Dix-huitième arrondissement (Europe n°105)

Dix-huitième
arrondissement


JE suis né à Paris. Aussi loin que je remonte dans mon passé, je retrouve l’image de maisons charbonneuses, de monuments sévères ; et dans mes souvenirs s’étendent des rues froides, des boulevards bruyants mais sans vraie gaieté, des paysages de la zone cernés de murs et de palissades.

D’abord, nous habitâmes rue du Mont-Cenis. Du premier étage d’une maison lézardée et insalubre comme une vieille ferme, je voyais le chemin de fer de ceinture rouler dans une tranchée ; au-delà, les talus verdâtres des fortifications et de grands arbres. Chaque jour, l’après-midi, ma mère m’emmenait vers cette banlieue. Nous passions devant la gare Ornano, provinciale ; franchissions la porte de Clignancourt où j’avais peur des gabelous ; et la plaine de Saint-Denis s’ouvrait, que je ne quittais plus des yeux jusqu’au soir. Parfois, nous entrions dans une épicerie ; maman y achetait à bon prix un demi-litre de pétrole, un demi-litre d’huile, une livre de sel, qu’elle rapportait sans avoir à payer aucun droit d’octroi.

Nous déménageâmes. Nous allâmes habiter rue de Suez où ma mère, jusqu’alors sans ouvrage, tint une loge de concierge. Le logement se composait d’une pièce rectangulaire et sombre qu’encombraient deux lits, des chaises, une armoire à glace, une table, une cuisinière. Il m’était impossible d’y remuer sans causer quelque dégât et ma mère m’envoyait jouer dans la rue.

Je retrouvais mes camarades d’école. Nous jouions « à l’escargot », « à la marelle », et invitions à ces jeux des fillettes que nous bousculions et observions sournoisement. Puis nous baguenaudions à travers le quartier que bordaient les boulevards extérieurs. Nous regardions, sans comprendre bien leur manège, des filles en cheveux faire les cent pas dès la tombée du jour ; certaines nous souriaient, nous ne pouvions plus démarrer. Enfin nous poursuivions notre promenade et arrivions au pont Marcadet. Alentour, les maisons étaient plus noires, plus noirs aussi les hommes qui y entraient, des cheminots. Nous nous jetions au milieu des nuages de fumée que lançaient des locomotives, nous repartions en imitant les sifflements de la vapeur et en traînant des pieds. Les sirènes des usines retentissaient, les rues s’emplissaient d’hommes vêtus de bourgerons. Quelques-uns nous disaient d’une voix lasse : « Bonsoir les mômes ». Il y avait je ne sais quelle tristesse dans leurs yeux, quel abattement dans leur attitude, et dans leurs mains ouvertes des plaies noires. Leur défilé était aussi morne que celui d’une armée, le soir d’une défaite.

Nous nous remettions à courir, nous traversions la rue de la Chapelle où l’on rencontrait des voitures maraîchères, des troupeaux de bœufs ou de moutons, et arrivions presque à la Villette. On apercevait des usines, des entrepôts, et vers la rue d’Aubervilliers les lignes fumeuses du chemin de fer de l’Est ; il en venait le roulement des trains, comme une sourde chanson.

Enfin, il fallait regagner notre quartier. Nous musardions encore. Nous nous arrêtions devant les vitrines des mercières où, entre les garnitures de peignes, les rubans, les dentelles, se dressaient des bocaux de bonbons ; collions notre visage sur les vitres des cafés pour voir jouer au billard ; faisions halte devant une porte cochère, tirions de toutes nos forces la sonnette, et repartions au galop.

Les rues étaient sombres ; la lueur des réverbères tremblotait, rares étaient alors les enseignes lumineuses, et des appareils à gaz éclairaient les étalages. Boulevard Barbes, passait en soufflant le tramway Saint-Ouen-Bastille, de grandes et lourdes guimbardes à impériales dans lesquelles nous sautions lorsque nous avions des sous ; il nous semblait obéir aux appels que lançaient les locomotives sous le pont Marcadet et partir pour un long voyage, mais bientôt le receveur criait le nom de notre station et nous commandait de descendre.

Pour regagner la rue de Suez je suivais la rue de Panama où ma tante, également, était concierge. Je faisais une station dans la loge, près de mon oncle, cordonnier, gros homme dont la main calleuse écrasait ma main, dont la barbe dure me piquait la joue. Au retour de la fabrique, il ressemelait les chaussures de ses locataires et celles de mes cousins dont nos escapades usaient les souliers. Tonton s’occupait de politique, il était membre de la section socialiste du quartier de la Goutte-d’Or. Il discutait ferme avec ses amis ouvriers qui l’entouraient et énergiquement tapait son cuir. Je l’écoutais raconter des histoires que sa voix, ses gestes, rendaient séduisantes comme un conte. Tout à coup, il dénouait son tablier, se levait, et suivi de ses amis partait pour le café.

