Documents diplomatiques français (1871-1914), série 1, tome 3/11

L’Alliance austro-prussienne toute pacifique n’est pas tournée contre la France.
Documents diplomatiques français (1871-1914), série 1, tome 3, Texte établi par Sébastien Charléty (Commission de publication des documents diplomatiques français), Imprimerie nationale (p. 11-13).

11.

M. de Moüy, Chargé d’affaires de France à Vienne à M. de Freycinet, Ministre des Affaires étrangères.

D. n° 14.
Vienne, le 31 janvier 1880.
(Reçu : Cabinet, 4 février ; Dir. pol., 6 février).

J’ai été reçu hier en dernière audience par le Ministre des Affaires étrangères. Notre entretien, auquel le baron de Haymerlé a donné un caractère particulièrement affectueux et confidentiel, a parcouru les différents objets de la politique de l’Autriche-Hongrie. Le Ministre m’a dit d’abord qu’il désirait insister sur le sens de l’entente austro-allemande et m’assurer encore qu’elle ne devait inquiéter la France à aucun degré[1] qu’elle n’avait eu en vue aucun arrangement qui nous fût contraire et que pour m’en donner une nouvelle preuve, il voulait me lire un télégramme adressé par le comte Andrassy au comte Beust au moment où le prince de Bismarck quittait Vienne[2]. Bien que ce document m’ait été représenté comme très secret par le baron Haymerlé, je ne doute pas que l’Ambassadeur d’Autriche-Hongrie à Paris ne l’ait fait connaître en son temps à M. Waddington, et il est même évident, pour moi, d’après la forme même du style, qu’il était destiné à être communiqué. Quoi qu’il en soit, cette pièce reproduit les considérations que le Cabinet de Vienne a fait valoir plusieurs fois auprès de nous sur les dispositions favorables avec lesquelles le Gouvernement Impérial envisage notre situation dans le concert européen et sur l’impossibilité de supposer qu’il ait cherché, en quoi que ce soit, à nous nuire en se rapprochant de l’Allemagne. Le comte Andrassy fait allusion, pour se défendre de toute pensée hostile à notre égard, aux sympathies qu’il n’a cessé de témoigner à la France pendant le Congrès de Berlin. En achevant cette lecture, le baron Haymerlé à développé le même thème avec une certaine complaisance en s’appliquant à représenter l’entente comme une œuvre essentiellement dirigée dans le sens de la paix générale.

[Réflexions personnelles de M. de Moüy sur l’alliance austro-prussienne.

Le baron de Haymerlé commence ensuite « une sorte de revue des diverses questions pendantes en Orient ». Il déclare que l’Autriche considère uniquement la Bosnie et l’Herzégovine « comme des positions défensives » ; elle n’a pas, à l’égard de la Serbie, d’autre préoccupation que d’assurer ses communications avec la Turquie et avec la mer. En ce qui concerne le Monténégro, elle désire seulement que la questions des limites soit réglée avant le printemp.]

Le Ministre en ce moment et à propos des agitations albanaises a fait allusion aux intentions que l’Italie pourrait avoir de ce côté et m’a exprimé, en insistant sur le caractère confidentiel de ces observations, les inquiétudes que les menées de l’Italia Irredenta causaient au Gouvernement Impérial. « On n’a pu voir ici sans surprise, a-t-il ajouté, que des Ministres du Roi fussent en aussi bons termes avec les chefs avoués d’une coterie révolutionnaire dont le but notoire est de s’emparer de territoires appartenant à un pays voisin. Nous ne doutons pas assurément que le Roi et son Gouvernement ne soient contraires à ces aspirations et nous sommes demeurés fort calmes en cette circonstance, mais enfin il y a là des symptômes qui gênent les relations des deux pays. Au surplus, les menées de ce parti, si peu nombreux qu’il soit, vous intéressent comme nous. » Je crois pouvoir conclure de ces considérations qu’il existe en ce moment un refroidissement assez sensible entre le Cabinet de Vienne et celui du Quirinal et que l’Autriche-Hongrie chercherait, si quelque nouvel incident venait à se produire, à éveiller de ce côté notre sollicitude.

[Question de la reconnaissance de la Roumanie. Le baron Haymerlé est toujours prêt à soutenir le tracé des frontières grecques proposé par M. Waddington. Il se plaint des menées panslavistes en Bulgarie.]

J’ai dit, en me retirant, au Ministre des Affaires étrangères, que de l’ensemble de notre conversation il paraissait résulter que sur aucune des questions dont il m’avait entretenu il n’y avait de divergence entre nos deux Gouvernements. Je me plaisais à constater, au moment où je quittais Vienne, les bonnes relations qui existent entre nous, les excellentes dispositions où se trouvait le Cabinet Impérial et auxquelles correspondaient exactement les nôtres.

[M. de Montmarin, premier secrétaire de l’ambassade, accrédité comme est chargé d’affaires.]

  1. Sur le voyage du Chancelier allemand à Vienne en 1879, voir t. II, 1re série, nos 466 et 467. —
  2. Voir t. II, 1re série, n° 468.