Don César d’Avalos
Poèmes dramatiquesBordeletTome 5 (p. 146-163).
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ACTE V.



Scène I.

D. FERNAND, D. CÉSAR, CARLIN.
D. Fernand.

J’ai pour les confronter envoyé chez Enrique ;
Mais mon fils, contre vous je crains qu’il ne s’explique,
Lui-même, en le voyant, l’a tantôt reconnu.
Pour épouser ma fille il sait qu’il est venu,
Et par trop de raisons prend part à mes affaires,
Pour vouloir appuyer des fourbes si grossieres.

D. César.

Je le sais, mais croyez que dès qu’il me verra,
Quoi qu’il ait pû vous dire, il le désavouera.
Les choses quelquefois se peuvent mal entendre.

D. Fernand.

Mais il a regardé, vû, contemplé mon gendre.

D. César.

Ses yeux dans ce moment l’auront mal éclairci ;
Ils l’ont trompé.

D. Fernand.

Ils l’ont trompé.Les miens me trompent donc aussi ?
J’ai pour ce Dom César, qui n’a pas l’air de plaire,
Reçu présentement des lettres de son pere,
Qui nous mande à tous deux que sur certaine mort
La partie est contente, & qu’on a fait l’accord.

D. César.

L’accord est fait ? Tant mieux. J’attens de Dom Alonse,
Sur des avis donnés, une prompte réponse,

Qui vous confirmera les choses que je dis.

D. Fernand.

Mais les vingt mille écus qu’il m’a par lui remis ?

D. César.

Pur hazard.

D. Fernand.

Pur hasard.Croyez-moi, l’on cherche à vous surprendre.
Comme nouveau venu vous avez la foi tendre.
Quelqu’un hait Dom César, & vous a contre lui…

D. César.

Non, je ne parle point sur le rapport d’autrui,
Je connois Dom César.

D. Fernand.

Je connois Dom César.La chose est difficile.
D’où ? Comment ? Et de quand ?

D. César.

D’où ? Comment ? Et de quand ?Je l’ai vû dans Séville.

D. Fernand.

Dans Séville ! Avez-vous été là de Cadix ?

D. César.

Suffit que je connois & le pere & le fils.
Dom Alonse, en partant, m’a chargé de vous dire,
Que de ce qu’il attend par le premier navire,
Puisque vous le voulez, il vous mettra d’un quart ;
Que pour l’autre à charger l’avis est venu tard.

D. Fernand.

Il vous l’a dit ?

D. César.

Il vous l’a dit ?Lui-même, & vous m’en pouvez croire.

D. Fernand.

Carlin, son mal se passe, il a bonne mémoire.

Carlin.

Il faut avec le temps espérer que ce mal…

D. Fernand.

Il se souvient de tout.

Carlin.

Il se souvient de tout.Monsieur, c’est l’air natal.

Hier encor, qui l’eût mis sur ce qu’il vous explique,
C’eût été de l’Hébreu pour lui, point de réplique ;
Les lieux nataux ouvrant les portes de l’esprit…

D. Fernand.

Carlin sait de grands mots.

D. César.

Carlin sait de grands mots.Et fort peu ce qu’il dit.

Carlin.

Si je dis mal, du moins je sai ce que je pense.
Tâchez à rattraper votre réminiscence,
Tout le reste ira bien.

D. Fernand.

Tout le reste ira bien.Et quand pourrons-nous voir
Cet autre Dom César ?

Carlin.

Cet autre Dom César ?Peut-être dès ce soir ;
Nous sommes de Séville ici venus vous voir ensemble.

D. Fernand.

Je ne sais où j’en suis, car enfin il me semble
Qu’Enrique à m’abuser n’ayant point d’intérêt,
Devroit m’avoir conté la chose comme elle est.
Pourquoi d’un Imposteur appuyer l’entreprise ?

D. César.

Quand vous lui parlerez, vous saurez la surprise.
Je crains peu que d’un fourbe il veuille être l’appui.

D. Fernand.

J’entens quelqu’un qui monte, & peut-être est-ce lui.
Retirez-vous, mon fils ; je veux de cette affaire,
Lui parlant seul à seul, pénétrer le mystere.