Je quittais tristement la loge de Tata pour retrouver celle de ma mère qui était aussi calme que notre existence. À chaque pas je buttais contre un meuble ; quand je levais les yeux je voyais un plafond jaunâtre, le papier déteint des murs. Alors je m’appuyais contre la porte. Le nez sur la vitre, je regardais rentrer du travail les locataires.

La rue appartenait à une société immobilière qui y avait construit de laides bâtisses dont les façades s’encrassaient. Chaque immeuble se composait de deux corps de bâtiments : l’un « sur rue », l’autre « sur cour ». Sur rue, vivaient des employés, des bureaucrates, des représentants de commerce ; sur cour, des ouvriers et des familles nombreuses. Cependant, lorsque les locataires passaient devant la loge, moi, je ne savais faire entre eux ces différences auxquelles ma mère se plaisait. Sur le mur barbouillé d’un ton chocolat, je voyais paraître un dos rond, s’approcher un visage terne ; et j’entendais demander : « Pas de lettre, aujourd’hui ? » II n’y en avait presque jamais, ou alors des cartes postales – que je lisais – au moment du jour de l’an et à l’époque des grandes vacances. Le locataire grognait ; en traînant des pieds il traversait le couloir et s’engageait dans l’escalier. J’écoutais, comptais les pas. Il montait pesamment, puis une porte claquait ; il était enfin chez lui, dans sa case, le logement de deux pièces avec « entrée, cuisine, les cabinets ».

Je restais à mon poste. Les locataires qui habitaient sur cour se suivaient et au passage tous me criaient bonsoir. Eux, je prenais plaisir à les voir défiler, des hommes en bourgeron comme je les avais rencontrés à la sortie des usines, des charpentiers au large pantalon de velours, des maçons aux vêtements tachés de plâtre, et d’autres : menuisiers, serruriers, cheminots, drôlement affublés, rasant les murs, disparaissant vite dans l’ombre. Quelquefois passaient des fillettes, mes petites amies, qui me souriaient ; des jeunes femmes, vendeuses, couturières, le teint avivé par le maquillage ; ou le père Bayer, fruitier, qui allait chercher des marchandises dans sa remise, au fond de la cour.

Les entrées devenaient plus rares, l’envie me prenait de jouer un moment dans le couloir. Un bec de gaz sans manchon l’éclairait, un bec papillon que les courants d’air battaient et dont la flamme crépitante était d’un rouge crasseux. Je m’élançais sur les dalles, glissais, sautais à pieds joints ; le fils des locataires du rez-de-chaussée m’entendait et entre-bâillait sa porte par laquelle une odeur de graillon s’échappait. Tout à coup, ma mère disait : « Va voir dans l’escalier si tous les becs sont bien allumés ! » Je montais les marches deux à deux, m’arrêtant à chaque palier, non pour me soucier de ma consigne, mais écouter aux portes. J’entendais crier, chantonner, remuer des casseroles. C’était ainsi jusqu’au sixième, tout le monde se mettait à table. Et à dix heures, quand on aurait éteint le gaz, le silence commencerait. Du sixième, je me laissais glisser sur la rampe ; il y avait des virages, des arrêts, des départs soudains. Parfois un locataire ouvrait sa porte et criait : « Gare la bûche ! » II me proposait d’entrer un instant, me donnait quelque gâterie que je mangeais en regardant avec un mélange de curiosité et d’envie des meubles plus beaux que ceux dont ma mère tirait pourtant vanité.

Mon père, lui aussi, était rentré du travail. Nous nous mettions à table, serrés entre la porte, le grand lit, la cuisinière. Je me tenais mal, ma tête balançait, mes paupières battaient. « Tu as encore vadrouillé » grognait mon père. À peine avais-je terminé que maman m’envoyait au lit, un petit lit de fer aux barreaux blanchâtres dans lequel je ne pouvais plus bien m’allonger.

Je m’endormais quand un coup de sonnette me faisait sursauter. Ma mère tirait le cordon et un homme entrait qui, d’une voix sourde, disait son nom. Vers minuit, en semaine, la maison entière dormait. Le sommeil de six étages, de 80 locataires peut-être, pesait sur moi.

Nous dormions la fenêtre fermée car dans la cour étaient alignées les boîtes à ordures dans lesquelles venaient grignoter les rats et ma mère, et moi-même, craignions qu’ils ne rentrassent chez nous. J’étouffais ; j’écoutais ronfler mon père. Enfin le sommeil, le silence…

Vers 5 heures du matin la vie reprenait. Un locataire demandait le cordon, un chiffonnier tirait les boîtes à ordures, le père Bayer remuait ses pots à lait. Alors ma mère se levait. Du ciel une lueur blême descendait, glissait dans le couloir où, à la file, passaient les locataires encore ensommeillés, pourchassés par des rêves qui allaient mourir dans la rue.

