Dissertation sur l’histoire du pays des Dombes/3

Dissertation sur l’histoire du pays des Dombes — Chapitre III
L. Boitel (p. 126-131).

CHAPITRE III.


temps des bourguignons.


Les Bourguignons, peu après leur établissement dans la Gaule, se convertirent au Christianisme ; mais ils embrassèrent l’hérésie d’Arius[1]. Le royaume des Bourguignons dura 121 ans. Les rois favorisèrent notre contrée qui leur présentait dans ses bois et dans ses lacs si nombreux[2], de quoi satisfaire leur passion pour la chasse : ils y construisirent plusieurs châteaux et maisons de plaisance ; ils y tinrent même plusieurs de leurs parlements ou assemblées nationales, composés du clergé et des grands. Parmi les châteaux qu’ils construisirent, on peut citer celui d’Ambérieux, bâti sur l’emplacement probable de l’ancienne capitale des Ambarres, et où Gondebaud, dans un de ces parlements dont nous venons de parler, composa une partie de son Code de lois, appelé de son nom, Loi Gombette[3] ; celui de Savigneux, où se tint[4] une conférence des évêques catholiques avec Gondebaud, conférence dont parlent Fleury[5] et l’Histoire de l’Église gallicane[6] ; celui des Écheix près de l’ancien lac de ce nom, et celui de Tramoyes, où, sous Louis-le-Débonnaire, se tint en 836, le Concile connu dans l’Histoire ecclésiastique sous le nom de Stramiacense[7], Les foires d’Ambérieux, qui sont si célèbres pour la vente des chevaux, ont sans doute été établies dès ce temps-là par les rois Bourguignons, qui devaient avoir en ce lieu ou dans les environs des haras considérables.

Les Bourguignons ont laissé quelques vestiges dans nos pays, d’abord, dans leurs lois qui ont été le fondement de quelques ordonnances particulières et de quelques coutumes qui ont longtemps subsisté[8], ensuite dans les ruines de quelques-uns des châteaux qu’ils construisirent, tels que ceux d’Ambérieux et des Écheix, troisièmement, dans le nom de quelques lieux de notre arrondissement, tels que Faramens, près de Meximieux, qui, en ancien langage bourguignon ou saxon, signifie homme libre, far, man ; (le mot allemand Frey, a la même origine) ; tels que Fareins sur la Saône qui a la même signification ; tels que Retissinge, hameau de la commune de Biziat, canton de Châtillon et Polsinge, ferme et ancien château de la commune de Miribel, dont la terminaison en inge ou ing, en saxon ou bourguignon, signifie champ, ager. Beaucoup de communes de l’ancien Forez et du Beaujolais, soumis comme notre province aux Bourguignons, présentent cette terminaison remarquable, Arcinge, Sévelinge, Maringe, Ermeringe[9]. Le nom de la ville de Bourg, chef-lieu de notre département est d’origine bourguignone.

C’est ici qu’il convient d’examiner quelle est la raison pourquoi tant de lieux dans notre province et dans les provinces environnantes portent le nom des Romains, tels que Romans, près Châtillon, Romanèche, près Montluel et dans le Revermont, Romanèche, hameau près de Villette-sur-l’Ain, Romanans, hameau de St-Trivier de Dombes, Romans en Dauphiné, Romenay près Macôn, la Romanée dont les vins sont si célèbres, et tant d’autres qu’il serait trop long de nommer. Voici cette raison. Quand les Barbares envahirent la Gaule, et en particulier les Bourguignons, ils appelèrent les habitants du pays du nom de Romains, sans doute, parce qu’ils étaient soumis aux Romains, qu’ils étaient mêlés avec eux, et qu’ils en avaient adopté la langue et les coutumes. Nous voyons, en effet, Gondebaud commencer l’article 1er  du titre 28e de son Code, par ces mots : « Si un Bourguignon ou un Romain, etc. » Dans le traité particulier par lequel fut cédé les pays des Éduens et des Séquanes aux Bourguignons, et dans celui qui, sous Valentinien III, leur procura le pays des Allobroges, il fut réglé que les Bourguignons auraient les deux tiers des terres et des fonds, et que l’autre tiers resterait aux Romains ou anciens habitants. Alors ceux-ci se retirèrent dans les parties du territoire qui leur furent laissées et y fondèrent de nouveaux bourgs ou villages, qui prirent leurs noms ou un nom composé du leur.

Le royaume de Bourgogne finit par la victoire des rois francs, Clotaire et Childebert, sur Godemar, le dernier des rois bourguignons, vers l’an 533 ou 534, et notre province devint une partie de la France.

