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Rapport de Victor Hugues modifier

  • Réimpression de l'Ancien Moniteur, 1841
  • 25 fructidor an 2 11 septembre 1794 Décret portant que les troupes qui ont reconquis une partie de l'île de la Guadeloupe ont bien mérité de la patrie I Bull LXII n 333 B t XLVI p 188 (IB 62 n 333)

Au port. de la Liberté, ile de la Guadeloupe, ce 4 thermidor, l'an 2e de la république française, une et iudivisible.

Citoyens, je vous ai rendu compte, par ma dépêche du 29 prairial, des événements qui ont accompagné ou suivi jusqu'à cette époque notre arrivée en cette colonie. Ceux dont j'ai à vous entretenir ne sont ni moins glorieux ni moins avantageux à la république. Les Anglais, ayant appris notre arrivée, raimasserunt toutes leurs forces dans les différentes Antilles qu'ils possèdent, et vinrent avec six vaisseaux de ligne, dont l'un à trois pouls, douze frégates. ou autres bâtiments de guerre, et seize de transport, cliargés de troupes et d‘aristocrates. lls débarquèrent au Gozier, dans le même lieu qu'ils avaient précédemment choisi, lors de leur invasion; ils s'occuperont principalement du soin de s'y fortifier et de s'y relraticher, avec une lenteur et une circonspection qui déposaicnt de la terreur dont ils avaient été saisis par nos succès a notre arrivée. Fleur-d'Epée étant le fort qu'ils avaient on vue de recouvrer, et n'ayant pas d'espérance de l'emporter de vive force, quoiqiflavec des forces infiniment supérieures aux nôtres, ils s'en approchèrent par degré et suivant les règles der-l'art, en faisant force travaux jusqu'à ce qu'ils eussent atteint le Morne-Muscat, que nous ii‘avioiis pu conserver faute de monde, ayant été obligés à nous réduire a jiriver nos ennemis des avantages qu'ils auraient pu en tirer, en brûlant des établissements qui étaient dessus. En effet, ils ont été forcés par ce moyen à y employer beaucoup plus de temps et de mesures. Nous avons également mis ce temps à profit pour nous fortifier et nous mettre a couvert. des surprises.

a lls avaient établi devant le fort cinq batteries: une de cinq mortiers de i2 pouces, une de cinq pièces de canon de 36 anglais, une de trois obus, une de huit pièces de petit calibre, et une de trois pièces de l6 et douze obus. Ils avaient en outre trois chalonpes canonnii-res qui ne cessaient, avec leurs batteries, de tirer sur le fort de Fleurd'Epée. Il eu était de même en ville; deux batteries. l'une établie au camp Saint-Jean, l'autre au ltiorne-à-Savon, soutenue par un camp qu'ils avaient tornié à Berville, vfonlcessé de tirer toutes les nuits pendant trente jours. Ils nous ont envoyé beaucoup de boulets rouges, ont fait beaucoup de mal à la frégate-la 7/1611‘: et à la flûte la Pro‘voyanle; ils nous ont coulé dix batiments, des quatrevingt-dix que nous leur avions pris, mais nous sommes à même de les relever, et déjà plusieurs le sont. La ville a été abîmée et a besoin de grandes réparations.

J'avais rait mettre les navires et les munitions à couYvrl de la bombe, et mon logement a été celui où les ennemis ont continuellement dirigé leurs coups: j'en ai changé deux fois, et ils sont iuhabitables par l'effet de la

c L'ennemi comptait beaucoup sur des propositions; il en fit pressentir de très-avantageuses, mais que je lins sccrètes, étant bien résolu, ainsi que tous les sans-culottes de l'expédition, d'incendier la rade et la ville nous-mêmes plutôt que de la rendre à l'ennemi.

