Discussion:Mauprat
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- pour ma paresse ou (par -> pour) ma stérilité.
- ce dette défaveur -> de cette défaveur
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- besoigneux
- grand'chose, grand’peine, grand’bête, entr’ouvrait, grand'faim
- s’entre-croisaient, gentils-hommes
- les loups-garous
- fraîchissante, guerroyante
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Sur le livre, critiques, articles, résumés...
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- Et avec quelle finesse est menée cette analyse qui est le sujet même du livre, celle de l'éducation par l'amour, la sauvagerie de Bernard de Mauprat cédant peu à peu à l'influence de cette noble et délicieuse Edmée
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- Genèse de Mauprat... http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5726261g/f80.item
- 1837 Revue du Centre [1]
MAUPRAT.
Un nouvel ouvrage de l’auteur d’Indiana a toujours le privilège d’émouvoir le public et de faire sortir la critique de son indifférence pour toutes ces œuvres sans nom qu’un même jour voit éclore et mourir. Voilà bientôt sept ans que George Sand est entré dans la carrière, et, à chaque pas qu’elle a fait, elle a compté un triomphe de plus. Ceux-là mêmes dont elle choquait le plus les opinions et les idées ne pouvaient s’empêcher de reconnaître qu’on ne saurait avoir tort avec plus de conviction et d’admirable talent. Enfin lasse de lutter vainement contre une société qui semblait vouloir mourir dans l’impénitence finale, elle a déposé les armes ; et, laissant sommeiller l’ardente colère qui débordait dans ses premiers ouvrages, elle nous a d’abord conté cette touchante histoire d’André, si pleine de grâce et de mélancolie, de sombre tristesse et de franche gaîté.
Aujourd’hui elle nous raconte la vie de Bernard de Mauprat ; et, comme dans André, elle laisse de côté les questions sociales, et ne s’occupe que des aventures de son héros. Cependant de temps en temps il s’élève de ses pages brûlantes un parfum de démocratie qui vous enivre et vous fait reconnaître, à travers les scènes d’amour et de guerre qu’elle déroule sous vos yeux, l’écrivain démocrate, l’ami de Lamennais. À part ces tendances populaires que nous ne saurions blàmer, le roman de Mauprat est un roman d’action, comme aurait pu le faire l’auteur de Manon Lescaut et du doyen de Killerine s’il avait eu à sa disposition la riche palette de Georges Sand. Toutes les qualités de composition et de style qui ont élevé si haut la réputation de cet auteur se retrouvent dans les deux volumes de Mauprat, dont nous allons donner l’analyse, Sur les confins de la Marche et du Berry, dans le pays qu’on appelle la Vareiine, s’élevait autrefois le manoir de la Roche-Mauprat, antique habitation de la famille de ce nom, qui se divisait en deux branches. M. Hubert de Mauprat, le seul représentant de la branche cadette, était un homme plein de vertus. Les Mauprat de la branche aînée au contraire, poursuivis par leurs créanciers, furent obligés de se mettre en sûreté derrière leurs bonnes murailles ; et là, rompant avec les lois civiles comme ils avaient rompu avec les lois morales, ils s’organisèrent en bandes d’aventuriers, détroussant les voyageurs, levant des taxes illégales sur les métairies environnantes, enfin faisant revivre les plus beaux temps de la féodalité. Le vieux Trislan-de-Mauprat, qui avait le génie du mal, était le chef de la branche aînée. Après la mort du père et de la mère de Bernard, il emporta son petit-fils sur son vieux cheval ; et, franchissant les ravins et les petits torrens de la Varenne, il le déposa à la noche-Mauprat, au milieu de ses huit enfans, tous aussi débauchés et aussi pervers que leur père. On peut deviner quelle éducation reçut Bernard dans ce repaire de vices. Heureusement que les mauvais traitemens dont il fut accablé le préservèrent de l’indifférence en face du mal, et le firent détester ceux qui le commettaient.