D. César à Carlin.

Allons voir Isabelle, & l’amenons ici.

D. Fernand seul.

Que peut prétendre Enrique à me tromper ici ?
À croire un imposteur il m’a vû trop facile.
Tous ceux qui connoissoient la carte de Séville,
De mon gendre futur m’avoient dit trop de bien,
Pour le voir sans mérite, & ne soupçonner rien.
Son abord, ses discours remplis d’extravagance…



Scène II.

D. FERNAND, ENRIQUE.
D. Fernand.

Apprenez-moi de vous ce qu’il faut que je pense,
Enrique. Vous voyez qu’on cherche à me duper,
Qu’on me joue ; & vous-même aidez à me tromper.

Enrique.

J’aide à vous tromper ? Moi ?

D. Fernand.

J’aide à vous tromper ? Moi ?Vous avez vû mon gendre ?

Enrique.

Oui, tantôt un moment.

D. Fernand.

Oui, tantôt un moment.Comme on se peut méprendre,
En avez-vous assez examiné les traits ?

Enrique.

Rien ne m’est plus connu.

D. Fernand.

Rien ne m’est plus connu.C’est Dom César ?

Enrique.

Rien ne m’est plus connu.C’est Dom César ?Oui.

D. Fernand.

Rien ne m’est plus connu.C’est Dom César ?Oui.Mais
En êtes-vous bien sûr ?

Enrique.

En êtes-vous bien sûr ?Autant que de moi-même.

D. Fernand.

Dom César d’Avalos ?

Enrique.

D. César d’Avalos ?Ma surprise est extrême.
Pourquoi ces questions ?

D. Fernand.

Pourquoi ces questions ?Pourquoi ? Si je vous dis
Que c’est un imposteur, en croirez-vous mon fils ?
Il connoît Dom César.

Enrique.

Il connoît Dom César.Quoi, votre fils peut dire…

D. Fernand.

Qu’à mon bien, sous ce nom, un imposteur aspire,
Qu’il n’est point Dom César.

Enrique.

Qu’il n’est point Dom César.C’est qu’il le connoît mal.

D. Fernand.

Il prétend le savoir pourtant d’original.

Enrique.

J’appuyerois contre vous un lâche stratagême !
Je l’ai vû, croyez-moi, c’est Dom César lui-même

D. Fernand.

Voyez-le de nouveau, pour n’en pouvoir douter.



Scène III.

D. FERNAND, ENRIQUE, BÉATRIX.
Béatrix à D. Fernand.

Cette lettre est pour vous, on vient de l’apporter.

D. Fernand.

Fais venir Dom César.
[Béatrix rentre.]

Enrique.

Fais venir Dom César.Qu’il vienne.

D. Fernand.

Fais venir Dom César.Qu’il vienne.Autre aventure.
La lettre est de Cadix, je connois l’écriture,
C’est Gomes qui m’écrit. Me pardonnerez-vous…

Enrique.

Lisez, les complimens sont bannis d’entre nous.

D. Fernand lit.

Je ne me suis point hâté de vous écrire les funestes nouvelles que Sganarelle vous a portées. Je ne doute point que vous n’en ayez été fort surpris. La mort de D. Lope m’a tellement touché, que j’ai peine encore à m’en remettre. Il n’est rien qu’on n’ait fait pour le sauver. Les remèdes se sont trouvés sans force, & tout l’art des médecins n’a pû empêcher qu’il n’ait été emporté en cinq jours d’une fiévre continue. Sganarelle vous dira les soins que j’ai pris à lui faire rendre les derniers honneurs.

Enrique.

L’avis est surprenant. Qu’est-ce qu’il vous en semble ?
Votre fils est-il mort, & vivant tout ensemble ?
Les termes sont précis.

D. Fernand.

Les termes sont précis.Vous m’y voyez rêver.

Enrique.

Je craindrois…

D. Fernand.

Je craindrois…Permettez que je puisse achever.

En arrivant chez moi il y a fait décharger douze caisses bien conditionnées dont vous pouvez disposer. J’exécuterai ponctuellement vos ordres, & prens part à votre douleur autant qu’on le peut faire.

