INTRODUCTION.
Séparateur


Le poëte dont, pour la première fois, nous avons, dans les pages qui suivent, mis en lumière les œuvres diverses, est le contemporain et aussi, on n’en saurait douter, le compatriote de Jean de Condé, dont nous nous sommes rendu récemment l’éditeur. À part les gracieux poëmes d’aventure de ce dernier, Watriquet de Couvin, ménestrel de cour, cultive le même champ poétique que le trouvère du bon Guillaume : la moralité, l’initiation des nobles aux devoirs de leur rang, l’enseignement pieux et chevaleresque. Sans dédaigner, non plus que son confrère de la cour de Valenciennes, le gai fabliau destiné à dérider sa noble clientèle, il s’est particulièrement imposé la tâche de sauvegarder, dans la société aristocratique où il avait pris service, les principes qui, selon lui, font l’honneur et le mérite du gentilhomme aux différents degrés de sa carrière. Il chantera donc, dans la mesure de son talent, la soumission à Sainte-Église, la loyauté, la justice envers tous, mais surtout la sainte protection du pauvre et du petit, la bravoure, la largesse, le respect des femmes, la courtoisie, c’est-à-dire la dignité, l’élégance et la distinction réunies, et enfin, la sympathie éclairée pour ces humbles serviteurs dont le mestier consiste à composer

Les biaus contes et les repris,

afin de tracer la route

A ceuls qui ont la voie emprise
D’onneur, la loée et prisie.

Prôner les vertus chevaleresques, flétrir les vices qui leur font obstacle, voilà donc le fond de la poésie de notre trouvère : c’est à cette source pure que s’abreuve sa muse.

À vrai dire, chez lui comme chez les autres écrivains de sa profession, cette passion pour la perfection morale, ce zèle pour le chevalier idéal, cette élévation de sentiments, ne s’exhalent pas sous une forme qui fasse croire à l’épanchement franc d’une vocation intime pour le culte du beau, à l’élan naturel d’une âme fortement trempée, à l’expression spontanée d’une nature d’élite. Trop souvent, nous voyons percer sous sa rime apprêtée et guindée les ficelles du métier, et sous son enthousiasme des intérêts de profession. Les sujets qu’il traite ne sont pas empreints de ce cachet d’invention native, qui révèle une organisation supérieure, une tournure d’esprit originale, un penseur faisant librement résonner les fibres de son âme. Mais, néanmoins, s’il ne brille point par des côtés remarquables et individuels au-dessus des rimeurs de son temps, Watriquet ne leur est point inférieur, si l’on tient compte du genre poétique qu’il cultiva et de sa condition sociale, ni en mérite littéraire, ni en valeur personnelle.

Sans méconnaître quelques infirmités attachées à sa poésie, attachées surtout au caractère général de l’art à son époque, nous ne lui disputerons ni quelque talent à tourner le vers, ni de l’habileté à se tirer des matières de commande qu’il avait à mettre en escript ; nous reconnaîtrons volontiers que souvent il déploie de la grâce en peignant une vertu et de la verve en censurant un vice ; nous lui tiendrons compte aussi des accents mâles avec lesquels parfois il rappelle aux puissants les obligations qu’ils ont contractées en arrivant au pouvoir ; nous ne voudrions pas contester non plus que, généralement, sa parole soit l’écho d’une âme honnête et portée vers le bien. Et ces qualités nous feront pardonner au poëte, quand il lui arrivera de tomber dans le défaut de la complaisance et d’associer des excès d’éloge à des conseils et des avertissements pleins de sagesse ; quand, en d’autres termes, le ménestrel à gages vise plutôt à plaire qu’à corriger, ou cherche à corriger sans trop déplaire.

En définitive, Watriquet, dans sa poésie et dans les allures qu’il lui donne, reflète le milieu où il a vécu et porte l’empreinte de la littérature de son siècle. À ce titre seul, le comité formé au sein de l’Académie était bien inspiré en accueillant son œuvre dans la collection nationale qu’il est chargé de réunir.

