Divagations (1897)/Édouard Manet

DivagationsEugène Fasquelle, éditeur (p. 127-128).






ÉDOUARD MANET






Qu’un destin tragique, omise la Mort filoutant, complice de tous, à l’homme la gloire, dur, hostile marquât quelqu’un enjouement et grâce, me trouble — pas la huée contre qui a, dorénavant, rajeuni la grande tradition picturale selon son instinct, ni la gratitude posthume : mais, parmi le déboire, une ingénuité virile de chèvre-pied au pardessus mastic, barbe et blond cheveu rare, grisonnant avec esprit. Bref, railleur à Tortoni, élégant ; en l’atelier, la furie qui le ruait sur la toile vide, confusément, comme si jamais il n’avait peint — un don précoce à jadis inquiéter ici résumé avec la trouvaille et l’acquit subit : enseignement au témoin quotidien inoublieux, moi, qu’on se joue tout entier, de nouveau, chaque fois, n’étant autre que tous sans rester différent, à volonté. Souvenir, il disait, alors, si bien : « L’œil, une main.. » que je ressonge. Cet œil — Manet — d’une enfance de lignée vieille citadine, neuf, sur un objet, les personnes posé, vierge et abstrait, gardait naguères l’immédiate fraîcheur de la rencontre, aux griffes d’un rire du regard, à narguer, dans la pose, ensuite, les fatigues de vingtième séance. Sa main — la pression sentie claire et prête énonçait dans quel mystère la limpidité de la vue y descendait, pour ordonner, vivace, lavé, profond, aigu ou hanté de certain noir, le chef-d’œuvre nouveau et français.