Votre très humble serviteur, GOMEZ.
Enrique.

Les Caisses chez Gomez par Dom Lope laissées,
Doivent causer un peu de trouble à vos pensées.
Le fait est positif.

D. Fernand.

Le fait est positif.C’est de quoi m’occuper.

Enrique.

Mais celui qui prétend que j’ose vous tromper,
Qu’appuyant un faux nom j’ai part au stratagême,
Dites, seroit-il point quelque imposteur lui-même,

Qui chez vous introduit en qualité de fils,
Sous des traits ressemblans vous auroit tous surpris ?

D. Fernand.

La lettre de Gomez sans doute m’embarrasse.
Je trouve du mystere en tout ce qui se passe ;
Et le retour d’un fils, dont on m’écrit la mort,
Causeroit quelque trouble à l’esprit le plus fort.
Mais, pour tout éclaircir, commençons par mon gendre.
Voyez, qu’en dites-vous ? M’a-t-on voulu surprendre ?



Scène IV.

D. FERNAND, D. PASCAL, ENRIQUE.
D. Fernand à D. Pascal.

Plus de froideur, Enrique est prêt d’y renoncer.

D. Pascal.

Encor Enrique ?

D. Fernand.

Encor Enrique ?Allons, il faut nous embrasser.

D. Pascal.

Vous avois-je pas dit, impatient beau pere,
Qu’une si prompte paix n’étoit pas nécessaire ?
Il va faire le fier de se voir recherché,
Cependant c’est lui seul qui gagne en ce marché.
En fera-t-il un pas ?

D. Fernand à Enrique.

En fera-t-il un pas ?Voyez-le bien, de grace,
Observez tous ses traits.

D. Pascal.

Observez tous ses traits.Si l’accord l’embarrasse,
Je l’en quitte, & suis prêt à ne parler de rien.

Enrique.

Tout cela se dit-il par forme d’entretien ?

D. Fernand.

Daignez le regarder.

D. Pascal.

Daignez le regarder.S’il ne l’a pas en tête,
Vous l’en pressez en vain, c’est une fiere bête.
Voyez comme en silence il tient son quant-à-moi,
Dieu me damne, il se moque & de vous & de moi,
Beau pere.

D. Fernand à Enrique.

Beau pere.Vous rêvez ?

Enrique.

Beau-pere.Vous rêvez ?Je n’ai rien à vous dire.
C’est un jeu qui vous plaît ; d’accord, songeons à rire.

D. Fernand.

Vous croyez que je ris ?

Enrique.

Vous croyez que je ris ?Oui sans doute.

D. Pascal.

Vous croyez que je ris ?Oui sans doute.Voilà
Comme il est sans rancune ? Allons donc, touchez là.

D. Fernand.

Cette froideur, Enrique, a droit de me surprendre,
Quand mon gendre pour vous…

Enrique.

Quand mon gendre pour vous…C’est donc là votre gendre ?

D. Pascal.

Votre gendre ? Oui, son gendre, & des mieux engendrés.

D. Fernand.

Et bien qu’est-ce ?

Enrique.

Et bien qu’est-ce ?Usez-en tout comme vous voudrez,
Je ne dis mot. Un pere est maître en sa famille,
Et peut, comme il lui plaît, disposer de sa fille ;
Mais si vous prétendez…

D. Pascal.

Mais si vous prétendez…Beau-pere, je suis las
D’entendre un harangueur à qui je ne plais pas.
Je suis venu ici par l’ordre de mon pere,
S’il faut rompre, rompons, volontiers.

D. Fernand.

S’il faut rompre, rompons, volontiers.Sans colere.
Mon gendre.

D. Pascal.

Mon gendre.Est-ce qu’ailleurs je pourrois trouver pis ?
Allez, si ce n’étoit Dom Lope votre fils,
Qui m’aime, qui sait vivre & me demande grace,
Quand sa sotte de sœur me parle avec audace,
J’aurais déjà dix fois… Je m’en vais le chercher,
Lui conter mes raisons ; & si, sans le fâcher
Je puis vous planter là, vous & sœur Isabelle,
Tenez-vous tout planté.



Scène V.