Si de ces considérations générales sur le caractère de l’œuvre littéraire du poëte, nous passons à sa biographie, nous n’aurons pas la satisfaction d’ajouter grand’chose à la phrase par laquelle elle s’est résumée jusqu’ici chez les rares auteurs qui ont, avant nous, touché ce sujet ; à savoir : « Watriquet de Couvin fut ménestrel du comte Gui de Blois et florissait au commencement du XIVe siècle. » Nulle part, dans les monuments littéraires contemporains ou postérieurs, une mention de notre trouvère ne se trouve ; et celui qui, plus heureux que nous, pourra un jour feuilleter les comptes de la maison princière qu’il a servie, n’y rencontrera guère autre chose que son nom accolé à quelque chiffre énonçant une largesse ou un salaire. En présence de cette disette d’informations, nous avons exploré d’autant plus attentivement ce que l’auteur nous rapporte lui-même sur sa personne.

Dans le Tournoi des Dames, Vérité s’étant enquise du compagnon qu’elle s’était engagée à guider et à instruire, celui-ci lui répond en ces termes :

 « D’autre mestier ne sai user
Que de conter biaus dis et faire,
Je ne me mesle d’autre affaire ;
Watriquet m’apelent aucun
De Couvinz, et presque chascun,
Et sui sires de Verjoli. » (P. 245, vv. 436 et ss.)

Dans le fabliau des Trois Chanoinesses de Cologne, une de ces dames demande au poëte s’il est peut-être Raniquet, personnage de renom, paraît-il ; « non », répond-il,

 « Non voir, dame, mais Watriqués
Sui nommez jusqu’en Areblois,
Menestrel au conte de Blois
Et si à monseignor Gauchier
De Chastillon. » (P. 375, vv. 80 et ss.)

Enfin, dans le dit de l’Escharbote (p. 399, v. 67), le poëte fait connaître à Eür, qui l’avait questionné sur son nom et sur « le pays où il se tient », les détails suivants :

 « Lors li dis que menestrex iere
De faire aucuns diz de matiere,
Et pour moi à cognoistre miex,
Dis : sui Watriqués Brasseniex
De Couving. »

Ces passages ne nous apprennent que deux faits négligés jusqu’ici : c’est d’abord que Watriquet a été aussi bien au service du connétable Gaucher de Chastillon qu’à celui du comte de Blois ; en second lieu que de son nom de famille il s’appelait Brasseniex. En outre, les mots de Couving, dans le dernier passage, répondant à la question relative à son domicile et accompagnant l’indication du vrai nom de famille, on peut hardiment écarter l’objection de ceux qui voudraient y voir, comme dans le Condé de Baudouin ou Jean de Condé, une dénomination simplement patronymique.

On ne sait sur quel fondement l’abbé de la Rue a cru devoir faire naître notre poëte à Couvins, village de l’arrondissement d’Argenton, dans le département de l’Orne. Est-ce pour avoir le prétexte de grossir sa collection de notices sur les trouvères normands ou anglo-normands ? Ou bien ignorait-il l’existence d’un autre Couvin, en faveur duquel les présomptions, dans la question dont il s’agit, eussent pu se présenter plus naturellement ? Nous ne préjugeons rien, mais pour nous, nul doute ne peut exister que le Couving dont Watriquet fait constamment suivre son nom, ne s’applique à la petite ville située autrefois sur le territoire de l’évêché de Liège, et appartenant actuellement à l’arrondissement de Philippeville, dans la province de Namur. Un acte de 1218[1], délimitant les droits de Roger de Chimay et ceux de l’évêque de Liège dans la châtellenie de Couvin, nous apprend que les seigneurs de Chimay étaient institués les châtelains de ce bourg, et qu’entre les deux localités, distantes de trois lieues environ, il existait ainsi des rapports officiels et féodaux. Si, de plus, on pèse les étroites et multiples relations de parenté et de voisinage qui, dès le commencement du XIVe siècle, unissaient le seigneur de Chimay (depuis 1316, Jean de Hainaut, sire de Beaumont) à la maison de Châtillon, et surtout à la branche des comtes de Blois-Avesnes, ainsi qu’à la famille de Valois, si chère à Watriquet[2] ; — si l’on prend aussi en considération le plaisir avec lequel le poëte mentionne incidemment le Hainaut[3], la haute distinction qu’il accorde au souverain de ce pays dans le dit des Quatre Sièges, sa connaissance des choses de cette contrée, telle qu’elle se manifeste dans l’énumération des chapitres de dames nobles (dans le dit des trois Chanoinesses de Cologne), — il faudra, nous semble-t-il, de l’obstination pour méconnaître dans Watrirquet un trouvère belge et pour placer en Normandie le lieu de sa naissance. En présence des indices allégués dans ce qui précède en faveur de la nationalité hennuyère de Watriquet, on peut se passer d’un dernier argument, dont nous aurions voulu la corroborer : celui de la transmission jusqu’à nos jours du nom de Brasseniex (variété de Brassenel, Brasseneau, etc.) parmi les habitants du Couvin belge. Les informations prises à ce sujet nous ont appris qu’on y trouve encore des familles du nom de Brassine.

