Discussion:Le Démon du foyer
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Critiques
modifier- 3/9/1852 Le Nouvelliste : quotidien politique, littéraire,industriel [1]
THÉÂTRE DU GYMNASE.
Le Démon du foyer ; comédie en deux actes, de Mme George Sand.
Ce démon, c’est un ange, du moins pour la figure, sinon pour le caractère, une ravissante jeune fille, Mlle Flora, qui abuse de ses dix-sept printemps, qui est méchante et jalouse autant qu’elle est jolie, et cela n’est pas peu dire.
Mlle Flora a deux sœurs, Camille et Nina, trois jeunes filles que le maestro Tanturelli, directeur du théâtre de la Scala à Milan, a adoptée à la mort de leur mère.
Ces trois sœurs sont d’un caractère tout différent. Nina est une bonne fille, bien simple, remplie de modestie, qui borne son ambition à bien tenir la maison du maestro. Camille, au contraire, est une artiste de premier ordre, une cantatrice éminente qui joint les qualités du cœur au talent le plus élevé et le plus brillant.
Quant à Flora, la cadette, c’est la jalousie en personne, c’est le caprice, c’est l’assemblage de tous les petits défauts féminins.
Une chose qui irrite cette petite fille, c’est le succès de sa sœur Camille, qui a été applaudie avec enthousiasme. Camille a surtout produit beaucoup d’effet sur certain marquis qui, caché au fond d’une loge, n’a pu voir la cantatrice, mais a eu le bonheur de l’entendre.
Or, le hasard amène Flora près du marquis, et il la prend pour Camille. Il est d’abord séduit par ce charmant visage, et surtout par ses vives saillies ; mais il reconnaît bientôt son erreur, et aussitôt que Camille paraît, il adore cette jeune et belle artiste, pleine de noblesse et de dignité.
La jalouse Flora en a tant de chagrin, qu’elle écoute un prince qui lui promet un engagement au théâtre de Gênes. Camille et sa sœur, la bonne Nina, veulent arracher leur chère Flora à cette passion, et c’est le marquis lui-même qui s’en charge ; il prouve ainsi son dévoûment à l’adorable Camille.
Au second acte, on est à Gênes, à A berge-réale. Le prince, qui vient de voyager pendant vingt-quatre heures avec la jolie Flora, descend à l’hôtel. Or, le marquis, pour plaire à Camille, veut disputer Flora au prince les armes à la,main. Camille, Nina et le maestro viennent pour chercher Flora. Tant de devoûment touche Flora mais elle est jalouse de l’amour du marquis pour Camille, et si elle consent à retourner à Milan, c’est à une condition : sa sœur n’épousera jamais le marquis.
C’est là une de ces conditions qui peuvent être acceptées, mais qui ne sont jamais tenues. Le marquis, pâle, tout ému, demande la main de Camille au maestro qui est enchanté d’un pareil honneur, ainsi que l’excellente Nina, et Flora, l’enfant gâté, bonne jeune fille au fond, est heureuse du bonheur de sa sœur, et elle se résigne à vivre tranquillement auprès d’elle.
Voilà en substance le sujet de la comédie nouvelle de Mme G. Sand, -- mais ce qu’il est impossible d’indiquer dans une si rapide analyse, ce sont tous ces détails ravissans, ces observations fines, ce charme de style, en un mot toutes ces adorables qualités qui ne font jamais défaut à l’illustre auteur de cet ouvrage. Le Démon du foyer est une des plus délicieuses comédies qu’on ait faites depuis fort longtemps, et si, avec une pareille œuvre, le Gymnase n’obtenait pas un succès durable, il faudrait désespérer du goût public, car le Démon du foyer est un chef-d’œuvre d’esprit et de delicatesse.