Je restais un moment au lit ; ma mère, qui était déjà en tenue de travail et prête à monter balayer l’escalier, me secouait, me débarbouillait, me donnait un bol de café. Je partais pour l’école en suivant la rue Myrrha. Les boutiques s’ouvraient ; un tombereau roulait, s’arrêtait, repartait, il en tombait des ordures et une poussière de cendres. Je ne me pressais pas, le spectacle de la rue me retenait toujours et je faisais des découvertes ; enfin j’arrivais place Saint-Mathieu.

Près d’une église moderne et je crois sans fidèles, un bâtiment de briques et de plancher, avec son préau humide, ses classes vieillottes, sa cour où quelques platanes végétaient. Mais l’école, je la « canais » souvent.

De nouveau je partais à l’aventure, construisais des barrages de sable dans les ruisseaux, tirais la natte des « quilles » qui se rendaient à la maternelle, grimpais derrière les nacres et injuriais les cochers lorsqu’ils me menaçaient de leur fouet. J’apprenais la géographie et l’histoire en lisant sur les panneaux émaillés des rues les noms des villes, ceux des grands hommes ; je musardais devant les vitrines dont les bariolages amusaient mes yeux ; je frôlais les passants, j’étais curieux de les mieux connaître tant leurs visages nus et leurs paroles m’intriguaient. J’étais un acteur futur d’un drame qui n’a pas cessé de se jouer…

Durant plusieurs années, sans faiblir, ma mère remplit ses fonctions de concierge. Le dimanche la trouvait prisonnière dans sa loge, attentive aux allées et venues des locataires, toujours craignant que des voleurs n’entrassent dans l’immeuble. Les après-midi d’été, mon père rejoignait Tonton et leurs amis dans un café, rue Polonceau, où l’on jouait aux cartes, où l’on préparait les élections. On n’y admettait pas les gosses et je restais avec ma mère.

Tard, lorsqu’elle avait fini son ouvrage, elle consentait à sortir de son trou. Elle s’asseyait sur une chaise devant la porte de l’immeuble, et, immobile, très lasse, prenait l’air tandis que sous ses yeux, sur le trottoir, je dessinais à la craie.

Elle saluait ses locataires qui rentraient. « Il a fait une belle journée d’été, disait-elle ». Eux, revenaient des Tuileries, des Champs-Élysées, du Bois de Boulogne, contrées lointaines où mon père seul, selon ses tournées, se rendait. Moi, je connaissais la verdure pelée du square Saint-Mathieu, du square de la Chapelle, et un dimanche où mon père tint la loge maman et moi allâmes au square Saint-Pierre. Les locataires racontaient à ma mère leur promenade et je voyais son visage s’éclairer. « Ah ! quand on peut, soupirait-elle. Moi, avec la loge, je quitte jamais le quartier ». Le crépuscule tombait, entre les maisons sombres s’étendait une étroite voie lumineuse vers laquelle maman levait les yeux. Elle disait : « II fait encore clair. Ce sont les plus beaux jours de l’année ». Elle se redressait, prenait sa chaise. « Mon petit, faut rentrer. » Le dimanche était fini, nous retrouvions la loge, comme une cage.

Et la semaine recommençait, avec ses devoirs, ses tâches qui étaient toujours plus dures pour maman. Cirer l’escalier « du devant », laver l’escalier « du fond », balayer la cour, astiquer les cuivres, s’occuper du courrier, des receveurs de la compagnie du gaz, enfin, tous les trois mois, toucher le terme. Quel souci alors ! Donner les quittances, recevoir l’argent, compter et recompter des billets ou des pièces d’or, les serrer dans l’armoire. Et puis un matin, l’argent sur sa poitrine, elle partait pour le siège de la société, rue Caulaincourt. C’était presque sa seule promenade et encore n’en profitait-elle pas car elle craignait toujours qu’on ne l’attaquât. Elle rentrait chez nous, délivrée, heureuse, retrouvait ses quatre murs, son petit train-train.

Vint pourtant un jour où elle ne put continuer son métier. Elle dépérissait. Elle faisait un travail « au-dessus de ses forces » déclara un médecin de la rue des Poissonniers qu’elle consentit enfin à aller voir.



Nous nous installâmes à Montmartre, aux Grandes-Carrières.

Fini, la loge de concierge ! Nous logions au cinquième étage, et, de nos fenêtres, découvrions un bel horizon. De longues années, ce fut ma campagne. C’est ainsi que j’appris également à connaître mon nouveau quartier. J’en voyais presque toutes les rues, étroites, sinueuses, comme des veines bleuâtres qui lui donnaient vie ; les maisons qui montraient leurs toits de zinc ou de tuiles, et leurs cheminées comme des mâts innombrables ; les usines et les fabriques dont les verrières étincelaient en été. À la limite de Paris s’étendait la zone avec ses baraques de chiffonniers sordides et rapiécées ; au-delà commençait Saint-Ouen et ses longues cheminées empanachées de flocons noirs, plus tristes que des nuages. Saint-Denis. Ensuite un horizon de collines au pied desquelles, vers Gennevilliers et Argenteuil, je croyais voir la Seine miroiter. C’était là ce « Bassin Parisien » dont on me parlait à l’école.