Bernard avait quinze ans lorsqu’il perdit son grand-père ; mais, comme il était fort et robuste, il prit dès lors part aux expéditions de ses oncles, tout en détestant leurs froides cruautés ; sa nature violente et emportée, mais noble et généreuse, ne lui permettant pas de se venger après la victoire et de torturer des femmes et des enfans. — Un soir — les Mauprat faisaient hurler l’orgie dans les vieilles salles du château. — On avait raillé Bernard sur sa vertu, on s’était moqué de sa continence. Bernard, échauffé par les bouffées du vin et de l’amour propre, se leva en chancelant, et se vanta d’être plus hardi et mieux venu qu’aucun de ses oncles auprès de la première femme qu’on amènerait à la Roche-Mauprat. — Le défi fut accepté, et l’on continua de boire. — Le son du cor se fit entendre, et l’un des frères Mauprat, qui avait été absent toute la journée, rentra dans le château, amenant une jeune femme d’une merveilleuse beauté. Il l’avait trouvé égarée à la chasse ; et, tout en lui offrant de la conduire au château de Rochemaure, il l’avait menée à sa tanière.
On avait juré de livrer à Bernard la première femme qui viendrait à la Roche-Mauprat : on le laissa seul avec la captive. Bernard, ivre de vin et de désirs, s’élança sur elle pour satisfaire sa brutale passion, mais elle le repoussa avec hauteur, — Cette lutte, entre l’homme altéré de plaisir et la jeune fille chaste et pure, se prolongea long-temps. — Et, pendant qu’il tenait la jeune dame haletant de crainte et de honte, le château retentissait de cris d’alarmes, et le bruit des coups de fusils se mêlait aux imprécations et aux juremens des Mauprat. — Enfin, séduit par sa captive, fasciné par son regard et son sourire, Bernard consentit à la sauver ; mais il ne voulut pas la laisser partir avant qu’elle ne lui eût juré d’être à lui avant d’être Ú qui que ce fût au monde. — Elle jura. — Alors, soulevant une trappe, il la fit descendre dans un souterrain, d’où ils gagnèrent la campagne.
La jeune dame qu’il venait de sauver était sa cousine Edmée de Mauprat, fille du chevalier Hubert, qui habitait à quelques lieues de la Roche-MAuprat, au château de Sainte-Sévère.
Les deux fugitifs trouvèrent un asile à la tour Gazeau, où ils furent reçus par le bonhomme Patience, le curé Aubert et le preneu’d’taupes don Marcasse. Il y avait quelques instans qu’ils y étaient, et ils se préparaient à partir lorsqu’ils entendirent la détonation d’une arme à feu. C’étaient les gendarmes qui poursuivaient l’un des Mauprat, et qui venaient de le tuer sur le seuil même de la tour Gazeau. Bientôt un autre des frères arriva aussi en fugilif, et se fit sauter la cervelle plutôt que de se rendre. — La maréchaussée avait assiégé la Roche-Mauprat, s’en était emparée, et tous ses habitans étaient ou tués ou en fuite. — L’un des gendarmes prétendait reconnaître Bernard pour un des Mauprat coupes-jarrets, car leur férocité leur avait mérité ce nom. Mais Edmée, encore pâle et mourante, eut la force de se soulever et de prier qu’on ne le traitât pas en prisonnier et qu’on le conduisît avec elle au château de son père, où elle donna sa parole d’honneur qu’on fournirait sur son compte des explications et des garanties suffisantes ; elle l’obtint facilement, et l’on partit pour se rendre au château de Sainte-Sévère.
Bernard fut reçu par son grand-oncle avec une tendresse toute paternelle. M. Hubert de Mauprat voulut le garder auprès de lui et le faire élever selon son rang. Bernard n’avait jamais brisé ses instincts naturels contre les lois et les convenances de la société, et son apprentissage du monde et de la vie le rendit triste et morose. Il ne se sentait pas capable de perdre son temps à étudier et à s’instruire ; élevé dans les idées féodales du XIIe siècle, il se trouvait trop bon gentilhomme pour devenir clerc.