La pièce est supérieurement interprétée. Mme Rose Chéri est tout simplement adorable dans le rôle de Camille ; c’est une prima donna qui ferait fureur aux États-Unis, une rivale de Jenny Lind. M. Geoffroy a été très comique dans le rôle du maestro, et Mlle Luther fort piquante dans celui de Flora. M. Dupuis, dans le personnage du prince, a été excellent. M. Lafontaine et Mme Chéri-Lesueur méritent aussi des éloges.
Voilà donc pour le Gymnase, pour Mme Sand et Mme Rose Chéri, un succès sincère, brillant, qui sera durable. Le Démon du foyer va pendant trois mois remplir la salle.
A. Roch
- 8/9/1854 : L'Éventail : écho des coulisses : journal des théâtres
THÉÂTRE-DES-VARIÉTÉS.
première représentation :
LE DÉMON DU FOYER,
Comédie en deux actes, de Georges Sand.
Reprise de
LA MANSARDE DES ARTISTES,
Pemier début de Mlla Elisa Beauchamps. - Troisième
Notre chronique théâtrale est féconde aujourd’hui. Une nouveauté, une reprise et deux débuts ! Ce serait assez, si nous n’étions ennemi de toute prolixité, pour remplir tout notre journal, sans compter même le menu fretin de la semaine. Mais nous avons l’habitude d’être bref et nous ne voulons pas y déroger aujourd’hui.
Bien qu’elle soit arrivée la dernière nous commencerons par parler de la jolie comédie de Georges Sand, jouée mercredi. Il fait si bon d’avoir à louer en toute franchise, et sans arrière pensée, d’avoir à rendre compte d’une de ces comédies écrites avec le cœur et qui sont tout simplement de petits chefs-d’œuvre ! le Démon du Foyer n’est rien moins que cela. Idée simple, intrigue nulle si l’on veut, ce n’en est pas moins un tableau de mœurs, plein de grâce et de fraîcheur et qui repose des déclamations du gros mélodrame et des lazzis, un peu trop crûs quelquefois, des vaudevilles à la mode.
Ainsi que nons l’avons dit, le sujet est des moins compliqués. — Un Maëstro a élevé trois jeunes filles, Mina, l’aînée, a pris soin du ménage, c’est un cœur excellent, une nature exceptionnelle. -- La cadette, Camille, est devenue une cantatrice distinguée, une des gloires du théâtre de Milan, -- et la plus jeune, Flora, -- le démon du foyer -- est un peu coquette — un peu jalouse, — très envieuse, aussi fait-elle le tourment de l’excellente famille. C’est pour ne plus assister aux triomphes de sa sœur Camille, qu’elle se laisse enlever par un prince soi-disant ami des artistes, et qui lui fait obtenir un engagement pour Naples. — La famille désolée poursuit la fugitive qui reconnaît ses fautes et promet de se corriger.
On le voit, le sujet est des plus simples et cependant il y a là dedans des scènes très touchantes, des caractères largement tracés qui ont toujours rendu l’auditoire attentif. Le succès a été complet.
La comédie de Mme Georges Sand a été très heureusement distribuée. L’héroïne de l’ouvrage, le démon du foyer, ne pourrait trouver une interprête, plus jolie, plus mutins, plus intelligente que Mlle Rosine Bellecour. À ses côtés, Mlles Talini et Anaïs ont donné une couleur très vraie à leur personnage. —- Le rôle du Maëstro était confié à M. Delmas qui l’a joué en comédien de race, -- sa tête caractéristique est du plus bel effet. M. Vernay, sous les traits du prince protecteur des artistes, a un sans façon de fort bonne compagnie et M. Monrose a joué avec une distinction parfaite et une tenue irréprochable le rôle du marquis, rôle que nous avons oublié de mentionner dans notre trop rapide analyse. - Il a surtout dit avec un talent supérieur une magnifique scène du deuxième acte qui lui a valu les applaudissements de la salle entière. En somme donc, le Démon du Foyer peut être ajouté à cette belle série de bonnes comédies que M. Juclier nous offre depuis quelques temps.
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Henri Lacroix