourrait être de l’invention du rédacteur espagnol ; il y a pourtant une certaine analogie entre ce récit et ce qui est raconté dans Élie de Saint-Gilles, éd. G. Raynaud, v. 1401 et suiv. — Le nom du « soldan », Mirabel, se lit dans la Prise de Cordres et dans d’autres chansons de geste ; voir la Table de M. E. Langlois.
  92. Sur les mentions des Arméniens dans les chansons de geste, voir F. Macler, La France et l’Arménie à travers l’art et l’histoire, Paris, 1917, gr. in-4o, p. 12 et suiv. Il résulte de ces recherches que l’auteur de Doon de La Roche peut être classé parmi les « trouveurs », relativement instruits, qui savaient que les Arméniens étaient chrétiens ; d’autres les rangent avec les Açopars, les Bedoïns et autres ennemis de la Chrétienté.
  93. Cet épisode, où l’on voit les bourgeois d’une ville s’armer et se mettre en mouvement contre un chevalier qu’ils considèrent comme un ennemi, est une sorte de lieu commun qui se retrouve dans plusieurs chansons de geste (Ogier le Danois, Gaydon, etc.) et même dans le Conte du Graal de Chrétien de Troyes. Voir C. Voretzsch, Epische Studien, I, die Composition des Huon von Bordeaux, Halle a. S., 1900, I, 184 (comp. 182, note). La différence, c’est que, dans les épisodes signalés par M. Voretzsch, le chevalier qu’on attaque est un personnage sympathique, tandis que, dans F, Tomile et Malingre sont des traîtres et que tous les torts sont de leur côté.
  94. Le roi arrache quatre poils de son « pellisson » d’ermine [et les jette au visage de Doon] (v. 2261). Le même mode de défi se retrouve dans Raoul de Cambrai (v. 2316-2318, édit. Meyer et Longnon), et dans Girbert de Metz (voir la note des éditeurs de Raoul de Cambrai sur le passage cité, en tenant compte de ce qu’ils dirent dans l’Introduction, p. LXIII, note.)
  95. Dans E (fol. b. vj. verso en bas), Pépin enlève également au duc de La Roche ses terres, mais les circonstances diffèrent complètement.
  96. Comp. aux vv. 2131-2133 et aux v. 2455-2459 la Chevalerie Ogier, édit. Barrois, v. 1225 et suiv. : Uns chevaliers s’en est sevrés des nos, Qui d’un espial fu navrés ens el cors ; Le Toivre passe, son escu a son col, Ainc ne fina si est venus a l’ost. — Tot droit a l’ost s’en vint li messagiers, Le roi trova en son tref ou il siet, Puis s’escria tant com il puet huchier : « Rois, car chevalche ! etc. » Un épisode analogue se lit dans Élie de Saint Gilles, v. 182 et suiv., éd. G. Raynaud.
  97. Cet épisode peut paraître surprenant, car dans la suite du récit il n’est plus question de ces quatre « pers ». Il faut cependant remarquer que les vv. 2584-2585 préparent en quelque sorte le récit subséquent, où l’on voit Olive reconquérir sa terre.
  98. Dans E, l’empereur Manuel donne à Enrrique (= Landri) l’empire de Constantinople et la main de sa fille, Mergelina, immédiatement après sa défense victorieuse de la capitale contre Mirabel, soletan de Babilonia. Quelque temps après le mariage, Enrrique, une nuit qu’il reste éveillé (fol. c. vj. v°), se reproche à lui-même de n’avoir pas encore vengé sa mère, trahie par Tomillas. Mergelina, couchée à ses côtés, entend ses soupirs et l’interroge.
  99. Il doit y avoir ici une confusion de l’auteur ; voir la note sur le vers 2783.
  100. Confusion en sens contraire ; voir la même note.
  101. Orson de Beauvais, prisonnier, est délivré de même par son fils Milon (Orson de Beauvais, v. 1818 et suiv., éd. G. Paris). Bien que les circonstances différent beaucoup, certains détails sont cependant communs aux deux récits : Orson se lamente dans sa prison, v. 1751-1757 ; une fois délivré, il est si faible qu’il ne peut rester debout, v. 1804.