Mon école, je l’apercevais derrière une ligne de beaux marronniers, avec ses murs blancs percés de larges fenêtres, ses toits de zinc. Elle était située au carrefour de la rue Championnet et de la rue du Poteau. Lorsque je partais, maman disait : « Tu sais, de la fenêtre, je verrai si tu es sage. » Je l’étais. Je mangeais à la cantine, restais à la garderie jusqu’à six heures du soir, et libre enfin, retrouvais la rue.

Le jeudi, j’allais vadrouiller sur les fortifs. Je m’arrêtais devant un campement de romanichels. La porte de leur roulotte était ouverte, j’apercevais un intérieur étrange où des gosses se roulaient, où des femmes aux cheveux luisants glapissaient ; des hommes travaillaient et je ne me lassais jamais de les voir tordre adroitement des brindilles d’osier dont ils faisaient des tables, des paniers. À l’écart, un cheval efflanqué tondait l’herbe.

Avec ce spectacle, j’entrais dans un monde merveilleux et libre. Je partais en courant. Devant moi, un dédale de fossés, des bastions, des remparts, où, avec des camarades déguenillés, je roulais et bataillais. On lançait des cerfs-volants qu’on appelait « pipelans ». On s’étendait auprès d’hommes coiffés de casquettes et chaussés d’espadrilles qui, les jours d’été, restaient à se rôtir au soleil. Du haut des remparts, on apercevait la porte de Clignancourt où l’on construisait alors des casernes, et les baraques du Marché-aux-Puces qui ouvrait le samedi, le dimanche, le lundi. Le vent apportait une bonne odeur de friture, mais parfois aussi celle d’une charogne qui pourrissait dans l’herbe. Des tramways, assez rares, filaient en grinçant vers la banlieue ; un convoi mortuaire descendait le boulevard Ney pour gagner le cimetière de Saint-Ouen, le corbillard sautait sur les gros pavés de la chaussée, des hommes et des femmes le suivaient comme une troupe à la débandade.

Sur les fortifications déclassées, nous jouions à la petite guerre, au gendarme et au voleur, à la balle au chasseur, et souvent un individu sortait de sa poche un couteau à cran d’arrêt et nous faisait jouer à la carotte. Il s’agissait de planter la lame perpendiculairement dans le sol. Nous n’y réussissions guère, mais lui s’y montrait habile ainsi qu’à lancer comme une flèche son couteau dans une planche ; il nous racontait aussi d’étranges histoires, avec des mots que je comprenais mal et dont riait une fille en cheveux qui se suspendait à son cou.

J’avais des relations parmi les zoniers. Certains me recevaient dans leur cabane de planches et de carton bitumé, me laissaient parcourir les allées de leur jardin, marcher à ma guise entre les carrés de poireaux et les carrés de salades. Je contemplais des bordures de pensées, de reine-marguerites, que je n’avais vues que chez les fleuristes. Et à la fraîche, on me permettait d’arroser. La fontaine était loin, près de la poterne du Poteau ; sans me lasser, je faisais jusqu’à dix voyages. On me récompensait de mon effort en me donnant des groseilles acides.

Quelles journées ! Je rentrais à la maison, les joues rouges, des herbes plein les cheveux. Je gardais dans les yeux l’image d’un arbre fruitier et d’un jardin potager où le thym, le persil, le cerfeuil, étaient pour moi des plantes singulières, presque exotiques. Je sentais un grand vent pur, un vent marin fouetter encore mon visage. Les rues étaient moins étroites, moins hautes les maisons. Au-delà de cette enceinte de fer et de pierres, il y avait un ciel libre, des arbres en fleurs et des champs, de grands nuages et de vrais ouragans, la mer enfin pour laquelle je partirais « en train de plaisir ».

Mais je ne partais jamais et je me rabattais sur mon quartier. J’allais vers le sud : la Butte-Montmartre. Tantôt, pour y atteindre, je suivais la rue du Ruisseau, tantôt la rue du Mont-Cenis ou la rue des Saules. Je montais de longs escaliers au milieu desquels se dressait une rampe de fer ; je m’asseyais, me laissais glisser, et remontais les marches sans souffler.

La Butte n’était pas encore le siège d’une « Commune Libre » d’opérette ni un point d’attraction pour les touristes étrangers. Un coin besogneux, avec des allures provinciales toutefois, de petites places à peu près désertes, une église de village et son clocher trapu, un libre horizon lorsqu’on s’attardait au pied du Sacré-Cœur et de la statue du chevalier de la Barre, supplicié pour n’avoir pas salué une procession.

