Doctrine de la vertu (trad. Barni)/Eléments métaphysiques/Introduction/XII/a

Doctrine de la vertu
Traduction par Jules Barni.
Auguste Durand (p. 43-45).


a.


Du sentiment moral.


Ce sentiment est la capacité de recevoir du plaisir ou de la peine de la seule conscience de l’accord ou du désaccord de notre action avec la loi du devoir. — Toute détermination de la volonté va de la représentation d’une action possible, et à laquelle le sentiment du plaisir ou de la peine fait attacher un intérêt, à l’action elle-même ; mais l’état esthétique (l’affection du sens intime) est ou un sentiment pathologique, ou un sentiment moral. — Le premier précède la représentation de la loi ; le second n’en peut être que la conséquence.

Or ce ne peut être un devoir de posséder ou d’acquérir le sentiment moral, car la conscience de l’obligation suppose toujours ce sentiment : on ne saurait autrement avoir conscience de la contrainte qu’implique l’idée du devoir. Tout homme (en tant qu’être moral) le porte donc originairement en lui-même ; et la seule obligation qu’il puisse avoir à cet égard, c’est de le cultiver, et même de le fortifier par l’admiration qu’inspire son impénétrable origine. Or c’est ce qu’on ne manquera pas de faire, en le dégageant de tout attrait pathologique, pour le considérer dans toute sa pureté, tel que l’excite au plus haut degré la seule idée de la raison.

C’est improprement que l’on désigne ce sentiment sous le nom de sens moral ; car par le mot sens on entend ordinairement une faculté théorétique de perception, qui se rapporte à un objet, tandis que le sentiment moral (en tant que plaisir ou peine en général) est quelque chose de purement subjectif, qui ne donne aucune connaissance. — Il n’y a point d’homme dépourvu de tout sentiment moral ; car, si quelqu’un en était entièrement privé, il n’existerait pas moralement ; et si, pour appliquer à la morale le langage de la médecine, la force vitale qui est en elle n’avait plus la vertu d’exciter ce sentiment, alors l’humanité se résoudrait (comme par des lois chimiques) en pure animalité, et se confondrait sans retour avec la masse des autres êtres physiques. — Mais, quoique l’on se serve souvent de cette expression, nous n’avons pas plus pour le bien et le mal (moral) de sens particulier, que nous n’en avons pour la vérité ; nous avons la capacité d’être mus dans notre libre arbitre par la raison pure pratique[1], ou par la loi qu’elle prescrit, et c’est cela que nous appelons le sentiment moral.

Notes du traducteur modifier

  1. Empfänglichkeit der freien Willkühr für die Bewegung derselben durch praktische reine Vernunft.

Notes de l’auteur modifier