  102. Probablement, dans la pensée de l’auteur, du bétail.
  103. Ce nom de Sobrie ou Sorbrie est essentiellement propre à la chanson d’Élie de Saint-Gilles, où la ville est souvent mentionnée ; en dehors de ce poème, on n’en trouve qu’une ou deux mentions (voir la Table de M. E. Langlois). Cette ville « lointaine et fabuleuse » (G. Paris) est tout à fait à sa place dans Élie, comme centre des aventures également lointaines du héros, mais elle fait singulière figure dans F, au milieu des noms historiques de Liège, Cologne, Worms, Spire, Mayence, etc. L’emprunt à Élie de Saint-Gilles paraît certain.
  104. On ne dit pas où ils ont pris ces armes ; tout cet épisode est très confus.
  105. Notez qu’au v. 3559 ils étaient déjà armés.
  106. Nous n’avons pas trouvé ailleurs mention de ces portes d’ivoire (olifant) de Mayence, qui sont peut-être une invention de l’auteur. On peut noter qu’à la fin du xiie siècle, époque probable de la composition de F, Mayence était ville ouverte. Pour punir les bourgeois du meurtre de leur archevêque, Arnold de Seelhofen, Frédéric Barberousse avait fait démolir les murs de la ville en 1163 ; ils ne furent reconstruits qu’en l’an 1200 ; voir K.-A. Schaab, Die Geschichte der Bundes-Festung Mainz, Mainz, 1835, in-8o, p. 68.
  107. Dans E (fol. d. iij. v°), il y a un combat entre Malindre (= Malingre) et Enrrique (= Landri), qui le tue d’un coup de lance.
  108. Cet épisode, qui ne mène à rien, semble une réminiscence d’un récit qui nous a été conservé dans E (fol. d. iiij. v°-d. v. r°) le traître Tomillas, assiégé, non dans Mayence, mais dans Cologne, fait creuser un chemin souterrain, qui débouche au dehors au moment où il veut sortir de ce chemin secret, il est surpris par les gens d’Enrrique, qui campent justement à l’endroit où se trouve l’issue ; il est reconnu et fait prisonnier.
  109. Dans E (fol. d. vij. v°), Oliva fait tirer à quatre chevaux, sous ses yeux, le traître Tomillas. Il n’est rien dit du supplice d’Aldigon (= Audegour).
  110. Ce supplice de Malingre rappelle la légende des Énervés de Jumièges, eux aussi fils révoltés contre l’autorité paternelle.
  111. Dans E (fol. d. vj. v°), Enrrique, une fois que Tomillas est pris, a une entrevue avec Pépin et lui adresse des reproches amers sur sa conduite ; mais l’oncle et le neveu se réconcilient immédiatement après.
  112. M. Benary rapproche de cet épisode celui de Jean de Lanson, où Charlemagne est surpris et fait prisonnier à la chasse par le héros du poème (voir l’analyse de P. Paris dans Histoire littér. de la France, XXIII, 580).
  113. Voir, sur les éditions, Brunet, Manuel du libraire, II, 988 (5e éd.).
  114. Ueber die Verknüpfungen einiger französischen Epen, und die Stellen des Doon de Laroche, dans Romanische Forschungen, XXXI, 303-394.
  115. F. Wolf et G. Paris ont noté que cette indication est confirmée par l’emploi du mot stevardh emprunté à l’anglais steward.