Vers le milieu du VIe siècle, S. Trivier, religieux du monastère de Terouane en Artois, alors Neustrie, vint dans notre province, accompagnant deux jeunes seigneurs du pays qui avaient été faits prisonniers par les troupes de Théodobert, roi d’Austrasie, qui avaient ravagé notre province à leur retour d’une expédition en Italie ; et l’abbé du monastère les avait rachetés. S. Trivier s’établit dans leurs terres, y pratiqua la vie érémitique et y mourut, plein de jours et de vertus. C’est dans sa légende que le pays est appelé pour la première fois du nom de Dombes. Mais on croit cette légende postérieure de deux ou trois siècles à St-Trivier.

Ce serait ici l’occasion de discuter l’origine et l’étymologie du nom de Dombes. Mais, malgré nos efforts et nos recherches, malgré que nous ayons consulté tous les auteurs qui ont cherché à traiter cette question, nous n’avons trouvé partout que des conjectures et des définitions hasardées, et l’étymologie et l’origine du nom de Dombes sont encore pour nous une énigme.

En 608, S. Didier, évêque de Vienne, qui avait encouru la disgrâce de la reine Brunehaut, fut massacré par ses ordres, en revenant de Châlon à Vienne, sur le territoire de notre province, en un lieu nommé Pressignac, et qui a reçu de notre saint martyr le nom de St-Didier-sur-Chalaronne.

En 712 eut lieu l’invasion des Sarrasins. Lyon fut dévastée. Les Sarrasins remontèrent la Saône, portant sur les deux rives le ravage et l’effroi. Une colline, près de Montmerle, porte encore le nom de Côte des Sarrasins, sans doute, du campement de quelque corps d’armée de ce peuple. Ils laissèrent près de Pont-de-Vaux une colonie qui a conservé longtemps leurs mœurs et leurs usages[10].

Enfin, paraît dans l’histoire la grande figure de Charlemagne. C’est au règne de ce prince que se termine proprement l’histoire ancienne et que commence ce période de l’histoire appelé communément le moyen-âge, période qui a attiré si particulièrement dans ce siècle l’attention et l’admiration du monde savant. Mais c’est ici que doit se terminer la tâche que je me suis imposée.

APPENDICE Ier
SUR
LES POYPES DE LA BRESSE
ET DES DOMBES.

Une des choses qui ont attiré le plus l’attention des savants et des antiquaires, ce sont ces éminences ou monticules de forme régulière et conique, qui montrent évidemment le travail de l’homme et qui sont répandues dans les différentes contrées de l’univers. Les uns y ont vu des monuments religieux, et il faut avouer qu’on ne peut refuser de donner à quelques uns cette destination ; les autres ont reconnu des tombeaux dans le plus grand nombre. En effet, il paraît que, dans les premiers temps, avant que la sculpture et l’architecture eussent été employées pour décorer la demeure de la mort, les peuples avaient l’habitude de distinguer les tombeaux de leurs chefs et de leurs princes par des élévations de terre propres à rappeler leur souvenir aux générations.

La plaine de Troye nous présente de ces éminences ou monticules, et la tradition la plus reculée leur donne le nom de tombeaux d’Achille, de Patrocle, d’Ajax, d’Hector et d’autres


  1. L’an 417 après Jésus-Christ.
  2. Plusieurs des marais et étangs actuels de la Bresse et de la Dombes étaient d’anciens lacs, tels que les Échets, Turlet, Curtelet, Glareins, Bréven.
  3. L’an 501 ou 517 de Jésus-Christ.
  4. L’an 499 après Jésus-Christ. On a prétendu que Salviniacum, où, suivant les Mémoires de ce temps-là, se tint cette conférence était Albigny, près de Neuville, sur la Saône ; mais Albigny ne s’est appelé autrement qu’Albiniacum. Ce ne peut-être non plus Savigny, près de l’Arbresle, qui est trop éloigné de la Saône. Or, il est dit (Coll. Episcopor, tom. V, Specilegium, p. 110), que le lendemain Gondebaud revint à Lyon par la Saône : ce qui doit convenir à Savigneux, qui n’est qu’à une lieue et quart (cinq kilomètres) de cette rivière, et à une petite lieue (trois kilomètres) d’Ambérieux, autre château de Gondebaud.
  5. Hist. ecclésiastique. tom. VII, p. 3, in-4o.
  6. Tom. II, in-4o, p. 248.
  7. C’est dans ce Concile de Tramoyes que Barnard, archevêque de Vienne, et Agobard, archevêque de Lyon, furent déposés, à cause de leur révolte contre Louis le Débonnaire.
  8. Histoire manuscrite de Dombes, par M. Aubret, tom. I.
  9. On trouve encore dans cette terminaison en Italie, dans la Lombardie surtout, où les Francs et les Bourguignons ont fait quelques invasions, surtout au VIe siècle, Martinengo, champ de Martin, et le nom de Marengo, champ de Marius, nom si célèbre dans les fastes glorieux de la France.
  10. Dans les villages de Feuillans, Boz, Manziat, Chevroux, et, de l’autre côté de la Saône, au village d’Uchizy. Voyez sur ce sujet deux Dissertations, l’une de M. de Sequeville et l’autre de M. Riboud.