Discussion:Le Pressoir (Sand)
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orthographe - vocabulaire
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- rhythme
Critiques, résumés…
modifier- 15/09/1863 Le Nouvelliste : quotidien politique, littéraire,
THÉÂTRE DU GYMNASE-DRAMATIQUE
Le Pressoir, comédie en trois actes, de George Sand.
J’inscris, après le titre de la pièce, le nom de George Sand tout court, car Bressant, en venant proclamer le nom de l’auteur, n’a dit ni monsieur ni madame, il a dit tout simplement : « La pièce que nous venons d’avoir l’honneur de représenter devant vous est de George Sand ». L’usage est consacré, et il en est ainsi toutes les fois que Mme Sand donne au théâtre un nouvel ouvrage.
C’est là du reste un détail sans importance, mais ce qui importe beaucoup, — pour le public et pour le Gymnase, — c’est que la pièce soit bonne, et j’ai à cœur de dire tout d’abord qu’elle a obtenu le succès le plus éclatant et le mieux mérité.
Le Pressoir est en effet une œuvre ravissante, délicieuse, aussi touchante qu’originale, et qui, pendant trois heures, a tenu la salle entière sous un charme tout nouveau. La pièce appartient au genre que l’auteur de François le Champi a créé au théâtre ; c’est, si l’on veut, une pastorale dramatique, une paysannerie, une idylle dialoguée, tout ce qu’on voudra, — mais ce qu’il est juste de dire, c’est que Mme Sand a introduit sur la scène des mœurs et des physionomies inédites et c’est là sa gloire ; elle nous a initiés à la vie rustique, elle nous a montré dans les paysans des cœurs élevés et de hauts caractères, et l’on sent que ses portraits sont vrais et qu’elle les a peints d’après nature.
Sans doute George Sand a fait un choix sévère dans les types qui se sont présentés à son observation, et elle ne nous a donné que des figures d’élite. Ainsi, dans le Pressoir, tous les personnages sont honnêtes, intelligens, pleins de cœur, de droiture, de bon sens et parlent en conséquence. Il serait peut-être difficile de trouver sur le même point et dans trois familles de paysans une collection de figures aussi intéressantes que celles qu’elle a réunie dans sa pièce nouvelle ; c’est là le côté idéal de son œuvre, et certes il ne faut pas s’en plaindre : trop d’auteurs nous présentent des figures ignobles, grossières et d’une repoussante laideur; il est bon de reposer un peu ses regards sur des tableaux gracieux où respire le sentiment du bien ; il est doux de pleurer ou de sourire à ces douleurs ou à ces joies qu’éprouvent des cœurs honnêtes. Mais à part ce côté romanesque, on remarque dans les drames et les comédies de Mme Sand un merveilleux respect de la vérité ; si quant au fond l’imagination du spectateur doit faire quelques pas en avant, il n’en est pas ainsi des détails où tout est vrai, où le réel est poussé jusqu’au scrupule avec un art admirable.
Mais le temps nous manque pour développer ces observations sur l’école de George Sand, et nous avons hâte de raconter à nos lecteurs la pièce nouvelle. Il est bon de leur faire connaître les personnages.
Voici d’abord maître Bienvenu, menuisier. C’est un excellent homme, la probité en chair et en os, cœur généreux, capable de tous les dévoûmens, adorant son fils, le jeune Pierre, aimant comme si elle était sa fille la jolie Reine, sa filleule, une orpheline ; il est plein de franchise, et il n’a qu’un défaut, bien petit, il est vrai, et qui ne blesse personne ; il se croit un homme peu ordinaire, et il parle de lui-même avec une naïveté qui fait sourire ses voisins.
À côté de maître Bienvenu, apparaît son voisin, le charpentier Valentin, brave homme, excellent aussi, un peu hargneux et fort plaisant dans ses querelles journalières avec son ami le menuisier. Pierre Bienvenu est un jeune homme modèle pour l’honnêteté. Il aimé Reine l’orpheline, la filleule de son père, de l’amour le plus chaste, le plus pur, le plus ardent. Il a pour rival Valentin fils, caractère vraiment antique, intelligent, spirituel, bon, dévoué, capable en amitié des plus grands sacrifices, un vrai Pythias.