Le nom de Watriquet suffit seul, d’ailleurs, pour indiquer nos contrées ; il varie dans les textes avec Watrequin, et l’on sait que le suffixe germanique quin caractérise les mots de provenance wallonne ou picarde[4].

Notre auteur se dit encore : sire de Ver Joli. M. Dinaux[5], sans toutefois revendiquer la noblesse pour Watriquet, explique Ver Joli par Verde place, « nom d’un joli et ancien village situé non loin de la petite ville de Couvins (sic). » Nous nous sommes épargné la peine de vérifier l’existence d’un lieu du nom de « Verde Place », trop sûr que nous étions que Watriquet, s’il avait eu un domaine, l’eût nommé de son vrai nom, et qu’au surplus, ver n’a rien à faire ici avec vert. N’ayant pas d’autre titre à faire valoir en dehors de sa ménestrandie, le trouvère s’est hardiment et fièrement qualifié de seigneur de Rime Gracieuse, baron du Gai Savoir, ou du Vers Joli[6]. C’était bien là sa terre assignée, sa baronnie.

Nous n’avons rien à apprendre au lecteur en ce qui concerne son éducation ; ses vers font preuve qu’il n’était pas sans quelque connaissance du latin et que les grandes épopées des cycles carlovingien et breton, comme les compositions plus récentes des romans du Renard et de la Rose, ne lui étaient pas plus restées étrangères que les Saintes Écritures ; mais nulle part, Salomon et saint Paul exceptés, il ne mentionne aucun titre de livre, ni aucun nom d’écrivain. — A-t-il été marié et père ? La question reste ouverte ; tout ce qui ressort de ses vers, à ce sujet, c’est qu’il cite « une amie » et que cet amour n’est point resté platonique. (Voy. Quatre Sièges, 15.)

Sur les 32 pièces de notre recueil, 13 sont ou datées par l’auteur dans le contexte même, ou faciles à dater par induction. Ces dates s’étendent de l’an 1319 à l’an 1329 ; y a-t-il lieu de dépasser ces limites dans les deux sens ? Rien ne nous permet d’émettre à cet égard aucune conjecture, de même que nous restons dans un dépourvu complet quant à l’âge auquel le trouvère a pu commencer à rimer. Tout ce que l’on peut encore établir quant à la vie extérieure de Watriquet, c’est qu’il suivait ses maîtres en divers lieux. Il fut ainsi, selon ses propres indications, en 1320 à Paris, en octobre 1327 au château de Montferrant et dans les localités d’alentour (Boulogne, Marchenvoie), en 1329 à Becoisel. Le dit des Trois Chanoinesses, qui retrace un souvenir personnel, se passe à Cologne, mais ce terme géographique pourrait bien n’être que fictif et destiné à cacher le vrai théâtre d’une scène de débauche. C’est à Paris aussi que doivent avoir été composés le dit de l’Arbre Royal, lors de l’avènement de Charles le Bel, en 1322, et le dit du Roi, après celui de Philippe de Valois, en 1328.