u Le général Cartier, homme incertain et frappé des dangers, mais honnête et patriote, vint à mourir dans ces circonstances. Je nominal le général Aubcrt, qui me dciint nécessaire pour conduire l'ensemble de toutes nos opérations; il nejustifia pas la confiance des républicains. Avec des talents militaires, il était d'une lâcheté sans égale, ainsi que le gent-rat Bouyer, qui n'a jamais pu avoir la confiance des rrpulilicains par une poltronncric des plus avérées. Je suis désespéré que la vérité ne me permette pas de rendre de ces deux généraux un compte aussi avantageux que i‘aurais voulu pouvoir le faire. lls sont morts tous les deux de la même maladie qui nous a enlevé beaucoup de monde. Je voudrais pouvoir me passer de retenir sur le compte de l'un d'eux dans le courant de cette dÔpCCilC, mais la vertu‘: m'oblige-ra d'en parler encore.

a Le citoyen Boudoir, commandant du bataillon des Sans-Culottes, à qui je dois les plus grands éloges, et en qui nous avons tous la plus grande confiance par sa bravoure et sa bonne conduite, était tombe dangereusement malade peu de temps après , t t n'était encore que dans les premiers jours de sa convalc-crncelorsqu'il fallait opposer aux ennemis une vigoureuse résistance ou périr. Sans généraux et sans chefs, nous devions succomber: mais ces contrariétés ne firent qwexcilei‘ le courage des républicains en petit nombre. (La maladie et la mort Ill‘ Ii-s ont pas non plus épargnés.) Nous continmcs les ennemis dans leurs retranchements; nous les y avons harcelés et empêchés de faire aucune entreprise considérable; nous les reduisimes à canonner et bombarder le fort de Fleur-dîptäc, la ville et la rade. Nous avions des moyens de défense respectables: nous avions désarmé nos frégates et mis leur artillerie ‘a terre, faitdes fortifications sur tous les points avantageux. Nous avions aussi trois canonnières; et dans les différents combats que nous avons eus, notre feu bien dirigé faisaittoujours cesser le leur, excepléla nuit. lls avaient l'ai antage de tirer des bombes et des obus sur la ville, et nous, nous aurions perdu nos munitions à tirer sur leur simple batterie en campagne. Nous leur avons néanmoins coulé à fond une de leurs eanonnières. Les républicains, fatigues de ne point voir l'ennemi depuis quelqueejotirs, nous décidèrent à attaquer les Anglais sur le Morne-Muscol, dans leurs retranchements. Les dispositions furent faites : deux colonnes, de deux cent cinquante hommes chacune , furent formées; l'une des colonnes fut égarée par la perfidie des guides; deux cent cinquante hommes se baltirent contre dix-huit cents. montèrent dans les retranchements de l'ennemi par des endroits inaccessibles. Déjà ils avaient pris di-ux pièces de canon qu'ils tournaient sur nos ennemis, lorsque, cédant au nombre, ils furent obligés de se replier. Nous perdtmes duits cette belle action cent dix ou cent douze républicains: l'ennemi perdit près de deux cent cinquante hommes, d’upris son propre aveu. Un armistice fut demandé et accordé pendant vingt-quatre heures, pour enterrer les morts de part et d'autre. La consternation était dans le camp ennemi, et les généraux et otficiers anglais ne purent s'empêcher de se répandre en éloges sur leur bravoure en parlant a nos frères qul enterraient leurs frères morts.

- Le M, voyant que l'ennemi faisait batterie sur batterie, nous résolûmes de faire une attaque générale; nous laissames le moins de monde possible dans‘ les postes, et. marchames en masse, au nombre de liuit vents, sur l'en‘nrmi, pour aller l'attaquer encore sur le Vorne-Mascot. L'action fut des plus vives et des plus meurtrières. Les républicains entrèrent dans les retranchements de l'ennemi, et, au moment de la victoire, soit que le général Aubi-rt eût indisposé l'arrière-garde en se cachant derrière une pierre, ou qu'une voix payée par l'ennemi se fit entendre en criant z Nous sommes perdusl nous sommes coupe‘: par une colonne artgltnisel le désordre se mit dans cette arrièregarde, cequi redoubla le courage dePennemi qui était en déroule, et qui revint à la charge avec des troupes fraîches. Notre avant-garde se défendit en républicains; mais elle succomba sons le nombre,qui était dix fois plus fort. ‘a Nous eûmes trois cents hommes tant tués que blessés: et ce qui excitera votre admiration et celle de la postérité, c'est qu'ils ne nous firent aucun prisonnier; car tous les républicains venus d‘Europe ont résoult. de mourir plutôt que de tomber entre lcs mains des ennemis.

