Dissertation sur la nature et la propagation du feu/Réponse de Madame la Marquise du Chastelet, à la lettre que M. de Mairan, etc. lui a écrite

Réponse de Madame la Marquise du Chastelet, à la lettre que M. de Mairan, etc.

RÉPONSE
DE MADAME LA MARQUISE
DU CHASTELET,
À la Lettre que M. de Mairan, Secretaire perpetuel de l’Academie des Sciences, &c. lui a écrit le 18. Février 1741. ſur la queſtion des forces vives[1]

À BRUXELLES, ce 26. Mars 1741.



Q Uelque forme que prennent vos ouvrages, Monſieur, j’en ferai toujours un cas infini, ainſi vous ne devez pas douter de la reconnoiſſance avec laquelle je reçois l’édition in-12 de votre Mémoire que vous m’envoyez, & je commence à croire véritablement les Inſtitutions de Phyſique un livre page 4. lig. derniere.d’importance, depuis qu’elles ont procuré au public la Lettre à laquelle je vais répondre, & cette nouvelle édition de votre Mémoire dont vous avez pag. 4. lig. 6.conſenti qu’on l’enrichit, avec les changemens importans que vous y avez faits, & dont vous avez la bonté de m’inſtruire.

Si je n’avois craint de manquer à la politeſſe en différant trop long-tems cette réponſe, je vous aurois demandé quelques éclairciſſemens dont j’avouë que j’aurois beſoin.

Je vous aurois demandé, par exemple, ce que vous entendez par bien lire un ouvrage, afin que je puiſſe me garantir à dans la ſuite du reproche que vous me faites de n’avoir pas pag. 5. lig. 8. & 9.bien lû ni dans ſon énoncé, ni dans le texte qui la ſuit, la propoſition de votre Mémoire dont j’ai pris la liberté de ne pas convenir.

Or juſqu’à ce que vous m’ayiez expliqué ſur cela votre penſée, je fuis obligée d’interprêter à la maniere des Scholiaſtes ce paſſage un peu obſcur, par un autre très-clair qui ſe lit à la page 26lig. derniere & prem. & 27 de votre Lettre, & je trouve par ce moyen que cela veut dire, que je n’ai point lû du tout cette propoſition. Voilà aſſurément une accuſation des plus graves, car puiſqu’il ne s’agiſſoit que de la bien lire, dans ſon pag. 5. énoncé, pour en comprendre toute la force, je ſuis bien coupable de n’avoir pas pris cette peine, moi qui ai pris celle de lire deux fois votre Mémoire.

Mais je vous avouë à ma confuſion, que je ne puis deviner auſſi heureuſement ce que l’Errata pag. 7. lig. 6. de mon Mémoire ſur le feu, & ce qui ſe paſſa, dites-vous, à l’Imprimerie Roiale, à ſon occaſion, peuvent faire aux forces vives.

J’avois pris la liberté de prouver dans les Inſtitutions Phyſiques, que vous aviez fait un mauvais raiſonnement dans votre Mémoire de 1728. À cela, vous me répondez que j’ai fait un Errata, vous m’avouërez que cet Errata eſt préciſement le tronc de St Mery[2] du Pere Anat.

Je ſuis encore dans un grand embarras pour ſçavoir quel Contraſte un Errata peut faire avecpag. 7. le monde pour lequel je ſuis née ; s’il y a du Contraſte dans tout ceci, il me ſemble que ce n’eſt pas dans cet Errata qu’il conſiſte.

Après vous avoir propoſé mes doutes, ſur les endroits de votre lettre qui m’ont paru obſcurs, je vais répondre à ceux, qui, ce me ſemble, n’ont pas beſoin d’éclairciſſement ; car je vois très-clairement, par exemple, que mes Sentimens Philoſophiques pouvoient marcherpag. 7. lig. 24. & 25. ſans que vous y fuſſiez nommément impliqué, & je me flatte qu’ils n’ont point perdu ce privilege.

Le Conſeil que vous voulez bien me donner de lire, & de relire votre Mémoire, me paroit encore très-clair, mais je puis vous aſſurer que plus je le lis & relis, & plus je me confirme dans l’idée où je ſuis, que quelque ſuppoſition que vous faſſiez, une force capable de fermer 4. reſſorts ſeulement, n’en fermera jamais ſix.

Mais avant de le prouver de nouveau, je dois répondre à un autre reproche que vous me faites, & qui n’eſt pas moins grave que le premier, c’eſt d’avoir tronqué, & défiguré l’endroit de votre Mémoire que j’examine dans mon livre.

Heureuſement, il n’y a point de lecteur qui ne puiſſe juger par ſes yeux, de la juſtice de ce reproche, en comparant cet endroit tel que je l’ai abregé dans mon ouvrage, avec les no. 38. 39. 40. 41. 42. 43. &. 44. de votre Mémoire in-4o. dans lequel ils occupent 6 pages[3] que je ne pouvois, ni ne voulois tranſcrire dans mon livre ; ainſi vous ne devez pas exiger que toutes vos paroles s’y trouvent, & vous en convenez vous-même à la page 12. de votre lettre : montrez donc ſi cela eſt, que votre ſens ne s’y trouve pas.

C’eſt apparemment ce que vous avez prétendu faire, en me demandant danspag. 12. quel endroit du no. 33. de votre Mémoire, on trouve ce qui eſt marqué par des guillemets à la fin de la page 432. des Inſtitutions, car il n’y a aſſurément perſonne, qui en liſant cette interrogation, ne croye que je vous prête dans l’endroit que vous citez, des ſentimens, & des expreſſions, entierement oppoſés aux vôtres.

Comme il ne s’agit heureuſement pas ici de tranſcrire 14 pages, je vais épargner au Lecteur la peine d’aller chercher cet endroit dans mon livre, & dans votre Mémoire, & je vais lui mettre les deux textes ſous les yeux, afin qu’il juge par lui-même, de l’importance des variations qui s’y trouvent.

Il s’agit dans cet endroit de la comparaiſon du mouvement uniforme, & du mouvement retardé.

Inſtit. de Phiſique pag. 432. Mém. de Mr. de Mairan. no. 33. p. 57. de l’in. 12. & 24. de l’in. 4o.
Mr. de Mairan dit encore numero 33. que de même qu’une force n’eſt pas infinie, parce que le mouvement uniforme qu’elle produiroit dans un eſpace non reſiſtant ne ceſſeroit jamais, il ne s’enſuit pas non plus, à la rigueur, que la force motrice de ce même corps en ſoit plus grande, parce qu’elle dure plus long-temps. Comme il ne s’enſuit pas de ce que le mouvement uniforme d’un corps fini qui a une viteſſe finie ne ceſſe jamais, ou dure toujours, que la force motrice actuelle qui le produit ſoit infinie, il ne s’enſuit pas non plus à la rigueur, que la force motrice de ce même corps dans le mouvement retardé en ſoit plus grande de ce qu’elle doit durer davantage.

