Discussion:Madeleine au miroir (Recueil)
À renommer ? ce n’est pas un recueil d'impressions comme le suggère la dédicace mais bien un roman Sapcal22 (d) 24 septembre 2019 à 14:10 (UTC)
Critique
modifier- La Semaine littéraire : revue hebdomadaire 28 décembre 1912 [1]
Un nouveau livre de Mme Marcelle Tinayre semble toujours un événement dans le monde. Je veux dire dans le monde des bonnes gens qui ne sont pas trop difficiles et ne coupent pas des cheveux en quatre, dans le monde, enfin, de tout le monde.
Mais pour le monde, très différent et presqu’opposé des « happy few », comme parle M. Rémy de Gourmont, pour les délicats, pour les dégoûtés, et pour M. de Gourmont lui-même, je ne crois pas que les livres de Mme Tinayre soient des événements notables. Ils sont tout au plus des prétextes à sourire, à prendre des airs et à faire les fins. Si les « happy few » condescendent à parler de Mme Tinayre, c’est un peu du ton dont ils parleraient de M. Edmond Rostand. Pauvre Mme Tinayre !
C’est qu’aussi la carrière littéraire de cette dame, toute brillante qu’elle paraît, n’a pas été sans causer des déceptions. Après la Maison du Péché, qui est le chef-d’œuvre de Mme Tinayre et qui n’est peut-être pas très loin d’être un chef-d’œuvre, nous avons eu la Rebelle où il y a de bonnes choses, puis l’Ombre de l’Amour qui n’est qu’un aimable petit livre, et enfin la Douceur de vivre. Et, après la Douceur de vivre on ne sait trop s’il faut dire : hélas ! ou : holà !
Dans le ciel littéraire, les uns sont des soleils fixes, les autres d’obéissantes planètes ; ceux-ci des comètes chevelues, ceux-là des étoiles filantes ; Mme Tinayre est une étoile qui pâlit. Est-ce une extinction ou n’est-ce qu’une éclipse ? Les astronomes seuls pourraient le dire. Malheureusement, en littérature, les astronomes s’appellent Critiques ; et ce ne sont que des astrologues.
Non, Mme Tinayre n’a pas tenu jusqu’ici les brillantes espérances que la Maison du Péché avait fait naître. Mais là n’est point la raison du dédain des « happy few ». Les « happy few » aiment assez, au contraire, qu’on ne soit l’homme, ou la femme, que d’un seul livre. Trop de fécondité les effraie. S’ils ne prennent pas impuissance pour délicatesse, ils savent que rare est presque synonyme d’exquis. Rien n’eût empêché Mme Tinayre de gagner leur estime avec un seul livre. Si elle ne l’a point fait, c’est que, même quand elle est le meilleure, même quand elle écrit la Maison du Péché, elle n’a point les qualités ni les défauts chers aux « happy few ».
J’ai cherché souvent la vraie cause de ce dédain. Je me suis demandé pourquoi, malgré son incontestable talent, il y avait quelque chose chez Mme Tinayre, qui empêchait de l’admettre dans le sanctuaire dès vrais dieux, ou même des chères déités. Cette raison, on la trouve abondamment aux pages de son nouveau livre, Madeleine au Miroir[1]. Car, bien plus que Fanny Manolé, bien plus que la Rebelle et que toutes les héroïnes de Mme Tinayre, cette Madeleine Mirande est Mme Marcelle Tinayre elle-même. Ou du moins, elle est l’idéal féminin de Mme Tinayre.
Madeleine est au miroir. Elle s’y mire, elle s’y reflète, elle s’y contemple ; elle se regarde vivre, sourire et pleurer, avec complaisance, comme si elle était seule, sans trop se douter que nous sommes debout derrière elle et que nous la voyons minauder dans la glace. El, quand elle quitte enfin le miroir, je crois que nous connaissons assez bien cette chère petite Mme Mirande, et, du même coup la grande et illustre Mme Tinayre.
Mme Mirande est une dame de la classe moyenne, d’âge moyen, et d’opinions moyennes. Elle n’a pas de préjugés, ou, du moins, elle n’a que ceux des gens qui font profession de n’en pas avoir.