D. FERNAND, ENRIQUE.
Enrique.

Tenez-vous tout planté.La franchise est nouvelle.
Quel est ce digne gendre, & par quel changement
Manquez-vous de parole à Dom César ?

D. Fernand.

Manquez-vous de parole à Dom César.Comment ?
Je manque à Dom César ? C’est lui qui sort.

Enrique.

Je manque à Dom César ? C’est lui qui sort.De grace,
Entendons-nous. Celui qui nous quitte la place,
C’est Dom César ?

D. Fernand.

C’est Dom César ?Lui-même.

Enrique.

C’est Dom César ?Lui-même.Ah, si c’est lui, j’ai tort.
D’avoir dit qu’il étoit d’un esprit doux, accort.

D. Fernand.

Vous riez ?

Enrique.

Vous riez ?Dom César ! Un fou le pourroit être ?

D. Fernand.

Vous-même ici tantôt l’avez su reconnaître.

Enrique.

Quand avec vous ici j’ai tantôt discouru,
Je l’avoue, à mes yeux Dom César a paru ;
Mais…

D. Fernand.

Mais…Vous le revoyez, que voulez-vous me dire ?
C’étoit le même.

Enrique.

C’étoit le même.Quoi, ce fou qui se retire,
Est celui qui tantôt s’est montré ?

D. Fernand.

Est celui qui tantôt s’est montré !D’aujourd’hui
Il n’est entré céans aucun autre que lui.

Enrique.

Et c’est lui que j’ai vû ?

D. Fernand.

Et c’est lui que j’ai vû ?Lui, vous dis-je.

Enrique.

Et c’est lui que j’ai vu !Lui, vous dis-je.Sans doute
Vous avez vos desseins, pour moi, je n’y vois goutte.

D. Fernand.

Je vous comprens bien moins. Encor, si vous disiez
Qu’il ne vous paroît plus ce que vous le pensiez,
Qu’à Dom César, de loin, l’ayant trouvé semblable,
De près la différence à vos yeux est notable.
Mais, Enrique, nier que dans ce même lieu
Vous l’ayez vû tantôt…

Enrique.

Vous l’ayez vû tantôt…Oui, je le nie. Adieu.

Vous vous divertissez.

D. Fernand.

Vous vous divertissez.M’abandonner, Enrique ?

Enrique.

Que puis-je, quand pour vous mon zéle en vain s’explique ?



Scène VI.

D. FERNAND, ISABELLE, D. CÉSAR, BÉATRIX, ENRIQUE, CARLIN.
D. César à Isabelle.

C’est à moi de parler, soyez présente à tout ;
Les débats seront grands, si je n’en viens à bout.

D. Fernand.

Approchez, j’ai besoin de votre témoignage.

Enrique.

Hé bien, prétendez-vous contester davantage ?
Voici Dom César.

D. Fernand.

Voici Dom César.Lui ? C’est mon fils.

Enrique.

Voici Dom César.Lui ? C’est mon fils.Votre fils ?

D. Fernand.

Dom Lope qui revient de Goa.

Isabelle.

D. Lope qui revient de Goa.Béatrix.

Enrique.

Du retour de Goa j’ignore le mystere,
Mais pour lui, j’en suis sûr, Dom Alonse est son pere.

D. Fernand.

Vous en êtes sûr ?

Enrique.

Vous en êtes sûr ?Oui ; je ne m’abuse point.
C’est Dom César.

Isabelle bas à Béatrix.

C’est Dom César.Serois-je heureuse jusqu’au point
Qu’il ne fût pas… Je n’ose en former l’espérance.

Béatrix.

Écoutons.

D. César.

Écoutons.Il est temps de rompre le silence.
Oui, Monsieur, vous voyez Dom César.

D. Fernand.

Oui, Monsieur, vous voyez Dom César.Justes dieux !
Dom César ! Mais comment n’en pas croire mes yeux ?
Si j’ose être pour vous, j’entens qu’ils vous accusent ;
Ils me montrent Dom Lope.

D. César.

Ils me montrent Dom Lope.Et ces yeux vous abusent ;
Par des traits ressemblans, ce sont témoins surpris.

Isabelle.