Après avoir comparé ces deux textes, avec toute l’exactitude poſſible, pour y decouvrir mes fautes, je trouve entr’autres obmiſſions conſiderables, que j’ai oublié de mettre après ces mots, ne ceſſe jamais, ceux-ci qui ſe trouvent dans votre texte, ou dure toujours, & j’avouë que c’eſt là une infidelité impardonnable.

Je pourrois pouſſer cette gloſe plus loin, mais ce ſeroit, je crois, abuſer de la patience du Lecteur, qui peut juger en connoiſſance de cauſe, après cet Exemple, à qui de nous deux il doit s’en prendre, ſi ce qui eſt marqué par des guillemets & en italique aux pag. 429. 430. 431. & 432. des Inſtitutions, pag. 12. lig. 8. & 9.eſt défectueux, pour ne rien dire de pis, ce ſont les paroles de votre Lettre, car je n’aurois garde aſſurément de me ſervir de ces termes, mais il vous eſt permis de faire de votre bien, ce qu’il vous plaît.

Comme il ne m’appartient pas d’en uſer de même je dois, avant de quitter cette matiere répondre à ce que vous ajoutez à la pag. 13. de votre Lettre, où vous me reprochez d’avoir supprimé de l’énoncé de cette proposition, que ce sont les ressorts non applatis qui donnent la mesure de la force motrice, ces paroles qui la terminent, & qui selon vous l’auroient mise à l’abri de toute critique, & qui l’auroient été si la force se fut toujours soutenuë & n’eut point souffert de diminution ; mais je demande à tout Lecteur équitable, si ces mots qui se trouvent à la fin de l’italique de la page 431. des Institutions par un mouvement uniforme & une force constante, ne renferment pas, tout ce que ceux, de la suppression desquels vous vous plaignez, expriment, & s’il y a enfin d’autre difference entre eux que la difference numerique, des mots ? j’étois d’autant plus autorisée à croire, que les mots dont je me fuis servi renfermoient le même sens, que ceux que j’ai, dites vous supprimés, que vous avez employé vous-même deux fois ces mêmes mots, par un mouvement uniforme & une force constante, au no. 41. de votre Mémoire, pag. 73. lig. 12. & 74. lig. 8.[4] & cela pour exprimer la même chose precisément, que ceux de la suppression desquels vous vous plaignez, expriment.

Je ſuis d’ailleurs ſi éloignée d’avoir voulu ſupprimer ces paroles, que je dis encore à la même pag. 431. des Inſtitutions lig. 14. « Car ſi l’on ſuppoſe, avec M. de Mairan, que le corps n’auroit conſumé aucune partie de ſa force pour fermer 4 reſſorts dans la premiere ſeconde d’un mouvement uniforme, je dis que ces reſſorts ne ſeront point fermés, ou qu’ils le ſeront par un autre agent. »

Eſt-il poſſible après cela que vous m’imputiez d’avoir obmis, ce que je refute ſi poſitivement, & ce qui me fourniſſoit un ſi beau champ de refutation, car c’eſt en cela même que conſiſte le paralogiſme, que je demêle en cet endroit, & les pag. 431. & 432. des Inſtitutions, ne font employées qu’à le combattre ? comment pouvez vous donc dire avec quelque bonne foi, que l’on peut raiſonnablement douterpag. 13. que j’euſſe jamais voulu attaquer cette Theorie, ſi ces paroles n’euſſent pas été retranchées de ſon Énoncé… & que ces paroles ne ſe trouvent ni dans les morceaux que je vous attribuë, ni dans les remarques de ma part qui les accompagnent.

Je laiſſe au Lecteur à juger de l’équité de ce reproche, & je lui demande ſi ce n’eſt pas moi qui ſuis en droit de croire que vous n’avez pas lû, ou du moins que vous n’avez pas bien lû les pag. 431. & 432. des Inſtitutions, & ſi je ne puis pas vous dire à mon tour, liſez, Monſieur, je vous ſupplie, & reliſez cet endroit de mon Livre, & vous verrez que ce ne ſont point de ſimples reſumez ni les paroles d’un autrepag. 11. lig. 20. & 21. que j’ai tranſcrit, mais les vôtres mêmes, auſquelles je n’en aurois pû ſubſtituer d’autres, ſans perdre infiniment au change.

Et en effet, je ne puis croire encore que ce ſoit ſerieuſement, que vous apportez pour juſtifier votre propoſition, ce préciſement en quoi j’ai fait voir que conſiſte ſa fauſſeté, & juſqu’à ce que vous l’ayez défenduë autrement que par ſon propre énoncé, je ſerai en droit de la croire ſuffiſamment refutée par ce que j’ai dit dans les Inſtitutions Phiſiques.

Il n’eſt pas étonnant après ce que l’on vient de voir que vous n’ayiez pas voulu comprendre ce que je dis à la pag. 430. de ces mêmes Inſtitutions. Car c’eſt le commencement de l’argument par lequel je refute ce même paſſage que vous me reprochez de n’avoir ni ni rapporté ; mais aſſurément c’eſt vous ici qui tronquez des paſſages. Car ſi j’avois dit ſans reſtriction, comme vous me l’imputez, qu’on ne peut, même par voye d’hipotheſepag. 10., réduire le mouvement retardé en uniforme, il n’y auroit nulle obſcurité, & il ſeroit très clair que j’aurois dit une grande ſottiſe ; mais quand j’ai avancé à la pag. 430. des Inſtitutions, Qu’on ne peut même par voye d’hipotheſe réduire le mouvement retardé en uniforme, j’avois dit auparavant, dans les obſtacles ſurmontés, comme les deplacemens de matiere, les reſſorts fermés, &c. on ne peut même par voye d’hipotheſe, &c. or dites moi, je vous ſupplie, pourquoi vous qui exigez tant d’exactitude, vous en avez ſi peu dans cette occaſion, & pourquoi vous avez ſupprimé, non-ſeulement ces mots, car ce ſeroit peu de choſe, mais le ſens qu’ils renferment, & qui fait voir clairement que je n’ai point dit, qu’on ne peut jamais réduire par hipotheſe le mouvement retardé en uniforme, mais que dans le cas que vous ſuppoſez dans votre Mémoire, cela eſt impoſſible, & cela le ſera effectivement toujours ; car on ne peut réduire par hipotheſe, le mouvement retardé en uniforme, ſans faire abſtraction des obſtacles que le Corps en mouvement rencontre (comme ont fait Galilée, & tous ceux qui ſe ſont ſervis de cette ſuppoſition) or vous ne pouvez pas certainement faire abſtraction de ces obſtacles, puiſque vous les ſuppoſez ſurmontés dans l’endroit de votre Mémoire dont il s’agit, & qu’il n’y eſt queſtion même que d’eſtimer la force qui les ſurmonte, j’ai donc eu raiſon de dire que dans le cas que vous ſuppoſez, on ne peut, même par hipotheſe, réduire le mouvement retardé en uniforme, & vous l’avez ſi bien compris que les pag. 9. & 10. de votre Lettre ne font employées, qu’à tâcher de pallier la fauſſeté de cette propoſition, que l’on peut ſuppoſer la force uniforme quoiqu’elle faſſe ſurmonter au mobile les obſtacles qu’il rencontre, de même qu’on ſuppoſe le mouvement uniforme dans un eſpace non reſiſtant.

