Discussion Auteur:Vincent Voiture

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Gallica Tome 1 éd. Charpentier 1855 Gallica Table des matières édition 1650


Type : texte imprimé, monographie
Auteur(s) : Voiture, Vincent (1597-1648)
Titre(s) : Oeuvres de Voiture [Texte imprimé] : lettres et poésies
Édition : Nouvelle édition / revue en partie sur le manuscrit de Conrart, corrigée et augmentée de lettres et pièces inédites, avec le commentaire de Tallemant Des Réaux ; des éclaircissements et des notes par M. A. Ubicini
Publication : Paris : Charpentier, 1855
Description matérielle : 2 vol. (XXXV-432, 440 p.) ; in-18
Note(s) : Contient : une notice "De la vie et des ouvrages de Voiture" par l'éditeur, "l'Éloge de Voiture", ou avis "Au lecteur", par son neveu Martin de Pinchesne, 212 "Lettres", dont 4 inédites, XVI lettres et XVII billets de la "Correspondance de Voiture avec Costar", 61 "Lettres amoureuses", dont 5 inédites, les "Lettres en vieux langage", des "Pièces diverses [Métamorphoses" et "Éloge du comte d'Olivarès]", les "Poésies". - Parmi les 91 "Poésies", dont 5 inédites, on trouve : "Élégies, Stances, Sonnets, Rondeaux, Chansons, Épîtres" et "Lettres en vers, Poésies burlesques, Vers en vieux langage" et des "Poésies diverses". - D'après la Notice d'Ubicini, il a été tenu compte dans cette édition, outre du commentaire de Tallemant Des Réaux, des éclaircissements dus à la publication des "Historiettes" de Tallemant par Monmerqué et des manuscrits de Conrart
Autre(s) auteur(s) : Tallemant des Réaux, Gédéon (1619-1692). Auteur du commentaire

Ubicini, Abdolonyme (1818-1884). Éditeur scientifique

Notice n° : FRBNF31600403


Livres en ligne modifier

  • Lettres de V. Voiture : 1, 2
  • Œuvres de Voiture : 1, 2

Éditions en ligne modifier

Gallica : Voiture, Vincent (1597-1648) (7)

Lettres de V. Voiture, éd. Octave Uzanne - 1880 - t1 Internet Archive - t2 Internet Archive, Internet Archive

Lettres choisies de Voiture et Balzac - 1807 - t1 Google = Internet Archive(g)

Lettres et autres œuvres de Monsieur de Voiture - 1709 - t2 Internet Archive

Nouvelles Œuvres de Monsieur de Voiture - 1658 Gallica

Les Œuvres de Monsieur de Voiture - 1650 Gallica(t), Gallica = Internet Archive = Internet Archive - 1729 - t1 Google = Internet Archive(g)

Œuvres de Voiture, éd. A. Ubicini - t1 - 1855 Gallica(t), Internet Archive, Google = Internet Archive(g), Google = Internet Archive(g), Google = Internet Archive(g), Google = Internet Archive(g) - 1967 Gallica - t2 - 1855 Gallica(t), Internet Archive, Google = Internet Archive(g), Google = Internet Archive(g), Google = Internet Archive(g), Google = Internet Archive(g), Google = Internet Archive(g) - 1967 Gallica

Les Œuvres de Monsieur de Voiture, éd. Amédée Roux - 1856 Google = Internet Archive(g)

Voiture, éd. Alphonse Séché - s.d. (1910?) Internet Archive

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Site Poésies.net

Poésies Monsieur de Voiture Voiture, Vincent (1597-1648)




ELEGIES


P3

Belise, je sçay bien que le ciel favorable,
A joint à vos beautez un esprit adorable,
Qui ne sçauroit loger au monde dignement,
Que dans un si beau corps, ou dans le firmament.
Je sçay que la nature, et les dieux avec elle,
Ne font plus rien de beau que sr vostre modelle,
Et qu' ils se prisent moins d' avoir basty les cieux,
Que d' avoir achevé l' ouvrage de vos yeux.
Car, enfin, je l' avouë, et dedans ma colere,
Malgré-moy je le dis, sans dessein de vous plaire,

P4

Le soleil qui voit tout, dessus et dessous l' air,
Ne voit point de beauté qui vous puisse égaler,
Et n' en verra jamais, quoy qu' il tourne le monde,
Et que souvent soy-mesme il se mire dans l' onde.
L' amour n' a rien de beau ; d' attrayant, ni de doux,
Point de traits, ni de feux, qu' il n' emprunte de vous.
Vos charmes dompteroient l' ame la plus farouche,
Les graces, et les ris parlent par vostre bouche,
Et quoy que vous fassiez, les jeux, et les appas,
Marchent à vostre suite, et naissent sous vos pas.
Toutes vos actions meritent qu' on vous ayme,
Et mille fois le jour, sans y penser vous mesme,
Vos gestes, vos regars, vos ris, et vos discours,
Font mourir mille amans, et naistre mille amours.
Mais dans ce bel amas de graces sans pareilles,
Ce tableau racourcy de toutes les merveilles,
Je voy beaucoup de manque, et d' inégalitez,
Et d' aussi grands defauts, que de grandes beautez.
La nature amoureuse, en vous mettant au monde,
S' efforça de vous faire icy bas sans seconde,
Et prodigue, employa ses plus riches tresors,
À vous former les traits de l' esprit et du corps.
Mais lassé sur la fin d' un si penible ouvrage,
Elle vous a mal fait l' humeur et le courage.
Ces deux manquent en vous, et ternissent le teint
Des plus vives couleurs, dont elle vous a peint.
Ils en ostent l' éclat, et laissent une tare
Au plus riche ornement dont la terre se pare ;

P5

Car avec un défaut si digne de mespris,
Vostre beauté s' efface, et ravale de prix ;
Vos yeux, ni vos attraits, n' ont plus rien d' estimable,
Et parmy tant d' amours, vous n' estes point aymable.
Pardonnez-moy, Belise, et souffrez doucement,
Que libre desormais je parle franchement ;
Cette unique beauté dont vous estes ornée,
N' aura jamais pouvoir sur une ame bien née,
Vostre empire est trop rude, et ne sçauroit durer,
Ou s' il s' en trouve encor qui puissent l' endurer,
Avec tant de mespris, et tant d' ingratitude,
Ce sont des coeurs mal-faits, nez à la servitude,
Ou de mauvais esprits, qui des cieux en courroux
Ont eu pour chastiment d' estre amoureux de vous.
De loüange, et d' honneur, vainement affamée,
Vous ne pouvez aymer, et voulez estre aymée,
Et vostre coeur altier croit mettre entre les dieux
Ceux qu' il souffre mourir en adorant vos yeux.
Que si quelqu' un, poussé de son mauvais genie,
Tombe dessous le joug de vostre tyrannie,
Il faut qu' il se haïsse, et que dés ce moment,
Il devienne ennemy de son contentement.
Car vous ne croiriez pas, (tant vous est' inhumaine)
Qu' il ait beaucoup d' amour, s' il n' a beaucoup de peine.
Vous voulez qu' il soit pasle, et que plein de langueur,
Il s' afflige sans cesse, et se ronge le coeur ;
Que l' ombre d' un soupçon luy donne cent allarmes,
Que vos moindres despits le fassent fondre en larmes,

P6

Qu' il soit hors de propos, desfiant et jaloux,
Jamais content de luy, jamais content de vous,
Qu' il souspire tousjours, et vous nomme cruelle ;
Lors vous estes contente, et croyez estre belle,
Et vostre cruauté parmy tant de tourmens,
Se baigne dans les pleurs, que versent vos amans.
Que si par fois d' amour vostre ame est allumée,
C' est un feu passager qui se tourne en fumée,
Pareil à ces brandons qui bruslent une nuit,
Errans à la faveur du vent qui les conduit,
Qui luisent pour nous perdre, et si l' on ne s' en garde,
Conduisent à la mort quiconque les regarde.
Vous bruslez de la sorte, et sans sçavoir comment,
Vos plus chaudes amours ne durent qu' un moment.
Vous ne sçavez que c' est d' une flamme constante,
Toute chose vous plaist, et rien ne vous contente,
Et vostre esprit flottant entre cent passions,
A beaucoup de desseins, et peu d' affections.
Plus leger que le vent qui porte les tempestes,
Il change tous les jours de nouvelles conquestes,
Et n' estimant jamais ce qu' il peut posseder,
Il gagne toute chose, et ne peut rien garder.
Car vostre vaine humeur, apres une victoire,
En mesprise le fruit, et n' en veut que la gloire,
Et de tant d' amitiez faites diversement,
N' en ayme que la fin, et le commencement.
D' un amant qui vous vient, vous aymez les aproches,
D' un autre qui s' en va, les cris, et les reproches,

P7

La nouveauté vous plaist, et ne se passe jour
Que vous ne fassiez naistre ou mourir quelque amour.
Vous estes sans arrest, foible, vaine, et legere,
Inconstante, bizarre, ingratte, et mensongere,
Pleine de trahisons, sans ame, et sans pitié,
Capable de tout faire, horsmis une amitié.
Celle que vous m' aviez par tant de fois jurée,
Qui devoit surpasser les siecles en durée,
Et ne se dementir qu' avec le firmament,
Si belle, et si parfaite en son commencement,
Et dont la belle flamme icy bas sans seconde,
Devoit durer encor apres celle du monde,
À la fin s' est esteinte, et contre vostre foy,
Vous en favorisez un moins digne que moy.
Regardez-vous, Belise, et parmy tant de graces,
Ne souffrez plus en vous des qualitez si basses,
Et sur tant de vertus, et de perfections,
Relevez vostre coeur, et vos affections.
Ne laissez rien en vous capable de desplaire,
Faites-vous toute belle, et taschez de parfaire
L' ouvrage que les dieux ont si fort avancé,
Et vous seule, achevez ce qu' ils ont commencé.

P8

Élégie.
Belle Philis, adorable merveille,
Puisque mon coeur, malgré-moy, me conseille
De me remettre encor dans les tourmens,
Dont vos rigueurs affligent vos amans,
Je le veux croire, et suivre le genie
Qui me r' engage en vostre tyrannie,
Et m' embarquer dessus la mesme mer,
Où j' ay pensé tant de fois abysmer.
Le mesme jour que vostre coeur de roche,
Blessa le mien d' un injuste reproche,
Et qu' un soupçon par vous vainement pris ;
Me fit connoistre à plein vostre mespris ;
Je fis dessein d' estouffer en mon ame
Tous les pensers qui nourrissoient ma flame,
Et d' arracher, au fort de mon courroux,
Ce que j' avois de passion pour vous ;
Et si je puis le redire sans crime,
Avec l' amour oster encor l' estime.
Vous n' eustes plus pour moy, dans ce moment,
Tous les attraits qui m' alloient enflamant,
De vos beaux yeux les rayons s' éclipserent,
Et tout à coup vos graces vous laisserent,
Je ne vis plus vostre extréme beauté,
Et ne vis rien que vostre cruauté.

P9

J' eus honte alors de vostre ingratitude,
De ma foiblesse, et de ma servitude,
Et des ennuis indignement souffers,
Depuis qu' amour me tenoit dans vos fers.
Dans cét instant je vis dans ma pensée
Tous les mespris que mon ame offensée,
Humble, captive, et sans ressentiment,
Avoit receus de vous trop laschement.
Il me souvint de toutes vos rudesses,
De tous mes maux, de toutes mes tristesses,
De tant de pleurs vainement espandus,
Tant de souspirs de vous mal-entendus,
Tant de dépits, et de mortelles craintes,
Tant de regrets, et d' amoureuses plaintes,
De desespoirs, de langueurs, et d' ennuis,
De tristes jours, et de fascheuses nuits ;
Sans que jamais j' eusse pû dans vostre ame,
Voir seulement un rayon de ma flame ;
Ni vous reduire à montrer par pitié
Un trait d' amour, ni mesme d' amitié.
Lors ma raison promptement r' appelée,
(qui loin de moy se tenoit exilée
Depuis qu' amour m' avoit mis sous sa loy,)
Osa paroistre, et se montrer à moy.
En arrivant elle esteignit la flame
D' ire, et d' amour, qui brusloit dans mon ame,
Rendit la veuë à mon entendement,
Et luy permit de juger sainement,

P10

En la voyant tous mes desirs s' enfuïrent,
Mes sentimens à ses loix n' obeïrent,
Et dés long-temps mon courage irrité,
S' arma pour elle, et cria liberté.
Tout fut reduit en son obeïssance,
Et mon amour redoutant sa puissance,
Et perdant lors le tiltre de vainqueur,
Se retira dans le fond de mon coeur.
Plein d' une joye, et d' un repos extresme,
Il me sembla n' estre plus qu' à moy-mesme,
Maistre absolu de mes affections,
Je creus avoir dompté mes passions,
Et fus un temps (vaine et foible victoire)
Sans vous aymer, ou du moins sans le croire :
N' aspirant plus qu' aux solides plaisirs,
J' avois reglé ma crainte, et mes desirs,
Je n' avois plus de fascheuses pensées,
Je me riois de mes erreurs passées,
Et m' estonnant de mon aveuglement,
Ne pensois plus qu' à vivre heureusement.
Ainsi, Philis, mon ame revoltée,
Creut pour jamais estre desenchantée,
Et mon courage avecque ma raison,
Rompit ma chaisne, et força ma prison.
Mais je fis pis, et commis une offense,
Digne qu' amour en ait pris la vengeance,
Et qu' à jamais un triste souvenir
Me la reproche, et m' en sçache punir.

P11

M' estant sauvé du plus rude servage,
Qui tint jamais un genereux courage,
Je m' estimois le premier des humains,
D' avoir remis ma franchise en mes mains ;
Quand la frayeur de retomber aux vostres,
Me fit resoudre à me jetter en d' autres,
Et me ranger sous l' empire plus doux,
D' une qui sceust me garder contre vous.
Mon ame estant dans le choix balancée,
La belle Iris me vint en la pensée,
La belle Iris, dont la grace et les yeux
Ont sceu charmer les hommes et les dieux ;
Iris, l' amour de la terre et de l' onde,
Si vos beautez ne luisoient point au monde,
Et qui sembloit m' asseurer doucement,
Par ses regards, d' un meilleur traittement.
Je me fis donc esclave volontaire,
Et pris deslors plus de soin de luy plaire,
J' ay souspiré, j' ay prié, j' ay pressé,
Je me feignis languissant et blessé ;
Je luy juray que je mourois pour elle,
Et que jamais un amant plus fidelle,
Plus enflammé, ni plus constant que moy,
Ne se verroit souspirer sous sa loy.
Puis, je loüois en elle toutes choses,
Son teint de lys, et sa bouche de roses,
Son coeur de reyne, et sa grande bonté ;
Mais dessus tout, je loüois sa beauté,

P12

Et la faisois si brillante et si belle,
Qu' elle effaçoit toute chose auprés d' elle.
Les diamans, les perles, et les fleurs,
Les plus beaux jours, les plus vives couleurs,
Le teint du ciel au lever de l' aurore,
L' aurore mesme, et le soleil encore,
Lors que plus clair il paroist dans les cieux ;
Mais je me teus de vous et de vos yeux,
Et retenu par un respect extréme,
Ma bouche, au moins, ne fit point de blasphéme.
Enfin, je fus escouté doucement,
Et sans dispute avoüé pour amant.
Quittant pour moy sa fierté naturelle,
La belle Iris ne me fut point cruelle,
Elle approuva mes desirs et mes feux,
Elle receut mon amour et mes voeux,
Et me fit voir toutes les apparences
Dont les amans forment leurs esperances.
J' avouë aussi qu' un si doux traittement,
Fit naistre en moy quelque ressentiment,
Non pas d' amour ; car mon ame parjure,
Ne pût jamais vous faire cette injure ;
Mais d' amitié si sensible, qu' un jour
Je pensois bien la changer en amour.
Je m' efforçois de découvrir en elle
Les mesmes traits qui vous rendent si belle,
Cette douceur, et ces divins appas,
Dont vous donnez la vie et le trespas,

P13

De vos beautez la grace incomparable,
De vostre esprit la grandeur admirable,
Cét entretien si charmant et si doux ;
Mais tout cela ne se trouve qu' en vous.
Je voyois bien qu' elle estoit animée
D' une beauté capable d' estre aymée ;
Je remarquois en elle cent attraits,
Mais nullement ces flames et ces traits,
Ces traits mortels, et ces divines flames
Dont vos beaux yeux frappent toutes les ames.
Combien de fois, admirant vos beautez,
Ou vostre grace, ou les vives clartez
De vostre esprit, ay-je dit en moy-mesme,
Ha ! Que Philis est digne que l' on l' ayme,
Et que le sort me traite rudement,
De m' empescher de mourir en l' aymant !
Mais cependant, je sentois en mon ame
L' effect caché d' une secrette flamme,
Qui se glissoit jusques dedans mes os,
Troubloit ma vie, et m' ostoit le repos ;
J' estois par tout resveur, et solitaire,
Et quoy qu' Iris pitoyable pût faire,
Pour adoucir ma peine, et mon tourment,
Je n' en sentois aucun soulagement.
Je n' estois plus si content aupres d' elle,
Je commençois à la trouver moins belle,
Et souspirant sans connoistre pourquoy,
N' estois content ni d' elle, ni de moy,

P14

Souffrois tousjours, et mon ame inquiete,
Ne trouvoit rien pour estre satisfaite ;
Mais, à la fin, ma douleur s' augmentant,
Je vis le mal qui m' alloit tourmentant,
Je reconnus, apres beaucoup de peines,
Le feu vainqueur qui brusloit en mes veines,
L' amour caché dés long-temps en mon coeur,
Avoit repris sa premiere vigueur ;
Dans vos beaux yeux il se forgea des armes,
Sur vostre bouche il prit de nouveaux charmes,
Sur vostre bouche où se trouvent tousjours
Les ris, les jeux, les graces, les amours,
Et se formant des traits à son usage ;
De tous les traits de vostre beau visage,
Armé d' esclairs, et de foudres puissans,
Il r' engagea premierement mes sens,
Et poursuivant plus outre sa victoire,
Avec mes sens, il me prit ma memoire,
Et surmontant ma foible volonté,
Vit mon esprit entierement dompté.
Lors tout à coup je revis en moy-mesme,
Le repentir, et la peur au teint blesme,
Les prompts souhaits, les violens desirs,
La fausse joye, et les vains desplaisirs,
Les tristes soins, et les inquietudes,
Les longs regrets, amis des solitudes,
Les doux espoirs, les bizarres pensers,
Les courts dépits, et les souspirs legers,

P15

Les desespoirs, les vaines défiances,
Et les langueurs, et les impatiences,
Et tous les biens et les maux que l' amour
Tient d' ordinaire attachez à sa cour.
Ainsi, Philis, mon ame fut reprise,
Ainsi deux fois je perdis ma franchise,
Et, par mal-heur, tous les soins que j' ay pris,
Pour me sousmettre à l' empire d' Iris,
Et l' asseurer de mon amour fidelle,
N' ont rien servy qu' à me faire aymer d' elle,
Et je me vis, par un sort rigoureux,
En mesme temps ingrat et mal-heureux.
Ayant à part mes douleurs et mes peines,
Il faut encor que je sente les siennes,
Et que mon coeur sensible à la pitié,
Ayt tous les maux d' amour et d' amitié.
Mais vous, pour qui je suis en ces allarmes,
Vous, qui pouvez tout faire par vos charmes,
Apres m' avoir causé tant de mal-heurs,
Et fait verser tant d' inutiles pleurs ;
Rendez, enfin, mes plaintes terminées,
Belle Philis, changez mes destinées,
Et permettez qu' apres tant de tourment,
Je puisse vivre heureux en vous aymant.
Que si pourtant il vous plaist que je meure,
Sans jamais voir ma fortune meilleure,
Je vous l' accorde, et ne demande pas
Que vos bontez different mon trespas.

P16

Mais seulement qu' une mort plus humaine
Tranche mes jours, et finisse ma peine ;
Que ce ne soient vos injustes mespris,
Ni le regret d' avoir trop entrepris,
Ni le dépit de vous avoir servie,
Ni vos rigueurs qui m' arrachent la vie ;
Mais qu' en repos, j' abandonne le jour,
Reduit en cendre, et consumé d' amour.