L’église du Sacré-Cœur n’était pas terminée. On pouvait baguenauder dans un vaste chantier, grimper sur des échafaudages d’où l’on découvrait mieux Paris. Un monde aussi inaccessible et lointain pour moi que l’était la mer. Avec les fumées montait une rumeur confuse, des appels qui me troublaient. Je voyais la Tour Eiffel, la Grande Roue, les Invalides, Notre-Dame, des quartiers qui n’étaient pas le mien, dont mes parents ne me parlaient guère ou tout au moins comme d’un monde bourgeois différent du nôtre et vers lequel, chaque matin, pour gagner sa vie, mon père descendait. Je devinais des frontières que je n’avais, à cette époque, nulle envie de franchir.

Tranquillement je tournais le dos à Paris, j’allais sur la place du Tertre ou la place Jean-Baptiste Clément et m’y installais derrière quelque peintre. Ils étaient alors peu nombreux et d’allure romantique ; beaucoup peignaient devant le Moulin de la Galette. L’un d’eux, un jour, tout en raclant sa palette, me fit un cours d’histoire : le siège de la Butte en 1815, puis en 1871 la Commune et ses fusillades ; il me parla aussi du village de Montmartre où tournaient trois moulins. L’inaction me pesait vite. Je partais, dévalais des pentes, glissais encore sur des rampes. Il y avait des terrains vagues, des buttes de glaise ou de sable, des carrières abandonnées, des fondrières, des dépôts d’immondices, des ruelles louches comme le passage Saint-Vincent, un monde libre, surprenant, chaotique. Vers la Place Constantin-Pecqueur, c’était même « le maquis » : des baraques, des tonnelles, des jardins sauvages où vivaient des ouvriers et des biffins.

Ainsi, ce Montmartre me séduisait. Les rues y étaient mal tracées, mal pavées ; mais dans les ruisseaux l’eau faisait entendre un frais glou-glou ; contre de vieux murs poussait l’herbe ; et par une porte que j’ouvrais sans vergogne, je voyais un jardin calme, avec ses allées bordées de buis, ses arceaux, ses groseillers sur lesquels se penchaient les branches fleuries des acacias. J’oubliais les hommes ; il me semblait que Pans aussi les oubliait, sur cette butte on était perdu dans le ciel.

Pourtant, il fallait bien en descendre. Je suivais une rue bordée de boutiques de planches où l’on vendait des cartes postales en couleurs et des bondieuseries, j’arrivais sur une place où j’hésitais. Quelquefois j’étais assez riche pour prendre le funiculaire qui descendait la butte comme un gros animal accroupi et prudent. Ou bien je pénétrais dans le square Saint-Pierre. Un escalier bordé d’une rampe rustique tournait en spirale, aboutissait enfin à une sorte de grotte où tous les gosses poussaient à plaisir des hurlements.

J’arrivais place des Abbesses et c’était encore un peu la province ; je prenais la rue Lepic qu’encombraient les voitures des marchandes des quatre-saisons, et débarquais place Blanche, inquiet, comme à la frontière d’un nouveau pays. Il y avait un moulin, mais c’était le Moulin-Rouge ; une place, mais les voitures s’y poursuivaient. Les hommes, et surtout les femmes que je rencontrais, avaient une autre allure que dans mon quartier. Tous étaient vêtus comme les figures des catalogues que la concierge me donnait les jours où elle était de bonne humeur. Avec ma casquette, mon tablier lustré, mes galoches qui claquaient sur le trottoir, je me sentais mal à l’aise et il me semblait que des agents m’observaient. Je rasais les murs. Mais je ne perdais rien du spectacle du boulevard. Il était large, bruyant, il recevait la vie de toutes parts comme un grand fleuve l’eau de ses affluents, il coulait vers la place de Clichy, où tournaient les omnibus, les fiacres, des automobiles fumantes. Je passais devant l’Hippodrome. Lors de l’exposition de 1900 j’y avais assisté, paraît-il, à des courses de char. Maintenant, on y faisait du cinématographe, et moi qui fréquentais le jeudi un boui-boui de la rue Ordener où je voyais de mauvais films, je souhaitais, un dimanche, entrer avec mes parents dans cette salle immense.

Puis je traversais le pont Caulaincourt. Je regardais, les tombes monumentales du cimetière du Nord ; toujours je m’arrêtais au-dessus d’un homme de bronze dont le corps nu était recouvert d’un voile. Plus tard, j’appris que cette tombe était celle du général Cavaignac, que cette statue, était, l’œuvre de Rude. L’immobilité, la dureté calme de cette figure, retenaient longtemps mes yeux, comme l’image de la mort qui à cette époque obsédait mes nuits. Je me tenais au parapet, sans entendre les rumeurs de la vie. Enfin, je me détachais de ce spectacle, je retrouvais une rue sans éclat, comme un fleuve qui me ramenait au cœur de mon quartier.