Examinons donc encore par les regles de la plus ſévere Logique cette propoſition, & voyons ſi l’on doit en effet eſtimer la force des Corps par les effets qu’ils ne font point, & ſi les forces vives pourront ſe relever de ce coup ſi rude que Mr[5] Deidier prétend que vous leur avez porté, par cette nouvelle façon de les évaluer.

Je me ſervirai de l’exemple que vous apportez aux no. 40 & 41 de votre Mémoire pag. 71 de l’in-12, 30 & 31 de l’in-4o. (Car je ſuis bien-aiſe de vous faire voir que je les ai ici tous deux,) je me ſers de l’exemple que vous apportez dans cet endroit, parceque vous y entrez dans un plus grand détail que dans votre Lettre.

Voici votre propoſition num. 40, car vous m’avez appris à être exacte, & je rapporterai vos propres mots.

Ce qui vient d’être dit des eſpaces non parcourus n’a pas moins lieu à l’égard de tous les autres effets du mouvement, & du choc, comme il a été remarqué ci-deſſus num. 27. par rapport aux eſpaces parcourus ; & nous dirons de même, 1o. que ce ne ſont point les parties de matiere déplacées ni les reſſorts tendus on applatis qui donnent l’eſtimation ou la meſure de la force motrice, mais les parties de matiere non déplacées, les reſſorts non tendus, ou non applatis, & qui l’auroient été, ſi la force motrice ſe fut toujours ſoutenue & n’eut point ſouffert de diminution, 2o. que ces parties de matiere non déplacées ſont en raiſon &c. Comme no. 38.

Voici à préſent votre preuve de cette propoſition, telle qu’elle ſe trouve no. 41.

Pour en donner un exemple, ſoient des impulſions, des obſtacles, ou des réſiſtances quelconques, [car vous voyez que je n’obmets rien,] uniformement placées ſur le chemin du mobile A. telles que des particules de matiere à déplacer, ou des Lames de reſſort à ſoulever, ou à tendre, il eſt évident, que ſi le mobile A. avec un degré de viteſſe & de force peut en ſoulever deux en un inſtant par un mouvement uniforme, c’eſt-à-dire en conſervant, ou en reprenant toujours toute ſa force, & toute ſa viteſſe après avoir ſoulevé la premiere, & qu’au contraire, il n’en puiſſe ſoulever qu’une par un mouvement retardé, toute la force, & toute ſa viteſſe s’étant conſumée à ſoulever la premiere, il eſt dis-je évident par tout ce que j’ai dit ci-deſſus no. 28. que le mobile A. ayant 2 de force, & autant de viteſſe ſouleveroit 4 de ces lames de reſſort en un inſtant par un mouvement uniforme ; mais il perd dans cet inſtant & en tendant les premiers reſſorts un degré de ſa force, & un degré de ſa viteſſe, & un degré de force & de viteſſe perduë, donne par hipotheſe no. 27. une lame de moins de ſoulevée, donc il n’en ſoulevera que 3 au premier inſtant, & il s’en faudra la lame 4 qu’il ne faſſe ce qu’il auroit fait, s’il n’eut rien perdu ; cependant, comme il lui reſte encore un degré de force & de viteſſe, qui lui feroit ſoulever 2 lames en un ſecond inſtant, ſi ſon mouvement demeuroit uniforme, & ſa force conſtante, il doit continuer de ſe mouvoir, & d’agir contre les reſiſtances qui s’oppoſent à ſon mouvement ; mais au lieu de deux, il n’en doit ſurmonter qu’une ou ſoulever une lame, à cauſe que ſon mouvement y eſt retardé, & ſa force totalement éteinte, ce qui fera en tout, 4 Lames ſoulevées en vertu de 3 degrés de force & de l’action totale qui a duré 2 inſtans, ſçavoir 4 reſſorts moins un, égal 3, au premier inſtant & 2 reſſorts moins un, égal 1. au ſecond, & l’on voit bien que ce fera toujours la même choſe, ſi au lieu de ſuppoſer 2 degrés de viteſſe, & 2 inſtans, on en ſuppoſe 3. 4. &c. & que le mobile déplacera 6 ou 8 reſſorts par un mouvement uniforme, & une force conſtante, & ſeulement 6 moins un, ou 8 moins un, par un mouvement retardé & une force décroiſſante dans le premier inſtant, & ainſi de ſuite.

Je me flatte que vous êtes content de l’exactitude de cet expoſé, je vais tacher à preſent que vous le ſoyez de la réponſe.

Je remarque donc premierement, que vous dites bien expreſſément dans le premier exemple que vous apportez, que le Corps A qui a un de viteſſe & un de force qu’il conſume en ſoulevant une lame dans le premier inſtant, reprend toute ſa force & toute la viteſſe pour ſoulever encore une ſeconde lame dans ce premier inſtant, d’où je conclus que ſelon vous-même, ces deux lames ont été ſoulevées dans le premier inſtant par deux de force, ſçavoir, un de force que le Corps avoit en commançant à ſe mouvoir, & que vous convenez qu’il a conſumé en ſoulevant la premiere lame, plus un de force que vous lui faites reprendre pour ſoulever la ſeconde lame, ce qui fait les deux lames que vous ſuppoſez qu’il ſouleve d’un mouvement uniforme dans le premier inſtant ; or il n’y a rien là que de très-poſſible, & il faudroit, comme dit M. Deidier être de bien méchante humeur pour vous le conteſter ; mais je ne vois pas ce que vous en pouvez conclure, pour la force du Corps A que vous ſuppoſez avoir commencé à ſe mouvoir, avec un de viteſſe & un de force.