  116. En effet, dans ce chant, comme dans la Karlamagnus-Saga, Olifa (= Olive) est la fille, non la sœur, de Pépin, et Charlemagne, son frère, est nommé dans le couplet 3 (« Karlamagnus Pippingsson »). Nous verrons plus loin qu’il y a de fortes raisons de croire que cette modification dans la généalogie d’Olive, ainsi que l’introduction du personnage de Charlemagne, est le fait, non du traducteur anglais, mais du compilateur de la Karlamagnus-Saga. — Notons que le chant islandais nous présente la même généalogie, à en juger d’après le titre, donné ainsi par Hammershaimb (p. 280 de son article) : Landres semur, sonar Hugions hertoga af Englandi, og Olifar, systur Karlamagnus keisara. S. Grundtvig, qui, dans son grand ouvrage intitulé : Danmarks gamle Folkviser (Copenhague, 1853), I, 199-201, s’est occupé de Doon de La Roche, croyait également que le chant était indépendant de la Karlamagnus-Saga ; ses arguments (traduits par Ferd. Wolf dans sa note déjà citée, Ueber die Olivasaga, p. 266) ne semblent pas non plus convaincants : ils reposent en somme sur des raisons de sentiment.
  117. C’est ainsi que l’épisode des vêtements donnés à Landri par son ancienne nourrice, et qui disparaissent par enchantement, est placé, dans la Karlamagnus-Saga, après la rencontre de la mère et du fils (analyse de G. Paris, p. 110) ; le chant (couplets 128-136) place cet épisode avant cette rencontre, certainement à tort, car il se trouva ainsi séparé des autres enchantements de la marâtre.
  118. Voir Gertrude Schoepperle, Tristan and Isolt, Frankfurt, 1913, I, 257. L’exemple le plus connu se lit dans le quatrième conte du Dolopathos (éd. Oesterley, p. 58 ; éd. Hilka, p. 64 ; trad. franç., éd. Brunet et Montaiglon, v. 7167 et suiv.).
  119. Ferd. Wolf, Ueber die neuesten Leistungen, p. 101, traduit arlote par « vagabond » (landstreicher).
  120. Sur les sources du rédacteur espagnol dans cette partie de son récit, on trouve quelques observations dans Ferd. Wolf, Ueber die neuesten Leistungen, p. 109.
  121. L’innocence d’Oliva est démontrée d’une façon ingénieuse et compliquée, qui doit être une invention de l’auteur espagnol (fol. d. v. v°), étant en rapport avec la forme spéciale qu’a revêtue dans E la machination de Tomillas contre Oliva.
  122. V. 2409-2411. Il faut admettre entre les vv. 2410 et 2411 un vers perdu, où il était question d’une histoire ou d’une chanson.
  123. G. Paris (Histoire poét. de Charlemagne, p. 414, note 3) attribuait ces changements au rédacteur de la Karlamagnus-Saga, qui aurait voulu rattacher cette branche, comme les autres, au nom de Charlemagne. Cette supposition nous paraît très vraisemblable. En effet, si Charlemagne avait figuré, comme frère d’Olive, dans le poème primitif, on ne voit pas comment ce nom célèbre aurait pu disparaître si complètement des versions E et F, où il n’est pas question de Charlemagne, mais uniquement de Pépin, moins connu cependant que son fils.
  124. M. Benary nomme (p. 316 de son mémoire), parmi les traits folkloriques de N, « un oiseau qui parle ». Mais l’oiseau qui parle ne figure que dans le chant populaire qui, ainsi que nous l’avons vu plus haut, n’a pas de valeur indépendante ; le récit de la Karlamagnus-Saga (p. 68, l. 17 du texte) ne connaît qu’un oiseau qui chante.
  125. Il se trouve dans la rédaction mongole des Vingt-cinq Contes du Vetâla : un pauvre diable vole à des dakinîs (personnages de la mythologie bouddhique) un marteau et un sac qui donnent de quoi manger et tout ce qu’on désire. Voir Mongolische Märchen-Sammlung... herausgegeben von B. Jülg, Insbruch, 1868, in-4o, p. 140-141.
  126. Voir l’analyse de P. Paris, dans Histoire littér. de la France, XXVI, 106.
  127. Voir Die Chanson « Enfances Guillaume », Teil II, Text mit Varianten, Apparat, Einleiting und Inhaltsanalyse... von August Becker (Greifswald, 1913, in-8o), p. 40 et suiv., v. 1874-1981. Comp. l’analyse de P. Paris dans Histoire littér. de la France, XXII, 475-477.
