Dithyrambe 1823 (Denne-Baron)
DITHYRAMBE
Tire le glaive, ô France !
Louvre réjouis toi !
Rompez un long silence,
Clairons de Fontenoi ;
Que votre voix devance
Le sang de notre Roi.
Un soldat est tombé du char de la victoire ;
Il est vide : quel roi doit y placer la gloire ?
Quelle main guidera ses coursiers dangereux ?
Ou de la Germanie en phalanges féconde,
Ou des champs que la Seine argente de son onde,
Quel prince excitera leurs flancs encor poudreux ?
Que n’ose la Victoire unie à la Vaillance !
Elle a tendu la main au sang du grand Henri ;
Pour conquérir la paix sur le char il s’élance,
Et les nymphes du Tage en secret ont souri.
Cependant à travers les roches de Pyrène
Cet Ulysse français que la victoire entraine
D’un seul son de sa voix, d’un seul de ses regards
Retient ces fiers coursiers, des airs enfans agiles,
Dont le souffle enflammé met en cendre les villes,
Et dont les pieds d’airain font crouler les remparts.
Frères de ces coursiers, impitoyable race,
Que de membres sanglans rassasiait la Thrace,
Ils n’ont faim que de meurtre, ils n’ont soif que de sang ;
Quand leur faim est contente et leur soif assouvie,
Sur cent corps foudroyés qu’abandonne la vie
Leur homicide essieu siffle et crie en passant.
D’Angoulême à des lois soumet leurs cœurs sauvages ;
L’onde, l’herbe, les fleurs des riants pâturages
Pour la première fois composent leur festin ;
Pour la première fois aux plaines ennemies,
Poussés par la Sagesse et non par les Furies,
Ils se sont élancés sans espoir de butin.
De la Bidassoa paisible
Que désertent ses défenseurs,
Leur flanc dur devenu sensible
D’un bain frais goûte les douceurs ;
De leurs yeux l’horrible lumière,
Le bruit affreux de leur crinière
Jusqu’aux tours de Madrid ont prolongé l’effroi :
Leur haleine de feu renverse
Ces preux qui de mourir se faisaient une loi !
Tous ont fui ; mais bientôt une espérance folle
De ce sang africain rallume tous les feux ;
Dans les triples remparts d’un rocher sourcilleux
Ces nouveaux Philistins vont cacher leur idole,
La Liberté, leur joie, et leurs biens et leurs dieux.
Cent tonnerres la couronnent,
Des flots grondans l’environnent ;
Elle brave un terrestre effort :
Son autel n’a point de maître,
Tout soldat devient son prêtre,
Et ses oracles sont la mort !
Au front de l’Apennin quand se forme un orage,
Un nuage poussé par l’haleine des vents,
D’un nuage suivi suit un autre nuage ;
Tels sur ces rocs jetés par la main des géants,
Avec un bruit mêlé de silences horribles,
Se succédaient sans fin leurs bataillons terribles.
D’Angoulême s’avance, il mesure des yeux
Ces créneaux formidables,
Où des bras redoutables
Ont marié le fer à la foudre des cieux.
Ainsi qu’un pin sublime appelle la tempête
Sur son front rayonnant du givre du matin,
Ainsi son blanc panache ondoyant sur sa tête,
Est en butte aux fureurs de cent foudres d’airain.
« Français, s’écria-t-il d’une voix tendre et fière,
» Si le Ciel sous ces murs me ravit la lumière,
» Qu’il va m’être à la fois et glorieux et doux
» De tomber dans vos bras, de mourir près de vous ! »
Ces mots ont des Français multiplié les âmes ;
Tous, à travers le sang, les flots, le fer, les flammes,
Des Etna souterrains ont franchi le courroux.