Cependant son amour pour sa cousine Edmée grandissait de jour en jour, et le sentiment de la jalousie s’éveillait dans le cœur du pauvre Bernard toutes les fois qu’il voyait arriver au château M. de Lamarche, qu’Edmée devait épouser. De temps en temps, cédant à son impérieuse passion, il rappelait à sa cousine la promesse qu’elle lui avait faite d’être à lui avant d’être à qui que ce fut ; et, prêt à se laisser aller à son ancienne brutalité de coupe-jarret, il lui faisait craindre qu’il n’exigeât l’exécution immédiate de sa promesse.
Un jour que les légères railleries d’Edmée et de M. de Lamarche avaient aigri plus que de coutume le cœur déjà bien malade de Bernard, il alla se jeter sur l’herbe du parc ; c’était là son refuge dans ses agitations. Il roulait dans son esprit des projets de vengeance contre son rival lorsqu’une voix bien douce le fit tressaillir : c’était la voix d’Edmée, qui racontait ses douleurs, elle aussi, à l’abbé Aubert. — Il était nuit, et Bernard, caché dans l’herbe, put entendre leur conversation. — Edmée racontait au prêtre combien sa vie était pleine d’amertume. Liée par le plus saint des sermens, elle était exposée chaque jour à ce que Bernard vînt réclamer sa delle et, sur son refus, ne s’oubliât jusqu’à lui faire violence. Dans cette crainte, elle s’était armée d’un couteau, qui ne la quittait plus. Mais cette inquiétude pour son honneur planait sur sa vie, et jetait sur elle des angoisses incessantes. Du reste elle était décidée à tenir sa promesse envers son cousin en l’épousant, et en mourant après.
Bernard sentit tout l’odieux de son rôle, et il résolut de se soumettre.
Edmée l’avait prié de travailler et de s’instruire, et il avait toujours refusé ; il comprit alors qu’il devait se rendre digne de sa cousine ; et, changeant tout à coup de résolution, il se livra à l’étude avec une ardeur excessive.
Le changement d’air, de régime, d’habitudes, agit sur lui avec tant de force qu’il tomba bientôt dangereusement malade. Edmée le soigna avec une affection toute fraternelle, et le malade put bientôt reprendre ses études. Il avait modifié la rudesse de son caractère dans ses rapports avec Edmée ; mais, naturellement impérieux et hautain, il ne pouvait se dépouiller si vite de tous ses défauts, et la vanité que lui causaient ses succès et les complimens de ses maîtres le rendaient encore plus âpre et plus absolu dans les discussions qu’il soutenait avec son oncle. Edmée, pour mettre fin à des querelles qui se renouvelaient tous les jours et qui menaçaient de s’envenimer, décida son père à quitter Sainte-Sévère pour aller passer quelque temps à Paris.
C’était alors le beau temps de la philosophie. Voltaire recevait son apothéose à Paris ; Franklin, prophète d’une religion politique nouvelle apportait au sein même de la cour de France la semence de la liberté.
Bernard, comme toute la jeune noblesse de l’époque, se soumit à la mode du jour, et déclama à haute voix contre les patriciens et les privilégiés ; il prit goût à la simplicité républicaine, ne poudra plus ses cheveux, porta de gros souliers, un habit d’une coupe large et maussade et d’une sombre couleur, et singea, autant que possible, la mise et les manières du véné- rable Franklin. Tout en se laissant aller à ces innocentes folies, Bernard continuait d’aimer ardemment sa cousine. Mais Edmée lui tenait toujours la bride haute et le faisait passer par toutes les alternatives de la joie et du désespoir. Elle l’avait prié plusieurs fois de lui rendre la parole qu’elle lui avait autrefois donnée, mais Hi n’avait pas eu la force de renoncer à un droit qu’il croyait légitime, et dont il comptait se prévaloir.
La fierté d’Edmée s’indignait d’être à un homme par la force seule d’une promesse arrachée par la nécessité ; elle eut voulu que Bernard la laissât libre, et peut-être son cœur eût-il ratifié un contrat consenti par la violence et que l’amour eût légitimé.