Les 32 pièces que nous sommes parvenu à rassembler dans ce volume, se divisent ainsi sous le rapport du sujet :

Moralités générales (paraboles, visions allégoriques, récits, réflexions pieuses) : 19 pièces ;

Chevalerie : 4 pièces ;

Poëmes personnels ou historiques : 5 pièces ;

Art d’aimer : 1 pièce ;

Fabliaux : 2 pièces ;

Fatras : 1 pièce.

Quant à la forme, 26 pièces sont composées en vers octosyllabiques à rimes plates, une en vers alexandrins et par tirades monorimes, 4 en strophes de 12 vers et à 2 rimes, une (le Fatras) en couplets de 11 vers et de mètres variés. Nous signalerons, parmi les 26 pièces octosyllabiques deux morceaux de réflexions dévotes (l’Ave Maria et le Dit de Faus et Faucille) versifiés exclusivement en rimes équivoques.

Nous avons déjà fait entendre que notre auteur, dans ses moralités, se traîne un peu dans une certaine routine de profession ; nous ajouterons que, pas plus que les autres faiseurs de dits de son époque, le poëte de Couvin ne se distingue par une ordonnance artistique et réfléchie de ses matières ; la proportion entre les diverses parties laisse à désirer ; les prologues surtout manquent parfois de mesure et la conclusion arrive çà et là d’une façon assez brusque. Mais si, en général, ces défectuosités accusent une absence de goût artistique, il faut aussi tenir compte des obligations du métier et des circonstances momentanées où se trouvait le rimeur ; dans telle occasion, elles imposaient une limite au développement d’un sujet ; dans telle autre, et en vue d’un intérêt spécial, elles engageaient à une certaine prolixité.

Nous n’insisterons pas longtemps sur les qualités du style de Watriquet de Couvin. Sa recherche constante d’une rime aussi riche que possible, sa passion pour les rimes à jeux de mots, bref, les artifices de versification qu’il emploie, ne permettent guère de s’attendre à toute la pureté, à la clarté ou à la précision désirables. Entraîné par les exigences de la forme qu’il affectionne, il lui arrive souvent de négliger la structure de ses phrases ; les tortuosités, les anacoluthies, les enchevêtrements abondent ; des enjambements, parfois d’une hardiesse rare, frappent fréquemment le lecteur. Et cependant, on n’oserait reprocher à sa diction de l’obscurité systématique ; pour peu que l’on soit familiarisé avec le tour et les particularités syntaxiques de la langue de son époque, et surtout versé dans les nuances délicates de signification que les mots y revêtaient, on trouvera son vers heureusement tourné et sa pensée généralement exprimée avec aisance et souvent avec grâce. Si, parfois, dans les passages où le raisonnement domine, on rencontre quelque gêne et une marche un peu lourde et embarrassée, d’autre part, la lecture des parties narratives et descriptives fait paraître le poëte, quant à la facilité de l’élocution et la légèreté du mouvement, tout à fait l’égal des trouvères qui, de son temps, cultivaient des genres poétiques analogues.

Nous n’en dirons pas autant de la correction grammaticale et syntaxique ; ici Watriquet est bien inférieur, entre autres, à son contemporain Jean de Condé. Les règles qui gouvernaient la flexion des substantifs et des adjectifs dans la langue du moyen-âge, il en a la parfaite conscience, mais il ne les observe que pour autant qu’elles ne le gênent point, ni pour la mesure de son vers, ni pour l’application de sa rime. Des nombreuses incorrections de cette nature, que nous avons rencontrées dans nos textes, toutes ne sont pas, il est vrai, le fait de l’auteur, mais plutôt celui du copiste ; les variantes nous ont démontré que la rédaction primitive a souvent été altérée ; aussi avons-nous cru devoir rétablir la forme normale chaque fois que le vers le permettait. Toutefois, il reste encore une bonne quantité d’infractions à la règle qui tombent à la charge du poëte, lequel — non content de suivre la pente où se laissait aller la langue à son époque, et de faire servir au sujet les formes du régime (tant au singulier qu’au pluriel), — nous offre beaucoup de cas du contraire, c’est-à-dire de formes purement nominatives appliquées aux régimes. D’autres négligences, dans d’autres domaines de la grammaire, sont signalées dans les notes.

