Discussion Auteur:Christiane Solvejgs
Éléments biographiques
modifier- Christiane SOLVEIGS [Mme Charles Loiseau]. Rêves et comtes du vieux Moulins. Moulins
- [1] Croatie VOÏNOVITCH (VOJNOVIĆ) Ivo de La Dame au tournesol
N.B. : il existe une version cinématographique de cette pièce, réalisée en 1918, sous la forme d’une production germano- austro-hongroise, par Mihály KERTÉSZ (Michael CURTIZ), voir la fiche de ce film
1912, in La Revue mondiale, Paris, 1er novembre (acte I), 15 novembre (acte II) et 1er décembre 1922 (acte III), pp. 19-50, 168-187, 291-327
traduction non indiqué (reste à vérifier s’il ne s’agissait pas de membres de la famille de l’auteur, sa sœur Eugenija VOJNOVIĆ-LOISEAU (Christiane SOLVEJGS) ou sa belle-sœur, Konstantina-Tinka VOJNOVIĆ née KOPAČ ?)
- La Résurrection de Lazare, d’Ivo Vojnović (Ivo de Voïnovitch, traduction Christiane Solvejgs, revue Le Monde slave, Paris, 1917
- 1939 : Journal des débats politiques et littéraires, 30 juillet 1939… sur le livre
D’un mysticisme français
Les âmes d’élite ont le privilège de percevoir le murmure des vieilles cités. La connaissance approfondie de l’histoire, l’amour passionné des traditions d’antan pénètrent seuls les affinités secrètes entre les hommes et les choses, l’harmonie entre les paysages de pierre et la pensée qui les modela. Cette consonance entre les images d’aujourd’hui et la spiritualité du passé, nous la trouvons à toutes les pages du petit livre, préfacé par Charles Maurras, que Mme Christiane Solvejgs vient de consacrer à Moulins[1]. Notations légères, pénombres d’intimité, rêveries, méditations, ces pages ressuscitent l’ambiance saturée de catholicisme du Vieux Moulins. Tel le petit cèdre dont elle nous conte l’émouvante histoire, Aime Christiane Solvejgs est tout imprégnée de cette atmosphère. Sans doute, la terre du Bourbonnais est loin de celle d’Orient, patrie de l’auteur. Mais le sang français qui, à travers les siècles, coula si généreusement pour la foi et pour la nation, n’a-t-il pas arrosé tour à tour les marches orientales de la chrétienté et les plaines de nos vieilles provinces ? De ce petit livre sourd une intarissable poésie. L’auteur découvre le monde à chaque page et nous convie à partager ses émerveillements. Nobles demeures assoupies dans un silence séculaire, voûtes obscures des sanctuaires traversées de lueurs vacillantes, âmes héroïques et religieuses, nous pénétrons à sa suite dans le domaine de la spiritualité pure.
Une œuvre comme celle-ci, dont nous savons qu’elle a été longtemps pensée avant d’avoir vu le jour, porte témoignage de la vitalité de notre mysticisme : Cet élan vers des sphères plus hautes, précisément parce qu’il part de la terre, en garde, jus qu’en ses effusions, la saveur et le relief. Les chemins qui mènent à Dieu varient à travers les âges et les pays, Seuls l’abnégation et l’amour sont les compagnons éternels de ces étapes de l’âme. La France se trouve au milieu d’un axe mystique dont les pôles seraient l’Espagne et l’Allemagne. Là, une surabondance de grâce, un ruissellement d’amq|ir, qui abolit l’individu dans un élan vers Dieu ; ici, une frénésie sociale au service d’un idéal inhumain et héroïque, qui se réalise par chocs violents et qu’on s’arroge le droit d’imposer aux faibles ou aux non-initiés. Le mysticisme français n’a jamais perdu contact avec l’humain, avec tout ce que ce mot sous-entend, non de vaine révolte et d’égoïsme personnel, mais de sacrifice et d’acceptation du devoir. « On est saint quand on fait bien ce qu’on doit faire », confie au chrétien, en quête de sa voie, l’âme vieux menuisier, qui, tout le long de sa vie, s’est dévoué à son métier. Ce mysticisme franciscain, fait de pitié et de compréhension, ne se consume pas en de brusques flambées ; il se dilue dans l’humble réalité des jours ; il imprègne de sa grâce lustrale le geste le plus commun. Cette vertu intérieure et silencieuse, à la quelle Mme Christiane Solvejgs rend un précieux hommage, n’est-ce pas encore la trame spirituelle de notre vie provinciale française ? ALBERT MOUSSET.