Après quelques entretiens avec sa cousine, pendant lesquels Bernard ne put rien obtenir de favorable à son amour, il s’embarqua avec Lafayette, et partit pour défendre l’indépendance américaine. Là il retrouva un peu de calme, et écrivit à Edmée qu’elle était libre. Edmée répondit et envoya une bague au pauvre exilé. Dans les premiers temps de son séjour en Amérique, les fatigues de la guerre, la vie agitée des camps, l’existence aventureuse du soldat, donnèrent quelques distractions à Bernard. Mais bientôt le souvenir d’Edmée lui revint plus saisissant et plus tenace, et jour et nuit il fut obsédé de cette image. Aussi il vit la fin de la guerre avec une grande joie > et versa des larmes lorsque, en débarquant, il mit le pied sur les grèves de la Bretagne. - Bernard se rendit directement au château de Sainte-Sévère ; il trouva son oncle infirme et presque éteint. En le revoyant Edmée entoura sa tête de ses deux bras et la tint long-temps serrée contre sa poitrine. Le bon vieillard te serra aussi entre ses bras débpl es, et lui avoua que son plus grand désir, avant de s’endormir du sommeil éternel, était de le voir devenir répoux d’Edmée. Une telle confidence flattait trop les vieux secrets de Bernard pour qu’il ne s’empressât pas de l’accueillir. Mais Edmée demanda encore quelques mois d’épreuve, et telle était sa puissance sur son père et sur son amant qu’ils consentirent à attendre, malgré l’impatience si naturelle aux vieillards et aux amoureux ; et cependant, disait le chevalier Hubert à Bernard, rien ne m’ôtera de l’esprit qu’elle a de l’amour pour toi.
Les jours qui suivirent l’arrivée de Bernard s’écoulèrent dans une intimité délicieuse. Un des frères Mauprat, échappé au désastre de sa famille, était revenu dans le pays ; et, dans la crainte qu’il inspirait à Edmée et à son père, le vieillard et la jeune fille avaient toujours besoin de la présence de Bernard. Cette intimité fut dangereuse pour lui, et il sentit bientôt le volcan se rallumer dans son sein. Le sang impérieux des Mauprat parlait haut, et Edmée était bien lente à satisfaire une aussi ardente passion : il lui écrivit, mais elle ne répondit pas, et ses souffrances, irritées de ce dédaigneux silence, s’accrurent et devinrent intolérables. Néanmoins il souffrit patiemment, et se tut.
Les choses en étaient à ce point lorsque M. Hubert de Mauprat ordonna une
grande chasse ; il était passionné pour cet exercice, et voulait jouir de ce divertissement encore une fois avant de mourir. Edmée, qui avait aussi dans les veines du sang des Mauprat, lança son cheval au galop, et se mit à courre le cerf avec une intrépidité masculine. Bernard la suivit, et ils ne tardèrent pas à s’apercevoir qu’ils s’étaient égarés. Le jeune homme essaya d’attendrir sa maîtresse, mais elle le repoussa avec dédain, et lui ordonna de la laisser seule. À peine l’avait-il quittée qu’us coup de feu se fil entendre : Bernard tressaillit, et se retourna tout tremblant pour rejoindre Edmée. Il la trouva étendue par terre, raide et baignée dans son sang.
Patience était auprès d’elle, et cherchait à étancher le sang qui coulait de sa poitrine, frappée de deux balles. Aussitôt qu’il aperçut Bernard, il s’écria : « Eloignez ce misérable ; c’est le meurtrier ; elle l’a dit en rendant son âme sainte.» Edmée, mourante et en proie au délire, fut transportée chez son père, qui, de ce jour, tomba dans un état complet d’enfance el d’insensibilité, et ne se releva plus de son fauteil. Bernard fut arrêté par les cavaliers de la maréchaussée et conduit en prison.