J’y redevenais heureux. Je connaissais les moindres ruelles, des passages gluants et sombres comme l’impasse de la Grosse-Bouteille ; j’avais partout des amis et des ennemis avec lesquels je jouais ou me battais.

J’arrivais au boulevard Béliard, là où le chemin de fer de ceinture sort d’un tunnel, j’attendais qu’un train parût, je le bombardais à coups de pierres et je m’enfuyais. Ce point était un lieu de rendez-vous, d’où avec un rouquin qui nous commandait tous, nous partions en bande pour la campagne. Nous courions derrière le tramway Trinité-Lac d’Enghien, réussissions à monter au cul d’une « baladeuse », descendions un peu avant la mairie de Samt-Ouen, prenions la rue des Rosiers qui conduisait à la Seine. Au bord du fleuve, dans une île où s’élevaient une guinguette et la baraque du père Mahut — où il y avait eu un crime, autrefois — nous péchions des poissons minuscules, des têtards, que, nous jetions dans une boîte de fer-blanc et ramenions triomphalement à Paris, le soir venu.

Tout près de chez moi, place Jules-Joffrin ; se dressait la mairie, grande bâtisse ouvragée compliquée comme ces édifices de saindoux que les charcutiers montent quelquefois dans leur vitrine. L’église Notre-Dame de Clignancourt lui faisait face, sèche et nue, avec son clocher qui se perdait dans un ciel fumeux, son jardin chétif que des grilles en fer de lance défendaient.

C’était là, vraiment, le cœur des quatre quartiers qui composaient L’arrondissement. On le sentait battre. Le samedi, se succédaient les mariages avec des landaus, de grandes voitures ouvertes et fleuries ; il en descendait des gens joyeux et endimanchés, une mariée toute blanche dans son voile et sa robe à traîne. D’autres jours – presque tous les jours – des corbillards, s’arrêtaient devant l’église dont l’entrée était tour à tour tendue de draperies ou nue comme la porte, d’un hospice ; des corbillards de pauvres, d’autres à panaches et à écussons argentés, stationnaient ; des couronnes et des bouquets fleurissaient les trottoirs ; des groupes noirs emplissaient la place et une vieille femme : allait de l’un à l’autre, courbée, sautillante. C’était « Poupoule », une clocharde qui vivait là, et, du matin au soir, dessinait à l’encre de chine des cartes postales qu’elle proposait au public des mariages comme à celui des enterrements.

La période des élections arrivait. Depuis plusieurs semaines de longues affiches multicolores barbouillaient les murs. Nous déchirions, en sortant de l’école, celles des candidats dont ne se réclamaient pas nos parents. Mon père allait voir Tonton presque tous les soirs à la permanence qui se tenait dans un café de la rue Letort. Il m’y emmena une fois et j’entendis prononcer les noms ; de Jaurès, Vaillant, Sembat ; au milieu d’un nuage de fumée on disputait à toutes les tables, et des coups de poing faisaient danser les soucoupes.

Le grand soir venait après des heures qui avaient mis sens dessus-dessous les quatre quartiers comme un jour de fête nationale. Place Jules-Joffrin je retrouvais Tonton, il gesticulait, entouré de ses amis. Mon père était de la partie et des centaines d’hommes qui lui ressemblaient, des femmes qui avaient le visage humble de ma mère. Tous piétinaient, disputaient encore, s’impatientaient. Des yeux ardents étaient fixés sur un panneau lumineux placé en haut de la mairie. Les visages étaient gais, pleins d’espérance. Enfin, des noms, des chiffres, s’inscrivaient sur le transparent, semblaient se détacher, tomber soudain comme des pierres sur la foule. Des cris, des jurons, des coups de sifflet retentissaient, et, plus rares, quelques applaudissements. Il y avait des bousculades, des remous, comme une vague de fond qui déferlait pour tout balayer mais perdait subitement sa force et se brisait contre des murs.

Tonton serrait les poings, murmurait des menaces, parlait de je ne sais quelles trahisons. La mairie était devenue un bâtiment officiel et sombre où nous n’entrerions pas encore cette fois-ci. Déçue, la foule s’écoulait lentement, des sergents de ville la dispersaient, la rejetaient vers ses quartiers où chacun retrouverait sa maison et la vie quotidienne. Je voyais s’assombrir encore des visages, aller sans force des hommes qui tendaient les bras une heure plus tôt. « La prochaine fois », disait Tonton, en levant le poing vers la mairie où pendait un drapeau sans couleur. Mais personne ne l’écoutait plus ; il était tard, on travaillait le lendemain.

« La prochaine fois… » Ce fut là, sur ces murs épais comme ceux d’une forteresse, qu’un jour d’été, en 1914, je vis s’étaler des affiches blanches qui annonçaient la Mobilisation Générale.