Quant à l’autre cas, dans lequel vous donnez 2 degrés de viteſſe au Corps A, avec leſquels vous ſuppoſez qu’il ſouleveroit 4 lames dans le premier inſtant, & 2 dans le ſecond, par un mouvement uniforme & une force conſtante, je dis, que les 4 lames ne pourront jamais être ſoulevées dans le premier inſtant, même par hipotheſe ; qu’en conſumant les 2 degrés de viteſſe & toute la force que ce Corps avoit en commençant à ſe mouvoir, je dis qu’elles ne le peuvent pas être ſans cela, même par hipotheſe, car il ne vous eſt pas permis de ſuppoſer en même tems, que ces lames ſeroient ſoulevées, & qu’elles ne ſeroient pas ſoulevées, & c’eſt cependant ce que vous ſuppoſeriez, ſi vous diſiez, que le corps A. auroit ſoulevé 4 lames dans le premier inſtant, d’un mouvement uniforme, & que vous ne vouluſſiez pas convenir, en même-tems, qu’il auroit conſumé en les ſoulevant, la force néceſſaire pour les ſoulever. Orpag.15. de cette Lettre. vous avez dit ci-deſſus qu’il faut 2 degrés de force à un Corps pour ſoulever 2 lames, donc ſelon vous-même il faut 4 de force pour ſoulever 4 lames, ſoit que vous appelliez cette force une force conſtante, ſoit que vous lui donniez un autre nom, ſoit enfin que vous y ajoutiez ces mots, par un mouvement uniforme ; donc ce Corps qui avoit en commençantpag.16 de cette Lettre. à ſe mouvoir 2 de viteſſe en vertu deſquels il pouvoit, dites-vous, ſoulever 4 lames, n’aura plus rien dans le ſecond inſtant ſi vous lui faites ſoulever par hipotheſe ces 4 lames dans le premier, & les deux lames que vous lui faites ſoulever dans le ſecond inſtant ne le feront point, ou bien elles le feront par un autre agent, & en vertu d’une nouvelle force.

Or il eſt clair, qu’il faut que vous ſuppoſiez, ou que ce Corps auroit renouvellé ſa force pour ſoulever 6 lames en 2 inſtans, auquel cas ce n’eſt plus ſa force réelle que vous evaluez, mais une force nouvelle dont vous ne pouvez rien conclure, ou bien ſi vous voulez tirer de cet exemple la meſure de la force réelle de ce Corps, par la comparaiſon de ce qu’il fait d’un mouvement retardé, à ce qu’il auroit fait d’un mouvement uniforme, il faut abſolument que vous ſuppoſiez, que c’eſt avec la même force, avec laquelle il a commencé à ſe mouvoir, qu’il auroit ſoulevé 6 lames au lieu de 4, ſi cette force ne ſe fut point conſumée, c’eſt-à-dire, s’il ne les avoit pas ſoulevées, ce qui eſt viſiblement ſuppoſer en même-tems les contradictoires, & juſqu’à ce que vous ayez répondu avec préciſion à ce dilemme, j’aurai eu raiſon de dire, comme j’ai l’honneur de vous le redire ici, qu’il eſt auſſi impoſſible qu’un Corps, par la même force qui lui fait fermer 3 reſſorts dans le premier inſtant, & un dans le ſecond, par un mouvement retardé, en ferme 4 dans le premier inſtant & 2 dans le ſecond, par un mouvement uniforme, qu’il eſt impoſſible que 2 & 2 faſſent 6, & il ne vous eſt pas même permis de le ſuppoſer à moins qu’on ne vous accorde la permiſſion de ſuppoſer en même tems, que des reſſorts ſont fermés, & qu’ils ne ſont pas fermés.

Or comme vous avez fait le raiſonnement que contient votre no. 41, pour prouver cette propoſition, que vous aviez avancée au no. 40. que la meſure de la force motrice n’eſt pas les reſſorts fermés, ni les obſtacles derangés, mais les obſtacles non derangés & les reſſorts non fermés, & qui l’auroient été par une force conſtante, il faut abſolument, ou que vous conveniez que votre raiſonnement ne prouve rien du tout, je dis exactement rien, dans toute la force de cette expreſſion, ou bien que vous conveniez qu’il renferme une contradiction auſſi palpable que de ſuppoſer que 2 & 2 font 4 & 6 en même-tems : or je laiſſe à conclure ce qu’il prouveroit alors.

Et ne penſez pas que j’aye choiſi l’exemple des lames de reſſort ſoulevées, ou applaties, plutôt que celui des obſtacles de la péſanteur, ſurmontés par un Corps qui remonte, parce que ce Cas de la péſanteur ſurmontée vous eſt plus favorable que l’autre, comme vous paroiſſez le croire à la pag. 29. de votre Lettre : c’eſt une erreur dans laquelle je ne veux pas vous laiſſer, & puiſque ce que j’ai dit ſur cela au no. 567 des inſtitutions Phyſiques page 420, & ſuiv. ne vous ſuffit pas, je vais vous prouver de nouveau que le Cas d’un Corps qui remonte, ſur lequel vous avez, dites vous, tant inſiſtépag. 29. lig. 11. ne vous eſt pas moins contraire que les autres.

Je ne veux pas diſſimuler que vous dites, pag. 76Édit. in-12. de votre Mémoire, que le Corps qui remonte ne perd pas ſa force à parcourir les eſpaces dans leſquels il remonte, mais qu’il la perd en les parcourant, ni vous priver de l’avantage que vous pouvez tirer d’une diſtinction ſi fine, & qui éclaircit ſi bien la difficulté ; mais je crois cependant que quelque diſtinction que vous faſſiez il faut néceſſairement lorſque vous examinez ce qui arrive à un Corps qui commence à remonter avec la viteſſe 2, par exemple, & quelle eſt ſa force, que vous faſſiez abſtraction des obſtacles que les impulſions de la péſanteur lui oppoſent, ou que vous n’en faſſiez pas abſtraction, il n’y a pas un troiſiéme parti à prendre ; or il eſt évident, de cette évidence que tout le monde peut ſaiſir, que ſi vous laiſſez ces obſtacles, le Corps avec la viteſſe 2. ne montera jamais qu’à la hauteur 4, & que ſi vous ôtez ces obſtacles, il n’y a plus alors de calcul à faire de la force qui les ſurmonte, ni des pertes de force que le Corps a fait en les ſurmontant, puiſque l’eſpace vuide d’obſtacles que ce Corps auroit parcouru dans cette ſuppoſition, n’auroit conſumé ni ſa force, ni ſa viteſſe, ce n’eſt donc pas ce que ce Corps n’a point fait qui doit être la meſure de la force qu’il a perduë, mais les obſtacles qu’il a ſurmontés, car les effets produits, dans le mouvement uniforme & dans le mouvement retardé, ſont d’un genre different & qu’on ne peut comparer, l’effet du premier n’étant que l’eſpace parcouru ſans aucun obſtacle dérangé dans cet eſpace ; & celui du ſecond conſiſtant dans le déplacement de ces obſtacles, je ne craindrai donc point d’aſſurer que dans tous les cas poſſibles, la force des Corps doit être évaluée par les obſtacles qu’ils ſurmontent de quelque nature qu’ils puiſſent être, & qu’on ne peut ſubſtituer aux pertes réelles qu’ils font en les ſurmontant, les pertes maginaires que vous leur faites faire en ne les ſurmontant pas, ſans ſuppoſer en même-tems les contradictoires, & qu’enfin, ſuppoſé qu’il fut poſſible que les expériences nous fiſſent illuſion, & que la force des Corps ne fut pas le produit de leur maſſe par le quarré de leur viteſſe, je dis que dans ce cas même, votre propoſition & les concluſions que vous en avez tirées ſeroient toujours fauſſes, car ce qui implique contradiction ne peut jamais devenir vrai.