Il n’y avait guère d’autres charges contre l’accusé que les paroles prononcées par Edmée lorsqu’elle avait été blessée ; mais ces paroles étaient accablantes : aussi l’affaire fut-elle instruite en très peu de jours, et Bernard comparut devant le tribunal. Il croyait que mademoiselle de Mauprat était morte, et il dédaigna de défendre une vie à laquelle il n’attachait plus de prix. Le malheureux fut condamné à la peine capitale. L’arrêt venait d’être rendu lorsque tout à coup parut Patience : il avait refusé de se faire entendre comme témoin, et il venait réclamer la révision du jugement, prétendant qu’on ne lui avait pas donné le temps de se présenter. Sa déposition était d’une si grande importance que le tribunal crut de son devoir d’accorder un sursis. — Au bout de quelque temps la révision du jugement fut ordonnée, et Bernard comparut une seconde fois devant les juges qui venaient de le condamner à mort. Edmée était assez bien rétablie pour pouvoir être entendue : elle déclara que, dans un moment de délire, elle avait pu dire que Bernard était son meurtrier, mais qu’elle ne l’avait jamais cru, sachant bien qu’il aurait donné sa vie pour elle et pour son père ; elle termina en disant : Tout ce qui vous semble inexplicable dans ma conduite, tout ce que vous attribuez aux torts de Bernard et à mes ressentimens, à ses menaces et à mes terreurs, se justifie par un seul mot : je l’aime. Le grand problème qui avait rendu Bernard si long-temps malheureux venait d’être résolu : il était aimé ! que lui importait le reste ?
Après la déposition d’Edmée, qui avait disposé favorablement l’auditoire, parut Patience : il déclara que l’assassin d’Edmée était un des frères Mauprat, qui était revenu depuis peu dans le pays, et Bernard fut acquitté.
Le véritable coupable avait tiré sur Edmée pour hériter de ses biens, espérant tuer son père et son amant du même coup : il fut condamné au supplice de la roue.
Le dénouement de celte longue histoire, pleine d’intérêt, de larmes et parfois de douce gailé, fut le mariage de Bernard avec sa cousine Edmée, et leurs vertus réhabilitèrent dans la Varenne la réputation des Mauprat.
Si vous colorez cette pâle esquisse avec les tons chauds et éclatans de George Sand, si vous animez et si vous faites mouvoir autour des héros tous les personnages secondaires d’une physionomie si vivement accentuée, alors vous pourrez comprendre peut-être toute la puissance de ce drame.
Mais pour cela, il vous faudra évoquer toutes ces ombres, le vieux Tristan-de-Mauprat, grand, maigre, osseux et louche, animal perfide et carnassier, qui tient le milieu entre le loup cervier et le renard ; M. de Lamarche, le jeune seigneur tout-à-fait à la mode de son époque, épris de philosophie nouvelle, grand voltairien, grand admirateur de Franklin, mêlant aux prétentions philosophiques Tes fadeurs et les petites délicatesses à la Dorât ; l’abbé Aubert, le curé janséniste, grand admirateur de Rousseau, qui de pente en pente en était venu à prendre pour eredo la profession de foi du vicaire savoyard ; le sorcier Patience, philosophe rustique, espèce de Diogène chrétien, représentant dignement le peuple dans cette histoire de gentilshommes ; enfin don Marcasse, bravoure froide et discrète, héroïsme muet, une de ses àmes timides et tendres qui se donnent tout entières à une autre, et, confondant leur vie avec celle des personnes aimées, se contentent d’en être l’écho, l’ombre et le reflet ; Marcasse, la création la plus originale et la plus intéressante peut-être de tout le livre. Toutes ces figures vigoureusement dessinées jettent une grande variété sur cette longue histoire, et font que l’intérêt se soutient toujours et s’accroît jusqu’au dénouement dans une progression constante.