Avec la guerre, tout un monde fut englouti. Une dernière fois je me suis tourné vers lui, j’en ai remué les cendres. J’ai retrouvé quelques images du passé, qui se brouillent et s’effacent comme les photographies de mes grands-parents. Mais je ne me penche pas sur elles en pleurant, ni en rêvant. Je ne peux faire taire ma tendresse pour un pays presque disparu. À distance, la vie y semblait plus aisée qu’aujourd’hui, les souffrances moins continues, les haines moins violentes. Je me suis souvenu de mes promenades, de mes premiers amis, d’habitudes douces, et la phrase qu’a parfois ma mère me montait aux lèvres : « Comme dans ce temps-là tout était facile. » Eh bien, non ! Le poison était plus lent et engourdissait. Je ne regrette rien de ce passé si je lui ai donné un peu d’amour.

Aujourd’hui, les fortifications sont rasées. Longtemps, des hommes s’acharnèrent à détruire l’ouvrage d’autres hommes ; ils nivelèrent des talus, comblèrent des fossés, chargèrent des camions de déblais jusqu’au moment où le sol fut uni. Alors, ils tracèrent les fondations d’une nouvelle ville. Entre la poterne du Poteau et la porte de Clignancourt se dressent des maisons de briques, un immense quartier morne qui vient finir au bord de la zone et jette son ombre épaisse sur des arbres rabougris qui annonçaient jadis la naissance du printemps.

Le Marché-aux-Puces est voisin. On n’y trouve plus le désordre d’autrefois ni des étalages en plein vent. Les brocanteurs sont installés dans de solides baraques et des gens distingués et des antiquaires parisiens se penchent sur des vieilleries. L’avenue Michelet a peu changé, bordée de guinguettes où l’on mange des frites, des moules marinières. Mais ce sont des hommes barbus, loqueteux, silencieux, inquiets, affublés de défroques militaires, juifs ou sidis, qui entourent les tables. Le vent apporte le grondement éternel des trains, les appels d’un clairon ! et depuis des années les enterrements n’ont pas cessé de filer vers le cimetière de Saint-Ouen qu’enserre maintenant ce cimetière des vivants : l’usine.

J’erre à travers les sentes, entre des palissades et des baraquements. Des zoniers y continuent à vivre, accablés, révoltés, cependant accrochés à ce sol bourré d’ordures, y construisant de nouvelles bicoques qui font souvenir du front.

Ailleurs, me poursuit le même dépaysement. Sur les terrains vagues de la Butte-Montmartre et des Grandes-Carrières où j’allais jouer, s’élèvent des constructions rigides et désolantes comme des casernes, des fabriques, des garages. Le terrain « vaut de l’or », on n’en perd pas un pouce. Les maisons se touchent, se soutiennent, font la haie, cachent le soleil. Au printemps, nul autre feuillage que celui des marronniers et des platanes qui s’alignent sur les boulevards, enfoncent leurs racines entre les canalisations électriques et celles du gaz. Rien de ce qui témoigne d’une éternelle nature. Des lueurs de mercure et des lampes à arcs combattent les lentes nuits d’hiver ; des odeurs de goudron et d’essence, les relents des bars, des gargotes, des coiffeurs, rejettent les souffles légers du printemps ; seul l’été parisien avec son accablante chaleur rappelle la plénitude de l’heure de midi dans une plaine.

Quelques carrefours, des places, des boulevards, puis un lacis de rues où les maisons sont anonymes comme des soldats, recouvertes de leur uniforme de poussière et de suie. Je lève les yeux vers des fenêtres où pendent des loques, des cages, et, derrière des vitres ternes, des rideaux déchirés. Je passe, rasant les murs ; enfin j’obéis à un obscur appel qui me pousse vers les ruelles lointaines que bordent de très anciennes maisons.

Je m’arrête devant une fenêtre des spots à fleurs ornent certaines. Les rideaux sont entr’ouverts, je vois l’intérieur mal éclairé d’une pièce basse de plafond. Dans un coin, un buffet encombré de fouillis ; ailleurs, des chaises percées, un lit de fer. Une femme colle des boîtes de carton, elle ne lève jamais la tête ; ses mains vont et viennent méthodiquement, comme une machine. Elle travaille aux pièces, touche un salaire dérisoire, mais elle est « chez elle », près du poêle sur lequel le dîner mijote dans une marmite de fonte.

Encore quelques pas. Dans des chambres obscures, ce sont des vieillards que j’observe — ceux de l’Assistance — penchés sur des journaux jaunis, sur un chat, sur une besogne inutile, quelquefois penchés sur leurs souvenirs, tous déjà raidis et silencieux. Le soir vient. Ils se lèvent, ils allument une lampe à pétrole dont la flamme fumeuse éclaire un intérieur misérable.