Au point de vue de la lexicographie, notre travail sur le poëte de Couvin n’est point resté stérile. Nous avons relevé, dans le commentaire joint au texte, un bon nombre de termes ou de locutions restés sans mention dans les glossaires et dont plusieurs avaient pour nous l’intérêt d’une première rencontre. Nous avons eu surtout l’occasion de constater de nouveau la grande flexibilité de sens dont des mots encore usuels étaient autrefois doués ; l’étude de ces variations et de ces nuances de signification nous a beaucoup intéressé, car elle est indispensable aussi bien pour l’intelligence des auteurs anciens, que pour se garantir d’une critique injuste à leur égard. En effet, on se plaît parfois à leur reprocher une expression torturée et une diction fausse et forcée, quand ils ne font que tirer profit de toute la vigueur et de toute la vivacité inhérente aux vocables, selon l’usage de leur temps. Que d’exemples ne pourrions-nous pas alléguer de la supériorité du tour ou du terme ancien, pour démontrer la tendance de la langue à se dessécher, à s’ossifier en vieillissant ! Que de vocables, pleins de vie dans l’ancienne littérature, ont perdu les trois quarts de leur compréhension idéale et sont déchus de leur puissance d’autrefois ! C’est à la philologie de reconstruire la langue « morte » et cependant si vivace des trouvères, à la fois sous le rapport de la qualité et de la quantité ; en éditant notre poëte belge, nous n’avons point perdu de vue cette tâche.

Les manuscrits dont nous avons pu faire usage pour notre édition, sont au nombre de quatre, à savoir :

1. Bibliothèque impériale, à Paris, ms. 14968 (ancien 63218 Suppl.), petit in-4o  allongé, de 169 fol., à une seule colonne de 28 vers ; écriture soignée, nombreuses miniatures à fond quadrillé, mais de médiocre exécution. Ce volume, relié au chiffre N couronné (Napoléon), et qui date du milieu du XIVe siècle, est entièrement reproduit dans notre livre et en forme le fond ; il comprend nos pièces 1 à 22. D’après la légende qui accompagne la miniature de la première pièce (voy. p. 1, note), on est autorisé à le considérer comme un choix des compositions réputées les meilleures de l’auteur, offert par celui-ci à son maître, le comte de Blois. Ce manuscrit est le seul où l’on rencontre le Dit du Conestable (no 2) et le Fatras (no 22).

Il n’y a pas de doute pour nous que ce manuscrit n’ait appartenu au fonds de Bourgogne de Bruxelles. D’abord, c’est de là que Gérard a tiré le premier et le troisième volume de sa copie (voy. plus bas), et Gérard dit positivement que les deux volumes qui lui ont servi ont été enlevés par les Français en 1794. Ensuite, il correspond avec le no 2304 de la Bibliothèque protypographique de Barrois ; or, ce numéro appartient à la série des pièces emportées à Paris et est désigné ainsi : « Poésies de Watriguel (sic), sire de Verd-Joli, dédiées à monseigneur de Blois. In-8o , vélin, vignettes. » Cette désignation a été puisée dans la rubrique du fol. 4 ; seulement le format in-4o  allongé a été pris pour un in-8o . Reste à constater si le codice en question est identique avec celui que l’on trouve renseigné dans le catalogue de Viglius, no 818, sous le titre de Witricquet en franchois.

2. Bibliothèque impériale, à Paris, ms. 2183 (ancien 7993), petit in-4o  allongé, de 104 fol., à une colonne de 28 vers, écriture du milieu du XIVe siècle, provenant de l’ancienne bibliothèque Mazarine ; reliure moderne au chiffre de Charles X. Sur nos 32 pièces, ce codice n’en offre que 20 (2 de moins que le précédent) : il lui manque nos nos 1, 2, 17, 22, 27 à 32, mais, d’autre part, il est le seul qui ait le dit des Huit couleurs (no 23) et l’Escole d’amours (no 26). Nous l’avons désigné dans nos variantes par la lettre C.