STANCES


P17

Stances escrites sur des tablettes.
Voicy mon amour sur la touche,
Jugez s' il marque nettement,
Et si sa pointe se rebouche,
Dans la peine et dans le tourment ;
Mais en l' estat où je me treuve,
Qu' est-il besoin de cette preuve,
Pour vous montrer que ma langueur
Et que ma constance est extreme ?
Ne le sçavez-vous pas vous-mesme
Si vous m' avez touché le coeur ?
Je croirois avoir trop d' amour,
Et de vous estre trop fidelle,
Si vous n' estiez qu' un peu plus belle,
Que l' astre qui donne le jour ;
Mais puisque le reste du monde,
N' a rien de beau qui vous seconde ;
Et que tout cede au dieu vainqueur
Que vostre bel oeil emprisonne,
Il ne faut pas que je m' estonne
Si vous m' avez touché le coeur.

P18

Vous ne sçauriez douter de moy,
Ni de la peine que j' endure,
Pour servir une ame trop dure,
Car la touche vous en fait foy ;
Sans estre donc plus recherchée,
Souffrez aussi d' estre touchée,
Et despoüillez cette rigueur,
Qui rend vostre beauté farouche ;
Je vous puis bien toucher la bouche,
Si vous m' avez touché le coeur.

P19

Stances escrites de la main gauche, sur un feüillet des
Mesmes tablettes, qui regardoit un miroir mis au
Dedans de la couverture.
Quand je me plaindrois nuit et jour
De la cruauté de mes peines,
Et quand du pur sang de mes veines
Je vous escrirois mon amour.
Si vous ne voyez à l' instant,
Le bel objet qui l' a fait naistre,
Vous ne le pourrez reconnoistre,
Ni croire que je souffre tant.
En vos yeux, mieux qu' en mes escris,
Vous verrez l' ardeur de mon ame,
Et les rayons de cette flame
Dont pour vous je me trouve espris.

P20

Vos beautez vous le feront voir,
Bien mieux que je ne le puis dire ;
Et vous ne le sçauriez bien lire,
Que dans la glace d' un miroir.

P21

Stances.
Ce soir, que vous ayant seulette rencontrée,
Pour guerir mon esprit et le remettre en paix :
J' eus de vous, sans effort, belle et divine Astrée,
La premiere faveur que j' en receus jamais.
Que d' attraits, que d' appas vous rendoient adorable !
Que de traits, que de feux me vinrent enflamer !
Je ne verray jamais rien qui soit tant aymable,
Ni vous rien desormais qui puisse tant aymer.
Les charmes que l' amour en vos beautez recelle,
Estoient plus que jamais puissans et dangereux ;
Ô dieux ! Qu' en ce moment mes yeux vous virent belle,
Et que vos yeux aussi me virent amoureux !
La rose ne luit point d' une grace pareille,
Lors que pleine d' amour elle rit au soleil,
Et l' orient n' a pas, quand l' aube se réveille,
La face si brillante, et le teint si vermeil.

P22

Cét objet qui pouvoit esmouvoir une souche,
Jettant par tant d' appas le feu dans mon esprit,
Me fit prendre un baiser sur vostre belle bouche,
Mais las ! Ce fut plustost le baiser qui me prit.
Car il brusle en mes os, et va de veine en veine,
Portant le feu vengeur qui me va consumant,
Jamais rien ne m' a fait endurer tant de peine,
Ni causé dans mon coeur tant de contentement.
Mon ame sur ma lévre estoit lors toute entiere,
Pour savourer le miel qui sur la vostre estoit ;
Mais en me retirant, elle resta derriere,
Tant de ce doux plaisir l' amorce l' arrestoit.
S' esgarant de ma bouche, elle entra dans la vostre,
Yvre de ce nectar qui charmoit ma raison,
Et sans doute, elle prit une porte pour l' autre,
Et ne luy souvint plus quelle estoit sa maison.
Mes pleurs n' ont pû depuis fléchir cette infidelle,
À quitter un sejour qu' elle trouva si doux :
Et je suis en langueur sans repos, et sans elle,
Et sans moy-mesme aussi, lors que je suis sans vous.

P23

Elle ne peut laisser ce lieu tant desirable,
Ce beau temple où l' Amour est de nous adoré,
Pour entrer derechef en l' enfer miserable,
Où le ciel a voulu qu' elle ait tant enduré.
Mais vous, de ses desirs unique et belle reyne,
Où cette ame se plaist comme en son paradis,
Faites qu' elle retourne, et que je la reprenne
Sur ces mesmes oeillets, où lors je la perdis.
Je confesse ma faute, au lieu de la défendre,
Et triste et repentant d' avoir trop entrepris,
Le baiser que je pris, je suis prest de le rendre,
Et me rendez aussi ce que vous m' avez pris.
Mais non, puis-que ce dieu dont l' amorce m' enflame,
Veut bien que vous l' ayez, ne me la rendez point ;
Mais souffrez que mon corps se rejoigne à mon ame,
Et ne separez pas ce que nature a joint.

P24

Stances sur le mesme sujet des precedentes.
Lors qu' avecque deux mots que vous daignastes dire,
Vous sceustes arrester mes peines pour jamais,
Et qu' apres m' avoir fait endurer le martyre,
Vous m' ouvristes les cieux, et me mistes en paix.
Mille attraits, dont encor le souvenir me touche,
Couvrirent à mes yeux vostre extréme rigueur,
Tous les charmes d' amour furent sur vostre bouche,
Et tous ses traits aussi passerent en mon coeur.
Vous pristes tout à coup une beauté nouvelle,
Toute pleine d' éclat, de rayons, et de feux ;
Bons dieux ! Hà que ce soir mes yeux vous virent belle,
Et que vos yeux ce soir me virent amoureux !

P25

Le pasteur qui jugea les trois deesses nuës,
Ne vit point à la fois tant de charmes secrets,
De divines beautez, de graces inconnuës,
Que j' en vis éclatter en vos moindres attraits.
Je croy qu' en ce moment la reyne de Cythere,
Sans pas un de ses fils se trouva dans les cieux,
Et que tous les amours abandonnant leur mere,
Estoient dedans mon ame, ou bien dedans vos yeux.
Ils brilloient dans vos yeux, et brusloient dans mon
Ame,
Perçant d' un si beau feu les ombres d' alentour.
Que je vivois heureux au milieu de la flame !
Et que j' avois de joye aussi bien que d' amour !
Depuis, ils ont tousjours gardé la mesme place,
Admirant vos beautez et mon extréme foy ;
Et quoy que vous fassiez, Aminte, ou que je fasse,
Je les voy tous en vous, et je les sens en moy.
Eux qui faisoient brusler le ciel, la terre et l' onde
Avecque tous leurs feux embrasent mon desir,
Et laissent en repos tout le reste du monde,
Pour me faire la guerre avec plus de loisir.

P26

Tandis qu' ils vont doublant mes peines rigoureuses,
Tous les autres captifs ont du soulagement,
Et l' air n' est plus troublé de plaintes amoureuses,
De pleurs, ni de regrets, que par moy seulement.
Echo ne languit plus d' une flame inutile,
Dafné ne brusle plus le bel astre du jour,
Et si le cours d' Alphée est encore en Sicile,
Ce n' est que par coustume, et non pas par amour.
Diane aux yeux de Pan n' a plus rien d' estimable,
Neptune n' ayme plus les nymphes de la mer ;
Et comme en l' univers vous estes seule aymable,
Je suis le seul aussi qui sçache bien aymer.

P27

Stances sur sa maistresse rencontree en habit de
Garçon, un soir du carnaval.
Je sens au profond de mon ame,
Brusler une nouvelle flame,
Et laissant les autres amours,
Qui tenoient mon ame en altere,
J' ayme un garçon depuis trois jours,
Plus beau que celuy de Cythere.
Si le but de cette pensée,
A ma conscience offensée,
J' en ay desja le chastiment ;
Car le feu qui brusla Gomore,
Ne fut jamais si vehement,
Que celuy-là qui me devore.

P28

Mais je ne croy pas que l' on blasme
L' amoureuse ardeur dont m' enflame
Le bel oeil de ce jouvenceau,
Ni qu' aymer d' un amour extréme
Ce que nature a fait de beau,
Soit un peché contre elle-mesme.
Un soir que j' attendois la belle,
Qui depuis deux ans m' ensorcelle,
Je vis comme tombé des cieux,
Ce narcisse objet de ma flame,
Et dés qu' il fut devant mes yeux,
Je le sentis dedans mon ame.
Sa face riante et naïve,
Jettoit une flame si vive,
Et tant de rayons alentour,
Qu' à l' esclat de cette lumiere
Je doutay que ce fust l' amour,
Avecque les yeux de sa mere.
Mille fleurs fraichement écloses,
Les lys, les oeillets et les roses
Couvroient la neige de son teint ;
Mais dessous ces fleurs entassées,
Le serpent dont je fus atteint,
Avoit ses embuches dressées.

P29

Sur un front blanc comme l' yvoire,
Deux petits arcs de couleur noire,
Estoient mignardement voutez,
D' où ce dieu qui me fait la guerre,
Foulant aux pieds nos libertez,
Triomphoit de toute la terre.
Ses yeux, le paradis des ames,
Pleins de ris, d' attraits, et de flames,
Faisoient de la nuit un beau jour :
Astres de divines puissances,
De qui l' empire de l' amour
Prend ses meilleures influences.
Sur tout, il avoit une grace,
Un je ne sçay quoy qui surpasse
De l' amour les plus doux appas,
Un ris qui ne se peut descrire,
Un air que les autres n' ont pas,
Que l' on voit, et qu' on ne peut dire.
Parmy tant d' ennemis renduë,
Ma liberté mal defenduë,
Fut sous le joug d' un estranger ;
Mon coeur se rendit à sa suite,
Et dans le fort de ce danger
Ma raison se mit à la fuite.

P30

Sans le connoistre davantage,
Ma volonté luy fit hommage
De tout ce qu' elle avoit en main ;
Mais du meschant l' ame inconstante,
Me trompa dés le lendemain,
Et me frustra de mon attente.
Plein de depit et de colere,
Soudain je m' en devois défaire,
Apprenant par cette leçon,
Qu' il n' avoit point d' arrest en l' ame,
Et que sous l' habit d' un garçon,
Il portoit le coeur d' une femme.
Toutefois, malgré cette injure,
J' en pris un plus heureux augure,
Et je n' eusse pû croire alors,
Que le ciel, dont il fut l' ouvrage,
Sous le voile d' un si beau corps,
Eust mis un si mauvais courage.
Mais sa malice découverte,
S' est reconnuë avec ma perte ;
Car depuis on ne l' a pû voir,
Le perfide a gagné la fuite,
Tenant mon coeur en son pouvoir,
Avec ma liberté seduite.

P31

Gagné d' une sorciere flame,
J' avois mis les clefs de mon ame
En la garde de ce voleur :
Mais d' une malice funeste,
M' en ayant ravy le meilleur,
Il mit le feu dedans le reste.
Mais je l' ayme, et quoy qu' il me face,
Je voudrois revoir cette face,
Ce chef-d' oeuvre tant estimé,
Où le ciel tout son mieux assemble ;
Et depuis j' ay tousjours aymé
Une fille qui luy ressemble.
Avec les traits de son visage,
Elle a sa taille et son corsage,
Sa voix, son port, et sa façon,
Son doux ris ; son adresse extréme ;
Enfin, sous l' habit d' un garçon,
Je l' aurois prise pour luy-mesme.
Ses yeux sçavent les mesmes charmes,
Elle use de pareilles armes,
Avec tous les mesmes attraits,
Et croy, tant elle luy ressemble,
Qu' elle luy touche de bien prés,
Et qu' ils sont alliez ensemble.

P32

Elle connoist bien, la meschante,
La cause du mal que m' enchante,
Et qui me retient en langueur :
Et, sans doute, elle pourroit dire
Quelque nouvelle de mon coeur,
Et de celuy qui le retire.
Car, sans en voir d' autre apparence,
Je jurerois en asseurance,
À voir son visage assassin,
Et son oeillade cauteleuse,
Qu' elle a sa part à ce larcin
Et qu' elle en est la receleuse.
Amour, petit dieu qui disposes
Du reglement de toutes choses,
Et qui fais entendre tes loix
Par toute la machine ronde,
Fais-moy justice à cette fois,
Toy qui fais droit à tout le monde.
Fais-moy raison de l' inhumaine,
Qui retient mon coeur à la gehesne,
Sans esperance d' avoir mieux ;
Mais, sur tout, ne voy pas la belle,
Car si tu regardes ses yeux,
Je sçay que tu seras pour elle.

P33

La mauvaise me tient ravie
Mon ame, mon coeur, et ma vie,
Car chez elle se vient sauver
Le voleur de cette dépoüille ;
Mais j' espere tout retrouver,
Si tu permets que je la foüille.

P34

Pour Minerve en un balet.
Vous qui chassiez de vostre cour
Toutes les mollesses d' amour,
Et les feux dont il se conserve,
D' où vous sont ces attraits venus ?
Et depuis quand, belle Minerve,
Avez-vous les yeux de Venus ?
Les Graces qui suivent tousjours
La douce mere des amours,
Vont à vous comme à la plus belle ;
Mesme ce dieu qui sçait voler,
S' il vous voyoit mise auprés d' elle,
Ne sçauroit à laquelle aller.
Si vous eussiez eu ces appas,
Lors que vous vinstes icy bas,
Vous faire voir aux yeux d' un homme ;
Sans quitter le sejour des cieux,
Vous eussiez remporté la pomme,
Au jugement de tous les dieux.

P35

Vos charmes ont plus de pouvoir,
Que ceux que nous venons de voir
Dans l' enchantement d' une couppe :
Ils sont bien plus forts et plus doux,
Et je ne sçache en cette trouppe,
D' autre enchanteresse que vous.
Cette Circé, dont les demons
Applaudissent l' orgueil des monts,
Qui remplit la terre d' alarmes,
Et renverse l' ordre des cieux,
A dans ses livres moins de charmes,
Que vous n' en avez dans vos yeux.
Elle peut le monde troubler,
Elle fait les astres trembler,
Et bride le cours de la lune :
Mais vous, d' un pouvoir sans pareil,
Dans le milieu de la nuit brune,
Vous nous faites voir un soleil.
Mille rayons ensorcelez,
Sortent de vos yeux estoillez,
Qui percent sans faire ouverture :
Et redoutée en toutes pars,
Vous faites bransler la nature,
Par le moyen de vos regars.

P36

Aussi faudra-t' il desormais
Qu' elle vous cede pour jamais ;
Car plus docte magicienne,
Vous meritez le maniment
D' une autre verge que la sienne,
Et qui charme plus puissamment.

P37

Stances.
Je me meurs tous les jours en adorant Sylvie,
Mais dans les maux dont je me sens perir,
Je suis si content de mourir,
Que ce plaisir me redonne la vie.
Quand je songe aux beautez, par qui je suis la proye
De tant d' ennuis qui me vont tourmentant,
Ma tristesse me rend contant,
Et fait en moy les effets de la joye.
Les plus beaux yeux du monde ont jetté dans mon ame,
Le feu divin qui me rend bien-heureux,
Que je vive ou meure pour eux,
J' ayme à brusler d' une si belle flame.
Que si dans cét estat quelque doute m' agite,
C' est de penser que dans tous mes tourmens,
J' ay de si grands contentemens,
Que cela seul m' en oste le merite.

P38

Ceux qui font en aymant des pleintes éternelles,
Ne doivent pas estre bien amoureux,
Amour rend tous les siens heureux,
Et dans les maux couronne ses fidelles.
Tandis qu' un feu secret me brusle et me devore,
J' ay des plaisirs à qui rien n' est égal,
Et je vois au fort de mon mal,
Les cieux ouverts dans les yeux que j' adore.
Une divinité de mille attraits pourveuë,
Depuis long-temps tient mon coeur en ses fers ;
Mais tous les maux que j' ay souffers,
N' esgalent point le bien de l' avoir veuë.

P39

Stances.
La terre brillante de fleurs,
Fait éclater mille couleurs,
D' aujourd' huy seulement connuës ;
L' astre du jour, en soûriant,
Jette sur la face des nuës,
L' or et l' azur dont il peint l' orient.
Le ciel est couvert de saphirs,
Les doux et gracieux zephirs
Souspirent mieux que de coustume ;
L' aurore a le teint plus vermeil,
Et semble que le jour s' allume
D' un plus beau feu que celuy du soleil.
Les oyseaux aux charmantes voix,
Mieux que jamais dedans ces bois,
Se font une amoureuse guerre ;
Sans doute la troupe des dieux,
A quitté le ciel pour la terre,
Ou la divine Oronte est en ces lieux.

P40

Oronte, dont les yeux vainqueurs,
Ont assujetti mille coeurs,
Dont elle refuse l' hommage ;
Qui naissant a receu des cieux
Toutes les graces en partage ;
Et les faveurs des hommes et des dieux.
Par la force de ses attraits,
Ces vieux troncs, ces noires forets,
Ressentent l' amoureuse flame ;
Tout cede à des charmes si chers,
Et ses yeux qui nous ostent l' ame,
D' un seul regard la donnent aux rochers.
Ainsi sortant de Fontenay,
Dedans le chemin de Gournay,
Faisant des vers à l' aventure,
Suivant l' humeur qui l' emportoit,
L' insensible et le froid Voiture,
Parloit d' amour comme s' il en sentoit.
Les nymphes des eaux et des bois,
Escoutant sa dolente voix,
Ne purent s' empescher de rire :
Mais un Faune qui l' entendit,
Aux dryades se prit à dire,
Possible est-il plus vray qu' il ne le dit.

P41

Stances.
Belle deesse que j' adore,
Ne pleurez pas si longuement ;
Si les perles se font des larmes de l' aurore,
Vous perdrez un tresor bien inutilement.
Ces larmes me rendroient trop heureux et trop riche,
Si vous les respandiez pour moy ;
Vous perdrez pour une babiche,
Des pleurs qui suffiroient pour racheter un roy.
Celle qui vous ressemble, horsmis qu' elle est moins
Belle,
Et qui dedans le ciel s' appelle
Du nom qui vous convient si bien,
Jette quelques souspirs de sa divine bouche :
Et pleure les matins en sortant de sa couche,
Mais c' est pour un amant, et non pas pour un chien.

P43

Si vous voulez pleurer comme elle,
Il faut devenir moins cruelle,
Employer mieux vostre amitié :
Et pleurer sur tant que nous sommes ;
Mais d' une bizarre pitié
Ne pleurez pas les chiens, vous qui tuez les hommes !
Stances à la louange du soulier d' une dame.
Moy qui fus pris ce caresme,
Et qui me vis au pouvoir
D' un beau soulier jaune et noir
Que j' aymois plus que moy-mesme,
Je suis maintenant en feu,
Pour un soulier noir et bleu.
Comme un criminel qu' on mene
Où son destin l' a reduit,
À la Bastille est conduit,
Sortant du bois de Vincenne ;
Ainsi mon coeur prisonnier
Va de soulier en soulier.
Le pied qui cause ma peine,
Et qui me tient sous sa loy,
Ce n' est pas un pied de roy ;
Mais plustost un pied de reyne ;
Car je voy dans l' avenir,
Qu' il le pourra devenir.

P44

Sur ce beau pied la nature
Admirable en ses effects,
A sceu bastir un palais
De divine architecture ;
Où se trouvent tous les dieux
Mieux logez que dans les cieux.
C' est un grand temple d' yvoire,
Plein de grace et de beauté,
En quelques lieux marqueté
D' une ebene douce et noire,
Qui sert en ce lieu si beau,
Comme d' ombre en un tableau.
Deux flambeaux incomparables,
Plus brillans que le soleil,
Par un éclat sans pareil,
Et des rayons favorables,
Rendent les lieux d' alentour
Pleins de lumiere et d' amour.
La nef de cét edifice
Est pleine d' un jour tres-pur ;
Mais le coeur en est obscur,
Et fait par tel artifice,
Que les yeux les plus perçans
Ne penetrent point dedans.

P45

Tout ce que la terre et l' onde
Produisent de precieux ;
Tout ce qu' on voit dans les cieux,
Et qui paroist dans le monde,
Est fait imparfaitement,
Au prix de ce bastiment.
Mais un personnage antique,
Parent de Nostradamus,
M' a dit en termes confus ;
Que ce temple magnifique,
Pour estre plus exaucé,
Sera bien-tost renversé.