  128. Voir v. 945 de l’édit. donnée par Stimming du texte anglo-normand. D’autres exemples sont cités par l’éditeur, p. cxl de l’Introduction ; on pourrait allonger cette liste, citer, par exemple, le Moniage Guillaume, édit. Cloetta, 2e rédaction, v. 3206, 3244 ; dans F même, Audegour est précipitée dans une « chartre », où

    Coleuvres, boterel li manjoent les flans (v. 3985).

  129. En ce qui concerne le rôle de Siliven, nourrice et conseillère du jeune Landri, on peut, à défaut de rapprochements plus directs, rappeler le rôle que des femmes de toute condition jouent dans les chansons de geste : c’est ainsi que, dans Hervi de Metz, v. 1975 et suiv. de l’éd. Stengel, le jeune héros, renié et « forsjuré » par son père, est protégé par sa demi-sœur, une bâtarde, qui a épousé un bourgeois de Metz. Du reste, le rôle que joue Siliven prouve qu’elle n’est pas d’une condition réellement inférieure. D’après les idées du moyen âge, la nourrice d’un enfant de naissance élevée devait être elle-même de bonne naissance ; voir Roman des Sept Sages, éd. Keller, v. 185 et suiv. Le petit Arthur, élevé en secret, est confié à la femme d’un homme qui n’est pas riche, mais dont le fils est plus tard chevalier ; voir Merlin, éd. G. Paris et J. Ulrich, I, 122, 133. Le personnage de la nourrice était certainement dessiné avec plus de soin dans le roman primitif que dans le résumé qui nous est parvenu.
  130. Ce classement est loin d’être assuré pour le chant islandais, qui a pu être intermédiaire entre N et le chant des îles Fœroe.
  131. On n’y voyait pas le jeune Louis prendre les armes pour venger sa mère ; le larron Grimoard n’y figurait pas non plus,
  132. Romania, XXXII (1902), 12.
  133. Landri provient, comme on sait, du germanique Landric et est différent de Landfrid. Les efforts pour rattacher Landri à Childéric (au moyen de formes qui se trouvent dans un manuscrit franco-italien de Venise !) sont tout aussi vains. Les raisonnements du savant allemand sur Landri, Plandris et Flandris (p. 362-364) ne sont pas plus solides ; de plus, Jean des Prés, que cite M. Benary, est une autorité bien tardive et suspecte. Le mémoire de M. Benary contient d’utiles remarques de détail, mais toute cette démonstration historique est complètement manquée.
  134. Le rapprochement a déjà été indiqué par G. Paris, La littérature franç. du moyen âge, § 27 (5e édit., Paris, 1914, p. 50) et par M. Benary, p. 314, n. 1. — La forme du récit, telle qu’elle se trouvait dans le poème plus récent de la Reine Sebile (œuvre perdue, mais qu’on peut reconstituer pour le fond) est altéré, ainsi que l’a déjà vu M. Pio Rajna, Origini dell’ epopea francese (Firenze, 1884), p. 180-182.
  135. Macaire, édit. Mussafia, Altfranzösische Gedichte (Wien, 1864), II, p. 8 ; édit. Guessard (Paris, 1866), p. 28. La version du poème franco-italien est confirmée, pour l’essentiel, par le poème moyen-haut-allemand de Schondoch (xive siècle), la Reine de France, dans lequel le nain est un instrument absolument inconscient du traître, le « maréchal » (marschal, v. 55-102, dans Schondochs Gedichte, éd. H. Hertz, p. 82-86, Breslau, 1908, in-8o [Germanistische Abhandlungen, fascic. 30]) : le roi, averti, tue le nain. — Le nain est moins innocent dans le miracle dramatisé de la Vierge, Miracle de la Marquise de la Gaudine, dans Miracles de Nostre Dame, éd. G. Paris et U. Robert, II, p. 132-139, où l’action présente du reste de grandes analogies avec les deux récits précédents. — Plus altérés sont les épisodes analogues d’Octavian, éd. Vollmöller (Heilbronn, 1883, in-8o), v. 193-28 : (le « garçon », est tué par le mari), et de Florent et Octavien, chanson de geste du xive siècle (Bibl. Nat., ms. fr. 1452, fol. 5b-6b ; comp. l’analyse dans Hist. littér. de la France, XXVI, 304) ; ces deux œuvres reproduisent une chanson de geste perdue du xiie siècle, remplie de réminiscences. Même récit, italianisé, dans les Reali di Francia d’Andrea da Barberino, l. II, c. 42 (édit. Gamba, p. 181 ; édit. Vandelli, II, 2, p. 178-179).