Cela, c’est le passé, un monde qui meurt et qu’on abandonne. Je descends le boulevard Ornano, le boulevard Barbès, et rencontre le présent. Un tourbillon. J’entends toutes les langues. Dès rues s’ouvrent, grouillantes, sans ciel, mais qu’a-t-on besoin d’un ciel ? les feux rouges des enseignes l’éclaboussent. La viande saigne à la devanture d’une boucherie, des légumes se flétrissent à l’étalage d’une fruiterie ; un magasin de meubles, puis un bistrot, et à chaque carrefour un grand café dont le comptoir brille.

Vers huit heures, les sonneries des cinémas retentissent, Ce sont des « Palace », des « Impérial », des « Eden ». On y va en casquette, comme à l’usine. J’entre aussi, sans jamais choisir la salle ni lire les affiches. Un manteau de chaleur enveloppe, un voile descend sur les yeux ; on respire des relents aigres, de mauvais parfums, l’odeur d’une foule qui chaque soir emplit le métro. Trois heures d’oubli peut-être, ou d’abrutissement. On fuit sa solitude, on se laisse emporter vers de lointains pays, on rêve d’une vie sans servitudes. Et à minuit, on se retrouve sur le pavé gras où les autos ne traquent plus personne, on suit des rues qui n’ont jamais semblé si noires, on voit des portes s’ouvrir sur des couloirs qui puent l’humidité et les ordures ménagères. La fatigue a succédé à la joie, les rêves sont morts. Quelque six heures d’oubli, et le réveil, la vie…

Ainsi, depuis mon enfance, en dépit d’apparences, rien n’a changé. Toujours l’entassement dans des chambres, des bruits dans l’escalier, des odeurs qui se glissent partout. Le froid en hiver, la chaleur en été. Un ciel brumeux, un ciel de pluie, un ciel de plomb. On ne connaît aucune évasion. Sauf celle du sommeil, mais il y a des logements où la vermine empêche de dormir, où le manque d’air fait suffoquer ; d’autres où ce sont des postes de « radio », les querelles des voisins, des cris d’enfant, qui assassinent les songes.

Voilà. L’époque est dure, violente, sans beauté. On ne contemple plus le ciel que cachent de hautes maisons ; on ne surprend plus, au fond du silence, l’appel léger du vent ; on ne trouve plus d’arbres qu’enserrés, étranglés par des grilles de fonte, mis en terre comme dans des pots, prisonniers dans des squares poussiéreux comme les musées. On regarde la campagne des affiches de chemin de fer, et un dimanche de printemps ou d’été, on part ; on attend, parqués dans les gares ; on marche en troupeaux dans de faux villages ; et le soir, on rentre, portant des branches dont la sève saigne.

Des hommes comme je les ai vus enfant, comme je les retrouve homme à mon tour. Je ne les regarde plus avec un visage ingénu et curieux, ne marche plus derrière eux dans l’espoir de quelque aventure. Je connais leurs maladies, je partage leurs, haines et leurs peines. Et les soirs d’élection, nous nous réunissons sur la place Jules-Joffrin, entre une mairie et une église éternelles. Tonton n’est pas là, ne sera plus jamais là pour souffrir de nos défaites et se réjouir de nos vaines victoires ; mais ses fils…

Des hommes. Le soir, des bouches du métro, en rangs épais, je les vois sortir, monter vers la lumière d’un soleil vert qui sautille. Par des galeries souterraines ils ont parcouru leur ville, travaillé tout le long du jour, et la nuit les ramène, titubants, ivres de bruits, les cache et les pousse vers leurs quartiers. Ils se dispersent, suivent des rues où commencent à fermer les boutiques, disparaissent dans des couloirs aux murs poisseux, couloirs d’hôtels, de maisons ouvrières.

Les voici chez eux. Ce voyage que j’entreprenais enfant, lorsque ma mère me disait de monter l’escalier de notre immeuble, en pensée, je le recommence. Cent chambres dont je sais les richesses qui veulent cacher la défaite, les ambitions déçues ; cent salles à manger où je reconnais les meubles étriqués et le décor des galeries d’ameublement du boulevard Barbès ; et cent chambres où il n’y a rien que de pauvres choses usées par des habitudes, tachées par des gestes quotidiens, accablées par la vie. Au cœur de tout cela, des femmes et des hommes qui se retrouvent avec le soir, les lèvres pâles et sans sourire, le front vide de pensées, les mains lasses ; qui mangent, et, leur repas fini, liront un journal. Puis s’endormiront, rouleront dans un fleuve sombre qui, après les détours d’un décevant plaisir et du cauchemar, les ramènera vers les bords d’un jour pareil à d’autres jours, où leurs efforts aideront à créer un monde plus monstrueux qui les écrasera.

Dans une ville-qui se transforme, s’enfle, se pare, une vie pitoyable se traîne et continue. Ville pleine de passé et d’art, trop avide, alourdie d’une joie facile et de fragiles richesses. Je me penche sur elle sans tendresse pour entendre des plaintes au milieu des rires, pour trouver une voie lumineuse parmi des rues noires.

Eugène Dabit.