Elle ne blâme pas l’amour libre, mais elle préfère le mariage. Elle a des amies très amoureuses qui n’ont pas de mari, mais elle-même n’a pas d’amant, ni n’en a voulu, ni n’en veut avoir. — Dont il n’y a qu’à la louer hautement.
Je ne crois pas que Mme Mirande soit religieuse ; du moins ne va-t-elle pas à confesse ; elle n’est pas un esprit fort, mais elle est un libre esprit. Elle ne mange pas du curé et elle sent, au soir tombant, la poésie des vieilles églises. Elle croit que les morts ne vivent plus que dans le souvenir des vivants. « Impondérables comme le souffle, fictifs comme la silhouette obscure des objets opposés à la lumière, ils ne sont peut-être que la projection de nos souvenirs. Créés par notre désir, gardés par notre piété, ils subsistent dans notre mémoire et ne meurent définitivement qu’avec la dernière pensée de leur dernier ami. » — Et cela est d’une métaphysique peu obscure et, très acceptable.
Mme Mirande aime la toilette. Elle trouve qu’il faut faire tout ce qu’on peut pour paraître à son avantage, sans maquillage hypocrite, sans teinture audacieuse, naturellement ! Elle aime la mode, mais assagie, adaptée à sa personne et à sa personnalité ; et elle se moque fort de sa cousine Colette qui s’habille en sultane aux bals du sous-préfet. — Et cela est d’un goût excellent.
Mme Mirande aime sa maison, son « intérieur », sa vie dé famille. Mais elle ne déteste pas les voyages. Elle goûte « la petite angoisse du départ. On est détaché, on est libre, c’est un merveilleux rajeunissement ». Certes, elle est loin de la folle Annie de Mlle Colette Willy ; et son « Partir ! » n’est qu’un très faible écho du célèbre « Partir ! » de M. de Phocas. Mme Mirande n’est ni casanière ni aventurière. — Et cela est tout à fait ce qu’on devrait être.
Mme Mirande est bonne. Elle s’indigne qu’on ne paie pas rubis sur l’ongle les pauvres petites couturières. Elle s’attendrit sur le sort des centaines de jeunes femmes courageuses et instruites qui battent vainement le pavé de Paris en quête d’un travail qui leur assure le nécessaire. Elle est bonne ; mais elle n’est pas bonasse, car elle est moqueuse à ses heures. Elle se moque, comme je vous l’ai dit, des turbans de sa cousine, des extravagances de la peinture moderne, et d’un pauvre monsieur entre deux âges qui lui fait une déclaration. — Et cela est parfaitement sensé et raisonnable.
Mme Mirande n’est pas snob. Elle ne donne pas dans le goût munichois, dans le goût russe, dans le goût persan. Elle n’est point entichée du Spectre de la rose et des canapés Louis-Philippe. Non, elle n’est pas snob. Et si elle aime les meubles anciens, et les collectionne, ce n’est pas par engouement adopté, c’est par penchant naturel. C’est une vraie connaisseuse. Et rien ne lui fait plus de plaisir que de s’entendre dire par un marchand de bric-à-brac (qui n’a sans doute aucun intérêt à la flatter) : « Vous vous y connaissez, ma petite mère ! » — Et cela est tout ce qu’il y a de plus légitime.
Mme Mirande aime la lecture. Elle lit les vieux auteurs : Mme de La Fayette « dont le langage si juste et si nuancé augmente son horreur pour le galimatias lyrique et le style à colifichets » ; Mme de Sévigné « qui lui conte les potins de Versailles » ; M. de La Bruyère qui lui révèle « les vertus d’une belle âme triste et clairvoyante » ; M. de La Rochefoucauld qui lui fait un peu peur en essayant de lui ôter « quelques illusions qu’elle conserve sur la bonté humaine ». Elle se plaît même à la compagnie des Messieurs de Port-Royal, et particulièrement de M. Fontaine « qui a laissé des mémoires un peu confus et aimables par leur candeur ». En même temps, Mme Mirande ne dédaigne pas de feuilleter les magazines dont les gravures et les photographies l’amusent. — Et à cela non plus il n’y a rien à redire.