  136. Les Mille et un Jours, édit. du « Panthéon littéraire », p. 266. Même récit, traduit d’après un recueil persan, Al Farag Ba’da Alsidda, par A. Wallensköld, dans son mémoire intitulé : Le Conte de la femme chaste convoitée par son beau-frère (dans Acta Societatis Scientiarum Fennicae, t. XXXIV, n° 1, p. 101). Le récit persan diffère par les détails du récit des Mille et un Jours et est, à bien des égards, absurde ; il est possible que Pétis de Lacroix et Le Sage, rédacteurs des Mille et un Jours, l’aient arrangé. Malgré les incertitudes qui planent encore sur la source (ou les sources) des Mille et un Jours, M. Wallensköld (p. 18 de son mémoire) croit cependant que, en ce qui concerne notre récit, les rédacteurs français ont puisé à une source différente du recueil persan.
  137. Dans F, aux v. 902 et suiv., Audegour, la seconde épouse de Doon, accuse celui-ci de continuer à entretenir des relations avec sa première femme répudiée : Ainz maintenez a tort dame Olive de France, Chascun jor i gisiez quant il vous atalente. M. Benary considère ce trait d’une sorte de bigamie comme primitif et archaïque (voir p. 365-366 de son mémoire). Mais il faut remarquer, d’abord, que, dans ce vers, ce n’est pas le poète qui parle en son propre nom : il fait parler Audegour en fureur, disant du mal d’une rivale. Ensuite, il faut rapprocher ce propos d’autres passages du poème, où Audegour accuse Olive de vivre en prostituée (v. 915 et suiv., 930-931, 945 et suiv.). De même, Tomile avait essayé de faire croire à Pépin qu’Olive s’abandonnait à tous les hommes qui la désiraient (v. 581 et suiv.). Le véritable sens de l’accusation d’Audegour aux v. 902 et suiv., est, par conséquent, que Doon est un des nombreux amants de sa première femme, devenue une vraie courtisane. Interprétés ainsi, à la lumière d’autres passages de la chanson, les vers qu’invoque M. Benary ne se rapportent plus à une véritable bigamie, et ils perdent le caractère que leur donnait l’explication du savant allemand.
  138. Nous nous bornerons à citer, pour l’antiquité grecque, l’histoire d’Antiope et de ses fils, Amphion et Zéthos, sujet d’une tragédie perdue d’Euripide, dont on possède un schéma détaillé et dont des fragments assez étendus ont été trouvés, il y a une trentaine d’années, en Égypte. A. D’Ancona, Sacre Rappresentazioni (Firenze, 1872), III, 319, a cité l’histoire de Tyrô et de ses fils, thème d’une tragédie perdue de Sophocle.
  139. Voir E. Cosquin, Contes populaires de Lorraine, I, n° 17 ; le recueil des frères Grimm, n° 96 ; J. Bolte et G. Polivka, Anmerkungen zu den Kinder- u. Hausmärchen der Brüder Grimm, II (Leipzig, 1913), 380-394 ; Revue d’ethnographie et de sociologie, année 1910, p. 210 et suiv., et année 1911, p. 189 et suiv.
  140. Voir Romania, XXXIV, 206 et suiv.
  141. Johannis de Alta Silva Dolopathos, éd. Hilka, p. 82, l. 26-30 ; traduction française de Herbert, Roman de Dolopathos, éd. Brunet et Montaiglon, v. 9508 et suiv.