Ici leurs mains sanglantes
S’attachent aux remparts ;
Là les portes tremblantes
Tombent de toutes parts ;
La hache impitoyable
Brise les ponts croulans,
Leur ruine effroyable
Couvre les combattans :
Des rocs, des casques vides,
Des corps percés de coups
Comblent les flots avides,
Enchaînent leur courroux ;
Mille coursiers hennissent,
Ils volent sur les monts ;
Leurs pieds d’airain franchissent
Les bois, les lacs profonds ;
Le feu que Mars allume
Dans leurs naseaux ardens
Se mêle à leur écume,
Le frein crie en leurs dents ;
La bombe suit la bombe
Dans les airs embrasés ;
L’ibère frappé tombe
De ses créneaux brisés ;
Trocadero s’écroule
Dans ses marais sanglans,
Son chef foudroyé roule
Sur ses soldats mourans ;
Tyr aux vastes projets,
Ton dernier brave expire
Sur tes bronzes muets.
À l’aspect de ces morts, de ce roc lamentable,
De ces glacis de sang, théâtre épouvantable
Des fureurs des humains,
Des tendres séraphins les faces se voilèrent,
Dans les yeux du héros de tristes pleurs roulèrent.
Au ciel il tend les mains :
« Toi, dit-il, dont le doigt fit pencher pour la guerre
» Tes bassins éternels,
» Au bonheur des mortels
» Faut-il que ce fléau soit parfois nécessaire !
» Par ce sang pour la paix à regret répandu,
» Par ce sang espagnol au nôtre confondu,
» Par mes aïeux enfin, peuples, je vous conjure,
» Rois, je vous en supplie, oubliez toute injure ;
» C’est là ma récompense et tout ce qui m’est dû ! »
Il dit, et marche droit aux colonnes d’Hercule ;
L’hydre des factions devant ses pas recule ;
Dans les murs de Cadix il s’enferme indécis :
En vain sa gueule enflammée
D’une stérile fumée
Couvre le camp français sur le rivage assis ;
Devant nous la porte tombe,
Et le monstre qui succombe
De sa dernière écume outrage encor les lis.
C’est peu : pour contempler nos pompes triomphales,
Qu’à leur sang refusa le destin rigoureux,
Nos frères, moissonnés sous un chef moins heureux,
Du sommeil de la Mort rompant les lois fatales,
Se lèvent par milliers de leurs tombeaux poudreux,
Et contens d’une gloire, et si prompte et si belle,
Tous rentrent consolés dans la nuit éternelle !
Bronzes, tonnez de joie, et vous sonnez, clairons ;
Lampe sde feu, brillez rivales des étoiles,
De cette nuit superbe enrichissez les voiles,
Les colonnes d’Hercule ont uni deux Bourbons !
Sommes-nous aux temps héroïques,
Dans ces jours aux yeux éclipsés
Où les montres, les rois iniques
Par Alcide étaient terrassés ?
Nouveau Thésée, au bras robuste,
Des Cercyon, des Procuste
Nettoyant les rocs indignés,
Ce héros brise les entraves
De deux époux, nobles esclaves
Sur leur trône même enchaînés.
« À vos pieds, leur dit-il, je prosterne ma gloire.
» Le péril fut commun, partageons la victoire ;
» Notre sceptre est le même, et le sang nous unit. »
Il parle et sous l’abri de ses palmes guerrières
Met les vastes frontières
Où l’Espagne commence, où la France finit.
Tel un jeune olivier entre un double héritage,
Par l’Aurore arrosé, caressé du Zéphyr,
Croît et prolonge au loin son pacifique ombrage
Sous un ciel pur semé de rose et de saphyr.
Ce n’est sous ses rameaux qu’une éternelle fête,
L’Amour y vient rêver de jeux et de conquête,
Et l’Hyménée en paix y vient former ses nœuds ;
Sur ses maîtres unis par une amitié tendre
De printemps en printemps son ombre aime à s’étendre
Et promet à leurs fils ses fruits délicieux !
DENNE-BARON,
de plusieurs Académies.

- ↑ Se trouve au bureau du Petit Courrier, rue de Seine, n. 99.