- 1930 : Revue française politique et littéraire, 21 décembre 1930 [2]
LE NOËL DES "NITCHEVO"
PAR CHRISTIANE SOLVEIGS
La T. S. F. de Moscou commençait à fonctionner. Sous un ciel de plomb se répandaient des paroles savantes : L Etat était le sauveur des grands et petits. Il les élevait pour la patrie qui était lui. Il n’y a ni père, m mère, mais l’ordre des comités du peuple. Il n’y a ni Dieu, ni son fils Jésus-christ. Ce Dieu-Homme, qu’on dit être né le 25 décembre, de la Vierge Marie. « Bogoroditza », c’est une fable qu’on doit détruire par les moyens de la civilisation comme l’est _ la T.S.F. Cette voix, qui a l’air de venir du ciel, est le résultat du cerveau des savants, du Russe en particulier, et n’est qu’une combinaison produite par une force inconnue qu on découvrira plus tard par les Soviets. Tout ceci à répandre dans la grande Russie, jadis nommée par erreur la sainte Russie.
Des troupes d’enfants écoutaient. Quand l’exposé fut terminé, on les divisa par dix, on remplit leurs poches de pains d épice et de menue monnaie, on les envoya porter ce message aux campagnes avec ordre d entrer dans les maisons de meilleure apparence et, là, de s’y faire nourrir pour la bonne nouvelle, et continuer plus loin… sans date fixe pour le retour.
Une escouade de dix enfants entre neuf et douze ans partit du coté Est de Moscou. Sur les dix, le plus fort qu’on nommait Wladimir, prit la direction.
(1) Nitchevb, en russe " tout est rien, ce n’est rien.
Ils partirent en grignotant sans arrêt leurs provisions, et les ayant usées — ainsi que leur souffle — ils entrèrent dans une habitation au bord du bois, mais faisant encore partie du faubourg. A cette maison, il y avait des volets et les portes fermaient, cela devait être un riche « dvorétz ». On les accueillit et on entendit la « bonne nouvelle ».
Qui aurait pu savoir ce qui se passait dans la tête des propriétaires prolétaires ?… Le fait est qu’ils s’empressèrent à vider le buffet de toutes les galettes qu’il contenait (faites en prévision de Noël), et à les éconduire avec force encouragements leur indiquant la route vers les villages de Lavrana.
La neige se mit à tomber et le plus jeune, Sacha, courait joyeusement en stimulant ses camarades sous 1 air adouci dans les allées de sapins qui assombrissaient le jour. Un village serré, aux toits pleins de neige, se présenta comme leur seconde halte. Toutes les « imbus » étaient semblables. Un air chaud se dégageait de l’une d’entre elles, vraiment « ouïoutna », confortable, déclara Wlad impr.. et:
— Bonjour, « Matchouchka », dirent-ils en s’avançant hardis, mais convenables.
— Eh. « Rebïata », vous n’êtes pas au moins les enfants-loups ? dit la « petite mère » en enfournant d’abord des galettes ».
—• Y pensez-vous ! cria Sacha et s arrêta net en rougissant et vidant ses poches d où ne tombaient que des miettes….
« La « bonne nouvelle », Matchouchka ! — Le Christ n’est pas né !… c’est le commissariat du peuple qui vous le fait dire par nous, dit Wladimir.
La paysanne mit ses coudes sur les hanches et les regarda tous. Wladimir débita tout le discours ; c était une bonne mémoire.
Ah ! qu’on était loin de la simplicité de jadis. Elle avait compris 1 C’est un coup nouveau de Moscou.
Attendez, mes enfants. Et la ménagère s’en alla à la porte voisine (non sans se retourner sur le buffet et le four) et appela voisins et voisines.
En peu de temps, un groupe de moujiks et de « petites mères » entra dans 1 heureuse imbu où Wladimir recommença la leçon.
— Ditià mai, mon enfant, dit l’aîné des paysans, la nuit tombe. Nous allons vous garder et nous partager votre escouade. Ceci fut dit et fait sans résistance, et cette nuit-là dix petits Russes eurent un foyer.
Le lendemain parvenait au village un son de cloches tamisé, harmonieux, et I oubli, tombait du ciel avec la neige drue. C était I annonce de la vigile de Noël. Le soir, 1 escouade se reforma habillée en peaux de mouton d emprunt et partit avec ses maîtres à l’église du bourg (( aux mille isbas » qui était encore fort loin, mais soit en traîneaux, soit en skis, on s’élançait courageusement vers le but.