  142. La Chanson du Chevalier au Cygne, éd. Hippeau, t. I, v. 277 et suiv. ; Le Chevalier au Cygne, éd. Reiffenberg, I, p. 34, v. 696 (la prison est très adoucie). Dans le résumé latin d’une version française perdue (ouvr. cité, I, p. 186) la mère est précipitée dans un puits profond et horrible. — Un récit analogue à celui du Chevalier au Cygne fait le fond du Miracle du Roi Thierry (voir Miracles de Nostre Dame, éd. G. Paris et U. Robert, VI, 257 et suiv.) et de la seconde partie du roman de Theseus de Cologne (on a remarqué depuis longtemps que ces deux œuvres doivent avoir une source commune) : on y retrouve la mère calomniée et la dure prison. — D’autre part, le supplice de l’enterrement à mi-corps de la femme innocente se retrouve dans la chanson de geste d’Orson de Beauvais (éd. G. Paris, v. 853 et suiv.), mais les circonstances diffèrent complètement.
  143. Dans la version primitive de la chanson, conservée par le Dolopathos, cette donnée s’est quelque peu obscurcie, par suite de la contamination du conte avec un autre, celui des frères transformés en oiseaux ; on peut cependant noter que la sœur des frères métamorphosés se met en rapport avec la mère maltraitée et que c’est elle qui, en attirant l’attention du père, amène le dénouement, la délivrance de la mère et la punition de la belle-mère coupable. Dans le groupe des versions plus récentes, que G. Paris appelait Béatrix (voir Romania, XIX, 1980, p. 323 et suiv.), ce n’est plus la fille, c’est un des fils qui joue le rôle principal. Ainsi que l’a remarqué G. Paris (article cité, p. 323, note 2), le thème de la mère réhabilitée par le fils se retrouve encore dans la première partie de Doon de Mayence. Enfin, on peut citer encore, comme un exemple de ce thème du fils vengeant sa mère, le poème plus récent sur « la Reine de France calomniée », la Reine Sebile (rôle du jeune Louis, fils de Sebile).
  144. Cependant nous avons vu que, dans un conte russe, la mère est emmurée, ce qui ne diffère pas beaucoup de la prison.
  145. Qu’on retrouve dans le Chevalier au Cygne, le Miracle du Roi Thierry et Theseus de Cologne.
  146. Ceci se rapporte à la seconde partie du poème ; quant à la première, les malheurs de la mère, il est difficile de s’en faire une idée nette, le rédacteur espagnol ayant beaucoup changé. Il est cependant probable que l’adoucissement des données primitives et barbares du récit, en ce qui concerne le traitement infligé à la mère calomniée, adoucissement nettement marqué dans F, était déjà indiqué dans O1. Un pareil adoucissement des données primitives se retrouve dans le poème sur la Naissance du Chevalier au Cygne, publié par Todd, quand on le compare au récit archétype, que nous a conservé le Dolopathos.
  147. Mélanges de littérat. française du moyen âge, p. 145-146. — G. Paris, qui a oublié de parler du rôle de Landri dans notre poème, ne parle pas non plus de Parise la Duchesse, où l’on trouve manifestement le même thème ; il est vrai que le jeune Huguet, dans Parise, s’il amène des troupes avec lui, ne doit pas ces troupes à son beau-père ou futur beau-père, mais cela ne fait pas grande différence.
  148. M. Benary remarque qu’il est déjà question de Constantinople dans des récits sur Childéric.
  149. Dans E, Enrrique (= Landri) est à ce moment le gendre et même le successeur de l’empereur ; dans F, Landri est le fiancé de la fille de l’empereur.
  150. Ceci résulte du passage de l’Ensenhamen de Guiraut de Cabrera, que nous citerons plus loin.
  151. R. Köhler et G. Paris en ont réuni de nombreux exemples ; voir R. Köhler, Kleine Schriften, II (Berlin, 1900), 263. — Il faut bien avouer que, si l’auteur de F a ainsi mis la main sur des situations émouvantes, il les a traitées d’une façon médiocre.