P46

Stances à une demoiselle qui avoit les manches de sa
Chemise retroussées et sales.
Vous qui tenez incessamment
Cent amans dedans vostre manche,
Tenez-les au moins proprement,
Et faites qu' elle soit plus blanche.
Vous pouvez avecque raison,
Usant des droits de la victoire,
Mettre vos galans en prison ;
Mais qu' elle ne soit pas si noire.
Mon coeur qui vous est si devot,
Et que vous reduisez en cendre,
Vous le tenez dans un cachot,
Comme un prisonnier qu' on va pendre.
Est-ce que brulant nuit et jour,
Je remplis ce lieu de fumée,
Et que le feu de mon amour
En a fait une cheminée ?

P47

Stances sur une dame, dont la juppe fut retroussée en
Versant dans un carrosse, à la campagne.
Philis, je suis dessous vos loix,
Et sans remede à cette fois
Mon ame est vostre prisonniere :
Mais sans justice et sans raison,
Vous m' avez pris par le derriere,
N' est-ce pas une trahison ?
Je m' estois gardé de vos yeux ;
Et ce visage gracieux,
Qui peut faire pallir le nostre,
Contre moy n' ayant point d' appas,
Vous m' en avez fait voir un autre,
Dequoy je ne me gardois pas.
D' abord il se fit mon vainqueur ;
Ses attraits percerent mon coeur,
Ma liberté se vit ravie ;
Et le méchant, en cét estat,
S' estoit caché toute sa vie,
Pour faire cét assassinat.

P48

Il est vray que je fus surpris,
Le feu passa dans mes esprits :
Et mon coeur autresfois superbe,
Humble se rendit à l' amour,
Quand il vit vostre cu sur l' herbe
Faire honte aux rayons du jour.
Le soleil confus dans les cieux,
En le voyant si radieux,
Pensa retourner en arriere,
Son feu ne servant plus de rien ;
Mais ayant veu vostre derriere,
Il n' osa plus montrer le sien.
En découvrant tant de beautez,
Les Sylvains furent enchantez,
Et Zephyre voyant encore
D' autres appas que vous avez ;
Mesme en la presence de Flore,
Vous baisa ce que vous sçavez.
La rose la reyne des fleurs,
Perdit ses plus vives couleurs,
De crainte l' oeillet devint blesme :
Et narcisse alors convaincu,
Oublia l' amour de soy-mesme,
Pour se mirer en vostre cu.

P49

Aussi rien n' est si precieux,
Et la clarté de vos beaux yeux,
Vostre teint qui jamais ne change ;
Et le reste de vos appas,
Ne meritent point de loüange
Qu' alors qu' il ne se montre pas.
On m' a dit qu' il a des defaux
Qui me causeront mille maux ;
Car il est farouche à merveilles :
Il est dur comme un diamant,
Il est sans yeux et sans oreilles,
Et ne parle que rarement.
Mais je l' ayme, et veux que mes vers
Par tous les coins de l' univers
En fassent vivre la memoire ;
Et ne veux penser desormais
Qu' à chanter dignement la gloire
Du plus beau cu qui fut jamais.
Philis, cachez bien ses appas,
Les mortels ne dureroient pas,
Si ces beautez estoient sans voiles ;
Les dieux qui regnent dessus nous,
Assis là-haut sur les estoilles,
Ont un moins beau siege que vous.

P50

Fragment.
La plus adorable personne
Qui se trouve dans l' univers ;
Et pour qui le fils de Latone
Ne feroit pas d' assez beaux vers !
Aminte la gloire du monde,
L' amour de la terre et de l' onde,
De cét agreable sejour
Occupe la place premiere,
Et le remplit d' une lumiere
Plus belle que celle du jour.
Les amours sont à ses costez,
Sages, retenus, et modestes,
Avecque les desirs celestes
Qui mesprisent les voluptez ;
Devant cette beauté severe,
Que le vice mesme revere,
Ils n' oseroient paroistre nus ;
Et n' ayant plus rien de profane,
Ils la craignent comme Diane,
Et la servent comme Venus.


SONNETS


P51

Sous un habit de fleurs la nymphe que j' adore,
L' autre soir apparut si brillante en ces lieux,
Qu' à l' eclat de son teint et celuy de ses yeux,
Tout le monde la prit pour la naissante aurore.
La terre, en la voyant, fit mille fleurs éclore,
L' air fut par tout remply de chants melodieux ;
Et les feux de la nuit pallirent dans les cieux,
Et creurent que le jour recommençoit encore.
Le soleil qui tomboit dans le sein de Thetis,
R' allumant tout à coup ses rayons amortis,
Fit tourner ses chevaux pour aller apres elle.
Et l' empire des flots ne l' eust sceu retenir ;
Mais la regardant mieux, et la voyant si belle,
Il se cacha sous l' onde, et n' osa revenir.

P52

Autre.
Il faut finir mes jours en l' amour d' Uranie,
L' absence ni le temps ne m' en sçauroient guerir,
Et je ne voy plus rien qui me pût secourir,
Ni qui sceust r' appeller ma liberté bannie.
Dés long-temps je connois sa rigueur infinie,
Mais pensant aux beautez pour qui je dois perir,
Je benis mon martyre, et content de mourir,
Je n' ose murmurer contre sa tyrannie.
Quelquefois ma raison, par de foibles discours,
M' incite à la revolte, et me promet secours ;
Mais lors qu' à mon besoin je me veux servir d' elle ;
Apres beaucoup de peine et d' efforts impuissans,
Elle dit qu' Uranie est seule aymable et belle,
Et m' y rengage plus que ne font tous mes sens.

P53

Autre.
Belles fleurs dont je voy ces jardins embellis,
Chastes nymphes, l' amour et le soin de l' aurore,
Innocentes beautez que le soleil adore,
Dont l' éclat rend la terre et les cieux embellis.
Allez rendre l' hommage au beau teint de Philis,
Nommez-la vostre reyne, et confessez encore
Qu' elle est plus éclatante et plus belle que Flore,
Lors qu' elle a plus d' oeillets, de roses, et de lis.
Quittez donc sans regret ces lieux et vos racines,
Pour voir une beauté, dont les graces divines
Blessent les coeurs des dieux d' inévitables coups ;
Et ne vous faschez point si vous mourez pour elle,
Aussi-bien la cruelle
Fera bien-tost mourir tout le monde apres vous.

P54

Autre.
L' autre jour au palais des cieux,
En une feste solennelle,
Où la triomphante Cybelle,
Traittoit ensemble tous les dieux ;
Apres maints discours serieux
Sur la regence universelle,
Tout en rond la troupe immortelle
Prit du nectar delicieux.
Lors on proposa par la table,
Laquelle estoit plus souhaitable
Ou d' Angelique, ou de Cypris,
Les dieux furent pour la pucelle,
Et Venus la mere des ris,
N' eut que Mome et Vulcain pour elle.

P55

Autre.
Des portes du matin l' amante de Cephale,
Ses roses espandoit dans le milieu des airs,
Et jettoit sur les cieux nouvellement ouvers,
Ces traits d' or, et d' azur, qu' en naissant elle estale.
Quand la nymphe divine, à mon repos fatale
Apparut, et brilla de tant d' attraits divers,
Qu' il sembloit qu' elle seule esclairoit l' univers,
Et remplissoit de feux la rive orientale.
Le soleil se hastant pour la gloire des cieux,
Vint opposer sa flame à l' éclat de ses yeux,
Et prit tous les rayons dont l' Olympe se dore ;
L' onde, la terre, et l' air s' allumoient à l' entour :
Mais aupres de Philis on le prit pour l' aurore,
Et l' on creut que Philis estoit l' astre du jour.

P56

Autre à Monseigneur Le Cardinal Mazarin, sur la
Comedie des machines.
Quelle docte Circé, quelle nouvelle Armide
Fait paroistre à nos yeux ces miracles divers,
Et depuis quand les corps par le vague des airs
Sçavent-ils s' elever d' un mouvement rapide ?
Où l' on voyoit l' azur de la campagne humide,
Naissent des fleurs sans nombre, et des ombrages vers ;
Des globes estoillez les palais sont ouvers,
Et les gouffres profonds de l' empire liquide.
Dedans un mesme temps nous voyons mille lieux ;
Des ports, des ponts, des tours, des jardins spacieux,
Et dans un mesme lieu, cent scenes differentes.
Quels honneurs te sont deus, grand et divin prelat,
Qui fais que desormais tant de faces changeantes
Sont dessus le theatre, et non pas dans l' estat ?


CHANSONS


P57

Chanson sur une belle voix.
Lors que Belise veut chanter,
Et que le bruit, pour l' escouter,
Est d' accord avec le silence ;
L' esprit plein de contentement,
S' abandonne au ravissement,
Et suit de ce transport la douce violence.
L' ame qui se veut esmouvoir,
Cede à l' agreable pouvoir
De sa voix pleine de merveilles,
Et pour mieux oüir ses accens,
Elle quitte les autres sens,
Et se vient toute rendre à celuy des oreilles.
Chere peine des matelots,
Escueil agreable des flots,
Mort ensemble et douce et cruelle !
Sirenes, filles d' Achelois,
Cessez de nous vanter vos voix ;
Car celle de Belise est plus douce et plus belle.

P58

Vostre chant autrefois perdoit
Le nocher qui vous entendoit,
Son plaisir estoit son naufrage ;
Mais la voix de cette beauté,
Dont tout le monde est enchanté,
Est bien moins perilleuse, et plaist bien davantage.
Elle peut charmer les douleurs,
Et des plus sensibles mal-heurs
Oster la funeste pensée ;
Elle donne un plaisir parfait,
Et n' en estre point satisfait,
Est manquer de raison, ou bien l' avoir blessée.
Le plaisant murmure des eaux,
L' agreable chant des oyseaux,
Les luths d' Amphion et d' Orphée,
Un rossignol et ses appas,
Un cygne proche du trespas,
Dressent à cette voix un superbe trophée.
La belle musique des cieux,
Et ce qu' à la table des dieux
Apollon chante sur la lyre ;
Les divins concerts des neuf soeurs,
Cedent à ses moindres douceurs,
Et ma muse se taist ne pouvant bien les dire.

P59

Autre.
Mes yeux, quel crime ay-je commis,
Qui vous rende mes ennemis,
Et qui vous oblige à me nuire ?
Pourquoy cherchez-vous en tous lieux,
Vous par qui je me dois conduire,
L' objet qui seul me peut destruire ?
Quel mal vous ay-je fait, mes yeux ?
Vous sçavez bien que vos plaisirs
M' ont cousté cent mille desirs,
Et qu' ils sont autheurs de ma peine ;
Et contre moy sedicieux,
Charmez de l' éclat qui vous meine,
Vous ne voulez voir que Climene ;
Quel mal vous ay-je fait, mes yeux ?
Loin d' elle vous mourez d' ennuy ;
Et moy je ne meurs aujourd' huy,
Qu' à cause que vous l' avez veuë ;
Les fers vous semblent glorieux,
Sous qui mon ame est abbatuë,
Vous aymez celle qui me tuë ;
Quel mal vous ay-je fait, mes yeux ?

P60

Vous m' apprenez que ses beautez
Passent les celestes clartez,
Que des nuicts la blanche courriere
Luit d' un éclat moins radieux,
Et qu' au milieu de sa carriere
Le soleil a moins de lumiere,
Quel mal vous ay-je fait mes yeux ?
C' est vous qui donnez le poison
Qui chasse ma foible raison,
Qu' en vain maintenant je reclame ;
Et vous, qui trop audacieux,
Jettez le desordre en mon ame,
La perdez, la mettez en flame ;
Quel mal vous ay-je fait mes yeux ?

P61

Autre.
L' amour sous sa loy
N' a jamais eu d' amant plus heureux que moy ;
Benit soit son flambeau,
Son carquois, son bandeau,
Je suis amoureux,
Et le ciel ne voit point d' amant plus heureux.
Mes jours et mes nuits
Ont bien peu de repos et beaucoup d' ennuis ;
Je me meurs de langueur,
J' ay le feu dans le coeur,
Je suis amoureux,
Et le ciel ne voit point d' amant plus heureux.
Mortels déplaisirs
Qui venez traverser mes justes desirs !
Je ne crains point vos coups ;
Car, enfin, malgré vous,
Je suis amoureux, etc.

P62

À tous ses martyrs,
L' amour donne en leurs maux de secrets plaisirs ;
Je cheris ma douleur,
Et dedans mon mal-heur,
Je suis amoureux, etc.
Les yeux qui m' ont pris,
Payeroient tous mes maux avec un soûris,
Tous leurs traits me sont doux,
Mesme dans leur couroux,
Je suis amoureux, etc.
Cloris eut des cieux,
En naissant, la faveur et l' amour des dieux,
Je la veux adorer,
Et sans rien esperer,
J' en suis amoureux, etc.
Souvent le dépit
Peut bien, pour quelque temps, changer mon esprit,
Je maudis sa rigueur,
Mais au fond de mon coeur,
J' en suis amoureux, etc.

P63

Estant dans les fers,
De la belle Cloris, je chantay ces vers ;
Maintenant d' un sujet,
Mille fois plus parfait,
Je suis amoureux, etc.
La seule beauté,
Qui soit digne d' amour, tient ma liberté,
Et je puis desormais
Dire mieux que jamais,
Je suis amoureux,
Et le ciel ne voit point d' amant plus heureux.

P64

Autre.
Je me tais, et me sens bruler,
Car l' objet qu' adore mon ame,
Est si parfait que je n' en puis parler,
Sans faire voir à tous le sujet de ma flame.
Si je dis que dans l' univers
Celle pour qui je meurs, n' eut jamais de pareille,
Qu' elle est de tous les yeux l' amour et la merveille,
Qui ne devinera la beauté que je sers ?
Si je dis que dans ses beaux yeux
Cet archer qui m' y fait la guerre,
Forge des traits qu' il garde pour les dieux,
Mesprisant desormais tous les coeurs de la terre ;
Et que dans le fort des hyvers,
Quand la rigueur du froid efface toutes choses,
Son teint paroist tousjours plein de lys et de roses,
Qui ne devinera la beauté que je sers ?

P65

Que si je parle dignement
De son esprit incomparable,
Dont la grandeur partage esgalement
Avecque sa beauté le tiltre d' adorable.
Si je puis dépeindre en mes vers
Combien son ame est grande, et genereuse, et belle,
De tant de qualitez qu' on ne trouve qu' en elle,
Qui ne devinera la beauté que je sers ?
Mais sans parler de sa beauté,
De son esprit, ni de ses charmes ;
Si je descris comme sa cruauté
Mesprise desormais les soûpirs, et les larmes ;
Et que ceux qui sont dans ses fers
N' en receurent jamais un regard favorable,
Que le ciel n' en voit point de plus inexorable ?
Qui ne devinera la beauté que je sers ?

P66

Autre.
Les trois plus grandes deesses,
Dont Pâris sçeut les debas,
Ont disputé des appas
Contre une de nos princesses ;
Mais en voyant sa beauté,
Venus mesme l' a quitté.
Les graces ont eu querelle
Sur qui tient le premier rang,
Et qui vient de meilleur sang
D' elles ou mademoiselle :
Tout le ciel sollicita,
Mais la belle l' emporta.
Les plus sçavans en la sphere,
Doutent depuis quelques ans,
Où l' astre qui fait les temps
Tient sa demeure ordinaire ;
Si le ciel est son sejour,
Ou le petit Luxembourg.

P67

Au cours du bois de Vincennes
Le soleil a disputé
De lumiere et de beauté,
Avec la belle d' Angennes ;
Mais le soleil le perdit,
Aux rayons qu' elle épandit.
Au milieu de sa carriere
Voyant l' éclat de ses yeux,
En vain le flambeau des cieux
Fit redoubler sa lumiere :
Car avecque tous ses feux,
Qu' eust-il fait seul contre deux ?
Dans le fond d' un bois antique
Un rossignol disputa
Sur ut, re, mi, fa, sol, la,
Avec la belle Angelique ;
Mais le rossignol perdit,
Au doux son qu' elle épandit.
Sur le chemin de Charonne,
Amour tout chargé de traits,
A disputé des attraits
Avec la belle baronne :
Mais le pauvre enfant perdit,
Aux charmes qu' elle épandit.

P68

Autre.
Nostre Aurore vermeille
Sommeille,
Qu' on se taise à l' entour,
Et qu' on ne la reveille
Que pour donner le jour.
Vostre beauté divine
Assassine
Nos coeurs par ses beaux yeux ;
C' est la belle Lucine,
Le chef-d' oeuvre des cieux.
En vous, belle Julie,
S' allie
La grace et la bonté ;
Et la vertu remplie
D' attraits et de beauté.

P69

Vous estes accomplie,
Julie,
Plus belle que le jour ;
Et chacun vous publie
L' ornement de la cour.
La beauté d' Angelique
Est unique,
Et ses yeux nos vainqueurs
Ont un secret magique
Pour gagner tous les coeurs.

P70

Autre.
Ce n' est pas sans raison
Qu' on dit que je vous admire,
Et pour moy je n' en puis dedire
Monsieur De St B.
Coralte vos beaux yeux forcent toutes les ames
À bruler, à bruler de leurs flammes.
Tout ce qui part de vous,
A des graces si charmantes,
Que les ames les moins aymantes
En ressentent les coups,
Coralte, etc.
Vostre teint en tous lieux
A tousjours des fleurs écloses,
Et l' amour couché dans des roses
Y fait la guerre aux dieux,
Coralte, etc.

P71

Puis que si puissamment,
Vos attraits que rien n' efface,
Ont touché mon ame de glace,
On peut dire hardiment,
Coralte, etc.
Les enfans au berceau,
Rient à vous comme aux anges,
Les vieillars chantent vos loüanges
Jusques dans le tombeau,
Coralte, etc.
Il ne reste sinon
Qu' icy l' on vous dresse un temple ;
Desja des prestres je contemple,
Qui chantent vostre nom,
Coralte, etc.
Pour moy, je ne croy pas,
Quoy que vous me puissiez dire,
Que rien m' oste de vostre empire,
Si ce n' est le trespas ;
Coralte, etc.

P72

Quand vous m' auriez chassé ;
Dans l' amour qui me transporte ;
J' irois chanter à vostre porte,
D' un ton triste et cassé,
Coralte vos beaux yeux forcent toutes les ames
À bruler, à bruler de leurs flammes.

P73

Autre.
J' avois de l' amour pour vous,
Charmante Sylvie !
Mais vos injustes courroux
Ont refroidy mon envie,
Je sçais aymer constamment,
Mais si l' on n' ayme également,
Ma foy je m' en ennuye.
Vostre bouche, et vos beaux yeux,
Les roys de ma vie,
Et vostre ris gracieux
Avoient mon ame asservie,
Vous m' aviez gagné le coeur ;
Mais quand on a trop de rigueur,
Ma foy je m' en ennuye.

P74

J' approuve un feu bien-heureux
Qui deux ames lie,
Et tient deux coeurs amoureux
Sans peine et melancolie ;
J' ayme les douces amours,
Mais pour souspirer tous les jours,
Ma foy je m' en ennuye.
L' amour sur un autre amour
Volontiers s' appuye,
J' ayme sans aucun destour ;
Mais si je voy qu' on me fuye,
Et qu' on se plaise à m' ouïr
Pleurer, tourmenter et gemir,
Ma foy je m' en ennuye.
J' approuve un coeur enflammé,
Qui se glorifie
D' aymer, sans qu' il soit aymé,
Et son plaisir sacrifie ;
Je le fais bien quelquefois ;
Mais quand cela passe trois mois,
Ma foy je m' en ennuye.

P75

Vous exercez sur mon coeur
Trop de tyrannie,
Je ne vis plus qu' en langueur,
C' est une peine infinie
Que de vivre en vous aymant,
Et pour vous parler franchement ;
Ma foy je m' en ennuye.
Si vous pensez honnorer
Une ame transie,
Qui meurt pour vous adorer,
Pour moy je vous remercie,
Je ne veux point tant d' honneur,
Gardez-le à quelque grand seigneur ;
Ma foy je m' en ennuye.
Faire des vers en batteau,
Ce seroit folie,
Car par la fraischeur de l' eau
Je sens ma teste assaillie ;
Vous n' aurez donc que cecy,
Il fait mauvais escrire icy ;
Ma foy je m' en ennuye.

P76

Autre sur l' air du branle de mets.
Belles l' honneur de nostre âge,
Et le but de nos souhaits
Sur l' air du branle de mets,
Apprenez nostre voyage ;
Mais pleurez en le chantant,
Car nous en faisons autant.
Nous n' estions qu' au Bourg La Reyne,
Et je creus estre à Goa,
Ou cent milles par delà,
Tant mon coeur estoit en peine,
S' éloignant de la beauté,
Qui retient sa liberté.
Nous vismes dedans la nuë
La tour de Mont-Le-Heris,
Qui pour regarder Paris
Allongeoit son col de gruë ;
Et pour y voir vos beaux yeux,
S' élevoit jusques aux cieux.

