Discussion:Trio d’amour
Vocabulaire - orthographe modifier
- entre-bâillée, l’entre-bâillement
- drôlatique
- arome
- demi-voix
Statistique modifier
- 37 532 mots soit moins de 3 heures de lecture (à 250 mots/mn)
Critiques modifier
- L’Intransigeant [1]
Trio d’amour, par Jeanne Marais (Albin Michel, édit.), est un roman dont la première moitié est indigente et dont la seconde, au contraire, bien que peu adroitement construite, est d’un vif intérêt psychologique.
Il s’agit d’une très puissante passion éprouvée par une jeune fille, bientôt richement mariée bien que pauvre, pour un homme qui a dépassé la cinquantaine et auquel elle est indifférente.
Vénus tout entière à sa proie...
Jeanne Marais a trouvé des accents profonds pour définir certaines cruautés de l’amour et ce qu’il y a de déchirant, de pathétique dans l’âme de son héroïne. Il y a réellement de l’âme dans ces pages bâclées.
- Les Annales politiques et littéraires : revue populaire paraissant le dimanche 31 août 1919
Parmi les derniers romans parus, je veux signaler Trio d’Amour, de Mme Jeanne Marais, disparue si tragiquement et dont les lecteurs des Annales connaissent le talent sobre et précis. Elle nous expose, dans ce roman, le cas psychologique vraiment intéressant d’une jeune femme irrésistiblement attirée vers un homme qu’elle n’aime pas en réalité. Ce drame passionnel entre Adrienne Forestier, Labrousse et son ami Descombes — car c’est bien un drame passionnel, au fond, — y compris l’inévitable tache de sang par laquelle se dénouent les situations les plus complexes — est intéressant, non seulement par le caractère des personnages, mais encore par la marche de d’action. Mme Jeanne Marais était habile en l’art de développer logiquement un récit et de faire valoir une scène. Jusqu’à la dernière page, l’intérêt est soutenu sans artifice, en tirant des personnages et des situations tout le parti qu’un romancier expert en son métier peut en tirer. Ce dernier livre de l’auteur de L’Amitié Allemande avive encore les regrets qu’inspira la triste fin de cette femme de lettres remarquablement douée pour le roman.
...
DES LIVRES-NOUVEAUX
Nous détachons quelques pages du roman posthume de Jeanne Marais. C’est un de ces tableaux parisiens, finement observés, qu’excellait à peindre notre regrettée collaboratrice :
ADRIENNE !
Il était midi et demi. Robert Labrousse, qui sortait de son bureau, s’apercevait que tous ses clercs étaient partis ; seule, dans l’étude désertée, la nouvelle dactylographe s’attardait, rangeant quelques papiers, avant de s’en aller.
Adrienne Forestier était au service de Labrousse depuis deux mois. L’avocat la trouvait intelligente et zélée ; il la sentait dévouée ; peu à peu, il prenait l’habitude de lui confier les copies importantes, d’encourager son initiative, excitant la jalousie de l’autre dactylographe, Mlle Claire, qui dénigrait sournoisement cette intruse auprès des employés. Une suspicion générale enveloppait la protégée du patron.
Robert continua, en se rapprochant de la jeune fille :
— Adrienne… Puisqu’il n’y a plus personne, ici… voulez-vous me rendre le service de passer chez Descombes avant le déjeuner ?
Il faut que je lui communique immédiatement une pièce de son dossier…, c’est urgent. Cela vous donnera l’occasion de revoir votre vieil ami…
— Oui, monsieur.
Adrienne remettait son canotier, sa jaquette. Et comme ses gestes les plus simples révélaient une distinction innée, si différente de l’élégance prétentieuse, du genre « demoiselle de magasin » des filles du peuple qui portent chapeau, — Robert éprouva le besoin de lui manifester cette politesse embarrassée que nous inspire tout déclassé.
Il questionna, avec une familiarité un peu contrainte…
— Cela ne vous ennuie pas, au moins ?
— Au contraire, monsieur.
— D’ailleurs, c’est votre faute, Adrienne. Vous êtes toujours la première arrivée et la dernière partie : alors, on s’adresse à vous.
La jeune fille souriait, heureuse de l’éloge. Elle répondit avec feu :
— Je n’ai aucun mérite, monsieur… Je me plais ici : j’aime le bureau… Il dégage une impression apaisante et tranquille ; on s’y absorbe dans une besogne si intéressante ! J’y oublie mes propres soucis à force d’étudier les soucis des autres… J’ai même pris en affection les choses qui m’entourent: les fauteuils de moleskine et les rideaux de serge verte. Ce sont des amis que je retrouve avec plaisir chaque matin, que je quitte à regret chaque soir… Voilà pourquoi je reste longtemps… J’aime le bureau, monsieur.
L’avocat souriait, d’un air de raillerie indulgente. Drôle de petite femme étrange et baroque, cette Adrienne Forestier !… Mais si travailleuse, si empressée… On pouvait lui pardonner ses bizarreries.
Il détourna les yeux, gêné par le regard ardent qu’Adrienne posait sur lui. Il songea : « Elle m’agace, par moment ! » Puis, — s’occupant trop peu de sa dactylo pour analyser le sentiment d’irritation. — il se jugea nerveux et blâma son injustice.
Adrienne et Labrousse descendirent ensemble.
Dans la cour, à l’instant où l’auto allait démarrer, Robert proposa avec bienveillance :
— Voulez-vous que Germain vous dépose chez Descombes, Adrienne ? C’est sur son chemin.
Adrienne rougit. Certes, elle s’épargnerait une fatigue en acceptant cette offre ; mais M. Labrousse avait dit : « Voulez-vous que Germain vous dépose… » Cela signifiait que le patron, malgré sa bonté, gardait les distances, et qu’elle devrait monter à côté du chauffeur… Une bouffée d’orgueil la raidit. Elle répliqua vivement :
— Merci, monsieur… Je préfère marcher : une course est une vraie promenade, par ce beau temps !
Et, prenant un air guilleret, Adrienne s’en fut, à jeun, sous un soleil qui lui cuisait les épaules.
JEANNE MARAIS
- [2] LIBRAIRIE
TRIO D’AMOUR
De Jeanne Marais, à qui nous devons la délicieuse Virginité de Mademoiselle Thulette (en collaboration avec Willy) et La Carrière amoureuse, vient de paraître Trio d’Amour, aventure légère qui s’ébauche gaiement, mais que les circonstances hostiles conduisent au drame et qui se clôt dans le sang par un malentendu tragique. Livre vivant et vibrant. (Un vol. à 4 fr. 50 franco, Albin Michel, éditeur, 22, rue Huyghens, Paris.)