Enfin, pour compléter cette galerie de figures, voici la jeune Reine, la loyauté même, aimable jeune fille qui, en amour, est héroïque et d’une fermeté romaine ; puis, nous voyons un couple joyeux, Noël Plantier, lovelace de village, bon compagnon, très éveillé, mais un vrai M. Pinchon pour la docilité devant sa fiancée, Mlle Suzanne Bienvenu, piquante paysanne qui a tout l’esprit d’une soubrette de Marivaux.
C’est en effet au dix-huitième siècle, — en 1777 - que se passe l’action, dans un village de la Bourgogne, je pense. Tous les braves paysans sont là, menuisier, charpentier, vignerons, ouvriers, domestiques. Pierre aime Reine, la jolie filleule de son père, il l’aime comme il sait aimer, avec un cœur obstiné et jaloux. La jeune fille a au cœur un autre amour. Élevée avec Pierre, elle a pour lui l’affection d’une sœur, et celui qu’elle aime, c’est Valentin, le fils du charpentier.
Cependant on est au temps des vendanges et il s’agit pour le papa Bienvenu d’inaugurer son pressoir. Mais le pressoir a cassé, et il y a là une scène plaisante, une querelle entre le menuisier et le charpentier ; au surplus le mal n’est pas grand, et le papa Valentin n’est pas aussi méchant qu’il en a l’air. Il est d’humeur assez revêche et pourtant il sera le premier, avec l’aide de son fils et de tous les braves gens de l’endroit, pour mettre le pressoir sur pied.
C’est alors que ce roman pastoral commence à se dérouler en péripéties intimes. Tout le monde s’étonne que Reine ne puisse accepter pour mari le fils de son parrain. Elle en aime un autre, dit-on. Serait-ce Noël Plantier ? Peut-être. Noël fait la cour à Reine ; mais Suzanne n’est pas jalouse, Noël est un garçon docile, elle est sûr de lui, et elle lui permet de jouer cette comédie, afin de savoir le secret de Reine.
Valentin a deviné la passion de Reine, mais en ami généreux il ne veut mettre aucun obstacle au bonheur de Pierre. C’est alors entre les trois jeunes gens une lutte de dévoûment et de sacrifices. Reine a dit à Pierre : Je vous aime, mais comme un frère. Et Pierre veut partir. De son côté, Valentin veut quitter le pays pour montrer combien il est loyal, et il veut accompagner Pierre. Enfin, Reine, qu’on met à la torture pour lui arracher son secret, et qui s’obstine à se taire, veut fuir elle-même.
L’inauguration du pressoir ouvre le troisième acte. Les jeunes gens sont dans leurs habits de fêtes et parés de rubans. Ils chantent une ronde, tandis que le vin coule dans le cuvier. Rien ne manque à la fête, pas même la présence de M. le bailly.
Il y a ici une scène exquise de sentiment et de délicatesse : ce sont les explications de Reine avec Pierre. Le pauvre jeune homme parait se résigner ; mais quand il apprend que Reine aime Valentin, son meilleur ami, il entre dans un accès de jalousie furieuse, il va droit à Valentin, il lui adresse les reproches les plus sanglans, il saisit une hache et la lève contre lui ; mais Valentin, par le seul ascendant de sa probité, le désarme : « Je vous le commande, lui dit-il ! » Et Pierre laisse tomber sa hache. C’est alors que Valentin lui reproche à son tour sa conduite, et jamais l’amitié n’a trouvé un langage plus éloquent. Bressant a été admirable dans cette scène qui a provoqué des applaudissemens frénétiques. Pierre est vaincu, il se jette dans les bras de son ami.
On sait maintenant que Reine aime Valentin, mais Pierre veut quitter le village. Non ! il faut que ce cœur honnête pousse jusqu’au bout son sacrifice : il restera !
Tel est le fond de l’œuvre nouvelle de Mme Sand, mais il s’en faut que cette rapide analyse puisse en donner une juste idée. Le Pressoir offre des scènes touchantes et parfois comiques ; mais c’est surtout par la grace et la fraîcheur des détails, par le ton simple et vrai du dialogue que cette comédie est remarquable. C’est une œuvre, en un mot, digne de son illustre auteur.
La pièce est supérieurement jouée par Bressant, Geoffroy, Lesueur, Lafontaine, Dupuis, Mlle Laurentine et Mme Chéri-Lesueur, et nous aurons sans doute occasion de revenir sur la brillante interprétation de cet ouvrage, qui va pendant trois mois attirer la foule au Gymnase.
DARTHENAY.