Cependant malgré toutes ces preuves, vous me dites encore à la pag. 11. de votre Lettre, que je ne puis vous paſſer cette concluſion, qu’on doit eſtimer la force des corps par les obſtacles qu’ils ne ſurmontent point, & qu’ils auroient ſurmonté par une force conſtante, mais que je ne la refute nullement : dites moi donc ce que c’eſt que refuter, ſi ce n’eſt pas démontrer, que ce que l’on combat implique contradiction ? mais c’eſt peut-être cela que vous appellez refuter unpag.14. lig. 7. peu cavalierement.

Il eſt vrai que ſi j’avois voulu ennuier mes lecteurs j’aurois pu, & je pourois encore faire une refutation plus ample de votre Mémoire, que celle qui ſe trouve dans les Inſtitutions Phyſiques & dans cette Lettre, mais comme la propoſition que j’ai réfutée, ſert de baſe à tous les raiſonnemens qu’il contient, & que tous vos argumens ne ſont que cette même idée retournée mais toujours défectueuſe, je crois qu’il ſuffit d’avoir ſapé cette baſe pour faire crouler tout l’édifice je vais donc à préſent me défendre à mon tour, & voir ſi je pourrai ſauver les preuves que j’ai apportées dans mon ouvrage en faveur des forces vives, des coups que vous prétendez leur porter dans votre Lettre.

Vous commencez par attaquer unpag. 14. juſqu’à la 24. argument tiré du choc des Corps que j’ai rapporté d’après M. Herman ; pour celui-ci vous ne m’accuſez pas de l’avoir défiguré, ainſi c’eſt M. Herman, que vous attaquez pour le fonds des choſes, & je n’y ſuis que pour les louanges que j’ai données à cet argument, & que vous trouvez auſſi ridicules, que l’argument même.

Mais je ſuis tentée de croire que tout ceci n’eſt qu’une plaiſanterie, car comment peut-on penſer que ce ſoit ſérieuſement que vous accuſiez un auſſi grand Geometre que M. Herman, de confondrepag. 16. le double d’une quantité avec ſon quarré, & d’ignorer, que quoique le quarré de 2. ſoit 4. celui de 3. n’eſt pas 6. En vérité ne ſeroit-ce pas M. Herman quiidem lig. 18. ne ſe donneroit pas la peine de répondre, à une telle allégation ?

Mais je ne dois pas être ſi difficile, ainſi puiſque vous me forcez par tout ce que vous ajoutez, de prendre ce que vous dites ſur cela pour un raiſonnement ſérieux, je vais y répondre, & vous faire voir que ce cas propoſé par M. Herman, n’eſt ni particulierpag. 16. lig. 16., ni fortuit, ni équivoque.

Pour le prouver, je reprendspag. 20. lig. 13. volontiers avec vous les 3. boules A, B, C, & je ne veux pas me ſervir d’un autre exemple que de celui que vous me demandez vous-même ; donnons donc 4 depag. 16. viteſſe à la boule A. Il eſt certain qu’elle donnera, comme vous le dites, à la boule triple B, 2 de viteſſe ; or, dites-vous, 2 de viteſſe par 3 de maſſe donnent 6 de force, mais aſſurément quelqu’envie que j’aye de vous tirer d’erreurspag. 17. lig. 17., je ne puis me prêter ici à votre maniere de compter, 3 de viteſſe par 3 de maſſe font ſelon mon compte 12 de force & non pas 6, & cela, parce que le quarré de 2. eſt 4 & que le produit de 4 par 3 eſt 12 & non pas 6. [car vous voyez que j’ypag. 17. lig. 22. prends bien garde.]

Le Corps A. qui rejaillit avec 2 de viteſſe & dont la maſſe eſt 1, a ſelon ce même compte, 4 de force, 12 & 4 font 16 donc la force après le choc ſera 16, c’eſt-à-dire comme le quarré de la viteſſe du Corps choquant A. avant le chocq : car cette viteſſe étoit 4, & ſon quarré 16, multiplié par la maſſe 1 ; donne 16 de force, vous voyez donc que ce cas loin de refuter le cas rapporté par M. Herman, le confirme, & quelque viteſſe ou quelque maſſe qu’il vous plaiſe de donner à ces Corps, vous trouverez toujours leur force après le choc, comme le quarré de la viteſſe du corps choquant multiplié par ſa maſſe ; ainſi cet exemple de M. Herman, n’eſt point particulier, mais général, & ce n’eſt pointpag. 18 lig. 8. en tant que double de ſa premiere puiſſance, que 2 de viteſſe donne le nombre 4 dans cet exemple, mais comme la ſecondepag. 18 lig. 9. puiſſance ou ſon quarré, ne vous mettez donc point en dépenſe d’infinispag. 19 lig. 9. pour parier, car vous voyez que je ne ſerai point réduitepag. 18 lig. 3., comme vous le craignez, à faire déſormais la force des Corps, comme la ſomme des maſſes, multipliée par le double de la viteſſe.

Mais voyons à quoi vous êtes réduit vous-même, pour trouver que dans cet exemple la force communiquée par le Corps A. n’eſt qu’en raiſon de ſa ſimple viteſſe multipliée par ſa maſſe ; car le Corps triple B, auquel le Corps A. a donné 2 de viteſſe, a, de votre aveu même, 6 depag. 17. lig. 8. force, en voila déja plus que le Corps A n’en avoit, puiſqu’il n’avoit que 4 de viteſſe, & 1 de maſſe, & par conſéquent 4 de force ſuivant votre compte.

Mais ce n’eſt pas tout encore, car le Corps A. qui avec 4 de force, en a communiqué 6 au Corps B, en a gardé 2 pour lui, ſelon vous-même, ce qui eſt encore un ſurcroit d’embarras.pag. id.

Mais vous vous en tirez à merveille, en nous apprennant que la force du Corps A. n’eſt qu’une force négative ; & en la ſous-traïant, ſelonpag. 20. toutes les regles de l’algébre, de la force poſitive du Corps B, vous trouvez votre compte.

