Doctrine de la vertu (trad. Barni)/Eléments métaphysiques/Partie 2/Chapitre 1/S1/$36-b

Éléments métaphysiques de la doctrine de la vertu (seconde partie de la Métaphysique des moeurs), suivis d'un Traité de pédagogie et de divers opuscules relatifs à la morale
Traduction par Jules Barni.
Auguste Durand (p. 137-138).

b. L’ingratitude à l’égard d’un bienfaiteur, qui, lorsqu’elle va jusqu’à la haine, est de l’ingratitude qualifiée, mais autrement n’est qu’un manque de reconnaissance[1], ce vice est, il est vrai, au jugement de chacun, extrêmement détestable ; mais l’homme a si mauvaise réputation sous ce rapport, qu’il ne paraît pas invraisemblable que l’on puisse se faire un ennemi de celui dont on est le bienfaiteur. L’origine[2] de ce vice est dans une fausse interprétation de ce devoir envers soi-même, qui consiste à se passer de la bienfaisance des autres et à ne point la provoquer, afin de ne pas contracter d’obligation envers eux, et à aimer mieux souffrir seul les incommodités de la vie, que d’en faire porter le poids aux autres et de devenir ainsi leur obligé : on craint de tomber par là au rang inférieur du protégé vis-à-vis de son protecteur, ce qui est contraire au vrai respect de soi-même (à la fierté que doit inspirer la dignité de l’humanité dans sa propre personne). Aussi nous montrons-nous volontiers reconnaissants envers ceux qui ont dû inévitablement nous prévenir par leurs bienfaits (envers nos ancêtres ou nos parents), tandis que nous sommes avares de reconnaissance à l’égard de nos contemporains, et que même, pour effacer ce rapport d’inégalité, nous leur témoignous tout le contraire. — Mais nous tombons alors dans un vice qui révolte l’humanité, non-seulement à cause du préjudice qu’un pareil exemple doit en général porter aux hommes en les détournant désormais de toute bienfaisance (car ils peuvent encore, guidés par un sentiment purement moral, attacher à leur bienfaisance une valeur intrinsèque d’autant plus grande qu’ils en sont moins récompensés), mais parce que l’amour des hommes est ici comme anéanti et que le défaut d’amour dégénère en haine de qui nous aime.

Notes du traducteur modifier

  1. Unerkenntlichkeit.
  2. Der Grund der Möglichkeit.

Notes de l’auteur modifier