3. Bibliothèque de l’Arsenal, à Paris, Belles-Lettres françaises, 318 (nous le marquons A dans nos notes). C’est un petit in-folio, de 190 feuillets, du milieu du XIVe siècle, réglé à la plume ; rubriques, initiales en or et couleurs, miniatures à fond de damier, or et couleurs (grandeur d’un tiers de page). La première miniature, plus grande que les autres, représente l’auteur agenouillé, offrant son livre à son seigneur assis près de sa dame. On remarque la fleur de lys sur azur dans le damier de quelques fonds de miniatures, d’où l’on peut inférer que le volume — relié en ais de bois couvert en veau brun estampé (les fermoirs sont arrachés) — était destiné à quelque membre de la maison royale de France. Ce manuscrit, dont Jubinal et Dinaux ne font aucune mention dans les pages qu’ils ont consacrées à Watriquet, renferme 26 pièces de ce trouvère. Sauf le dit du Connestable et le Fatras, qui, nous le répétons, ne sont que dans le ms. 14978, puis les Huit Couleurs et l’Escole d’amours, qui ne sont que dans le ms. C, il contient non-seulement tout ce qu’offrent les autres manuscrits réunis, mais il possède seul nos six dernières pièces (nos 27 à 32).

4. Bibliothèque royale de Bruxelles, ms. coté à l’inventaire 11,225-27 avec les intitulés suivants : « Paraboles de vérité ; Philippe de Valois, Li dits moraux[7] ; Dits moraux sur divers objets. » Il est désigné par B dans nos notes.

Ce petit volume, que M. le baron Kervyn de Lettenhove a le premier fait connaître dans ses Notes sur quelques manuscrits de la Bibliothèque Royale (Bulletins de la Commission royale d’histoire, 2e série, t. XI, pp. 453-641), est également contemporain de l’auteur et a été écrit pour quelque haut personnage. Il est le moins riche de tous et ne présente que onze de nos 32 morceaux, tous renfermés déjà dans l’un ou l’autre des trois volumes de Paris. C’est un petit in-4o  de 96 feuillets, les pages pleines ayant 18 vers. Chaque pièce est ornée au commencement d’une grande lettrine richement coloriée, et dans le texte, aux divers alinéas, on trouve de plus petites initiales également rehaussées de couleurs. La première page de chaque morceau porte en outre un encadrement de feuillage or et bleu. La miniature de la première page du volume représente un jeune homme agenouillé devant un homme assis et lui présentant un livre. Derrière lui, trois figures de femmes, dont l’une assise et tenant un chien sur ses genoux. Derrière l’homme assis, deux figures d’hommes debout[8].

Notre manuscrit est identique avec celui coté 796 et 2106 des inventaires de 1467 et 1487[9] de la Bibliothèque protypographique de Barrois, puis avec le no 546 de l’inventaire de Viglius et le no 521 de celui de Franquen. Comme le codice décrit plus haut sous 1, il a servi pour la copie de Gérard à La Haye ; comme lui, il a pris en 1794 le chemin de Paris avec 85 autres manuscrits français, mais, plus heureux, il a été délivré de l’exil et rendu à son dépôt primitif en 1816.

En dehors des sources indiquées ci-dessus, nous avons pris aussi inspection à la Bibliothèque impériale de Paris, du ms. fonds Notre-Dame, no 198 (ancien M. 21/3). Parmi les 72 morceaux poétiques d’auteurs divers que l’on y a réunis, nous en avons rencontré quatre de notre collection ; les nos 3, 4, 16 et 19.