En verité c’eſt une choſe admirable, que la facilité avec laquelle, cette petite barre, que vous avez mis devant l’expreſſion de la force du Corps A, vous a débarraſſé de ces 8 forces, que votre calcul même vous donnoit après le choc, au lieu de 4 que vous lui demandiez ; mais dites-moi je vous ſupplie, ſi ce ſigne moins, & cette ſouſtraction ont ôté aux Corps A & B, quelque partie de leur force, & ſi les effets que feront ces Corps ſur des obſtacles quelconques, en ſeront moindres, c’eſt aſſurement ce que vous ne penſez pas, & je ne crois pas que vous en vouluſſiez faire l’experience, ni vous trouver dans le chemin d’un Corps qui réjailliroit affecté de ce ſigne moins, avec 500 ou 1000 de force.

Je vous avouë donc, tout ſerieuſement, (car c’eſt malgré moi, & ſeulement pour vous ſuivre, que je m’éloigne quelquefois dans cette Lettre, de ce ſtile ſévére, que je crois être le ſeul qui convienne aux matieres philoſophiques) je vous avouë, dis-je, que je ne vois pas de quoi ce ſigne moins vous avance, & comment vous pouvez en conclure, qu’il n’y a véritablementpag. 20. lig. 6. dans ces exemples que 4 de force, après, comme avant le choc, en ne conſidérantpag. 25. lig. 21. que le tranſport de matiere de même part : car aucun de ceux qui ſoûtiennent les forces en raiſon du quarré n’a dit, ce me ſemble, que ces forces duſſent ſe retrouver après le choc dans une même direction ; & en effet, puiſque ces Corps après le choc ont réellement les forces proportionnelles à ce quarré, & qu’ils peuvent communiquer & exercer cette force il me paroît qu’il importe fort peu à ſon exiſtence que ce ſoit à droit, ou à gauche qu’elle exiſte ; ainſi de quelque côté que vous vous tourniez, il y aura toujours ſelon votre compte dans cet exemple, 4 de force avant le choc, & 8 de force après, ce qui eſt un peu un peu embarraſſant.

Je vous avouë que je ne conçois pas ce que vous dites ſommairement pag. 20. que les Corps dont il s’agit dans l’experience de Mr. Herman, ſont ſuppoſez ſe mouvoir d’un mouvement uniforme, avant & après le choc, & que par conſéquent les forces vives n’y peuvent avoir lieu, car l’on ne conſidére dans cette experience que l’effet produit par le Corps A ; or certainement ce Corps A qui a perdu toute ſa viteſſe, & toute ſa force en choquant les corps B & C ne s’eſt pas mu d’un mouvement uniforme, & à l’égard des Corps B & C, on ne conſidére pas ce qu’ils font, mais ce qu’ils peuvent faire ; or dans l’experience de Mr. Herman ils ont à eux deux la force 4, toujours prête à ſe déployer contre le premier obſtacle que vous leur préſenterez.

Mais je ne dois pas oublier qu’il me reſte à vous prouver que ce cas propoſé, par Mr. Herman, n’eſt ni fortuit, ni équivoque.

Mr. Herman n’étoit pas homme à choiſir ſes exemples au hazard, car c’eſt tout ce que veut dire ici, le mot de fortuit : or il eſt aiſé de voir, que la raiſon qui a déterminé, ce Geométre à choiſir parmi tous les cas poſſibles, que je vous ai fait voir, qui prouvent également ſon opinion, celui qu’il a propoſé ; c’eſt que ce cas eſt le ſeul dans lequel les adverſaires des forces vives ſoient obligés de convenir, que même ſelonpag. 20. lig. 8. leur compte, les forces communiquées ſont en raiſon du quarré des viteſſes du Corps choquant, parce qu’il n’y a que l’unité qui ſoit égale à ſon quarré. Ce cas n’eſt donc, ni fortuit, ni particulier, ni équivoque, mais il eſt général, choiſi avec raiſon ſuffiſante, & déciſif ; car Mr. Herman étoit en droit d’eſperer que l’on conviendroit que le Corps choquant A avec la viteſſe 2 avoit la force 4, puis qu’il faiſoit voir dans un cas non conteſté, ou du moins non conteſtable, qu’il avoit communiqué cette force.

Mais de plus, le Corps A perd ſa force par le choc dans ce même exemple, dans la même proportion qu’un Corps qui remonte avec 2 de viteſſe perd la ſienne par les coups de la péſanteur, comme je l’ai remarqué à la pag. 436. des Inſtitutions, & c’eſt encore une des raiſons qui ont engagé Mr. Herman à ſe ſervir de cet exemple, préférablement aux autres, & à y introduire le Corps C, que vous appellez un intruspag. 22. lig. 22., quoique vous ayez cependant reconnu vous-mêmepag. 23. lig. 5. & suiv., qu’il étoit néceſſaire de l’introduire dans cette experience, afin que ce qui s’y paſſe, fut analogue à ce qui arrive dans les eſpaces parcourus par un Corps qui remonte d’un mouvement que les coups de la péſanteur retardent.

Ce n’eſt point non plus ſans néceſſité que je dis pag. 436. & 437. des Inſt. après avoir rapporté cette experience de Mr. Herman, que quoi qu’elle réponde à ce que l’on a allegué contre la plupart des autres experiences qui prouvent les forces vives, cependant la difficulté du tems y reſte encore, car il me ſemble que j’explique aſſez clairement dans la ſuite de la pag. 437. comment cette difficulté y reſte, & en quoi elle conſiſte, pour que vous ne ſoyez pas en droit de me dire comme vous faites, que ſi la difficulté du temspag. 23. lig. 19. & 20. entre dans cette expérience, c’eſt à d’autres égards, & nullement de la façon dont j’ai cru le devoir craindre, car j’ai dit bien expreſſément à cette page 437. des Inſtitutions que cette expérience ne pouvoit ſatisfaire entierement les adverſaires, parce qu’ils demandoient un cas, dans lequel, un Corps avec une double viteſſe, fit un effet quadruple, dans le même tems, dans lequel un autre Corps, avec une viteſſe ſimple, produit un effet ſimple.

Or dans l’experience de M. Herman, ſi le Corps A. a communiqué toute ſa force aux Corps B & C, il aura bien produit l’effet quadruple, mais il ne l’aura produit qu’un temps double, & s’il n’a communiqué qu’une partie de ſa force au Corps B, & qu’il n’ait point rencontré le Corps C, il n’aura point produit l’effet quadruple demandé.

Je n’ai donc point jugé à propos de prévenirpag. 23. lig. 23. 24. & 25. une objection, qu’on ne devoit point me faire, mais j’ai repondu à l’objection, que M. Papin avoit fait autrefois à M. de Leibnits, & que M. Jurin a renouvellée depuis.