Se pourroit-il… Ah, ciel !

D. Fernand.

Se pourroit-il… Ah, ciel !Vous n’êtes point mon fils ?

D. César.

Non.

Enrique.

Non.Gomez de sa mort vous écrit la nouvelle.

D. Fernand.

Mais vous avez tantôt reconnu Sganarelle ?

D. César.

Je l’ai fait pour jouir quelque temps d’un faux nom !
Et quant au vol…

Carlin.

Et quant au vol…Monsieur, il est de ma façon.
Béatrix m’a nommé Sganarelle, & pour rire
J’ai feint…

Béatrix.

J’ai feint…Mais cependant le malheureux soupire ;
On l’entend au caveau qui pousse les hauts cris.

D. César.

On l’en retirera.

D. Fernand.

On l’en retirera.Je n’ai donc plus de fils ?
Quand je croi le revoir, Dom Lope cesse d’être.

D. César.

Oubliez-vous qu’en moi vous le voyez paroître ?

D. Fernand.

C’est un soulagement à ma douleur bien doux ;
Mais ce Fourbe, à ma fille arrivé pour époux,
Qui se dit Dom César, quel est-il ?

D. César.

Qui se dit Dom César, quel est-il.Pour l’apprendre,
On m’a dit qu’il me cherche ; il faut ici l’attendre.
Soyons amis, Enrique, à l’heur où je me voi
Il manque…

Enrique.

Il manque…Dom Fernand vous répondra de moi.

D. Fernand.

Plus je veux de ses traits trouver la différence,
Plus avecque mon fils j’y vois de ressemblance.

D. César.

Si vous doutez encor, je puis justifier…

D. Fernand.

Non, tout s’explique trop pour ne s’y pas fier ;
Et j’ai, sans doute, au ciel bien des graces à rendre,
Qu’ayant à perdre un fils, quand je fais choix d’un gendre,
Par un enchaînement de bonheurs inouis,
Dans ce gendre choisi je retrouve ce fils.

Enrique.

Oubliez cette perte, & d’une ame contente
Donnez ordre à l’hymen qui charme son attente.

D. César à Isabelle.

Hé bien, pour vous, Madame, est-ce quelque douceur
De voir que vous cessiez si-tôt d’être ma sœur ;
Et suis-je à condamner de vous avoir gênée,
Quand j’ai de Dom César appuyé l’hyménée ?

Isabelle.

Si l’amour a sur vous un pouvoir absolu,
Ce que j’en ai souffert ne vous a pas déplû.

D. Fernand.

Notre fourbe paroît, il faut…

D. César.

Notre fourbe paroît, il faut…Laissez-moi faire.



Scène VII.

D. FERNAND, D. CÉSAR, D. PASCAL, ENRIQUE, ISABELLE, BÉATRIX, CARLIN.
D. Pascal.

Soyez le bien trouvé, je vous cherchois, beau-frere.
En deux mots comme en cent, je suis fort dégoûté
Des sots raisonnemens de votre parenté.
L’un fait l’homme important, l’autre la délicate ;
Et ce vilain monsieur, encor de fraîche date,
À ce qu’il m’a paru, semble n’approuver pas
Que…

D. César.

Que…Je viens d’appaiser tous ces petits débats ;
Comme une longue absence efface tout, Enrique
A d’abord mal connu Dom César.

D. Pascal.

A d’abord mal connu Dom César.Qu’il s’explique,

J’ai l’honneur placé haut. Veut-il douter de moi ?
Que je sois Dom César ?

Enrique.

Que je sois Dom César ?Non, c’est lui que je voi.

D. Pascal.

Si c’est lui ?

Enrique.

Si c’est lui ?Je me rens.

D. Pascal.

Si c’est lui ?Je me rens.La méprise étoit bonne.
Douter de Dom César ! Je le suis en personne,
Entre les Avalos César très-signalé.

Carlin à part.

Ah ! Fourbe de César, vous serez régalé.

D. Fernand.

Vous lui pouvez nommer vos parens de Séville,
Il connoît tout.

D. Pascal.

Il connoît tout.Cela seroit fort inutile.
Tant mieux s’il les connoît, laissons-les en repos.