P77

Quand nous fusmes dans Estampe
Nous parlasmes fort de vous ;
J' en souspiray quatre coups,
Et j' en eus la goutte-crampe :
Estampe et crampe vrayment,
Riment admirablement.
Dans le milieu d' Angerville,
Monsieur nostre chancelier,
En me parlant d' un soulier,
Me fit devenir débile,
Me souvenant de celuy
Qui m' a causé tant d' ennuy.
Une heure estoit bien passée,
Quand nous vinsmes à Toury,
Alors Monsieur Griboury
Me revint en la pensée,
Un certain noir et frisé,
Fort bien fait et composé.
Nous trouvasmes prés Sercote,
(cas estrange et vray pourtant)
Des boeufs qu' on voyoit broutant,
Dessus le haut d' une motte ;
Et plus bas quelques cochons,
Et bon nombre de moutons.

P78

Nous vismes deux demoiselles,
Lors que nous fusmes dedans,
Qui paroissoient à leurs dents,
D' assez gentilles femelles ;
Frere Claude qui les vit,
De fort bon coeur leur sousrit.
Dans Orleans cent harangues,
Se firent au chancelier ;
Et l' on le vint supplier,
En dix-huict sortes de langues :
Les trois mores furent pleins
De maires et d' echevins.
Voyant cela, je m' écoule,
Et desirant estre à part,
Je me sceus mettre à l' écart
Dans un coin ; hors de la foule,
Où rêvant jusqu' à la nuit,
J' escrivis ce qui s' ensuit.
Nostre aurore de la barre,
Est maintenant un soleil :
Le ciel n' a rien de pareil,
La terre rien de si rare ;
Mais en cas de Merlenbeau,
Son esprit n' est pas fort beau.

P79

Cette beauté souveraine
A r' allumé mes vieux ans :
Ses attraits sont si charmans,
Que pour sortir de la peine
Où m' a conduit son bel oeil,
Je n' attens que le cercuëil.
Quel éclat et quelles flammes,
Quels rayons vois-je dans l' air ?
À voir tant de feux briller,
C' est la princesse des ames,
La reyne des volontez,
La deesse des beautez.
Cachez vos beautez mortelles,
Je voy paroistre Cloris ;
Tous vos attraits sont peris,
Voicy la belle des belles ;
Son soulier a plus d' attraits,
Que vos yeux et tous vos traits.
Ce que le ciel a de flamme
Il l' a mis dedans ses yeux ;
Ce qu' il eut de precieux,
Il le mit dedans son ame,
Rien du tout ne luy deffaut,
Que d' avoir le sang plus chaud.

P80

La belle baronne darde
De ses yeux mille trespas,
Mais dites, n' a-t-elle pas
La mine un peu bien gaillarde ?
Je pense que sa vertu
A bien souvent combattu.
Quelle est celle qui m' éclaire
Et brille de tant d' appas ?
Est-ce Diane ou Pallas ?
Ou la reyne de Cythere ?
Car en elle j' apperçois
Quelque air de toutes les trois.
À voir sa grace embellie
Avec tant de majesté,
C' est l' attrayante beauté
De la charmante Julie,
Dont mon coeur seroit épris,
S' il n' estoit pas à Cloris.
Il seroit temps de me taire,
Et ma plume n' en peut plus ;
Mais que diront les vertus,
Si je me tais de sa mere ?
Qui joint à tant de beautez
Tant de rares qualitez.

P81

Artenice où je contemple
Tant de miracles divers !
Les autres ont eu des vers,
Mais à vous il faut un temple ;
Il sera fait dans un an,
Et j' en ay desja le plan.
Frere Claude l' heroïque
En sera le sacristain,
Chapelain le chapelain ;
Et l' angelique Angelique
Nuit et jour y chantera,
Les hymnes qu' il vous fera.

P82

Autre à madame la princesse, sur l' air des landriry.
Madame vous trouverez bon
Qu' on vous escrive sur le ton
De landrirette,
Qui court maintenant à Paris,
Landriry.
Vostre absence nous abbat tous,
Quelques-uns en sont demy-fous,
Landrirette,
Les autres n' en sont qu' estourdis,
Landriry.
Du point de vostre éloignement,
L' hyver s' approche à tout moment,
Landrirette,
Et les beaux jours sont accourcis,
Landriry.

P83

Pour nouvelles chacun dit fort
Que le Duc Charles est d' accort,
Landrirette,
La neutralité fait grand bruit,
Landriry.
L' on tient icy pour arresté
Que madame a fait le traitté,
Landrirette,
Le roy son frere en est marri,
Landriry.
L' espagnol rend ce qu' il tenoit,
Elle aura tout ce qu' elle avoit,
Landrirette,
Particulierement...
Landriry.
J' ay receu deux coups de ciseau,
En un lieu bien loin du museau,
Landrirette,
Je m' en porte mieux dieu mercy,
Landriry.

P84

L' on est icy fort tristement,
Tout nostre divertissement,
Landrirette,
Est de chanter ce qui s' ensuit,
Landriry.
En grace, en beautez, en attraits,
Nulle n' égalera jamais,
Landrirette,
La divine Mommorency,
Landriry.
L' on jugeroit par la blancheur
De Bourbon, et par sa fraischeur,
Landrirette,
Qu' elle a pris naissance des lys,
Landriry.
Julie a l' esprit et les yeux,
Plus brillans et plus radieux,
Landrirette,
Que l' astre du jour à midy,
Landriry.

P85

Pour faire son ame et son corps
Le ciel espuisa ses tresors,
Landrirette,
...
Landriry.
Elle a tout en perfection,
Hors qu' elle a trop d' aversion,
Landrirette,
Pour les amans et les sousris,
Landriry.
Mesdemoiselles De Clermont,
Ont plus de charmes qu' Aigremont,
Landrirette,
Par Aigremont j' entens Maugis,
Landriry.
Mesdemoiselles Du Vigean,
Ont le coeur noble, et le corps gent,
Landrirette,
Tout homme qui les voit, est fri,
Landriry.

P86

Lors que Venus aymoit Adon,
Elle avoit les yeux, ce dit-on,
Landrirette,
Comme Mademoiselle Aubry,
Landriry.
D' où vient que depuis quelques jours,
On voit la trouppe des amours,
Landrirette,
Dessus la route de Poissi ?
Landriry.
C' est que la reyne des beautez,
Des ames et des libertez,
Landrirette,
Fait sa demeure dans Vigni,
Landriry.
Vostre balet comme j' entens,
Passe les plus beaux de ce temps,
Landrirette,
Monsieur De Gauffecourt le dit,
Landriry.

P87

Un seul violon de Meulan
Fait bien plus de bruit maintenant,
Landrirette,
Que les vingt et quatre d' icy,
Landriry.
Un certain faiseur d' almanac,
M' a dit que Monsieur De Meynac,
Landrirette,
Dans ce mois devoit estre pris,
Landriry.
Mais si vous ne me croyez pas,
Considerez, et lisez bas,
Landrirette,
La centurie que voicy,
Landriry.
Trois mois apres celuy de may,
L' on prendra Monsieur De Macmey,
Landrirette,
Et Monsieur De Noichane aussi,
Landriry.

P88

Je sçay pour certain que l' amour
En veut à ceux de Vantadour,
Landrirette,
Dieu garde Monsieur De Levi,
Landriry.
J' en mettrois encor plus de six,
Mais je ne puis plus estre assis,
Landrirette,
Je m' en vay trouver Monsieur Juif,
Landriry.

P89

Autre.
L' un meurt qu' à sa fantaisie,
Il ne s' avance à la cour :
L' autre meurt de jalousie ;
Et moy je me meurs d' amour.
Promethée est à la chaisne,
Et becqueté d' un vautour ;
Il ne meurt de cette peine,
Et moy, je me meurs d' amour.
D' une plainte desolée,
Ainsi Thirsis l' autre jour
Disoit dans cette valée,
Et moy je me meurs d' amour.
Il fendoit le coeur des marbres,
Et l' echo mesme à son tour,
Faisoit redire à ses arbres,
Et moy je me meurs d' amour.

P90

Autre.
Les demoiselles de ce temps
Ont depuis peu beaucoup d' amans,
On dit qu' il n' en manque à personne,
L' année est bonne.
Nous avons veu les ans passez,
Que les galans estoient glacez ;
Mais maintenant tout en foisonne,
L' année est bonne.
Le temps n' est pas bien loin encor
Qu' ils se vendoient au poids de l' or,
Et pour le present on les donne,
L' année est bonne.
Le soleil de nous r' approché,
Rend le monde plus échauffé ;
L' amour regne, le sang boüillonne,
L' année est bonne.

P91

La belle princesse n' est pas
Du rang des beautez d' icy bas ;
Car une fraischeur immortelle
Se voit en elle.
Dans son visage et dans ses traits
Brillent quelques divins attraits,
Et dans sa mine et dans son geste
Un air celeste.
De perles, d' astres, et de fleurs,
Bourbon, le ciel fit tes couleurs,
Et mit dedans tout ce mélange
L' esprit d' un ange.
Que de coeurs l' amour blesseroit,
Que de maux au monde il feroit,
Si cette belle moins contraire
Le laissoit faire !
La duchesse a pris à l' amour
Ses traits ; et ce dieu tout le jour,
Pour les r' avoir de cette belle,
Vole autour d' elle.

P92

Elle les monstre en ses appas ;
Mais elle ne les lance pas,
Et craint trop d' en blesser personne,
Tant elle est bonne.
Mais ses coups seroient bien-heureux,
Et n' est point de coeur genereux,
Qui ne voulust mourir pour elle ;
Tant elle est belle.
Le soleil cede à ses beaux yeux,
Et ne voit du plus haut des cieux,
Que luy-mesme dedans le monde,
Qui les seconde.
Baronne pleine de douceur
Estes-vous mere, estes-vous soeur,
De ces deux belles si gentilles,
Qu' on dit vos filles ?
Vous avez l' humeur, ce dit-on,
D' un doux et paisible mouton ;
Mais vostre peau blanche et tres-fine
Est d' une hermine.

P93

Que vois-je si plein de clarté,
D' attraits, de grace et de beauté,
Si ce n' est Diane, ou l' Aurore,
Ou Flore, ou Fore ?
Les oyseaux vont en toutes parts,
Suivant sa voix, ou ses regards ;
Zephire la suit et l' adore,
C' est Flore, ou Fore.
Sur son visage et sous ses pas
Naissent des fleurs et des appas,
Qu' ailleurs on ne voit point éclore ;
C' est Flore ou Fore.
Vigean est un soleil naissant,
Un bouton s' épanouïssant,
Ou Venus, qui sortant de l' onde,
Brule le monde.
Sans sçavoir ce que c' est qu' amour,
Ses beaux yeux le mettent au jour,
Et par tout elle le fait naistre,
Sans le connoistre.

P94

Rambouïllet avec sa fierté,
A certain air dans sa beauté,
Qui fait qu' autant que l' on l' admire,
On la desire.
Dessus sa bouche sont tousjours
Les Graces avec les Amours,
Ou pour le plaisir de l' entendre,
Ou pour apprendre.

P95

Quand Iris aux beaux yeux
Paroist en quelques lieux,
Il n' est coeur qui ne tremble :
C' est l' honneur de la cour,
C' est la gloire d' amour,
Et des vertus ensemble.
On ne peut pas si-tost
Bien loüer comme il faut,
De la grande duchesse
La grace et la bonté ;
Sa moindre qualité
Est celle de princesse.
Quand des bords d' orient,
L' Aurore en sousriant,
Sa lumiere rappelle,
Elle n' égale pas,
Avec tous ses appas,
Ceux de mademoiselle.

P96

La belle...
A la bouche d' oeillet,
Les yeux de vive flame ;
Le courage d' un roy,
Et l' esprit comme moy,
Quand Apollon m' enflamme.
Le ciel, sans changement,
En feroit aisément
Une reyne parfaite ;
Quelque jour tous les roys
Vivront dessous ses lois,
Dans l' isle qu' elle a faite.
Jamais l' oeil du soleil
Ne vit rien de pareil,
Ni si plein de delices ;
Rien si digne d' amour,
Si ce ne fut le jour,
Que nasquit Artenice.
Quand les dieux eurent fait
Le chef-d' oeuvre parfait,
Que Julie on appelle,
Minerve qui la vit,
En pleura de dépit,
Et se trouva moins belle.

P97

L' Amour armé de traits,
Avec tous ses attraits,
N' en a point qui me picque ;
Et je crains plus cent fois
Les charmes et la voix
De la belle Angelique.

P98

Autre sur l' air des lanturlu.
Le roy nostre sire,
Pour bonnes raisons
Que l' on n' ose dire,
Et que nous taisons :
Nous a fait défense
De plus chanter lanturlu,
Lanturlu, lanturlu, lanturlu, lanture.
La reyne sa mere
Reviendra bien-tost,
Et monsieur son frere
Ne dira plus mot ;
Il sera paisible,
Pourveu qu' on ne chante plus,
Lanturlu, etc.

P99

De la Grand' Bretagne
Les ambassadeurs,
Ceux du roy d' Espagne,
Et des electeurs,
Se sont venus plaindre
D' avoir par tout entendu,
Lanturlu, etc.
Ils ont fait leur plainte
Fort éloquemment,
Et parlé sans crainte
Du gouvernement ;
Pour les satisfaire,
Le roy leur a respondu,
Lanturlu, etc.
Dessus cette affaire
Le nonce parla,
Dit que le saint pere
N' entend point cela,
Qu' un françois dans Rome,
A crié comme un perdu,
Lanturlu, etc.

P101

Pour finir en France
Ces troubles nouveaux,
Avec grand' prudence,
Le garde des sceaux
A scellé des lettres
Dont voicy le contenu,
Lanturlu, lanturlu, lanturlu, lanture.


RONDEAUX

Ma foy, c' est fait de moy, car Isabeau
M' a conjuré de luy faire un rondeau,
Cela me met en une peine extréme.
Quoy treize vers, huit en eau, cinq en eme,
Je luy ferois aussi-tost un batteau !
En voila cinq pourtant en un monceau :
Faisons en huict, en invoquant Brodeau,
Et puis mettons, par quelque stratageme,
Ma foy c' est fait.
Si je pouvois encor de mon cerveau
Tirer cinq vers, l' ouvrage seroit beau ;
Mais cependant, je suis dedans l' onziéme,
Et si je croy que je fais le douziéme ;
En voila treize ajustez au niveau.
Ma foy, c' est fait.

P102

Autre.
Ma foy, que d' un fin diamant
Pris au tresor du firmament,
Ce dieu qui tant de mal me dresse,
Fit d' une main pleine d' adresse,
Pour durer eternellement.
Par vos rigueurs se va limant,
Car vous passez infiniment,
En dureté, je le confesse,
Ma foy.
Je suis las de tant de tourment,
Et je veux bien estre vostre amant,
Si vous m' estes bonne maistresse ;
Mais si voulez que je vous laisse,
Je le feray fort librement,
Ma foy.

P103

Autre.
D' un beuveur d' eau, comme avez debatu,
Le sang n' est pas de glace revestu,
Mais si boüillant et si chaud au contraire ;
Que chaque veine en eux est une artere
Pleine de sang, de force et de vertu.
Le feu par l' eau foiblement combattu,
Croissant sa force, au lieu d' estre abbattu,
Va redoublant la chaleur ordinaire
D' un beuveur d' eau.
Tousjours de preux le renom ils ont eu,
Ils ont l' estoc bien ferme et bien pointu,
Chauds en amour, et plus chauds en colere.
Si que ferez fort bien de vous en taire,
Qu' un de ces jours vous ne soyez battu
D' un beuveur d' eau.

P104

Autre.
Un beuveur d' eau, pour aux dames complaire
Suivant l' amour dont le seul feu l' éclaire,
Se voit tousjours sobre, courtois et doux ;
Et ne sçauriez si tost boire dix coups
Qu' encor plustost il ne le puisse faire.
Venus d' amour la gracieuse mere
Nasquit de l' eau sur les bords de Cythere,
Aussi son fils favorise sur tous,
Un beuveur d' eau.
Il entend mieux ses loix et son mystere,
Il sçait jouïr, et discret sçait se taire,
A le rein ferme, et fermes les genoux.
Et trente six yvrognes comme vous,
Ne valent pas en l' amoureuse affaire,
Un beuveur d' eau.

P105

Autre.
Vous l' entendez mieux que je ne pensois,
Si quelque amant bien disant et mattois,
Vous croit payer, en vous nommant son ame,
C' est du latin qui passe vostre game ;
Vous n' entendez des termes si courtois.
Mais s' il en vient qui dise à haute voix,
Qu' il veut prouver, fust-il turc ou anglois,
Par beaux effets la grandeur de sa flame,
Vous l' entendez.
Je donneray telle somme par mois,
Outre cela, joyaux perles de choix,
Satin, velours, à souhait à madame ;
Cet entretien vous charme et vous enflame,
C' est dire d' or et parler bon françois,
Vous l' entendez.

P106

Autre.
Chez la coiffier une demy-douzaine
Des nourriçons de l' enfant de Silene,
Se trouveront ce soir asseurément.
N' y manquez pas, diable emporte qui ment,
L' affaire est faite, et la chose certaine.
Vous y verrez une table bien pleine,
Tous les poissons jusques à la baleine
Iront ce soir, voguant horriblement
Chez la coiffier.
Nous chanterons jusqu' à perte d' haleine,
Nous y dirons mille bons mots sans peine ;
Car là Phoebus est en son element ;
Et si ces vers ne coulent doucement,
Nous en ferons d' une meilleure veine
Chez la coiffier.

P107

Autre.
Dedans ces prez herbus et spacieux,
Où mille fleurs semblent soûrire aux cieux,
Je viens blessé d' une atteinte mortelle,
Pour soulager le mal qui me martelle,
Et divertir mon esprit par mes yeux.
Mais contre moy mon coeur seditieux
Me donne plus de pensers soucieux,
Que l' on ne voit de brins d' herbe nouvelle
Dedans ces prez.
De ces tapis le pourpre precieux,
De ces ruisseaux le bruit delicieux,
De ces vallons la grace naturelle
Blesse mes sens, me gêne et me bourelle,
Ne voyant pas ce que j' ayme le mieux,
Dedans ces prez.

P108

Autre.
Mon ame, à Dieu, quoy que le coeur m' en fende,
Et que l' amour de partir me defende,
Ce traistre honneur veut pour me martyrer,
Par un depart nos deux coeurs déchirer,
Et de laisser ton bel oeil me commande.
Je ne veux pas qu' en larmes tu t' épande,
Et sans qu' en rien ton amour apprehende,
Dy-moy gay' ment, sans plaindre et soûpirer,
Mon ame, à Dieu.
Car je te laisse, et je te recommande
De mon esprit la partie plus grande,
Sans plus vouloir jamais la retirer ;
Car rien que toy je ne puis desirer,
Et veux t' aymer jusqu' à ce que je rende
Mon ame, à Dieu.

P109

Autre.
Trois jours entiers, et trois entieres nuits,
Bien lentement se sont passez depuis
Que j' ay perdu la clarté souveraine
De deux soleils, les beaux yeux de ma reyne,
Par qui les miens souloient estre conduis.
Sans leur object je pleure, et je ne puis
Trouver remede au tourment où je suis,
Et chaque instant me dure, en cette peine,
Trois jours entiers.
Triste et rêveur, du penser je la suis,
Pour la chercher, moy-mesme je me fuis,
Et si le sort bien-tost ne me rameine
Les doux appas de ma belle inhumaine,
Je ne sçaurois plus vivre en ces ennuis
Trois jours entiers.

P110

Autre.
Ou vous sçavez tromper bien finement,
Ou vous m' aymez assez fidelement,
Lequel des deux je ne le sçaurois dire ;
Mais cependant je pleure et je souspire,
Et ne reçois aucun soulagement.
Pour vostre amour j' ay quitté franchement
Ce que j' avois acquis bien seurement ;
Car on m' aymoit et j' avois quelque empire
Où vous sçavez.
Je n' attens pas tout le contentement
Qu' on peut donner aux peines d' un amant,
Et qui pourroit me tirer de martyre.
À si grand bien mon courage n' aspire ;
Mais laissez-moy vous toucher seulement
Où vous sçavez.