Sacha et Wladimir ne parlaient pas, Nikolaï et Pïotr pas davantage, Serge et Payel. Michaël et Kostïa, Olef et Vanïa se taisaient de même. Le rêve s’emparait d ex. A combien de lieues étaient-ils de leur point de depart ? Mille, deux mille ?… Ce qui était certain, c’est que mille fenêtres étaient éclairée » lorsqu’on arriva au bourg et qu’on se rendit à l’église aux clochers arrondis, au carillon insoupçonné.
Les voilà avec la foule entasses dans le sanctuaire que des branches de sapin embaumaient, où des tapis étendus par terre recevaient ceux dont la route avait été longue et froide. Un grand respect se dégageait de tous, assis ou debout, levant les yeux vers une irons étincelante. On attendait la parole du pasteur. Le Pope était habillé en moujik, mais de ses yeux clairs résignés, profonds, se déversait un rare recueillement Sauveur Jésus.
— « Bratz.i mai », mes frères leur dit-il ; nous arrivons de nouveau à fêter la venue du Sauveur Jésus.
« Il y a plus de mille et neuf cents ans que des bergers se trouvaient sur la colline des environs de Bethléem (et ce n’est pas si loin de nous que du reste de l’Europe), en gardant leurs troupeaux comme vous gardez 1s vôtres, vos maisons, vos champs. Ils furent réveillés par un ange au milieu de la clarté du Dieu toutpuissant. Et l’ange leur dit : « Ne craignez point, car voici que je vous annonce une grande joie qui sera pour tout le peuple. C’est qu’il vous est né aujourd’hui, dans la ville de David, un Sauveur qui est le Christ Seigneur. »
Ùn bruissement de signes de croix se fit entendre. Seul le groupe des dix ne broncha pas.
« Au même instant, continua le pasteur, se joignit à l’ange une troupe de milice céleste, louant Dieu et disant : Gloire à Dieu dans les hauteurs, et. sur la terre, paix aux hommes de bonne volonté !…
« Le chant dépassa de beaucoup en beauté celui de vos cloches cependant si harmonieuses… Oui gloire à Dieu ! « Slava ! Slava ! » murmura la foule. Et que firent-ils, mes frè¬
res ?… Us se rendirent à Bethléem en toute hâte et trouvèrent Marie, Joseph et 1 Enfant couché dans une crèche. En le voyant, ils reconnurent la vérité de ce qui leur avait ete dit au sujet de cet Enfant. Véritablement, « Bratz.i moi, Christos se roidi ! », le Christ est ne ! « Christos sc rodé ! » jeta en un cri toute la foule.,.,
к Et vous, que venez-vous faire ici ?… Vénérer l’image de cette mère de Dieu et de son fils Jésus qui resplendit devant vous… la sainte Ikone de vos pères… « Gospode pomo loué », ayez pitié, Seigneur, prièrent les femmes inpensivement, Et comme les bergers ont communié avec la Divinité du Christ Jésus, ainsi vous allez communier à son corps qu il vous a laissé pour tous les siècles à venir… et vous allez le faire avec un cœur simple, prêt à recevoir la grâce de la foi que vous allez, garder vous-même au prix de votre vie. »
On défila pour communier de la main du pasteur.
A la fin, Wladimir se mit en tête de sa file et s’approcha aussi.
Il ne fallut pas longtemps au. Père pour comprendre ces jeunes plants qu’un grand vent avait poussé à ce village… Il fit tomber sur eux un grand signe de croix., ,
Alors Kostïa", le bouclé (( Koudravouï » ei Sacha le « Slaonouï » en regardant les camarades lui dirent : « Nous aussi, Père, nous voulons être des bergers, »
Wladimir, Nikolaï, Pïotr, Serge, Pavel, Michaël, Olef et Varna, aux yeux cirassions, s’agenouillèrent instinctivement… Le pasteur s’empara de l’Ikone et la leur fit baiser… ils se trouvèrent être de la communauté…
Pendant que la neige recouvrait de son linceul, les bons et les mauvais, les imbus croyantes et la civilisation barbare,
(Noël 1929.)
Christiane SoLVEJGS.
- ↑ Rêves et contes du Vieux Moulins (Paris, librairie d’Action française, 1939).