On pourrait cependant adresser quelques critiques à l’auteur de Mauprat : l’existence féodale des Mauprat, quelques années seulement avant la révolution, nous paraît moralement impossible ; le caractère d’Edmée, quoique nuancé avec soin, n’est pas sans quelques obscurités, et il est quelquefois difficile de se rendre compte des motifs qui la font agir. À part ces quelques légers défauts, Mauprat est un ouvrage fort remarquable, moins admirable cependant que ces admirables livres que George Sand lançait sur la société comme des torches incendiaires, et qui jetaient une lueur sinistre sur nos plus vieilles institutions. Dans ce nouvel ouvrage au contraire, George Sand a compris que le principe de notre malheur ou de notre bonheur est en nous, et que les formes sociales n’ont qu’une influence accidentelle et bornée pour l’étouffer ou le faire éclore. Il y a donc progrès moral ; y a-t-il progrès littéraire ? Nous ne le pensons pas.
- Les écrivains modernes de la France [2]
- Critique littéraire dans la revue de paris [3]
- Œuvres diverses, par Jules Janin [4] -> critique dramatique... version pièce.
- Histoire de la littérature française illustrée, tome 2 [5] sous la direction de Joseph Bédier
On a pris coutume de répartir les romans de George Sand en quatre groupes : romans passionnels, romans socialistes, romans champêtres et romans romanesques. Nous adopterons ce mode de classement, qui ne va pas sans une part d'arbitraire, mais qui est commode. Dans la première catégorie se rangent Valentine ( 1832), Indiana (1832), Lélia (1833), Jacques (1834), Mauprat (1837), romans auxquels il n'est pas illégitime de rattacher le Secrétaire intime (1834) et les Lettres d'un voyageur (1834-1837). -- Sur la genèse de Jacques, voir Luigi Foscolo Benedetto, A propos d'un roman de G. Sand (Revue d'histoire littéraire de la France), 1911. Henri Carré a décelé quelques sources de Mauprat : Querelles entre gentilshommes campagnards, bourgeois et paysans du Poitou au XVIIIe siècle (Revue du XVIIIe siècle), 1914.
GEORGE SAND, tout imprégnée de la Nouvelle Héloïse, de Werther, de René, d’Obermann, semblait vouée au « genre intime », comme disaient les romantiques de 1830. Ses premières œuvres sont faites, pour une large part, de confessions, transposées, idéalisées, mais indéniables. À cette époque elle est froissée par la vie, déçue dans ses rêves et dans sa fierté, révoltée par ses mécomptes et ses rancunes, animée aussi par son « idéalité sensuelle », par ses passions inassouvies. Elle charge ses héroïnes, Valentine et Indiana, de protester contre les préjugés et même contre les lois. Indiana, la préface nous en avertit, est un type : « c'est la femme, l'être faible, chargée de représenter les passions comprimées, ou, si vous l'aimez mieux, supprimées par les lois ;... c'est l'amour heurtant son front aveugle à tous les obstacles de la civilisation. » N’appelle-t-elle pas aussi Lélia « l'action la plus hardie et la plus loyale » de sa vie ? Ce roman d'un lyrisme étrange, qu'est-ce autre chose que la confession d'une désenchantée, qui poursuivait, sans l'atteindre jamais, la plénitude de l'amour ? Dans son mysticisme, Sand croit que l'amour vient de Dieu, qu'il est des créatures d'exception, des âmes élues, marquées pour les grandes passions. Qu'on rende à ces passions naturelles la liberté ! Qu'on brise les entraves de la civilisation, les conventions hypocrites et tyranniques ! La sincérité d'un amour en purifie jusqu'aux égarements. « Nous nous tiendrons lieu l'un à l'autre d'innocence et de vertu, » dit une des héroïnes de George Sand.
Mais l'amour, qui fait tant de mal, peut être aussi une force bienfaisante. Mauprat glorifie « ce sentiment exclusif, éternel, avant, pendant et après le mariage ». Bernard, le sauvage, le brigand, est dompté et civilisé par la douceur de sa cousine Edmée ; il devient
un honnête homme, presque un héros.- 1968 : Revue d'histoire littéraire de la France [6]
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Au cinéma
modifier- Cinéma muet [7]