P111

Autre.
Le soleil ne voit icy bas
Rien qui se compare aux appas,
Dont Philis nos sens ensorcelle ;
Son air n' est pas d' une mortelle,
Sa bouche, ses mains, ny ses bras.
Ses beaux yeux causent cent trespas,
Ils éclairent tous ces climas,
Et portent en chaque prunelle
Le soleil.
Tout son corps est fait par compas,
La grace accompagne ses pas ;
Enfin, Venus n' est pas si belle,
Et n' a pas si bien faites qu' elle,
Les beautez qui ne voyent pas
Le soleil.

P112

Autre.
Tout beau corps, toute belle image,
Sont grossiers aupres du visage
Que Philis a receu des cieux ;
Sa bouche, son ris, et ses yeux,
Mettent tous les coeurs au pillage.
Sa gorge est un divin ouvrage,
Rien n' est si droit que son corsage :
Enfin elle a, pour dire mieux,
Tout beau.
Parmy tout ce qui plus m' engage,
Est un certain petit passage,
Qui vermeil et delicieux ;
Mais ce secret est pour les dieux,
Ma plume changeons de langage,
Tout beau.

P113

Autre.
Cinq ou six fois cette nuit en dormant,
Je vous ay veuë en un accoustrement,
Au prix duquel rien ne me sçauroit plaire ;
La juppe estoit d' une opale tres-claire,
Et vostre robe estoit un diamant.
Rien n' est si beau dessous le firmament,
L' astre du jour brille moins clairement,
Et vous passiez sa lumiere ordinaire
Cinq ou six fois.
Que le sommeil nous trompe vainement !
Par aventure en ce mesme moment,
Vous-vous trouviez en estat bien contraire ;
Mais à propos, comment va cette affaire ?
Avez-vous bien esté tout doucement,
Cinq ou six fois ?

P114

Autre.
Si haut je veux louër Sylvie,
Que toute autre en meure d' envie :
Sa personne est pleine d' appas ;
Les amours naissent sous ses pas,
Et c' est par eux qu' elle est servie.
De cent vertus elle est suivie,
Son coeur tient mon ame ravie,
Et les conquerans ne l' ont pas
Si haut.
Quoy que mon amour m' y convie,
Ma langue au secret asservie
N' ose parler d' un certain cas ;
Je diray seulement tout bas,
Que je n' en vis un de ma vie
Si haut.

P115

Autre.
Pour le moins vostre compliment
M' a soulagé dans ce moment ;
Et dés qu' on me l' est venu faire,
J' ay chassé mon apoticaire,
Et renvoyé mon lavement.
Vous m' avez guery promptement ;
Vos mots coulent si doucement,
Que chacun d' eux vaut un clistere,
Pour le moins.
Vous me deviez ce traittement,
Car je vous ayme uniquement,
Et mesme depuis cette affaire ;
C' est un peu plus qu' à l' ordinaire,
Cela veut dire infiniment,
Pour le moins.

P116

Autre.
On le m' a dit, mademoiselle !
Que tous nos coeurs vous retenez,
Pensez-vous pour vostre beau nez,
Mettre sur nous une gabelle ?
Vous estes fort bonne et fort belle,
Et croy que vous estes pucelle,
On le m' a dit.
Mais il faut estre moins rebelle,
Et ne point faire de querelle
Aux amans que vous surprenez ;
Vous en tenez d' emprisonnez,
Et vous leur estes trop cruelle,
On le m' a dit.

P117

Autre.
En cas d' amour, il ne faut jamais estre
Foible ni lent ; mais faut tousjours parestre
Prompt, vigoureux, sousmis entierement,
Pleurer, gemir, servir fidelement,
Donner beaucoup, et de peu se repaistre.
Quant est de moy, si je me sçay connestre,
N' estant avare, audacieux, ni traistre ;
Je devrois bien reüssir aisément,
En cas d' amour.
J' ay quelque esprit, et l' on me tient grand maistre
En ces poulets que les amans font naistre,
Je fais des vers assez passablement ;
Et quelquefois je parle galamment,
Mais apres tout, je suis un pauvre prestre,
En cas d' amour.

P118

Autre.
Si vous-vouliez qu' on vous parlast d' amour,
Je vous ferois cent rondeaux chaque jour,
Car je vous ayme, et mon ame dolente
Toutes les nuicts est pour vous miaulante,
Et l' on l' entend en chaque carrefour.
Vous pouvez tout sur Monsieur De Tricour,
Et l' on m' a dit que Monsieur De Beaujour
Pour vostre amour auroit l' ame brulante,
Si vous vouliez.
Les deux beautez qui regnent au faux-bourg.
Et celle-là du petit Luxembourg,
N' échauffent point mon humeur froide et lente ;
Mais de vos yeux l' ardeur étincelante
M' embraseroit, cela s' entend tousjours,
Si vous vouliez.

P119

Autre.
Je ne sçaurois faire cas d' un amant
Qu' autre que moy gouverne absolument,
Car chacun sçait que j' ayme trop l' empire ;
Ce n' est ainsi qu' il me falloit escrire,
Vous n' y sçavez que le haut allemand.
Je veux qu' on soit à moy parfaitement,
Et quand je fais quelque commandement,
Je n' entends pas que l' on me vienne dire :
Je ne sçaurois.
Je vous rendray le mesme compliment,
Et quelque jour quand voudrez longuement
Veiller icy, je vous diray sans rire :
Ma mere entend que chacun se retire,
Ne pensez pas m' arrester un moment,
Je ne sçaurois.

P120

Autre.
L' amour, qui de tous sens me prive,
Fit ma raison vostre captive,
Quand un soupçon pris par mal-heur,
Me combla l' esprit de douleur,
Et d' une tristesse excessive ;
Une humeur jalouse et craintive
Se mit dans vostre ame plaintive,
Et pensa chasser de mon coeur
L' amour.
Mais si jamais cela m' arrive,
Je consens que l' on me poursuive
Par toute sorte de rigueur,
Je ne veux plus vivre en langueur ;
Meure la jalousie, et vive
L' amour.

P121

Autre.
Penser que pour ne vous déplaire,
Je me veüille jamais distraire
D' un dessein où j' ay tant de droit,
C' est estre injuste en mon endroit,
Et de plus, un peu temeraire.
Philis depuis deux ans m' éclaire,
Elle est mon ange tutelaire,
Je l' ayme plus qu' on ne sçauroit penser.
Je vous demande, en cette affaire,
Pardon de vous estre contraire,
Un autre s' en contenteroit ;
Cependant, vous faites le froit,
Ma foy, c' est trop : allez vous faire
Penser.

P122

Autre.
Pour vos beaux yeux qui me vont consumant,
L' amour n' a point de peine et de tourment,
De feu cuisant ni de cruel martyre
Que de bon coeur je ne voulusse élire,
Et qu' on ne doive endurer doucement.
Tout l' univers n' a rien de si charmant ;
Et s' il estoit sous mon commandement,
Je quitterois volontiers son empire,
Pour vos beaux yeux.
Toute la cour vous sert également,
Mais quant à moy si je vay vous aymant,
Ne croyez pas que par là je desire
Cette faveur où tout le monde aspire ;
Car je vous ayme, et vous sers seulement,
Pour vos beaux yeux.

P123

Autre.
Pour vous servir j' ay pû me dégager
D' une autre amour, et desiré changer
Un logement qui pourroit me suffire,
Et sans prevoir si mon sort seroit pire,
Je n' ay point eu regret de déloger.
En quatre jours j' ay sceu démenager,
Dessous vos loix j' ay voulu me ranger,
Et quitterois derechef un empire,
Pour vous servir.
Mais si cela ne vous peut obliger,
Je changeray sans beaucoup m' affliger ;
Car j' ay le coeur tout fait comme de cire,
Doux et traittable, et s' il faut vous le dire,
Je suis volage, inconstant et leger,
Pour vous servir.

P124

Autre.
Six roys prierent l' autre jour
Tyrcis de leur faire la cour :
Mais il souffloit un vent de bise,
Qui perçoit jusqu' à la chemise ;
Cela le fit demeurer court.
Il a le ventre d' un tambour,
Ce qui le rend tant soit peu lourd,
Et fait que par fois il méprise
Six roys.
Il ne fait point cas de l' amour,
Quand on l' appelle il fait le sourd ;
Mais pour prester son entremise
En quelque fascheuse entreprise,
Il ne le feroit jamais pour
Six roys.

P125

Autre.
À vous ouïr Chapelain, chapeler,
J' ay bien jugé que vouliez quereller,
Et que de plus, vous estes temeraire,
Quand vous osez un si grand adversaire
Sans plus de force au combat appeller.
Lors que sa plume au ciel le fait voler,
Qu' avec les dieux il ose se méler,
Penseriez-vous qu' il se voulust distraire
À vous ouïr ?
Ne pretendez ainsi vous signaler,
Vous ne sçauriez ses efforts égaler :
Croyez-moy donc, laissez-le dire et faire,
Et quand il parle, apprenez-à vous taire ;
Car par justice à luy convient parler,
À vous, ouïr.

P126

Autre à Monseigneur Le Mareschal De Bassompierre.
Un petit mot qu' on m' a porté
De vostre part, m' a conforté ;
Et m' a fait reprendre la lime,
Pour faire encore quelque rime,
En estant par vous exhorté.
Je ne comprens vostre bonté,
Et crois avec difficulté,
Qu' un si grand esprit en estime
Un petit.
Je vous le dis sans vanité,
Le mien est bien fort limité ;
Mais le coeur est net et sans crime,
Et possible assez magnanime ;
Aymez-moy donc par charité,
Un petit.

P127

Autre à luy-mesme.
Dans la prison qui vous va renfermant,
Vostre grande ame agit incessamment,
Et ce divin esprit que rien n' enserre,
Vole par tout, sans erreur tousjours erre,
S' estend, s' éleve, et va plus aysément :
Vous parcourez l' un et l' autre élement,
Vous penetrez jusques au firmament,
Et visitez le ciel, l' onde et la terre,
Dans la prison.
Vous ne gênez vostre coeur vainement,
Vous connoissez et voyez sainement
Tout ce qui brille et qui n' est que de verre :
Vous possedez la paix durant la guerre ;
C' est estre heureux, et libre entierement
Dans la prison.

P128

Autre response à un deffy.
Comme un galant et brave chevalier,
Vous m' appellez en combat singulier
D' amour, de vers et de prose polie :
Mais à si peu mon coeur ne s' humilie,
Je ne vous tiens que pour un escolier.
Et fussiez-vous brave, docte et guerrier,
En cas d' amour n' aspirez au laurier,
Rien ne déplaist à la belle Julie,
Comme un galant.
Quittez l' amour, ce n' est vostre mestier,
Faites des vers, traduisez le psautier,
Vostre façon d' écrire est fort jolie ;
Mais gardez-vous de faire de folie,
Ou je sçauray, ma foy, vous chastier
Comme un galant.

P129

Autre au mesme.
Vous parlez comme un Scipion,
Et si vous n' estes qu' un pion ;
D' un mot je vous pourrois deffaire :
Mais une palme si vulgaire
N' est pas pour un tel champion.
Je vous le dis sans passion,
N' ayez point de presomption,
Et songez de quelle maniere
Vous parlez.
Eussiez-vous le corps d' Orion,
Avecque la voix d' Arion,
Devant-moy vous-vous devez taire,
Ne craignez-vous point ma colere ?
Qu' est-ce là, petit embrion,
Vous parlez !

P130

Autre.
En bon françois politique et devot,
Vous discourez plus grave qu' un magot,
Vostre chagrin de tout se formalise,
Et l' on diroit que la France et l' eglise
Tournent sur vous comme sur leur pivot.
À tous propos vous faites le bigot,
Pleurant nos maux avecque maint sanglot,
Et vostre coeur espagnol se déguise
En bon françois.
Laissez l' estat, et n' en dites plus mot,
Il est pourveu d' un tres-bon matelot ;
Car s' il vous faut parler avec franchise,
Quoy que sur tout vostre esprit subtilise,
On vous connoist, et vous n' estes qu' un sot,
En bon françois.


BALLADE EN FAVEUR DES OEUVRES


P131

Par tous les coins de l' univers
Le cygne mantoüan resonne,
L' aveugle thebain de ses vers
Encor toute la terre estonne :
Mais je n' accorde la couronne,
Pour le grec, ni pour le romain,
Et l' employant mieux je la donne
Au beau Monsieur De Neuf-Germain.
L' autre jour le grand Apollon
Pere du jour et de la gloire,
Tenoit au ciel un violon
Marqueté d' ébene et d' yvoire,
Et dit aux filles de memoire,
Je le veux mettre en bonne main ;
Car je le garde pour la foire

P132

Mercure luy dit, c' est un fou,
Que de trop bon oeil tu regardes,
Il fit des vers sur Trilbardou,
Avec des paroles lombardes :
Mais ses ritmes sont trop hagardes,
Et Mars jura par Saint Firmin,
Qu' il vouloit donner des nazardes
Les muses lors firent un cry
Qui passa la dixiéme sphere,
Et défendant leur favory,
Pleines d' une juste colere,
Jurerent à Jupin leur pere,
Qu' elles partiroient dés demain,
Si pas un d' eux osoit déplaire
Jupiter dit à haute voix,
Mes cheres filles je me fie
Entierement à vostre choix,
Quel qu' il soit, je le deïfie ;
Et veux, je vous le certifie,
Que sur Parnasse ou en chemin,
Cinquante veaux on sacrifie


PLAINTE DES CONSONES


P133

Donques sans l' avoir merité,
Le sort contre nous irrité
A le courage de permettre
Que par un mépris inhumain,
On ayt formé, sans nous y mettre,
Le nom du grand De Neuf-Germain.
Encor pour f, patience,
C' est par elle que se commence
France, climat heureux et doux ;
Son merite est recommandable ;
Et qu' elle ayt cela dessus nous,
Il estoit plus que raisonnable.

P134

Mais que les autres, sans raison,
Comme de meilleure maison,
Possedent le mesme avantage,
Aurions-nous le coeur d' endurer
Qu' on nous fist ce cruel outrage,
À tout le moins sans murmurer ?
Non, nos conditions sont telles
Que nous sommes lettres comme elles,
Et d' un poids tellement égal,
Qu' estant toutes comme de cire,
D' elles et de nous on peut dire,
Laval Rohan, Rohan Laval.
Encor que cette verité
Soit plus claire que la clarté,
Neantmoins, à nostre vergogne
Demeurans toutes au filet,
Tandis qu' elles sont en besogne,
Il nous faut garder le mulet.
Nous ne voulons blasmer personne,
Mais que fit d. Pour qu' on luy donne
Ces excés de grace inoüis ?
Et toutes sont-elles tirées
De la coste de Saint Loüis,
Pour nous estre ainsi preferées ?

P135

L' astre qui nous fait voir le jour,
Passe bien-tost, et sans retour,
Là bas se coucher et s' esteindre ;
Et meure en l' infernal gibet,
Qui premier eut l' art de nous peindre,
Et nous mettre dans l' alphabet.
Compagnes, mes cheres amies,
Souffrirons-nous ces infamies ?
Non, non, il les faut éviter ;
Loin de ces lieux melancholiques,
Allons en Egypte habiter,
Et nous rendons hieroglyphiques.


RESPONSE FAITE PAR L'AUTHEUR


P136

Vous sçavez bien troupe immortelle,
Race genereuse et fidelle,
Qui m' avez mis le sceptre en main !
Combien de jours nous consultasmes,
Quand nous fismes pour Neuf-Germain,
Ce beau nom que nous inventasmes.
Par une divine prudence,
Dans ce grand mot, dont la cadence
Frappe si doucement les sens,
Nous mismes toutes les voyelles ;
Mais aujourd' huy, comme j' entens,
Les consonnes font les rebelles.

P137

B. C. S. Armez avec l,
Et p. T. Joints à leur querelle,
Esperans se mettre en credit,
Dans ce beau nom veulent parestre ;
Et n' est pas mesme à ce qu' on dit,
Jusques au q. Qui n' en veüille estre.
B. Qui fait tous les biens du monde,
Sans qui sur la terre et sur l' onde
Rien ne seroit ni bon, ni beau ;
Et c. Qui le ciel sçeut produire,
Se veut cacher dans le tombeau,
Si nous pensons les éconduire.
L. Par qui Venus est belle,
Qui rend nostre essence immortelle,
Glorieuse veut éclater
Dans le nom de cét homme habile ;
Et ne se veut pas contenter,
D' estre dans celuy de Virgile.
Mesme en ce moment j' entens s,
Qui fait la bas de la diablesse,
Et dans un dépit nompareil
Menace, pleine de colere,
De mettre en pieces le soleil,
Et les essieux de nostre sphere.

P138

Mais le p. Qui marche en satrape,
Et qui fait la moitié d' un pape,
Se veut tirer de pieté ;
Et s' est mis dans la phantaisie
De n' estre plus qu' en pauvreté,
En paresse et paralysie.
Luy qui fait les pauvres en terre,
Et t. Qui forme mon tonnerre,
Parlent tous deux de me quitter ;
Et quoy que les destins ordonnent,
Je ne puis estre Jupiter,
Si ces deux lettres m' abandonnent.
Mais vous en avez tous affaire :
B. Pour Bacchus est necessaire,
Et sans c. Cerés est à bas :
Si l. S. Et p. Se rebelle,
Que fera la pauvre Pallas,
Qui n' aura plus qu' aa. Pour elle ?
Il faut donc les rendre contentes,
Mais je ne vois à leurs attentes
Aucun remede assez puissant ;
Si ce n' est que cét homme rare
Ait nom Bdelneufgermicopsant ;
Mais ce mot est un peu bizarre.

P139

Pourtant, pour le mieux, il me semble
Qu' ainsi nous les mettions ensemble,
Jointes d' un éternel amour,
Et renvoyons à Palamede,
Qui le premier les mit au jour,
Le q. Avec x. Y. Z.


REQUESTE A M. DE PUY-LAURENS


P140

Ce que dans vos vers j' entens lire,
Des neuf preux et du bon Roger,
Me semble digne qu' on l' admire ;
Et le grand Gomain m' y fait rire,
Quand il en devroit enrager.
Mais lors que pour rimer en euf,
Vous me parlez d' un habit neuf,
De plaisir mon ame est bercée,
Et certes je vais avoüant,
Que c' est la meilleure pensée
Qu' on peut avoir en me loüant.
Tout ce que vous avez écrit
De ma muse et de mon addresse,
De ma force et de ma proüesse,
Me semble de fort bon esprit.
Mais les vers de l' habillement,
Sont, ma foy, d' une grace extréme,
Et je croy qu' apollon luy-mesme
Vous les mit dans l' entendement.

P141

Du siecle les plus beaux esprits,
Brion, Chaudebonne, Patris,
Et celuy dont l' architecture
A sceu bastir le pont d' Esture,
Ont à l' envy chanté mon prix.
Vous mesme avez fait douze vers
Qui seront dans tout l' univers,
Plus estimez que cent harangues ;
Et dans la gloire où je me voy,
Rien ne me manque, que je croy,
Sinon que Beaury et Barangues
Facent quelque chose pour moy.


VERS A LA MODE DE NEUF-GERMAIN


P142

L' autre jour Jupiter manda
Par Mercure et par ses prevos,
Tous les dieux, et leur commanda
Qu' on fist honneur au grand D' Avaux.
En deux parts le ciel se banda,
Avec noises et grands travaux,
Et maint dieu jaloux clabauda
Contre l' honneur du grand D' Avaux.
Entre autres, un grand halbreda,
Nommé Mars, Mavors, ou Mavos,
Les dents grinça, jura, gronda,
Et dit rage contre D' Avaux.

P143

Un jour, dit-il, il débrida
Sur mon char mes quatre chevaux,
Et la Pologne accommoda
Avec Suëde ce D' Avaux.
En vain l' ire en moy presida,
Si bien-tost je ne luy revaux,
En cent lieux il me dégrada
Ce pacificateur D' Avaux.
La paix dessus luy s' accouda,
Comme sur l' un de ses pivos ;
Son temple à ma barbe il fonda,
Et le veut achever D' Avaux.
Alors Jupiter se rida,
Comme un vieux moine de Clervaux,
Et dit en courroux, mananda,
Quelqu' un veut-il fascher D' Avaux ?
Mon astre en naissant regarda
Eius Avos et Proavos,
Et tousjours ma faveur garda,
Et gardera le grand D' Avaux.