Mme Mirande, qui est veuve, a décidé qu’elle ne se remarierait jamais, que l’amour ne serait plus rien pour elle, que ses enfants et ses amis suffiraient à son cœur. Oui, mais elle fait la connaissance de M. Jean-Jacques Gilbert qui a un esprit charmant et de jolis yeux, un excellent cœur et une aimable vieille maison à Auteuil. Alors, n’est-ce pas, ce serait folie de résister trop longtemps ; et Mme Mirande se résout à devenir Mme Gilbert. — Eh, mon Dieu, elle a grand’raison !
D’ailleurs, elle a toujours raison. Avouons donc qu’elle est parfaite. Oui, Mme Mirande est parfaite, et parfaitement sûre qu’elle l’est, et parfaitement contente d’en être sûre. Et cela fait que Mme Mirande est la bourgeoise idéale ; pas aristocratique pour une obole, pas « peuple » non plus pour un sou, et pas même, malgré bien des apparences, pas même artiste pour un liard ; ni grande bourgeoise, ni petite bourgeoise, mais bourgeoise tout simplement, autant qu’on peut l’être et jusqu’au bout des ongles.
Comprenez-vous maintenant pourquoi Mme Mirande ne plaira jamais aux « happy few » ?
Elle me fait songer à l’Henriette des Femmes Savantes ; et je fais cette comparaison avec d’autant plus de plaisir qu’elle serait, je pense, du goût de Mme Mirande elle-même. Mais les « happy few » ont une tendance perverse à préférer les Philamintes aux Chrysales et même les Bélises — oui, les Bélises avec leurs chimères ! — aux Henriettes.
Or Mme Madeleine Mirande c’est, bien probablement, Mme Marcelle Tinayre, sans le talent de Mme Tinayre. Et, quand je vous ai fait, d’après les images de son miroir, le portrait de Mme Mirande, ce n’est point le talent de Mme Tinayre que j’ai voulu vous montrer, c’est seulement sa tournure d’esprit. Le talent, n’est-ce pas, c’est la force qui nous permet de manifester notre tournure d’esprit dans des oeuvres d’art. Avec la tournure d’esprit de Mme Mirande aidée du talent de Mme Tinayre, on écrit la Maison du Péché ; et il n’y a aucune raison pour qu’on n’écrive pas encore d’excellents romans du même ordre. C’est que le roman, comme la comédie moyenne, est un genre qui demande surtout des qualités d’observation, de jugement, de bon sens, des qualités bourgeoises par excellence. C’est pourquoi les « happy few » regardent souvent le roman avec défiance et ne s’y plaisent que si, manié par des mains particulièrement délicates ou puissantes, il devient autre chose, ou plus, que le roman. Mme Marcelle Tinayre n’a point ces mains-là. Elle n’écrira jamais ni le Lys rouge, ni le Jardin de Bérénice ni la Double Maîtresse.
Il reste que Mme Tinayre est admirablement douée pour le roman moyen et bourgeois. Mais elle l’est infiniment peu pour la chronique. L’état d’esprit de Madeleine Mirande est tout l’opposé de l’état d’esprit d’un bon chroniqueur. Un chroniqueur raisonnable et bourgeois est un régal insipide. Nous le voulons brillant, — dût-il être clinquant, — fantaisiste, — dût-il être absurde, — élégant, — dût-il être dandy — et spirituel, — dût-il être cynique. Mme Tinayre n’est rien moins que tout cela. Et sa Madeleine au Miroir, qui a bien l’air d’être un petit recueil de chroniques, en dévoilant à merveille la nature de son esprit, marque à merveille aussi les limites de son talent. Lisez la plus insignifiante des charmantes chroniques de Mme Gérard d’Houville, et vous comprendrez ce qui manque à la meilleure chronique de Mme Marcelle Tinayre.
F. ROGER-CORNAZ.
- Le Grand écho du Nord de la France 8 avril 1913 [2]
MARDI 8 AVRIL 1913
NUMERO 98 -- 95° ANNEE
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LA MORT
ET LA VIE
Maurice Maeterlinck. LA MORT (Fasquelle, éd.). — Marcelle Tinayre. MADELEINE AU MIROIR (Calmann-Lévy, éd.).