a L'ennemi , enhardi par nos revers, redouble son feu: dans la nuit du la au Hi. la ville fut couverte de bombes et d'abus, ce qui m'obligea. pour la première fois, à l'abandonner et à aller dans un poste avancé.

- Sur les trois heures du matin, l'ennemi attaqua la ville sur deux colonnes: heureusement pour nous qu'il attaqua le poste où j'étais couché avec _le brave Boudez et l'intrépide Lessegues, commandant de la station; nous ralliamt-s la troupe, et. après avoir résisté quelque temps, nous fûmes en urdre nous établir sur le morne du Gouvernement. appelé depuis le fort de la Victoire.

- L'ennemi entra en ville au nombre de deux mille hommes. où il croyait ne point trouver de résistance. Le général Aubert donna dans cette occasion , si ce n'est des preuves d'intelligence avec les ennemis. au moins des preuves de la plus grande lâcheté. ll me dit hautement que nous n'avions point de cartouches, que nous ne pouvions tenir r ce poste; et. en s'adressant à la troupe, il lui dit qu'ils seraient tous passés au fil de l'épée. 1l me reprocha. à moi, de sacrifier de braves gens. et de n'avoir pas accepté les propositions qu'il m'avait fait presseutir des généraux ennemis. en me disant qu'il n'était plus temps.

u Mais les républicains qui étaient dans le fort. dociles âla voix de la patrie . commandés par de braves ofliciers, encouragés par le délégué de la nation, firent une résistance opiniatre, et on se battit comme aux Thermopyles. Le feu fut si terrible qu'ils n'osèrent jamais tenter l'assaut. Marins et soldats. tout concourut à cette glorieuse iournée; l'ennemi lut complètement battu et repoussé hors de la ville. Nous limes une sortie sur eux. et les accompaguames jusque dans leurs retranchements pendant plus de deux lieues, ou la troupe fut obligée de les laisser, accablée de fatigue, le combat ayant duré depuis trois heures jusqu'à onze, ou les troupes rentrèrent, après s'étre ernparées de leur artillerie (le campagne. munitions et autres ustensiles de guerre. Les rues et les chemins furent ionchés de morts. Nous fimes près de deux cent cinquante prisonniers, dont huit ofliciers : ils perdirent en cette occasion l'élite de leurs troupes. tous chasseurs et grenadiers. Le général de brigade Syme, qui commandait en chef, fut blesse’; le général de brigade Gown. qui commandait la colonne. le capitaine de vaisseau Robertson, qui commandait cinq cents matelots. furent tués. avec trente et un ofliciers. L'ennemi évalue sa perte à huit cent soixante hommes. Nous, nous ne pouvons l'estimer; mais nous avons mis deux jours a les enterrer, et il y en a plus de deux cents qui sont restés dans les bois sans sépulture.

- Dans la nuit du u; au 15, après avoir eæuyé ce terrible échec, ils résolurent d’attaquer Fleur»d‘Epée; ils tirent pleuvoir plus quejamais des bombes et des boulets. nous tnèrent et blessèrcnt beaucoup de monde; mais nos intrépides républicains, bravant les fureurs de l'ennemi ne laissèrent pas un instant déborder les remparts de ce poste important z ils n'osèrent tenter l'assaut. Sur les deux heures du matin. nous leur flmes donner un avis qui les frappa de terreur; ils cessèrent leur feu, et se mirent a fuir en désordre au Gozier. lls trainèrent avec eux leur artillerie; ils nous abandonnèrent tous leurs eflets. équipages et munitions de guerre et de bouche. que nous avons eu peine a ramasser en troisjours. Nous étions trop faibles pour aller les attaquer au Gosier. Le l7 et le t8 ils s'embarqnèrent avec tous les aristocrates et quantité de richesses qu'ils emportérent. Enfin nous nous sommes rendus maîtres une seconde fois de la Granite-Terre; lc pavillon tricolore et les municipalités y sont établis partout.