P144

Minerve dit, ouy da, ouy da,
Je l' estime sicut et vos ;
De Paris jusqu' à Canada,
Rien n' est égal au grand D' Avaux.
Les peuples d' audelà Breda,
Il rendit contrits et devos,
Et l' empereur apprehenda
Tousjours l' esprit du grand D' Avaux.
En Dannemarc il decida
Qu' il ne souffroit point de rivaux ;
Car l' espagnol il nazarda,
Tant il est fier ce grand D' Avaux !
Le comte-duc mourir cuida,
L' oyant nommer dans Caravos,
Et dit tremblant, por mi vida,
Es un diablo aquel D' Avaux ?
Par son langage il ressouda,
Plus doux que n' est jus de pavos ;
Saint Pierre, et Saint Marc, et vuida,
Leurs differens ce grand D' Avaux.

P145

Le pape alors se panada,
Le colloquant inter Divos,
Et le doge le seconda,
Tous deux contens du grand D' Avaux.
Le delivreur d' Andromeda,
Vit moins de mers, de monts, de vaux,
Monté sur son aillé-dada,
Que n' en courut ce grand D' Avaux.
En ces mots Minerve plaida,
On l' entendit dans Roncevaux ;
À ses dits le ciel s' accorda,
Et chacun dit, vive D' Avaux.


LETTRE A MADAME LA PRINCESSE


P146

Dieu garde en joye et en liesse,
La plus estimable princesse
Qui jamais au monde ayt esté :
Dieu garde la plus grand' bonté,
La vertu la plus agreable,
Et l' ame la plus adorable,
Le coeur le plus ferme et loyal,
L' esprit le plus grand et royal,
Et la beauté la plus parfaite
Que jamais la nature ayt faite.
Dieu garde, enfin, pour dire mieux,
Le plus beau chef-d' oeuvre des cieux,
La grace et la gloire du monde,
Celle qui n' a point de seconde,
Que les jeux, les ris, les amours,
Les vertus qui plaisent tousjours,
Et les Graces au teint de roses,
Accompagnent en toutes choses.
À lire ce commencement,
Vous pourrez juger aysément,

P147

Quand ma lettre iroit sans adresse,
Ô grande et divine princesse !
Que ce discours n' est point party
Pour la Princesse De Conty ;
Mais qu' à vous seule on peut l' écrire :
Car tout ce que je viens de dire,
Selon le jugement de tous,
Ne se peut dire que de vous.
Aussi depuis la triste absence,
Dont tous nos maux ont pris naissance,
Au milieu de nostre tourment,
Nous vous loüons incessamment ;
Et c' est en ce mal-heur funeste,
Le seul entretien qui nous reste ;
Car en toute autre occasion,
Nostre ame est en confusion ;
Toute nostre joye est perduë,
Et nostre raison confonduë :
Toutes choses vont de travers,
Et nous paroissent à l' envers.
L' air est par tout remply d' orages,
Le ciel n' est jamais sans nuages :
Tous les astres sont obscurcis ;
Les jours de moitié r' accourcis ;
Et ce qui plus d' ennuy me donne,
L' hyver arrive avant l' automne,
Le mauvais temps dure tousjours ;
L' on ne trouve plus dans le cours

P148

Pas une personne agreable,
Pas un visage raisonnable ;
Enfin, l' on ne voit plus icy
Qu' objets de crainte et de soucy ;
La ville, depuis vostre perte,
Est melancolique et deserte ;
Paris est à moitié pery,
Et tout le monde est en Berry.
Au milieu de tant de traverses
Et tant d' infortunes diverses,
Nos courages sont accablez,
Et nos contentemens troublez.
Nous avons perdu la parole,
Mesme pour les curez de Mole ;
Nous n' aymons plus les ponbretons :
Et si quelquesfois nous chantons,
Nos voix dolentes et cassées
Chantent, que n' estes-vous lassées !
Mais d' un accord tant inégal,
Qu' on diroit que nous chantons mal.
L' autre jour, venant de Surêne,
Nous dismes au bord de la Seine :
Tant que le beau chemin dura,
Pues quiso mi suerte dura ;
Et n' eusmes jamais le courage,
Seulement d' y faire un passage ;
Nos guitarres, et nostre voix,
Ne charment plus comme autresfois ;

P149

Nous n' aymons plus les promenades,
Les musiques, les serenades ;
Et vostre seul éloignement
Nous a changez entierement.
Desja Monsieur De Chaudebonne
N' a plus l' ame belle ni bonne,
Et dedans ses afflictions
Il méprise ses compagnons ;
Il n' ayme plus d' estre bien ayse,
Et ne dit rien qui ne déplaise.
Madame Aubry, tout à la fois
A perdu l' esprit et la voix,
Elle est tousjours tremblante et palle,
Ne parle que du linge sale,
Ayme les champs plus que Paris,
Et se couche entre cinq et six.
La grande fée en qui rayonne
L' honneur de Savelle et Vivonne,
N' a plus guere de majesté,
De jugement, ni de beauté ;
Et la ravissante Lucine
N' est belle ni de bonne mine ;
N' a plus tous les coeurs de la cour,
Ni tous les attraits de l' amour.
Enfin, la fille ni la mere
N' ont plus cét éclat ordinaire,
Qui les alloit environnant ;
Et sont toutes deux maintenant,

P150

Tant cét ennuy les rend moins belles,
Comme deux personnes mortelles ;
Bref toutes choses en ces lieux,
Depuis le jour que vos beaux yeux
En ont emporté la lumiere,
Ont perdu leur forme premiere ;
Mais si la parfaite bonté
Qui suit tousjours vostre beauté,
Et si la justice, madame,
Est encore en vostre belle ame,
Venez dissiper nos mal-heurs,
Chassez les mortelles douleurs
Dont nos ames furent blessées,
Dés que vous les eustes laissées ;
Et par un bien-heureux retour
Rendez la splendeur à la cour,
L' ornant de ses beautez extrémes,
Et venez-vous rendre à nous-mesmes.
Soyez sensible à l' amitié,
Et, s' il vous plaist, ayez pitié
De nostre funeste avanture,
Et du pitoyable Voiture.


PLACET A UNE DAME


P151

Plaise à la duchesse tres-bonne,
Aux yeux tres-clairs, aux bruns cheveux,
Reyne des flots de la Garonne,
Dame du Loth et de tous ceux
Qui virent jamais sa personne.
De laisser entrer franchement,
Sans peine et sans empeschement,
Un homme au lieu de sa demeure ;
Qui, s' il ne la voit promptement,
Enragera dedans une heure.
On a pour luy trop de rigueur
Chez-vous, et tout haut il proteste,
Que par un larcin manifeste,
On retient son ame et son coeur,
Et que l' on ne veut pas le reste.

P152

L' un est dedans, l' autre dehors,
Et l' un et l' autre est tout en flame ;
Il est raisonnable, madame,
Ou que l' on reçoive son corps,
Ou que l' on luy rende son ame.
Il se voit pris comme au lacet,
Et souffre un estrange supplice ;
Mais le pauvret est sans malice,
Ne refusez-pas son placet ;
Car sans doute il est de justice.
Il a trop souffert de moitié ;
Au nom de sa ferme amitié,
Consolez son ame abbatuë,
Ou dites, au moins, par pitié
À vostre suisse, qu' on le tuë.


A MGR LE CARDINAL MAZARIN


P153

Plaise, seigneur, plaise à vostre eminence,
Faire la paix de l' affligé cocher,
Qui par mal-heur, ou bien par imprudence,
Dessous les flots vous a fait trébucher.
On ne luy doit ce crime reprocher,
Le trop hardy meneur ne sçavoit pas
De Phaëton l' histoire et piteux cas,
Il ne lisoit metamorphose aucune,
Et ne croyoit qu' on deust craindre aucun pas,
En conduisant Cesar et sa fortune.


SUR LE MESME SUJET


P154

Prelat, passant tous les prelats passez,
(car les presens seroit un peu trop dire)
Pour Dieu rendez les pechez effacez
De ce cocher qui vous sçeut mal conduire ;
S' il fut peu caut à son chemin élire,
Vostre renom le rendit temeraire ;
Il ne crut pas versant pouvoir mal-faire,
Car chacun dit que quoy que vous fassiez,
En guerre, en paix, en voyage, en affaire,
Vous vous trouvez tousjours dessus vos piés.


EPISTRE A M. DE COLLIGNY


P155

Dans les plaisirs qui vous entourrent,
Et qui de tous costez accourrent,
Pour vous rendre icy bas heureux,
Ô chevalier aventureux !
Trouvez-bon que l' on vous écrive,
Et ne vous faschez s' il arrive
Que je trouble vostre repos,
Maintenant par quelque propos.
Tous les biens et toute la joye,
Que donne amour, quand il octroye
Sa grace aux coeurs qu' il a grevez,
Ores seigneur, vous les avez :
Vostre fortune est sans seconde,
Et vous estes l' homme du monde
Qui prenez le mieux vos esbas,
Si ce n' est que vous soyez las.
Mais si vous estes las, beau sire,
Au moins ce n' est pas de trop lire.
Or je pense que dans Stené,
Si je l' ay bien imaginé,

P156

Comme c' est lieu de peu d' affaire,
Souvent vous ne pouvez rien faire ;
Ainsi je croy que vous pourrez
Lire ces vers, où vous verrez
De vostre derniere aventure
Une assez passable peinture,
Et sur ce sujet les avis
De quelques-uns de vos amis.
Que cette nuit fut claire et belle,
Quand la triomphante pucelle,
En qui la nature et les dieux
Ont mis tout ce qu' ils ont de mieux ;
Fut par vostre addresse arrestée,
Et par vos armes conquestée.
L' Olympe son front dévoila,
Et tout ce soir étincela,
Mal-gré l' obscurité des nuës,
D' estoilles au monde inconnuës,
Parut serein, tranquille et pur,
Et se couvrit d' or et d' azur,
De cet azur dont il se pare,
Quand un beau jour il nous prepare.
Le ciel vous vit de tous ses yeux,
Et vous servit de tous ses dieux ;
Jupiter et Mars et Mercure,
Prirent part à vostre aventure :
Jupiter et Mercure, et Mars,
En craignirent tous les hazars :

P157

Et vous éclairant de leurs spheres,
Ils furent tous trois vos terceres :
Sur tous, Mercure volontiers,
Car c' est un de ses cent mestiers.
Mars envieux de la tolere,
Ce qu' il y fit eust voulu faire :
Et Jupiter qui s' échauffoit,
Tout ce que vous fistes, eust fait.
Il s' échauffoit devant la belle,
Et vous ayda pour l' amour d' elle.
Saturne aussi ; mesme l' on dit
Que ce soir-là Saturne rit,
Luy que jamais on n' a veu rire,
Depuis qu' il perdit son empire ;
Car, comme vous sçavez tres-bien,
Saturne est fort saturnien ;
Il sentit pourtant quelque joye,
Vous voyant, vous et vostre proye,
Et l' ordre et l' accompagnement
Du memorable enlevement,
Lors que, non contre son envie,
La ravissante fut ravie.
Les Graces, qui suivent tousjours
Le dieu qui preside aux amours,
Les jeunes ris, et l' amour mesme,
Et tout ce qui fait que l' on ayme,
Les doux appas ensorceleurs,
Les attraits qui gaignent les coeurs,

P158

Les plaisirs, les douces tendresses,
Et les amoureuses caresses,
Portez sur les ailles du vent,
Chantant Hymen, alloient devant,
Semant mainte rose nouvelle,
Sur tout le chemin de la belle ;
Et mille oeillets, qui pallissoient
Dés que ses beautez paroissoient.
Le jeune Hymen marchoit en suite,
Qui servoit comme de conduite
À vostre char qu' il éclairoit,
Et qui derriere luy couroit :
L' or de sa blonde chevelure,
Son port celeste et sa parure,
Assez entre tous les marquoit.
Je l' ay sçeu d' un archer du guet,
Qui cette nuit, non sans allarmes,
Vit vous et tous vos gens en armes ;
Et me le contoit aujourd' huy.
Mais peut-estre il vous prit pour luy :
S' il vous prit pour luy, je vous jure,
Seigneur, qu' il vous a fait injure,
Car il valoit mieux, en ce lieu,
Estre l' espoux, qu' estre le dieu.
Mais il n' importe qu' il se trompe ;
Hymen assistoit à la pompe,
Et monta ce soir à cheval,
(car je le sçay d' original)

P159

Il animoit toute la trouppe,
Et portoit cette nuit en crouppe
Les vrais et solides plaisirs
Qui naissent des justes desirs ;
Au lieu qu' il porte d' ordinaire,
Le repantir et la misere,
La jalousie et les ennuis
Des longues et fascheuses nuits :
Sa torche nopciere ondoyante,
Dans les tenebres flamboyantes,
Lançoit mille divins éclairs
Dessous la terre, et dans les airs.
Marchant devant vous de la sorte,
Il vous conduisit à la porte,
D' où vous sortistes de Paris :
(ce fut, je croy, de Saint Denis)
De là, passant buissons et hayes,
Il vous mena jusques vers Clayes,
En deça peut-estre, ou delà,
Car je ne sçay pas bien cela :
Mais ce dieu, comme il est fort tendre,
Fut las, et contraint de se rendre
Dans le carrosse, et cela fit
Que le carrosse se rompit.
Car, monsieur, tous ces dieux des fables,
Sont pesans comme tous les diables.
Ainsi traversant l' Acheron,
Hercule fit peur à Caron,

P160

Quand sa pesanteur immortelle
Fait trop enfoncer sa nacelle.
Il se mit doncques entre vous,
Admirant l' espouse et l' espoux :
Le voile d' un subtil nuage
Couvroit sa taille et son visage,
Et fit qu' on ne le connut point :
Bref, tout se fit si bien à point,
Qu' ayant traversé mainte plaine,
Et souffert aussi mainte peine,
Il vous mit tous deux à l' abry,
Dans les murs de Chasteau-Thierry.
Au bruit du celebre hymenée,
Pour estre à la grande journée ;
Là se rendent à grand concours,
Tout ce que le monde a d' amours,
De tous les endroits de la terre :
D' Irlande, d' Esosse, Angleterre,
Du païs des italiens,
De celuy des siciliens,
De Corsegue, et de la Sardagne,
Et grande quantité d' Espagne.
De delà la mer il en vint
De gros escadrons plus de vingt,
Des brulans deserts de l' Afrique,
Des derniers bouts de l' amerique,
Du Japon, de Manicongo,
Quoy qu' ils y vivent à gogo ;

P1511

Des solitudes de Libye ;
Mesme il en vint d' Ethiopie,
Noirs comme petits ramonneurs,
Et ces noirs-là sont les meilleurs.
Il en arriva trois volées,
Des marches les plus reculées,
Du Cap-Vert ; ceux-là sont petis,
Gaillards, éveillez et gentis :
Ils ont par tout mesme ramage,
Et cent couleurs en leur plumage ;
Comme on en voit aux perroquets,
Et sont ceux qui font les coquets.
Jadis n' en estoit remembrance ;
Cent ans a qu' il en vint en France :
Maintenant en est grand rapport,
Car ces oyseaux provignent fort :
Il en est beaucoup de femelles,
Et vont plus viste qu' hyrondelles ;
D' autres meilleurs viennent encor,
Devers les terres de Mogor,
Des monts Rypheans et des scythes,
Et des farouches moscovites :
Bref, de tous costez accourans,
Les plus petis et les plus grands
Se venoient percher sur la ville,
Où pour lors estoit Bouteville.
Il en vint du plus haut des airs,
Il en vint du plus creux des mers ;

P1521

Car de ce que le ciel enserre,
Sous l' onde, dans l' air, sous la terre,
Dans ce grand et vaste contour,
Il n' est rien qui soit sans amour ;
Rien qui par amour ne subsiste,
Et rien vivant qui luy resiste.
On les voyoit comme moyneaux,
Ou comme trouppe d' estourneaux,
Ombrager toute la campagne,
Et couvrir toute la Champagne.
L' air par tant d' amours allumé
Fut de telle sorte enflamé,
Qu' on en dit choses admirables,
Et dans l' avenir memorables.
Aussi-tost que l' on respiroit,
L' amour dans les coeurs souspiroit ;
La vierge la plus moderée,
La veufve la plus retirée,
Le plus sainct et le plus devot,
Le plus habile et le plus sot,
Les vieillards les plus honorables,
Les vieilles les plus detestables,
Ressentans l' amoureux flambeau,
Ne pouvoient durer dans leur peau.
Les plus chastes et les plus prudes,
Les plus sauvages, les plus rudes,
Le plus dur coeur fut attendry,
Tout ayma dans Chasteau-Thierry ;

P1531

Mesme dans les prochains villages
Il se fit d' estranges mesnages ;
Les bergeres et les bergers,
Dans les prez et dans les vergers,
Les vachers avec les vacheres,
Dans les bois et dans les fougeres ;
Les plus farouches païsans
Pour ce jour n' en furent exens.
Chacun rencontra sa chacune,
Nul ne fut sans bonne fortune :
Tout le monde mouroit de chaud,
Et l' on se baisa comme il faut ;
Personne d' aymer n' avoit honte :
Mais pour revenir à mon conte,
L' heure vint et l' heureux moment,
L' heure que l' un et l' autre amant
Devoient voir par leur hymenée,
Toute leur peine terminée,
Et cueillir les fruits amoureux
Que le ciel avoit faits pour eux.
Ils arrivent tous deux au temple,
Chacun les admire et contemple,
Et pour leurs celestes beautez,
Les coeurs brulent de tous costez.
Ainsi vit-on, au temps antique,
Medor joint avec Angelique,
Ou, pour en parler comme il faut,
Angelique avecque Renaut.

P1541

Apres le bruit on fait silence,
L' espoux et l' espouse s' avance,
Les mots solennels furent dits,
Les deux amans furent benits ;
Et la troupe assistante envoye
Vers le ciel mille cris de joye,
Benissant leurs chastes amours,
Et priant qu' ils durent tousjours.
La ville est pleine d' allegresse,
Le peuple les voit et les presse,
Tousjours les entoure et les suit,
Et sur le milieu de la nuit
Mit dans la couche nuptiale
La belle couple sans égale.
Lors Venus le rideau tira,
Et le monde se retira :
Car l' Amour tout seul et sa mere
Virent le reste du mystere.
En ce lieu l' histoire finit,
Car de dire ce qui se fit,
On n' en sçait aucune nouvelle,
Ni ce que devint la pucelle ;
Qui disparut depuis ce soir,
Et nul depuis ne l' a pû voir.
Du bout de l' Inde orientale
La belle amante de Cephale,
En son habit incarnadin,
Se leva matin, ce matin,

P1551

Pour voir la divine pucelle
Que les hommes vantoient plus qu' elle ;
Mais ses soins furent superflus,
L' Aurore ne la trouva plus ;
Il n' en restoit aucune trace,
Et le monde vit en sa place
Une Dame De Colligny,
Qui dans un éclat infiny
Parut, je ne dis pas plus qu' elle,
Mais à tout le moins aussi belle.
Elle avoit le mesme agrément,
Le mesme visage charmant,
Cét oeil qui toutes ames touche,
Ce teint et cette belle bouche,
Cette bouche qui n' eut jamais
Sa pareille en divins attraits ;
Sa taille et son port adorable,
Et par un rapport admirable,
Tous les dons que l' autre avoit eus,
Hors qu' elle avoit les yeux battus,
Et qu' elle sembloit abbatuë,
Pour (cette rime icy me tuë,
Et vient s' offrir mal à propos)
Pour avoir perdu le repos.
Que ce soit elle, ou soit une autre,
En fin, chevalier, elle est vostre !
Et devez en estre content,
Car celle-cy vaut bien autant.

P1561

Jouïssez-en longues années,
Que tousjours vos belles journées,
Et que vos plus heureuses nuits
Se puissent passer sans ennuis.
Mais comme il n' est nul bien sans peine,
Et nul amour sans quelque haine,
Sçachez qu' il se trouve en ces lieux
Des jaloux et des envieux.
Preparez donc toutes vos armes,
Et vous servez de tous vos charmes,
Pour vous rendre tant d' ennemis
Par force ou par amour sousmis.
Sur tout, quelque ardeur qui vous presse,
Ne faites point trop de prouësse,
Ores que le temps n' en est pas,
Et gardez-vous bien d' estre las :
Mais si vous estes las, beau sire,
Ce pourroit estre de trop lire,
Et je le suis d' écrire aussi,
C' st pourquoy je finis icy.