M. Maeterlinck a toujours été hanté par les forces mystérieuses et les grandes épouvantes qui environnent la vie.
Il est né dans la Flandre mystique, mais il a perdu la foi positive de ses ancêtres. Quand il a été mûr pour la réflexion, rien ne s’est plus interposé entre lui et l’immense et formidable énigme de la destinée. Or, il appartient à un groupe humain chez qui la sensation est forte et dominatrice, chez qui l’angoisse intellectuelle tend à se traduire en souffrance physique. C’est ce qui arrive dans les
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Il est extrêmement piquant de lire, à côté de ces pages toutes baignées de brume, d’imprécis et d’indécis, les jolies notes vives que Mme Marcelle Tinayre a dictées à son amie Madeleine. Mme Tinayre est une Française du XVIIIe siècle, d’esprit lucide, vif et dégagé. Le romantisme, je crois bien, ne lui a apporté que des images. Et si vous m’objectez l’émotion amoureuse que dégagent ses romans, je vous répondrai qu’il s’agit là d’aventures et de sentiments qui sont bien plus anciens que Jean-Jacques et George Sand. Ils remontent au Paradis Terrestre, où cela a fort mal tourné.
Je ne dirai pas que Mme Tinayre est « athée avec délices », comme on l’a dit d’André Chénier. Mais, elle est païenne avec sérénité.
Avec sérénité. Et je n’en veux pour preuve que l’accueil fort aimable qu’elle fait à la mélodie des cloches et aux traditions de Noël. Cela signifie un détachement complet. Ceux qui ont la nostalgie des dieux ne roulent point leur cadavre dans un linceul de pourpre, ils les injurient. Un blasphémateur est encore un peu un croyant. Louise Ackermann ne peut rester de sang-froid devant les symboles qui, pour elle, ont perdu leur sens.
Sans doute, l’évanouissement des vieux espoirs rend plus poignante, pour Madeleine, sa songerie du jour des morts. Mais, c’est une ombre légère qui passe. Quelles que soient les nuées que le vent amène sur l’humanité, elle sait que la mission de la femme est de transmettre, de continuer, d’encourager la vie, quelque sens qu’on puisse lui donner. Elle goûte les heures rapides et changeantes, les harmonies de l’automne, surtout les fleurs. Elle cueille des bouquets de charmantes impressions.
et laisse s’égoutter l’ombre bleue au long des tiges, au revers des feuilles, au ras des murs, sur les espaliers. Et tout ce qui n’est pas humide et bleu apparaît couleur d’aube et de rosée. Ce jardin de septembre… est innocent, limpide et joyeux comme une goutte d’eau dans la lumière. Au delà des tilleuls, la route oblique et la vallée plongent en un brouillard d’azur et d’argent, et les collines qui sortent de ce brouillard semblent crayonnées au pastel sur une très légère gaze grise. Toutes les choses sont étrangement lointaines, inconsistantes, et le matin vaporeux met sur elles cette fleur de poudre des beaux fruits, qu’on n’a pas touchés. La nature redevient à
originale…Tout le livre est tissé d’une étoffe claire, une étoffe d’été, qui est égayée d’un semis de fleurs, et qui laisse passer la clarté du soleil.
Madeleine aime les vieux jardins d’allure légendaire, les vieux logis aux meubles surannés. Elle cause avec les fantômes qui les hantent. Mais ce sont des fantômes gracieux et légers, et qui ne viennent de l’autre monde que pour sourire. Les aïeules que peignirent Latour et Chardin la reconnaissent et la comprennent parfaitement.
Elles l’entendent d’autant mieux que Madeleine a beaucoup de bons sens, et, discrètement, donne d’excellentes leçons aux pédantes, aux snobinettes, aux mauvais caractères, et à ces suffragettes enragées qui veulent mettre en pièces des premiers ministres et, ce qui est moins pardonnable encore, des orchidées.
Quelle agréable diversité dans les âmes ! Il y a des livres pour les jours de pluie, et d’autres pour les jours de beau terres. Il en est pour approfondir et interpréter nos tristesses, et il en est pour commenter nos joies.
HENRI POTEZ.
- Revue des romans
Madeleine au miroir, journal d’une femme, est beaucoup plus acceptable : il est élégant, mais sa valeur éducative est fort mince, il ne convient pas aux jeunes filles. La Veillée des armes est moins un roman qu’une évocation toute païenne de la mobilisation.
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