a J'ai le plus grand plaisir, citoyens, à vous rendre compte de ce nouveau triomphe de la république sur ses ennemis, parce que cette action est décisive pour la colonie. et qu'elle assure au moins le salut de la partie que nous avons reconquise.

_ c Je vous apprends avec plaisir qu'il n’est pas jusqu'aux CIIOyPDS noirs. nos nouveaux frères, qui n'aient montré dans cette occasion ce que peut l'esprit de la liberté,ptrisque d'hommes naguère abrutis par l'esclavage elle a fait des héros; c'est la justice que je dois rendre a quelques

uns d'entre eux. J'ai cru devoir consacrer la mémoire de cet événement en changeant le nom de la Pointe-a-Pitre en celui de Port-de-la-Liberté, ile Guadeloupe, parœ que c'est en etl'et le premier port où nous avons apporté à nos frères ce grand bienfait de la Convention nationale. J’ai aussi changé le nom du fort du Gouvemement en celui de fort de la Victoire. bien mérité et bien acquis dans la célèbre journée du 41|. J'ai fait aussi une Adresse aux républicains. mes frères d'armes. Les expressions m'ont manqué pour leur dire tout ce que je sentais pour eux, ce qtri m'a obligé d'en emprunter quelques-unes. Je ne oesscrai de faire leur éloge . parce qu‘on n'a jamais vu de pareils hommes : c'est la réunion de toutes les vertus; le désintéressement et la bravoure sont les moindres chez eux. Je suis forcé de les quereller pour leur faire accepter leurs besoins et les engager au repos; et toutes les fois qu’il faut donner une place, c'est une nouvelle querelle. Chacun est bien comme il estet n'en désire pas davantage.

- Je ne puis que me féliciter d'avoir affaire à de pareils hommes; soldats , matelots, ofliciers. enfin toute l'expédition venue d'Europe, nous vivons en frères; rien n'a encore troublé cette harmonie. ‘biais il n'en est pas de même de la majorité des habitants de ce pays; habitués i prendre les hommes pour les choses, ils se disent patriotes lorsqu'ils sacrilieraienttoutpour leursinlérétsparticuliers; heureusement le nombre en est petit et facile à dompter, mais il me donne bien de la tracasserie.

Signé Victor Hugues

Après la lecture de ces nouvelles. Bréard observe que de jeunes mousses. à peine âgés de dix à onze ans, ont monté s l'assaut à côté de leurs frères d'armes; deux d'entre eux ont été blessés. un troisième a ététué.

- La Convention nationale décrète que les citoyens qui ont reconquis une partie de la Guadeloupe et repoussé les ennemis ont bien mérité de la patrie;

- Décrète en outre qu'elle confirme la dénomination donnée par le général Victor Huguet, de Port-ite-la-Liberté au port de la Pointe-à-Pitre. et cellc de fort de la Victoire à celui de fort du Gouvernement; que les lettres du général seront insérées au Bulletin. z

Les patriotes déportés de l'île de la Guadeloupe, présentement à Pontam-zen, près Brest , écrivent qu'ils ont appris avec plaisir l'heureuse réussite de nos frères d'armes envoyés aux Iles-du-Vent, par la reprise de la Pointe a-Pitre. et la fuite des monstres qui les ont si cruellement maltraités.

Un vœu bien cher a nos cœurs, disent-ils, est celui d'aller aider nos frères qui combattent pour nous. Si vous nous jugez dignes d'aller partager leurs travaux et leurs victoires, parlez, nous y volerons. Vive la république ! vive la Converttion nationale ! --Ambre Troizat (d) 30 juin 2012 à 21:03 (UTC)Répondre

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