Enfin, nous avons à mentionner, bien que nous ne l’ayons pas examiné nous-même, le manuscrit coté 775 de la Bibliothèque royale de La Haye, lequel donne en trois volumes la copie des dits de Watriquet qu’a faite à la fin du siècle dernier le savant Gérard, secrétaire perpétuel de l’Académie de Bruxelles et conservateur de la bibliothèque publique de cette ville. On trouve de la main de cet érudit, sur le folio de garde du premier volume, la note suivante : « Le ms, dont celui-ci est la copie était de deux volumes in-4o , écrit sur vélin, d’une écriture du XIVe siècle, qui était dans la bibliothèque dite de Bourgogne à Bruxelles, et qui a été enlevé de cette bibliothèque par les agents de la République française, en l’an 1794. » M. Achille Jubinal, lors d’un voyage d’exploration littéraire qu’il fit en Hollande en 1844, parcourut la copie de Gérard et en a inséré l’analyse ainsi que de nombreux extraits dans un rapport publié sous ce titre : Lettres à M. le comte de Salvandy sur quelques-uns des manuscrits de la Bibliothèque royale de La Haye (Paris 1846 ; voy. pp. 46-48, et 177-213). L’ordre dans lequel les diverses pièces sont disposées dans les volumes de Gérard, la rédaction des rubriques et le collationnement du texte permettent d’établir avec certitude que les deux volumes manuscrits dont il a fait usage sont ceux décrits plus haut sous les nos 1 et 4[10].

Nous avons, comme on le pense bien, compulsé également dans nos recherches bibliographiques l’Inventaire de la Bibliothèque du Louvre sous Charles V, fait en 1373 par Gilles Mallet et publié en 1836 par M. Van Praet. Nous y avons trouvé les pièces suivantes :

No 142. Le Miroir aus dames, qui fu de la royne Jehane Euvreux (sic), à une couverture de soie et fermoirs d’argent aux armes de la royne[11].

No 145. Le Miroir aus dames de Vatriquet, un ménestrel, couvert de drap d’or marramas, à clous et fermoirs et y a fatras.

No 369. Watriquet, ryme.

No 397. Le Miroir aus princes, par Watriquet[12].

No 454. Vatriquet, ryme qui est diz du (un ? ) ménestrel bien escript et ystorié[13].

No 480. Les dis Vatriquet, rymez en un très petit livret.

No 505. Un petit livret de Vatriquet.

Voilà donc sept manuscrits de Watriquet réunis en 1373 dans un seul dépôt royal ; si ce fait ne prouve pas précisément en faveur d’une haute réputation de ce poëte, il atteste pour le moins ses relations multiples avec les membres de la famille régnante, étroitement alliée aux maisons de Blois et de Châtillon. Les désignations des pièces reprises dans l’inventaire de Gilles Mailet sont trop vagues pour essayer de préciser les rapports entre elles et les divers manuscrits que nous avons décrits plus haut.

En vue de la critique qui pourra s’exercer sur notre texte, il nous importe de déclarer ici que, pour les pièces 1 à 26 de notre recueil, tirées des deux principaux mss. de la Biblioth. imp., nous avons suivi une copie faite par M. Deprez, à Paris, et que, pendant un court séjour dans cette ville, nous n’avons pas pu collationner complètement cette copie avec l’original ou d’autres manuscrits. Ce n’est que le ms. de Bruxelles que nous avons pu consulter à notre aise pour le travail du collationnement. Quant aux six dernières pièces (tirées du ms. de l’Arsenal), cinq ont été transcrites par nous-même et la sixième par un ami. Comme il est dit en note à la p. 359, nous avons, dans un intérêt à la fois paléographique et philologique, conservé à ces six pièces la physionomie exacte de l’original, c’est-à-dire que nous nous sommes abstenu d’y redresser les fautes grammaticales soit du copiste, soit de l’auteur, comme nous l’avions fait pour les autres.

Notre procédé, en ce qui concerne la notation (l’accentuation) et la ponctuation, est resté le même que pour nos éditions de Baudouin et de Jean de Condé. Les notes explicatives, qui terminent le volume, ont été également rédigées d’après les mêmes principes et dans les mêmes proportions de mesure et d’étendue. Elles seront, nous l’espérons, aussi favorablement accueillies que celles qui accompagnent les ouvrages rappelés.

Nous manquerions à un devoir si, en terminant, nous n’exprimions notre reconnaissance pour leurs obligeants services à M. Paul Lacroix, conservateur de la Bibliothèque de l’Arsenal, à M. Paul Meyer, des Archives impériales de France, et à M. le baron Kervyn de Lettenhove, à Bruxelles.