  152. L’épisode où le fils délivre le père emprisonné se retrouve, sous une forme bien meilleure, dans Orson de Beauvais, ainsi que l’a remarqué M. Benary (p. 333 de son mémoire), qui a noté également que le « maître » du jeune Milon dans Orson de Beauvais, Guinement, porte le même nom que le « maître » de Landri dans F.
  153. Voir G. Paris, Histoire poétique de Charlemagne, p. 398. Le fait que ce récit est « amorcé » dans l’Entrée d’Espagne (éd. Thomas, v. 643 et suiv.) confirme singulièrement l’hypothèse de G. Paris. Voir aussi Neophilologus, III (1917-1918), 245, 246. On peut encore songer à l’épisode de « Tristan fou » dans différentes versions de Tristan ; mais Tristan n’est pas le mari d’Iseut.
  154. Cet épisode est du reste très maladroitement amené, car on ne voit pas bien comment le roi, rentré en France au moment où il se querelle avec Landri (v. 1319 et suiv.), se trouve subitement près du Rhin (v. 4328 et suiv.), exposé à un coup de main des Saisnes, qui sont fixés de l’autre côté du fleuve et qui le traversent pour aller surprendre Pépin à la chasse.
  155. Les Légende épiques, I (1re édition), 280.
  156. E ne contient rien qui corresponde à tout ce récit de l’envoi des messagers et de leurs aventures ; mais il faut toujours se rappeler que l’auteur de E se permet de grandes libertés avec son original.
  157. Voir le tableau généalogique des versions, p. 328 du mémoire de M. Benary.
  158. On pourrait encore supposer que l’auteur du poème archétype avait présent à l’esprit, non le conte populaire lui-même, mais la forme primitive de la Naissance du Chevalier au Cygne, conservée dans le Dolopathos et dans laquelle, comme nous l’avons vu, ce conte est utilisé et modifié : la coïncidence curieuse que la sœur des frères métamorphosés en cygnes va visiter sa mère, enterrée à mi-corps dans la cour du château, de même que Landri, dans N, découvre sa mère dans la prison affreuse où elle a été enfermée, serait un argument l’appui de cette façon de voir. Mais la chanson primitive de la Naissance du Chevalier au Cygne était-elle antérieure au Doon de la Roche primitif ?
  159. On pourrait objecter à notre théorie que, F étant probablement antérieur à l’an 1204, et notre classement postulant deux poèmes français perdus, le poème primitif devrait vraisemblablement se placer avant 1150. Cela peut paraître une date bien ancienne pour une chanson qui ne contient aucune donnée historique. Mais on pourrait répondre en citant l’exemple de la chanson archétype d’Ami et Amile, qui ne contient pas non plus d’éléments historiques et qui n’en est pas moins fort ancienne, probablement antérieure à l’an 1100 (voir J. Bédier, Les Légendes épiques, II, 179.
  160. Romania, XIII (1884), 1-26.
  161. Nevelon est un nom d’homme. Si Fauchet a bien lu, il y a ici une véritable singularité.
  162. Notamment en ce qui concerne la mort de Justamont, tué par Gautier, fils de Bertran et d’Olive. Une tradition constante fait tuer Justamont par Pépin le Bref (voir G. Paris, Mélanges de littérature française du moyen âge, p. 201-203, 214).
  163. Qu’on mette, par exemple, le traître Tomile à côté de Lambert d’Oridon, dans Auberi le Bourgoin, la comparaison ne sera pas à l’avantage de notre auteur.
  164. Notamment la scène entre Olive et Audegour prisonnière (v. 3024 et suiv.), celle du supplice de Tomile (v. 4025 et suiv.).
  165. Voir notamment, à la fin du poème, les adieux d’Olive et de Salmadrine (v. 4472 et suiv.).
  166. Édition de Bartsch, Denkmäler der provenzalischen Litteratur (Stuttgart, 1856, in-8o), p. 91. Le texte de Bartsch porte Olitia, mais la leçon du manuscrit d’Este est bien Oliva ; voir A. Mussafia, dans les Sitzungsberichte de l’Académie de Vienne, classe philos. histor., t. LV (1867), I, 425. Déjà Ferdinand Wolf avait conjecturé qu’Oliva était la vraie leçon et que l’allusion se rapportait à Doon de La Roche ; voir Denskschriften de l’Académie de Vienne, classe philos. histor., VIII (1857), 268, note 2. L’activité poétique de Guiraut de Cabrera se place dans les vingt dernières années du xiie siècle (voir G. Paris, Mélanges de littérat. franç. du m. â., p. 221, n. 3).