D. Fernand.

Mais…

D. Pascal.

Mais…Il n’est question ici que de trois mots.
Peut-on conclure, ou non ?

D. Fernand.

Peut-on conclure, ou non ?Oui, sans plus de remise.
Ma fille, à Dom César votre main est promise,
Donnez-la j’y consens.

D. Pascal.

Donnez-la j’y consens.Mais sans en rechigner,
Autrement, marché nul.

Isabelle.

Autrement, marché nul.Non, j’y crois trop gagner,
Pour ne pas obéir avec toute la joie…

D. Pascal.

Ah ! Vous entrez en goût à la fin. Si j’emploie
Tout mon talent de plaire, il faudra que bientôt…
Mais d’où vient que…

[D. César reçoit la main d’Isabelle.]
D. César.

Mais d’où vient que…Sa main m’est donnée en dépôt,
Tant que j’aie avec vous éclairci le mystere
D’une étroite amitié que vous me voulez taire ;
On vient de m’assurer que Dom Pascal Giron
N’étoit qu’un avec vous.

D. Pascal.

N’étoit qu’un avec vous.Vous savez bien que non.

D. César.

C’est un fourbe achevé, qui, quoi qu’il se déguise…

Carlin.

Ah, Dom Pascal Giron, vous rendrez la valise.

D. Pascal.

[bas.][haut.]
La valise ! À propos, j’oubliois un portrait
Que pour vous de mon pere un fameux peintre a fait,
Il faut vous le donner, qu’on apporte ma male.
Guzman, holà, Guzman. [D. Pascal s’enfuit.]

Béatrix.

Guzman, holà, Guzman.Monsieur, comme il détale !

D. Fernand.

Et vîte, Béatrix, nous sommes affrontés.

Carlin.

J’ai bon piéd. S’il m’échappe…

D. Fernand.

J’ai bon pied. S’il m’échappe…Aux voleurs, arrêtez.
Coupez-lui le passage, empêchez qu’il ne sorte.

Béatrix.

Sans Carlin c’étoit fait, il eût gagné la porte ;
Il l’a pris au colet, & le raméne ici.

D. Fernand.

Ah, ah ! Mon cavalier, vous décampez ainsi ?

D. Pascal.

J’ai craint d’être importun, mais sans tant de paroles,
En quoi vous suis-je utile ?

D. Fernand.

En quoi vous suis-je utile ?Et mes cinq cent pistoles ?

D. Pascal.

Bon.

D. Fernand.

Bon.Parlons net.

D. Pascal.

Bon.Parlons net.Hé bien, çà, de bonne amitié.
Composons.

D. Fernand.

Composons.Composons ?

D. Pascal.

Composons.Composons ?J’en rendrai la moitié,
Sinon, dès à présent, je prens la négative.
Faites preuve.

D. Fernand.

Faites preuve.Comment ?

D. Pascal.

Faites preuve.Comment ?Il faut que chacun vive ;
Je perds encor assez à n’être point l’époux
De cette belle infante[à D. César.]
De cette belle infante ; & tout cela, par vous.
Je m’oppose à la fête à moins qu’on m’indemnise ;
Il y va trop du mien.

D. César.

Il y va trop du mien.Il parle avec franchise ;
Prenons ce qu’il rendra sans contestation.
[à D. Fernand.]
Pour le reste, Monsieur, je suis sa caution ;
Il faut lui donner lieu de partager ma joie.

D. Pascal.

Si l’on cherche un brave homme, en voici la monnoie.

D. Fernand à D. Pascal.

Je ne vous quitte point, allons compter.

Carlin.

Je ne vous quitte point, allons compter.Et moi ?

D. César.

Avec cinq cens écus Béatrix est à toi ;
Vois si tu lui plairas.

Carlin.

Vois si tu lui plairas.Cinq cens écus ! Ma chere.
Qu’est-ce ? Cinq cens écus.

Béatrix.

Qu’est-ce ? Cinq cens écus.C’est le moyen de plaire,
Prens-les.

Carlin.

Prens-les.Quand nous serons mariés, touche-là,
Nous irons, si tu veux, trafiquer à Goa.


FIN.