POUR LE GRILLON


P1571

Je demeurois dans un four chaud,
Où je passois fort bien ma vie,
Quand hier voyant le feu des beaux yeux de Sylvie,
Je pensay tomber de mon haut.
Si vostre salut vous est cher,
Eloignez-vous de l' inhumaine,
Gardez-vous bien de l' approcher,
Et prenez-cét avis pour une bonne estrenne ;
Moy, qui comme Midrac, Sidrac, Abdenago,
(la rime en sera difficile)
Chantois dans la fournaise, et vivois à gogo
Dans les lieux les plus chauds dont j' ay fait mon
Asyle ;
Je meurs et languis dés le jour
Que je m' approchay de la belle,

P1581

Comment, diable ! à trente pas d' elle,
Il fait chaud comme dans un four.
Depuis que je la vis, ma langue est seiche et noire,
Je souffre des douleurs que vous ne sçauriez croire ;
Il ne fut jamais rien de tel.
Que si je n' en meurs pas, je merite en l' histoire,
Et le nom et la gloire,
De grillon l' immortel.


POUR LE HIBOU


P1591

Les hommes, tous tant que vous estes,
Jugez bien mal des pauvres bestes,
Particulierement de nous autres hiboux ;
Que l' on chasse de toutes festes,
Et qu' on traitte par tout comme des loups-garous.
Ne prenez à mauvais augure
De voir aujourd' huy ma figure.
Bon jour, bon an, Monsieur Esprit ;
Quoy ! Vous-vous refrognez, voyant cette aventure,
Et vous rougissez de dépit,
Comme si je donnois de mauvaises estrennes ;
Vos fiévres quartaines.


POUR LA TORTUË


P1601

Pour vous venir baiser la main,
Je partis au mois de septembre,
Du bout du faux-bourg Saint Germain,
Et nuit et jour faisant chemin,
J' arrivay hier ceans à la fin de decembre ;
Quelques-fois Salladin va plus diligemment,
Mais il n' est rien de tel que d' aller seurement.
Voulant doncques vous estrenner,
Pour vous faire heureusement vivre,
Je n' ay rien de meilleur que je puisse donner,
Si ce n' est mon exemple à suivre.
Vous autres beaux esprits battez trop de païs,
Croyez-moy, suivez mon avis,
Soit que vous poursuiviez evesché, femme, ou fille :
Faites tous comme moy, hastez-vous lentement,
Ne formez qu' un dessein, suivez-le constamment.
Mais c' est trop discourir, je r' entre en ma coquille.


POUR LA TAUPE


P161

Bon jour, monsieur, et bonne année,
Si vous-voulez que le destin
Vous rende celle-cy tranquille et fortunée,
Escoutez ces cinq vers, qu' on m' a dits, ce matin :
Quand le sort guidera vos pas,
Dans la chambre, où les jeux, les ris et les appas
Enferment toutes leurs merveilles,
Soyez comme une taupe, et fermez-y les yeux,
Ouvrez seulement vos oreilles.
C' est ce qu' on m' a chargée aujourd' huy de vous dire :
Mais moy, je vous conseille mieux,
Si vous-voulez sauver vostre ame de martyre,
De fermer vostre oreille aussi bien que vos yeux ;
Car une nymphe redoutable
Y tend un piege inévitable,
Et ceux que de ses yeux le foudre ne frappa,
Le feu de son esprit leur fait rendre les armes,
Par moy vous en voyez exemplum ut tlpa,
Qui pour estre sans yeux, n' évite pas ses charmes,
Si vous-voulez sçavoir comment,

P162

Et d' où me vient cette aventure,
Je vous le diray promptement,
Sans feintise et sans couverture.
Vous sçaurez donc, monsieur, pourveu
Que vous vouliez prester une oreille attentive,
À la narration naïve,
D' un petit animal qui n' a jamais rien veu ;
Qu' estant en l' hostel de Soissons,
Comme j' allois ronger l' oignon d' une anemone,
J' ouis les accens et les sons
De l' agreable voix de certaine personne,
Qui discouroit dessus Platon,
Parlant à Madame Marie,
Qui l' entendoit, sans flatterie,
Comme j' entens le bas breton.
Moy, bien-ayse d' ouïr toutes ces belles choses,
Perçay viste la terre à dessein d' arriver
À ses pieds, qui par tout faisoient naistre les roses ;
Malgré la rigueur de l' hyver.
Me voyant, sans trop s' esbahir ;
Vous estes taupe ? (me dit-elle)
Ouy, luy-dis-je, mademoiselle,
Je suis taupe, pour vous servir.
D' où venez-vous presentement ?
Commença-t elle de s' enquerre :
J' arrive de cent pieds sous terre,
Pour vous ouïr tant seulement.
Je cherchois une taupe icy ;

P163

(me respond-elle avec une bouche riante)
Et si vous estes ma servante,
Je suis bien vostre amie aussi :
Vous estes taupe d' esprit doux,
Et fort belle, sans estre blonde ;
J' ay bien veu des taupes au monde ;
Mais jamais une comme vous.
Je sentis que la terre et l' air
S' embellirent à sa parole,
Et que tous les enfans d' Eole
Se teurent pour l' ouïr parler.
Dieux ! Que me trouvant aupres d' elle
J' eus de regret d' estre sans yeux,
Et que je l' imaginay belle,
À son parler si gracieux !
Je voudrois bien vous suplier,
(continüa-t-elle sur l' heure)
D' aller soudain, et sans demeure,
Au logis où se tient monsieur le chancelier.
Là, demander Monsieur Esprit,
C' est un de ces messieurs qui dans l' academie
Foudroyent tous les jours l' ignorance ennemie ;
Et qui jugent de tout escrit.
N' entrez-pas dans sa chambre, attendez-le en la cour,
Allez-y sans estre attifée,
Car il est fort coquet, et plus charmant qu' Orfée ;
Et s' il vous avoit veu coiffée,
Il ne manqueroit pas de vous parler d' amour.

P164

Le voyant, inclinez la teste,
Comme une taupe bien honneste,
Et sans luy faire compliment,
Dites-luy ces mots seulement.
Bon jour, monsieur et bonne année,
Si vous-voulez que le destin
Vous rende celle-cy tranquille et fortunée,
Escoutez ces cinq vers qu' on m' a dits, ce matin.
Quand le sort guidera vos pas
Dans la chambre, où les ris, les jeux et les appas :
Enferment toutes leurs merveilles,
Soyez comme une taupe, et fermez-y les yeux,
Ouvrez seulement vos oreilles.


RESPONSE POUR MLLE RAMBOUILLET


P165

À Monsieur Le Marquis De Montausier
Pour un chevalier allemand,
Ma foy vous parlez galamment :
Et dans le milieu de l' Alsace,
Vous avez porté le Parnasse.
Quoy que vous soyez grand et fort,
Ce n' est pas un petit effort :
Car, comme j' ay veu dans la carte,
Parnasse est plus grand que Montmarte.
Mais ce que j' y voy de plus beau,
C' est qu' ayant porté ce fardeau,
Vous ne puissiez avec constance,
Porter le faix de mon absence.
De là je tire un argument,
Que mon absence asseurément,
Suivant l' art de Monsieur Décarte,
Est plus pesante que Montmarte.
Je vous plains d' estre si chargé,
Et voudrois vous voir soulagé :

P166

Car je vous ayme avec tendresse
Et de bon coeur je m' interesse
Dans tous vos maux et tous vos biens ;
Ainsi que si c' estoient les miens,
Et desire plus que personne,
Que vostre fortune soit bonne ;
Vous croirez bien cela de moy,
Car vous ne manquez pas de foy,
Vous qui transportez les montagnes.
Soit que nous allions aux campagnes
De ce beau parc, où Jean De Vert
Est pour quelque temps à couvert ;
Ou que sur le bord de la Seine,
Nostre brigade se promeine ;
Ou que nous demeurions chez-nous,
À toute heure on parle de vous.
À propos la grande Artenice
Vous asseure de son service,
Vos desplaisirs luy font pitié,
Et d' un coeur remply d' amitié,
À vous elle se recommande :
Ne croyez pas ce qu' on vous mande,
Que l' amour fuyant de ces lieux,
S' est allé loger dans ses yeux.
Qui l' a dit, l' a dit par bon zele,
Mais on ne loge point chez-elle.
Il faut qu' il soit en autre endroit :
Mais pour vous dire ce qu' on croit,

P167

Selon que vostre ame est galante,
Vostre humeur gentille et brillante,
Et vostre esprit en bon estat,
L' on tient qu' il est à Schelestat.
Adieu, monsieur, et pour nouvelles,
Les Tuilleries sont fort belles,
Monsieur prend le chemin de Tours,
Nous aurons tantost les cours jours,
Jamais on ne vit tant d' aveines,
De foin les granges seront pleines,
Les pois vers sont bien-tost passez,
Les artichaux fort avancez,
Le mauvais temps nous importune,
Demain sera nouvelle lune,
L' on prendra bien-tost Sainct-Omer,
L' on met trente vaisseaux en mer.
Nos cannes on fait sept cannettes.
Dieu les preserve des bellettes.
Veymar demande du renfort.
Le corbeau de Voiture est mort.
Monsieur vostre oncle est tout en flammes,
Il ne bouge d' avec les dames ;
On ne voit que luy dans le cours,
Il y cajolle tous les jours
Les plus belles et les meilleures,
Il ne soupe plus qu' à sept heures.
Le Comte De Fiesque est devot ;
Et Sainct-Cyran est huguenot.


RESPONSE A LETTRE DE M. ARNAUD


P168

Certes, c' est un grand cas, Icas,
Que tousjours tracas ou fracas
Vous faites d' une ou d' autre sorte :
C' est le diable qui vous emporte ;
Et vous fait faire incessamment
Vostre mestier de negromant !
Croyez-moy, laissez la magie,
Suivez plustost l' astrologie,
C' est mal fait que d' estre sorcier,
Et cela n' est pas cavalier.
J' estois en repos à Narbonne,
Tristement autant que personne,
(s' il faut dire la verité)
Mais mon esprit moins agité,
Loin d' esperances et de craintes,
Avoit de moins rudes atteintes ;
Que quand je voyois les froideurs,
Les insupportables rigueurs,
Ou l' indifference, ou la hayne,
Ou le fier courroux de Climene.

P169

Au prix duquel est calme et doux
De la mer l' horrible courroux,
Et que je redoute en mon ame,
Plus que le fer ni que la flamme ;
Plus que mes brulantes ardeurs,
Plus que les tourmens dont je meurs,
Plus que toute autre violence,
Et mesme plus que son absence.
Ainsi, loin de ces déplaisirs,
Si je jettois quelques souspirs,
C' estoit d' estre loin de la belle,
Et non pas pour me pleindre d' elle ;
Et si je vivois tristement,
Au moins je vivois doucement.
Mais vostre mal-heureuse lettre,
Que vous m' avez escrite en métre,
Et certes si disertement,
Et si malicieusement,
Qu' on voit bien, tant elle est complette,
Que c' est le diable qui l' a faitte,
Est venuë avec ces propos,
Troubler icy tout mon repos ;
M' a fait connoistre en sa peinture,
Ma triste et funeste aventure ;
Et dans cét enfer où je suis,
Me faisant voir le paradis,
A fait que depuis, ma misere
M' a paru cent fois plus amere.

P170

J' ay mieux ressenty mes tourmens,
En voyant vos contentemens,
Si bien que vos vers et vos charmes
M' ont desja cousté maintes larmes.
J' avouë icy que de dépit,
Cent fois je vous en ay maudit :
Mais écoutez, j' entens maudire,
Pas autrement, sinon de dire,
La peste estouffe le rimeur,
Le diable emporte l' enchanteur,
Et jamais ne le rapporte,
Et menus propos de la sorte,
Qui du ciel ne furent ouys,
Et ma foy je m' en réjouïs.
Mais gens heureux et raisonnables,
Laissent dire les miserables :
Et certes, si vous y pensez,
J' avois alors du mal assez ;
Vous, assez de bonne aventure,
Pour excuser quelque murmure,
Tandis qu' en un temps de plaisir,
Vous consideriez à loisir
Tout ce que la terre a d' aymable,
De beau, de rare et d' estimable,
Que vos admiriez la beauté,
L' attirante severité,
Le cinabre, l' or et l' yvoire,
L' éclat, le triomphe et la gloire

P171

De l' incomparable Bourbon,
Je voyois les juifs d' Avignon.
Or bien qu' eux et leurs juifves eussent
Quelques agrémens qui me pleussent,
Pour vous le faire au vray sçavoir,
La chrestienne est plus belle à voir.
Son teint, sans mentir, et sa grace,
Sa brillante fraischeur efface
Toutes les juifves de deçà,
Et mesmes celles de delà ;
Car de quelque sens qu' on la prenne,
C' est une fort belle chrestienne,
Et l' on ne voit rien sous les cieux,
De plus rare ou plus precieux.
Mais pour venir à nostre affaire,
Ce qui me mit plus en colere,
Et me plut moins en ce païs,
C' est que je perdis cent louys ;
J' en sortis donc de bon courage,
Chantant, adieu sarazinage.
De là, passant force rochers,
Et des champs couverts d' oliviers,
(ayant traversé la Durance)
Nous arrivasmes en Provence,
Où nous vismes, dans son palais,
Le genereux Comte D' Alais ;
Mais bien qu' il soit vaillant et sage ;
Et qu' il ait, ma foy, bon visage ;

P172

Pourtant, quoy qu' il puisse valoir,
La chrestienne est plus belle à voir ;
Et plus belle, en ma conscience,
Que tout ce qu' on voit en Provence ;
Que les plus nobles citronniers,
Que les plus fleuris grenadiers,
Que leurs figuiers beaux à merveille,
Mesme que le port de Marseille ;
Que toutes leurs fleurs de jasmin,
Que le commandeur De Fourbin,
Plus que Madame
Plus que la belle Maguelonne,
Et que Madame Laure aussi
Quand toutes deux seroient icy.
J' entens là, car passant le Rosne,
Qu' Arles voit plus doux que la Saone,
Laissant derriere nous maint roc,
Nous passâmes en Languedoc,
Où, pour suivre nos destinées,
Nous fismes tant par nos journées,
Que laissant Lunel, Mompelliers,
Agde, Pezenas et Besiers,
Nous arrivasmes à Narbonne ;
Laquelle, Dieu me le pardonne,
Apres l' enfer, est un des lieux,
Hors duquel je m' aymerois mieux ;
Car le limbe et le purgatoire,
Prés d' elle sont des lieux de gloire,

P173

Monsieur, on est dans ce sejour,
Justement comme dans un four ;
Si bien que moy, qui sens la flamme
Et de Narbonne et de madame,
Et qui de deux feux investy
M' accomode tout de rosty,
Me voyant comme une allumette,
Et le corps fait comme un squelette,
Ne sçais si je suis cuit d' amour,
Ou bien si je suis cuit au four.
De chaudes vapeurs consumée,
Toute la terre est allumée,
Zephire mesme l' est aussi ;
Et l' air que je respire icy,
Est chaud, par maniere de dire,
Comme celuy que j' y souspire,
Quoy que je porte dans le sein
Des brasiers qui n' ont point de fin,
L' amour, et Climene, et ses flammes,
Dont les moindres brulent tant d' ames.
Cependant, malgré mon mal-heur,
Je me trouve en quelque faveur,
Deux ou trois fois son eminence
M' a fait jouïr de sa presence :
Je parle à Monsieur Des Noyers,
Je suis fort connu des huissiers :
Et mesmement, depuis n' agueres,
J' ay veu le roy dans ses affaires.

P174

Mais pour ne vous pas decevoir,
La chrestienne est plus belle à voir.
Enfin, quoy que l' on puisse faire,
Ce païs ne me sçauroit plaire,
Et rien ne me peut divertir,
Que l' esperance d' en sortir.
Quelquefois, pour tromper ma peine,
Je m' en vay réver dans la plaine ;
Là, me promenant le matin,
Sur la marjolaine et le thin,
Je voy l' Aurore avec ses perles ;
Qui reveille le chant des merles.
(j' aurois nommé le ruisegnor,
Mais il n' y rimoit pas, segnor)
Et vois les changeantes opales,
Les jacynthes orientales,
Que le jour seme à son réveil,
Sur la carriere du soleil,
Qui fait en ces lieux son entrée,
Plus belle qu' en nulle contrée ;
Mais quoy qu' il y dore les cieux
De son or le plus precieux,
Qu' il y paroisse sans nuage,
Et qu' il y brille davantage,
Quelques rayons qu' il puisse avoir,
La chrestienne est plus belle à voir.
Plus belle, et de couleurs plus vives,
Que luy, ni que juifs, ni que juifves ;

P175

Plus que le bon Comte D' Alais,
Comme on le voit dans son palais,
Plus que ni roy, ni roc, ni reyne,
Et plus que tout, horsmis Climene.
Au reste, ne soyez en peine,
Cherchant qui j' entens par Climene,
Car vous n' y perdrez que vos pas,
Et le diable ne le sçait pas.


EPISTRE A MGR LE PRINCE


P176

Soyez, seigneur, bien revenu
De tous vos combats d' Allemagne,
Et du mal qui vous a tenu
Sur la fin de cette campagne,
Et qui fit penser à l' Espagne,
Qu' enfin, le ciel, pour son secours,
Estoit prest de borner vos jours,
Et cette valeur accomplie,
Dont elle redoute le cours.
Mais dites-nous, je vous supplie.
La mort, qui dans le Champ De Mars,
Parmy les cris et les allarmes,
Les feux, les glaives, et les dards,
Le bruit et la fureur des armes,
Vous parut avoir quelques charmes,
Et vous sembla belle autresfois,
À cheval, et sous le harnois ;

P177

N' a-t-elle pas une autre mine,
Lors qu' à pas lents elle chemine
Vers un malade qui languit ?
Et semble-t-elle pas bien laide,
Quand elle vient tremblante et froide,
Prendre un homme dedans son lict ?
Lors que l' on se voit assaillir
Par un secret venin qui tuë,
Et que l' on se sent defaillir
Les forces, l' esprit et la veuë ;
Quand on voit que les medecins
Se trompent dans tous leurs desseins,
Et qu' avec un visage blesme,
On oit quelqu' un qui dit tout bas,
Mourra-t il ? Ne mourra-t-il pas ?
Ira-t-il jusqu' au quatorziéme ?
Monseigneur, en ce triste estat,
Confessez que le coeur vous bat,
Comme il fait à tant que nous sommes,
Et que vous autres demy-dieux,
Quand la mort ferme ainsi vos yeux,
Avez peur comme d' autres hommes.
Tout cét appareil des mourans,
Un confesseur qui vous exhorte,

P178

Un amy qui se déconforte,
Des valets tristes et pleurans,
Nous font voir la mort plus horrible,
Et croy qu' elle estoit moins terrible,
Et marchoit avec moins d' effroy,
Quand vous la vistes aux montagnes
De Fribourg, et dans les campagnes
Ou de Norlingue, ou de Rocroy.
Vous sembloit-il pas bien injuste,
Que sous l' ombrage des lauriers,
Qui mettent vostre front auguste
Sur celuy de tant de guerriers :
Sous cette feüille verdoyante,
Que l' ire du ciel foudroyante,
Respecte et n' oseroit toucher ;
La fiévre chagrine et peureuse,
Triste, défaite et langoureuse ;
Eust le coeur de vous approcher,
Qu' elle arrestast vostre courage,
Qu' elle changeast vostre visage,
Qu' elle fist trembler vos genoux ?
Ce que Bellone destruisante,
Dans le fer, les feux et les coups,
Ni Mars au fort de son courroux,
Ni la mort tant de fois presente,
N' avoit jamais pû dessus vous.