  167. J. Guiffrey, Histoire de la Tapisserie (Tours, 1886, in-4o), p. 42.
  168. On peut remarquer que, dans Parise, la mère est exilée (p. 22 de l’édition Guessard et Larchey) ; Parise est par conséquent plus éloignée du thème primordial que N et même que F, où il reste des traces de l’emprisonnement primitif.
  169. Parise Duchesse, p. 11, 13, 23 ; comp. F, v.
  170. Remarquons encore que l’église Saint-Pierre de Cologne, mentionnée assez souvent dans F, l’est également dans Parise la Duchesse (v. 928, 935).
  171. Romania, XXXII (1903), 13.
  172. M. Lot ajoute en note : « Je m’aperçois que M. de la Lande de Calan a eu l’idée de ce rapprochement dans son livre bizarre, Les personnages de l’époque romane (Redon, 1901, in-8o), p. 172 ». — Les « Landri » sont très nombreux dans l’épopée française : la Table de M. E. Langlois en énumère vingt-six. Cette fréquence semble indiquer qu’un prototype, célèbre de bonne heure, a amené la popularité du nom.
  173. Ce personnage doit être bien plus ancien que la chanson de geste très récente dont il est le héros ; voir les observations de G. Paris, Histoire poétique de Charlemagne, p. 76 et 168.
  174. Voir l’étude de P. Meyer dans le t. XIII de la Romania, citée plus haut, p. xciii.
  175. M. Benary (p. 239, note, de son mémoire) a vainement essayé de l’identifier, nous n’avons pas été plus heureux.
  176. Article cité, p. 13, note 4.
  177. Ainsi que l’a déjà proposé M. Benary, p. 358 de son mémoire.
  178. A. de Leuze, Histoire de Laroche et de son comté (Arlon, 1880, in-8o), p. 6.
  179. Ce nom paraît emprunté à l’hagiographie : la liste alphabétique des saints dans L. de Mas-Latrie, Trésor de chronologie, mentionne cinq saintes du nom d’Olive. Ce nom se retrouve dans Élie de Saint-Gille et dans Yde et Olive, suite de Huon de Bordeaux (Voir E. Langlois, Table) ; ces deux poèmes l’ont probablement emprunté à Doon de La Roche.
  180. Dans les romances espagnoles qui se rattachent à la chanson d’Aiol, le traître s’appelle « Tomillas » (Voir G. Paris, Hist. poétique de Charlemagne, p. 212). Ce nom est probablement emprunté à la version espagnole en prose de Doon (E).
  181. Il en est de même de « Siliven », nom de la nourrice et conseillère de Landri dans N.
  182. Malingre est le nom d’un Sarrasin dans la Chanson d’Antioche, et celui d’un personnage de la lignée de Ganelon dans une variante de Gui de Bourgogne (voir E. Langlois, Table), « Malyngres » figure parmi les parents du traître Macaire dans l’ancienne traduction espagnole en prose de la Reine Sebile, p. 511, col. a en bas, de l’éd. Bonilla y San Martin, dans Libros de Caballerias, Ia parte, in-fol. Ciclo arturice, ciclo carolingico, Madrid, 1907, pet. in-fol. (Nuova Biblioteca de autores españoles, VI). — Au moyen âge, le nom de Malingre a été porté par des personnages réels (cf. Bulletin de la Société des Anciens Textes Français, III, 97). Aujourd’hui c’est un nom de famille ; le Bottin de Paris pour 1918 compte trois « Malingre ». Les rapports de ce nom avec l’adjectif malingre ne sont pas bien éclaircis.
  183. Voir Reinh. Köhler, Kleine Schriften, II, 393-399.
  184. Ibid., II, 398.