Reprenez donc votre étonnementpag. 21. à la fin, Monſieur, car il n’eſt point du tout ſurprennant, que j’aye cherché à repondre à cette objection, qui étoit la ſeule qu’une experience inconteſtable n’eut pas encore détruite.

Voilà pourquoi, j’ai rapporté à la page 438. des Inſtitutions, un cas que l’on a trouvé, & par lequel on ſatisfait entierement à la demande des adverſaires ; puiſqu’il y a dans cet exemple comme dans celui de M. Herman, 4 degrés de force produits par 2 de viteſſe, & cela ſelon votre maniere de compter, [car ce quarré eſt un ennemi que vous retrouvez par tout.] Mais cette experience a par deſſus celle de M. Herman, l’avantage, que l’effet quadruple y eſt produit in uno itcu, comme on l’avoit toujours demandé en vain, ce qui fait évanouir entierement la difficulté du temps, car ce n’eſt pas un effet produit en un inſtant indiviſible & dans lequel le tems n’entrât pas pour quelque choſe, que l’on avoit demandé, puis que le tems entre, & entrera toujours, dans tous les effets naturels, tant dans ceux qui prouvent les forces vives, que dans ceux par leſquels on a prétendu les combattre, mais on avoit demandé un effet quadruple, produit par une viteſſe double, dans le même tems qu’une viteſſe ſimple produit un effet ſimple, & c’eſt ce que l’on trouve dans le cas que j’ai rapporté.

Je ne ſçai ce que M. Jurin répondra à cette expérience, qui ſatisfait, je croi, à l’eſpece de défi que cet excellent Philoſophe a fait aux partiſans des forces vives ; mais je ſçai bien que quelques incompétences qu’il decouvre dans mon ouvrage, ſa réponſe, s’il en fait une, ſerapag. 27. lig.  derniere. remplie de politeſſe, & de cette ſagacité, qui caracteriſe tout ce qu’il fait, car perſonne ne rend plus de juſtice que moi au mérite de Mr Jurin, quoique je ſois dans des ſentimens fort différens des ſiens ; mais qui peut mieux prouver que vous, Monſieur, que mon aſſentiment n’eſt le prix que de la vérité, & qu’en fait de philoſophie l’eſtime la plus extrême, ne peut rien ſur moi ſans la conviction, car quoique je n’aye jamais été en commerce avec vous, avant cette Lettre, c’étoit aſſez d’avoir lû vos Ouvrages, pour eſtimer votre mérite.

Cette eſtime que je fais profeſſion d’avoir pour vous, Monſieur, me porteroit volontiers à la tranſactionpag. 31. lig. 6. que vous me propoſez ſur ce qui arrive dans la péſanteur, ſi je pouvois deviner le ſens de cette propoſition, & ce qui arrive dans la chûte des Corps, & pourquoi vous vous diſſimulezpag. 28. lig. 25. à vous-même que c’eſt de leur exemple, que j’ai tiré ma premiere preuve en faveur des forces vives, page 421. des Inſtitutions Phyſiques. Je ne pouvois aſſurément m’attendre après cela, que vous me reprochaſſiez de ne vouloir pas les prouver par cet effetpag. 29. lig. 6., dites-vous, ſi ſimple, & qui ne l’eſt peut-être pas tant.

Je me flatte du moins qu’après ce que j’ai eu l’honneur de vous dire, à la pag. 20. de cette lettre, vous ne regarderez plus l’exemple d’un Corps qui remonte, ou qui deſcend, & dont le mouvement n’eſt retardé, ou acceleré que par les impulſions de la péſanteur, comme un cas abandonné, dans lequel ceux qui ſoutiennent les forces vives, ſont obligés de convenir qu’on ne les trouve pas ; car j’eſpere vous avoir répondu aſſez préciſément pour lever tous vos doutes, auſquels je ne ſçache pas d’ailleurs qu’aucun partiſan des forces vives ait donné lieu.

Il eſt vrai que Mr Bernoulli a dit[6], que cet exemple tiré de la chûte des Corps, que Mr de Leibnits avoit propoſé, ne lui paroiſſoit pas aſſez convaincant, & il l’a confirmé par une infinité de demonſtrations, telles qu’il les ſait faire ; mais ce qui a confirmé cet exemple, l’a-t’il réfuté ? conclure ainſi, ce ſeroit aſſurément ce qu’on pourroit appeller, procéder dans ſes raiſonnemenspag. 28. lig. 17. 18. & 19. d’une maniere toute oppoſée à celle que la bonne philoſophie nous dicte.

C’eſt, ce me ſemble, avec quelque raiſon, que les Leibnitiens diſent, non pas ſimplement, comme vous le prétendez, que le tems n’eſt rienpag. 28. lig. 9., car cela n’auroit aucun ſens ; mais que pour faire un effet quadruple, il faut avoir une force quadruple, quel que ſoit le tems dans lequel cet effet s’opere ; & quand pour répondre à l’objection qu’on leur fait, que ces effets quadruples, s’operent dans un tems double, ils apportent des exemples dans leſquels l’effet quadruple eſt produit dans un tems ſimple, ce n’eſt pas qu’en effet la force en fut moins quadruple, ſuppoſé qu’il ne ſe trouvât aucun effet quadruple operé dans un tems ſimple ; car ces effets quadruples n’en ſont pas moins produits pour l’avoir été dans un tems double, & ils ne l’ont pas été ſans force, puiſqu’il n’y a point d’effet ſans cauſe ; mais on apporte ces exemples pour convaincre les adverſaires par leurs propres principes, & pour les forcer de conclure, que lorſque l’effet quadruple eſt produit dans un tems double, ce n’eſt point à cauſe de ce tems double que l’effet quadruple a été produit, mais parce que le corps qui l’a operé avoit une force quadruple, & alors on peut mettre à l’occaſion de la difficulté du tems, cette parentheſe, ſi c’en eſt unepag. 28. lig. 7. ; car cette parentheſe, que vous me reprochez, ne veut dire autre choſe, ſinon que, ſoit que le tems ſoit double, ſoit qu’il ne le ſoit pas, les effets étant toujours quadruples, la force qui les produit le doit être, & qu’enfin ce raiſonnement, cum hoc, ergo propter hoc, n’a pas plus de juſteſſe, & ne doit pas avoir plus de poids ici, qu’ailleurs.