AUG. SCHELER.


Bruxelles, septembre 1868.

  1. Voy. Hagemans, Histoire du pays de Chimay, p. 549. Comparez aussi l’acte de Louis de Blois, rapporté à la p. 154 de cet ouvrage.
  2. Nous ne rappellerons ici qu’un seul fait, puisé dans l’ouvrage cité de M. Hagemans. En 1316, Gaucher de Chastillon, le connétable de France et le Mécène de Watriquet, intervient dans un acte passé entre Jean de Hainaut et la belle-mère de celui-ci, Jeanne d’Argies (p. 129). On sait que, dès 1326, la fille de Jean, héritière de Chimay, fut promise à Louis de Châtillon, fils aîné du comte Gui de Blois, que servit Watriquet.
  3. Dit des Quatre Sièges, 285 : Ou regne des Hennuiers que on tant prise ; — Dit des Huit Couleurs, 376 :

    Cil Hainuier, cil Champenois,
    Vainqueur de joustes, de tornois.

    Dans le Dit des Mahomés, le poëte énumère les lieux où se rendent de préférence les chevaliers désireux de « monter à honneur et à pris », en ces termes :

    S’aucuns a bien faite sa voie
    En douce France et en Savoie,
    En Henaut ou en Alemaigne…

  4. La finale quin se modifie, se francise généralement en quet ou cot ; de là Watriquet p. Watrequin, Piercot p. Pierrequin ou Pierquin, Raniquet p. Ranekin, Renkin. — Watriquet est un diminutif du germanique Walther, Walter, francisé régulièrement en Gauthier, Gauchier, Vautier, etc.
  5. Trouvères, t. IV, p. 683.
  6. L’orthographe ver (sans s) est constante dans nos textes.
  7. Cet intitulé fautif de la seconde pièce du manuscrit (qui est le Dit du roy Philippe de France, notre no 19), a singulièrement fourvoyé le rédacteur de l’Inventaire des manuscrits de la Bibliothèque de Bourgogne, qui, à la table généalogique insérée dans les prolégomènes, accompagne la mention de Philippe de Valois de cette note bizarre : « On lui attribue les Dits moraux des philosophes. »
  8. M. le baron Kervyn a cru retrouver dans cette miniature le fils de Gui de Blois, offrant à son père le livre des poésies de Watriquet qu’il aurait eu pour maître. Quoi qu’il en soit, la mère du jeune prince, placée près de lui, ne peut être que Marguerite de Valois, sœur du roi Philippe VI. Dinaux donne pour femme au comte de Blois, protecteur de Watriquet, Isabelle de Hainaut, dame de Chimai. Il y a là une double erreur : le comte de Blois qui épousa l’héritière de Chimai était Louis, fils du comte Gui, et la dame de Chimai, sa femme, — mère de Gui de Blois, protecteur de Froissart, — s’appelait Jeanne et non pas Isabelle.
  9. Il est à remarquer toutefois que dans ces inventaires la couleur du parchemin qui recouvre les ais du volume est indiquée comme rouge, tandis que la reliure actuelle est violette. Cette différence est-elle l’effet du temps ou celui d’un changement de reliure, ou, enfin, le volume des dits inventaires, malgré la correspondance d’autres indications, est-il distinct des nôtres ? Nous n’avons pas de données suffisantes pour résoudre cette question.
  10. Gérard semble avoir commencé par copier le ms. actuel de Bruxelles ; puis il a suivi le ms. 14968 de la Bibliothèque impériale, en omettant les dits déjà renfermés dans l’autre ms. Toutefois, le Dit de Haute honneur et li Enseignemens du jone fl de prince, le copiste les donne deux fois, trompé probablement par la diversité des titres donnés à ces pièces dans les deux mss. qui lui ont servi.
  11. Répond au no 53 de Barrois. La reine Jeanne d’Évreux est particulièrement célébrée dans le Miroir aus dames.
  12. Barrois, no 165.
  13. Barrois, no 188.