P179

Voyant qu' un trépas ennuyeux
Vous alloit mener en ces lieux
Que nous appellons l' onde noire,
Autrement manoir stygieux,
Vous consoliez-vous sur la gloire,
De vivre long-temps dans l' histoire ?
Ou sur cette immortalité,
Que nous avons, malgré les âges,
La Sucie, et moy, projetté
De vous donner dans nos ouvrages ?
De vos faits il eust fait un livre,
Bien plus durable que le cuivre ;
Et moy, si j' ose m' en vanter,
Je merite assez de le suivre ;
Mais nous eussions eu beau chanter,
Avant que vous faire revivre :
Les neuf filles de Jupiter,
Qui sçavent tant d' autres merveilles,
Avecque leur voix nompareilles,
N' ont pas l' art de ressusciter.
La mort ne les peut écouter,
Car la cruelle est sans oreilles,
Dés le vieux temps qu' Orfée harpa,

P180

Si doucement qu' il l' attrapa,
Et qu' il luy fit rendre Euridice ;
Le noir Pluton les luy couppa,
Et les conduits en estoupa
(ce fut une grande injustice.)
Depuis on a beau la prier,
Beau se pleindre, heurler, et crier,
Blasmer la rigueur de ses armes ;
Tout ce bruit n' est point entendu,
Pour nos plaintes, et pour nos larmes,
Pour nos cris, et pour nos vacarmes,
On ne voit rien qu' elle ait rendu.
Nous autres faiseurs de chansons,
De Phebus sacrez nourrissons,
(peu prisez au siecle où nous sommes)
Sçaurions bien mieux vendre nos sons,
S' ils faisoient revivre les hommes,
Comme ils font revivre les noms.
Nous eussions appris vostre gloire
À toute la posterité,
Et consacré vostre memoire
Au temple de l' eternité.
Mais de nos oeuvres magnifiques,
De nos airs, et de nos cantiques,
Seigneur, vous n' eussiez rien ouï,
L' air, et le ciel, la terre et l' onde,

P181

Et tout ce qui se fait au monde,
Estoit pour vous évanouy.
Commencez doncques à songer,
Qu' il importe d' estre et de vivre,
Pensez mieux à vous ménager.
Quel charme a pour vous le danger,
Que vous aymiez tant à le suivre ?
Si vous aviez dans les combas,
D' Amadis l' armure enchantée,
Comme vous en avez le bras,
Et la vaillance tant vantée :
De vostre ardeur precipitée,
Seigneur, je ne me plaindrois pas.
Mais en nos siecles, où les charmes
Ne font pas de pareilles armes,
Qu' on voit que le plus noble sang,
Fust-il d' Hector, ou d' Alexandre,
Est aussi facile à répandre,
Que l' est celuy de plus bas rang.
Que d' une force sans seconde,
La mort sçait ses traits élancer,
Et qu' un peu de plomb peut casser
La plus belle teste du monde.
Qui l' a bonne, y doit regarder ;
Mais une telle que la vostre,
Ne se doit jamais hazarder :

P182

Pour vostre bien, et pour le nostre,
Seigneur, il vous la faut garder.
C' est injustement que la vie
Fait le plus petit de vos soins,
Dés qu' elle vous sera ravie,
Vous en vaudrez de moitié moins.
Soit roy, soit prince, ou conquerant,
On dechet bien fort en mourant ;
Ce respect, cette déference,
Cette foule qui suit vos pas,
Tout cette vaine apparence,
Au tombeau ne vous suivront pas.
Quoy que vostre esprit se propose,
Quand vostre course sera close,
On vous abandonnera fort,
Et, seigneur, c' est fort peu de chose,
Qu' un demy-dieu, quand il est mort.
Du moment que la fiere Parque
Nous a fait entrer dans la barque
Où l' on ne reçoit point les corps,
Et la gloire et la renommée,
Ne sont que songe et que fumée,
Et ne vont point jusques aux morts ;
Au delà des bords du Cocyte,

P183

Il n' est plus parlé de merite,
Ni de vaillance, ni de sang ;
L' ombre d' Achille ou de Thersite,
La plus grande et la plus petite,
Vont toutes en un mesme rang.
Ces deux syllabes precieuses,
Qui font ensemble vostre nom,
Seront de tout vostre renom
Les heritieres glorieuses ;
Ces trois faits d' armes triomphans,
Ces trois victoires immortelles,
Les plus grandes et les plus belles,
Qu' on trouve en la suite des ans.
Tant d' exploits, et tant de combas,
Tant de murs renversez à bas,
Dont parlera toute la terre,
Seront pour elles seulement,
Et pour les figures de pierre,
Qui feront vostre monument.
Ce prince qui dans le cercueil,
Fait vivre encore Cerisoles,
Où son bras abbatit l' orgueil
De tant de troupes espagnoles,
Qu' il combla de honte et de deüil.

P184

Qui poussé d' une belle envie
De relever le nom françois,
Mit ses ennemis aux abbois,
Et fit une fois en sa vie,
Ce que vous avez fait trois fois.
Ce heros de race immortelle,
Eut ce beau nom que vous avez,
Et que maintenant vous sçavez
Orner d' une gloire nouvelle.
Mais vous, qui vivez aujourd' huy.
Quand vous verrez par les années,
Estant fait ombre comme luy,
Vos aventures terminées :
Que vostre nom se chantera,
Que vostre los se portera
Dans les terres les plus estranges ;
Qui de vous deux en jouïra,
Et quel ressort attachera
À vous plus qu' à luy ces loüanges ?
Quoy que la gloire nous promette,
Avec ces tiltres éternels
Qu' on gagne en servant ses autels ;
La renommée et sa trompette
N' ont que des sons vains et mortels ;

P185

L' aveugle Fortune dispose
De ces noms pour qui l' on s' expose ;
Les plus grands, les plus estimez,
Quand son caprice luy propose,
Vieillissent comme toute chose,
Ou dans l' oubly sont abysmez.
En vain l' Olympe favorable,
(honneur de Navarre et de Foix)
T' avoit promis que tes explois,
Auroient un bruit tousjours durable ;
Malgré ta victoire admirable,
Et ces faits d' armes glorieux,
Qui parmy tous nos demy-dieux
Te donnent un rang honorable ;
Gaston De France obscurcira
Celuy de Foix, et ternira
Ce renom dont la terre est pleine ;
Et Graveline estouffera
Toute la gloire de Ravenne.
La Flandre, qui tous les printemps,
Le voit avec la mesme foudre,
Dont son pere sçeut mettre en poudre
Les monts qui couvroient nos Titans.
Sur les exploits de tous les temps,

P186

Rend ses conquestes élevées :
Mais tant de succez éclatans,
Tant de provinces captivées,
Tant d' aventures achevées,
Que luy feront-ils dans cent ans ?
Quelque jour ce nom redouté,
Sous qui la fiere Espagne plie,
Ce bruit dont la terre est remplie,
Par tant de travaux acheté ;
Sera par le temps arresté,
Et sa gloire en tous lieux ouïe,
Dans les siecles évanouïe,
Perdra sa plus grande clarté.
Un jour cette valeur extreme,
Par qui refleurissent nos lys,
Ne sera plus qu' une ombre blesme,
Et les restes ensevelis
Des murs par Gaston démolis,
Seront long temps apres luy mesme.
L' âge qui toute chose efface,
Confond les tiltres et les noms,
Et ne laisse que quelque trace
De tous ces inutiles sons,
Pour qui si fort nous-nous pressons ;

P187

Les Achiles et les Thesées,
Là bas sous les tristes lauriers
Qui parent les Champs Elisées,
Ne sont ni plus grands ni plus fiers ;
Ni leurs ombres plus courtisées,
Par toutes ces odes prisées,
Où l' on chante leurs faits guerriers.
Ce gaigneur de tant de batailles,
Ce domteur de tant d' ennemis,
Ce vainqueur de tant de murailles,
Qui vit tous les peuples sousmis ;
Ce grand Jule dont les explois,
Et la fortune sans seconde,
Sçeurent domter la terre et l' onde,
Et qui mit Rome sous ses loix,
Qui fut plus que vaincre le monde.
Ce prince par ses faits divers,
Creut qu' il laissoit, malgré les Parques,
Son nom gravé dans l' univers,
Avecque d' immortelles marques.
Mais un autre Jule en ces lieux,
Venu par le secours des cieux,
Obscurcit la gloire ancienne,
En la mélant avec la sienne ;
Et le monde sur son appuy,
Voit de si grandes aventures,

P188

Que le nom qu' il porte aujourd' huy,
Sera dans les races futures,
Douteux entre Cesar et luy.
Quand le grand Jule on nommera,
Et que tout l' exemple des hommes
Qui suivront le siecle où nous sommes,
Ce nom par tout resonnera,
La posterité doutera,
Pesant de ces deux les merveilles,
Et pareilles et nompareilles,
Qui des heros on vantera,
Ou le Jule qui sa vaillance
Par tant d' exploits sçeut témoigner ;
Ou le Jule dont la prudence
Tant de palmes nous sçeut gagner ;
Celuy qui sçeut vaincre la France,
Ou celuy qui la fit regner.
Mais je sens que Phebus m' emporte
Plus loin que je n' avois pensé,
Et me preste une voix plus forte,
Que celle dont j' ay commencé :
Mon chant s' est bien fort avancé :
Prince que l' univers admire,
Il est temps que je me retire !

P189

Des sons si hauts, et si hardis,
Sont mal accordans à la lyre,
Je m' arreste donc, et vous dis.
Aymez, seigneur, aymez à vivre,
Et faites que de vos beaux jours
Le long et le fortuné cours,
De toutes craintes nous delivre :
Conservez-vous pour l' univers,
Parmy tant de perils divers,
De vos faits allongez l' histoire :
Et voyant qu' un destin puissant
Doit à vostre bras agissant,
Tous les estez une victoire,
Pour la France, et pour vostre gloire,
Taschez d' en vivre jusqu' à cent.


PLACET A CARDINAL MAZARIN


P190

Prelat passant tous les prelats passez,
Et les presens, car ce n' est plus trop dire ;
Pour Dieu rendez les souhaits exaucez
D' un coeur dolent, qui de vous voir desire.
Mais M de tous huissiers le pire,
Expert pourtant, et qui discerne bien
Les gens d' esprit, ceux qu' il faut introduire,
Et ceux aussi qui ne sont bons à rien ;
Apres m' avoir tenu long-temps à l' huis,
Enfin, demande où je vay, qui je suis ;
Pourquoy je viens en ce lieu me morfondre,
Et me monstrer, sans qu' on m' en soit tenu ?
À tout cela je ne sçay que répondre,
Et m' en revay comme j' estois venu.


A CARDINAL MAZARIN


P191

Ballade
Vous-vous trouvez tousjours dessus vos pieds,
Long-temps y a que je l' ay dit en rime ;
Et quoy, seigneur, que disiez ou fassiez,
Vous faites voir vostre esprit magnanime,
Digne tousjours de loüange et d' estime.
L' archiduc fier et plus grave qu' un roc,
Nous pensoit bien donner un rude choc,
Mais sa fierté par vous est repoussée ;
Cét allemand ne s' entend pas en troc,
Les espagnols et flamans r' alliez
Sous ce grand chef qui leur courage anime,

P192

Pensoient desja nous voir humiliez,
Et du bon-heur se croyoient à la cime ;
Quand leur avez fait voir un tour d' escrime,
Qui dans le coeur leur donne un coup d' estoc ;
Ores voudroient voir tous mousquets au croc ;
Tant vous rendez leur audace abbaissée,
Et disent tous que c' est un mauvais troc,
Pour Landrecy de changer La Bassée.
Puisant esprit qui nous fortifiez,
Et dont le soin nos ennemis reprime,
Que vos succez par tout soient publiez,
Que vostre los en tous endroits s' imprime ;
Et que le chant dont mon ame s' exprime,
Se fasse ouïr de Paris à Maroc.
Quand je vivrois aussi long-temps qu' Enoc,
Tousjours diray, du fonds de ma pensée,
Seigneurs flamans, ce fut un mauvais troc,
Pour Landrecy de changer La Bassée.
Et vous, mutins, qui si mal auguriez,
Et que l' envie à grand tort envenime ;
Force vous est, qu' ores vous admiriez
Du grand prelat le jugement sublime.

P193

Repentez-vous, connoissez vostre crime,
Car le lion s' enfuit devant le coq,
Et Leopold le va coiffer d' un froc,
Voyant si-tost sa victoire effacée ;
Et juge bien qu' il fit un mauvais troc,
Pour Landrecy de changer La Bassée.


RESPONSE A MARQUISE MONTAUSIER


P194

Seigneurs chevaliers catalans,
Vous estes courtois et galans,
Et montrez bien par vostre lettre,
Que nous avez écrite en métte,
Que trois peres peuvent souvent,
Faire ensemble un fort bel enfant.
Le vostre en arrivant au monde,
D' une éloquence sans seconde,
Parle, raisonne, raille, et rit,
Et de ses peres a l' esprit.
L' esprit de chacun de ses peres,
Tous trois de diverses manieres.
Le nostre encore ne dit mot,
C' est un fort depiteux marmot :
Tout du long de la nuit il crie,
Et tout le jour est en furie,

P195

Fier, opiniastre et mutin,
Aussi farouche qu' un lutin.
S' il se fasche, onc il ne s' appaise ;
On luy déplaist quand on le baise,
Il pince, il égratigne, il mort,
Et gronde mesme quand il dort.
Du reste belle creature,
Et d' une tres-bonne nature,
Et qui le voit bien en effet,
Dit que c' est le pere tout fait.
Sa belle et son aymable mere,
M' a donné charge de vous faire
Mille et mille remercimens,
Cent et cent mille complimens :
Ce sont en tout deux cent deux mille ;
Mais c' est que la dame est civile,
Tres-sensible à tous vos biens-faits,
Et vos vers luy semblent bien-faits.
Vostre lettre l' a réjouïe,
Plus qu' autre qu' elle ait onc ouïe ;
Et lisant Louys De Bourbon,
Elle tressaillit tout de bon,
Ce nom tout seul la rendit gaye.
Mais quand elle leut la moussaye,
Elle tomba tout de son haut,
Et ne revint que pour Arnaut.
Artenice la bonne et belle,
Ou de Vivonne, ou de Savelle,

P196

Vous pouvez choisir de ces noms,
Car l' un et l' autre sont tres-bons ;
Vous rend, seigneurs bien-humble grace,
De vostre souvenir qui passe
Les honneurs qu' eurent ses ayeux,
Triomphans et victorieux,
Quand le Tybre dessus ses rives
Voyoit les dépoüilles captives,
Qu' apres cent belles actions,
Ils remportoient des nations.
Il reste à vous parler du pere,
Qui ne vaut pas moins que la mere,
Le fier et brave Montausier,
Dont le coeur est franc comme osier.
Il trouve vostre poësie
Tout à fait à sa fantaisie,
Par tout pleine d' art et d' esprit,
Et je croy, selon qu' il le dit,
Qu' il faut que la piece soit bonne ;
Car onc il ne flatta personne,
Et pour le pape il ne diroit
Une chose qu' il ne croiroit.
Nous n' avons sur vostre écriture
Pû tirer un mot de Voiture ;
Car il est en méchante humeur,
Et devenu mauvais rimeur,
Il ne se mesle plus d' écrire,
Ou s' il écrit, c' est pour médire ;

P197

Il est de fascheux entretien,
Saturne est moins saturnien :
Et selon qu' il est en mal-ayse,
Le meilleur sera qu' il se taise ;
Car maistres-d' hostel sans quartier,
Sont pires que bombe ou mortier,
Rien n' est égal à leur manie,
Ce sont vrais tygres d' Hyrcanie,
Et jettent dessus toutes gens,
Des grenades avec les dens :
Comme ces animaux sauvages
Qu' Arnaud décrit en ses ouvrages.
On a beau leur crier, hola ;
Deçà grenades, et delà,
Grenades dessus la moussaye,
Dont il est force qu' il s' effraye :
Grenades sur le pauvre Arnaut,
Il en vient d' embas et d' enhaut.
Prenez garde qu' on ne vous blesse,
Ils n' épargnent pas son altesse,
Son altesse, que le dieu Mars
Epargna dans tant de hazars,
Et que Pallas sa seure guide,
Couvre par tout de son egide.
Mais, pour dire la verité,
Il est justement irrité,
Et j' ose vous dire, sans craindre,
Qu' il a quelque droit de se plaindre.

P198

Le mot est bien vray, messeigneurs,
Que les honneurs changent les moeurs,
(comme on dit en cette province,)
Du temps que monseigneur le prince
Ne tenoit pas un si haut rang,
Qu' il n' estoit que prince du sang,
Que vainqueur de trois cens murailles,
Et que gagneur de trois batailles ;
Voiture estoit aymé de luy,
Comme d' autres sont aujourd' huy.
Mais du jour qu' il fut fait grand-maistre,
Il fit sa faveur disparestre,
Et laissa dans un grand dechet
Feu son compere le brochet.
Le brochet, jadis son compere,
Et qui quelquefois luy sçeut plaire.
Tous les etangs de ces païs,
Tous fleuves en sont ébaïs,
La tanche par tout en caquette,
La carpe n' en est pas muëtte,
Et de mille estranges façons
Cela fait parler les poissons.
Il n' est goujon qui ne murmure,
Considerant cette aventure,
Et qui ne dise entre ses dents,
Les princes sont d' estranges gens :
Heureux qui ne les connoist guere,
Plus heureux qui n' en a que faire :

P199

Ces goujons sont hardis pourtant,
Je n' en voudrois pas dire autant :
Mais le menu peuple s' expose
À discourir de toute chose.
Or laissons ce fascheux discours,
Reprenons nostre premier cours,
S' il vous plaist de me le permettre.
J' admire dedans vostre lettre,
Celuy qui dit que son dada
Demeura court à Lerida,
Et dis de plus en asseurance,
Que je ne sçay qu' un homme en France,
Qui de la sorte osast rimer,
Et l' osant, osast se nommer.
Quiconque trouva cette rime,
Doit avoir le coeur magnanime,
Et monstre que les accidens
Ne le troublent point au dedans :
Il reconnoist bien que la gloire
Est quelquefois sans la victoire,
Et qu' en celle-cy le hazard
Souvent a la meilleure part.
Mais il n' est cheval si superbe,
Qui ne bronche, dit le proverbe,
Ou par fois ne demeure court,
Mesmement quand bien fort il court.
Tous ceux qui sont dans les annales,
Les cyllares, les bucephales,

P200

Passebrun cheval de Morgant,
Bridedor celuy de Roland,
Broncherent tous, et par fois cheurent,
Toutefois bons chevaux ils furent.
Un jour Pegase aussi broncha,
Et peu s' en fallut trébucha ;
Quoy qu' il fust dans une carriere,
Où pierre n' avoit, ni poussiere ;
Pourtant comme Ovide le met,
Pegase fut un bon bidet.
Mesme le grand cheval de Troye,
(l' histoire veut que l' on le croye)
Pensa demeurer en chemin,
Quoy que l' on le menast en main,
Et qu' il eust les jambes si fortes ;
Que seul il portoit dix cohortes.
Son altesse donc feroit mal,
S' il en prisoit moins son cheval,
Qui l' a servy par tant d' années,
Et dans tant de grandes journées,
Sans jamais faire un mauvais pas,
Et ce seul coup s' est trouvé las.
Mais si jamais il y remonte,
(comme je sçay qu' il fait son conte)
Il refera trembler de peur
Le roy d' Espagne et l' empereur.
Dieu veüille qu' icy l' on le voye
Bien-tost, plein d' honneur et de joye.

P201

Mais sans aller à Saint Dizier,
Comme il écrit pour Montausier,
Elle desire qu' il reprenne
Le droit chemin du Bourg-La-Reyne.
À Paris nous le souhaittons,
Et tous les jours le regrettons ;
Car nous l' aymons d' amour extreme,
Je ne sçay s' il en fait de mesme ;
Mais pour moy, je penserois bien
Que ces grands hommes n' ayment rien,
Pour le Seigneur De
La chose est bien seure,
Que qui ne verroit que ses vers,
Et ne sçauroit point ses revers,
On l' aymeroit d' amour trop forte ;
Il écrit d' une belle sorte,
Il a fort bon entendement,
Parle de tout capablement,
Juge tres-bien de toutes choses ;
Mais il est bon, sont lettres closes,
Et le croire seroit abus ;
Quand tels ribauds seroient pendus,
Ce ne seroit ja grand dommage.
Je n' en diray pas davantage.
Adieu vous dis, Monsieur Arnaut,
Le ciel vous preserve du chaut ;
Car le sejour de Catalogne,
Vous peut donner de la besogne.

P202

Sur tous sujets faire des vers,
Ecrire en cent endroits divers,
Passer les nuits à la campagne,
Et les jours au soleil d' Espagne,
Ne dormir qu' à bastons rompus,
Songer à faire des rébus,
Suivre tousjours quelque pensée,
Avoir eu la teste cassée ;
C' en est plus qu' il ne vous en faut ;
Adieu vous dis, Monsieur Arnaut.

Source: http://www.poesies.net

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