Vous me repetez encore ici, Monſieur, que je n’ai pointpag. 26. & 27. lig.  derniere & prem. lû votre Mémoire ; & à force de me le dire, je crains qu’à la fin vous ne me le perſuadiez : je viens donc encore de le relire pour la troiſiéme fois, afin d’être bien aſſurée de l’avoir lû, mais j’avouë que je n’y ai trouvé aucune des choſes, que vous m’aviez fait eſpérer : telle eſt, par exemple, la démonſtrationpag. 19. par laquelle vous dites dans votre Lettre avoir refuté pluſieurs cas pareils à celui de M. Herman, non plus que cet exemplepag. 26. lig. 7. & 8., tout pareil à celui qui ſe trouve à la pag. 438. des Inſt. pour ne pas dire le même ; enfin je l’ai relû, ſans ſentirpag. 5. le foible de mes preuves, ni la force des vôtres, & je n’ai remporté d’autre fruit de cette nouvelle lecture, que de me convaincre, de plus en plus, que je ne le lirai jamais bien, quand j’y paſſerois toute ma vie ; vous ſentez bien que la ſeule conſolation qui me reſte après cela, c’eſt d’eſpérer que vous ne me ferez pas du moins le même reproche ſur votre Lettre.

En liſant cette Lettre, je vois que vous dites à la pag. 37. que les adverſaires des forces vives n’ont cherchélig. 6. qu’à invalider les experiences tirées des enfoncemens faits dans l’argile, par leſquelles on les prouve ; quoique cependant vous m’euſſiez fait l’honneur de me dire à la pag. 30. de votre même Lettre que vous ignorezlig. 7. qui ſont ceux qui rejettent ces experiences. Mais apparemment que vous l’avez appris depuis.

Vous ajoûtez enſuite, que vouspag. 30. lig. 12. & 13. les avez adoptées en preuve de votre ſentiment, ce qui s’appelle aſſurément faire argent de tout, ſans s’enrichir.

Vous me demandez ici, Monſieur, pour lequelpag. 31. des deux partis je crois que ſe trouve la préſomption ? je vous avouë que je ne m’étois point fait encore cette queſtion, & qu’ainſi vous me prenez au dépourvu pour y répondre ; mais pour vous donner une preuve de ma déférence, je vous dirai que ſi je croyois qu’il n’y eut que des préſomptions dans cette diſpute, je vous abandonnerois volontiers cet avantage ; ainſi nous ſerions bientôt d’accord. À l’égard de l’autoritépag. 32. lig. 5. bien ou mal évaluée, je vous avouë que je ne crois pas qu’elle doive décider dans une queſtion, qui eſt devenue toute Mathematique.

Auſſi quand j’ai cité Mrs. Herman, & Bernoulli, dans mon Livre, n’ai-je pas prétendu en impoſer à mes Lecteurs par des noms ſi célébres, mais j’ai voulu ſeulement les mettre à portée d’aller chercher les preuves de ces Philoſophes, dans leurs Ouvrages mêmes.

Je me perſuade donc que ſi vous vous donniez la peine de faire ce Livrepag. 33. lig. 6. ſur les préjugés légitimes, que vous croyez qui ſeroit ſi utile à cette diſpute, on le liroit avec plaiſir, comme tout ce qui fort de votre plume, car c’eſt là aſſurément un préjugé bien légitime ; mais je doute qu’on en pût eſpérer d’autre fruit.

Quant à ce que vous appellez, des ſourcespag. 33. lig. 16. d’illuſion plus délicates, quand je ſçaurai ce que vous entendez par-là, je tâcherai d’y répondre.

Vous, Monſieur, qui vous revoltez tant contre l’autoritépag. 45., il me ſemble que vous appuyez beaucoup ici ſur celle de Mr. Newton, qui croyoit la force des Corps proportionnelle à leur ſimple viteſſe ; mais comme il n’en parle que dans les queſtions qui ſont à la fin de ſon optique, & que nous n’avons aucun ouvrage de lui, qui nous faſſe voir qu’il ait diſcuté les preuves, que l’on apporte en faveur des forces vives, on peutpag. 13. lig. 16. raiſonnablement douter de quelle opinion M. Newton eut été s’il les avoit diſcutées car il étoit aſſez grand homme pour embraſſer une opinion dont M. de Leibnits étoit l’Auteur, s’il l’avoit jugée véritable.

Tout eſt ditpag. 32. lig. 8. & 9. ſelon vous, Monſieur, ou le doit être, ſur cette matiere ; mais tout ne l’étoit pas en 1728, & ſi vous n’aviez pas donné votre mémoire, on n’auroit jamais ſçu que la force d’un Corps doit être eſtimée par ce qu’il ne fait pas.

Je ne ſçais s’il y a des choſespag. 32. nouvelles, ſur cette matiere dans mon Livre, & ce n’eſt pas à moi d’en juger ; mais je me flatte, du moins d’y avoir démontré, que votre façon d’eſtimer la force des Corps, n’a pas l’avantage de la rité, & je ne cherche point à vous diſputer celui de la nouveauté.

Je ſuis enfin de votre avis, Monſieur, & j’aurois été bien fâchée que cette Lettre ſe fut terminée ſans cela ; je crois comme vous, que l’on auroit grand tort de ſe perſuader que cette queſtionpag. 35. ſur la maniere d’eſtimer la force des Corps n’eſt qu’une queſtion de nom ; & ceux qui ſe retireroient dansidem, lig. 14 cet aſyle mériteroient aſſurément d’en être tirés pour eſſuïer toutes les queſtions qui ſe trouvent à la pag. 35. de votre Lettre ; j’eſpére donc que vous ne vous repentirez point de la juſtice que vous voulez bien rendre à mon diſcernement en me croyant aſſez éclairéeidem., pour voir que de donner 100. dégrés de force à un Corps, ce n’eſt pas la même choſe que de lui en donner 10.

Enfin je ſuis encore perſuadée avec vous qu’il y a quelqu’un icipag. 37. lig. 12 qui a tort, mais je fuis bien ſure du moins de n’avoir pas celui de ne pas ſentir tout votre mérite. Je ſuis, &c.

  1. Tous les chiffres indiqués à la marge renvoyent à la lettre de Mr de Mairain, à laquelle cette lettre répond.
  2. Provinciales, lettre 17. addreſſée au Pere Anat.
  3. Ils en occupent 14. dans l’in. 12.
  4. Ces mêmes mots sont rapportés ci-dessous dans le texte de M. de Mairan que j’y ai transcrit pag. 16. lig. 17. & 18. Le Lecteur peut voir par lui-même s’il ne les a pas employés dans cet endroit pour exprimer la même chose que ceux de la suppression desquels il se plaint.
  5. Le jour même que la lettre de M. de Mairan à Madame du Châtelet parut, Mr l’Abbé Deidier ami de Mr de Mairan donna une petite Brochure intitulée : Nouvelle réfutation de l’hipotheſe des forces vives, à Paris, chez Jombert. La moitié de cet Ouvrage eſt employé à réfuter le Mémoire que M. Jean Bernouilli, envoya pour les prix de l’Academie en 1726. & l’autre moitié à réfuter les Inſtitutions Phyſiques, & à louer l’ouvrage de M. de Mairan qu’on y attaque.
  6. Dans ſon mémoire envoyé à l’Académie en 1726.