Discussion:La Vie amoureuse de François Barbazanges
Éditions
modifierTitre et éditions | ||||
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1903 : | La Vie amoureuse de François Barbazanges | Roman | Gallica | La Revue de Paris, édition pré-originale, décembre 1903 |
1903 : | La Vie amoureuse de François Barbazanges | Calmann-Lévy, éditeur |
- mars 1904 : 11e édition
Critiques
modifier- Revue bleue -- La vie littéraire -- [1]
- Figaro : journal non politique 3 mars 1904
VIENT DE PARAITRE
Chez les Éditeurs Calmann Lévy : la Vie amoureuse de François Barbazanges. Ce nouveau roman de Marcelle Tmayre, l’auteur aujourd’hui illustre de la Maison du Péché, a déjà obtenu, un succès considérable dans la Revue de Paris. C’est un éblouissement pour le lecteur que ce beau livre à la fois charmant et cruel, mélancolique et de joyeuse humeur qui raconte les tristes amours de François Barbazanges, « beau comme le jour ».
- évoqué comme lecture dans l'évocation d'un drame [2]
- 24 mars 1904 : Marcel Ballot
LA VIE LITTÉRAIRE
Les Livres
LA VIE AMOUREUSE DE FRANÇOIS BARBAZANGES, par Mme Marcelle Tinayre.
La Vie amoureuse de Francois Barbazanges est un roman délicieux et n’est qu’un délicieux roman ; n’y cherchez pas les grands chocs d’idées et de passions, les heurts de morales adverses, de contraires hérédités, les lointains échos d’un autre âge en des consciences d’aujourd’hui par quoi la Maison du péché, ajoutant à l’attrait d’un style incomparable on ne sait quelle puissance de symbole, fit mieux naguère que de nous charmer et hante encore notre souvenir. Mais puisqu’après une très belle chose il a plu à Mme Marcelle Tinayre d’écrire une très jolie chose et de nous montrer une fois de plus la souplesse de son talent, ne gâtons pas notre plaisir et admirons sans réticences une si rare virtuosité.
D’ailleurs, à regarder de près ce romanesque François Barbazanges. on retrouve chez lui quelques traits du mystique Augustin de Chantepie, et Margot la Chabrette, son humble adoratrice à la face camuse, aux yeux dorés de petite faunesse, offre aussi une vague ressemblance avec cette ardente Fanny Manolé, la tendre bacchante moderne, dont les cheveux indociles bouclaient en lourdes grappes et en pampres légers ; c’est presque le même visage apparu deux cents ans plus tôt, reflété dans le ruisseau noir d’une vieille cité limousine ; et, si François avait vécu assez longtemps pour prendre femme et se fixer aux environs de Port-Royal, si la Chabrette, affinée par la douleur, avait fait à son tour souche de grandes amoureuses, peut-être compteraient-ils parmi leur descendance le pauvre couple torturé qu’abrita l’an dernier la Maison du Péché.
En effet, François Barbazanges, fils d’un digne conseiller au présidial de Tulle, vit le jour, nous dit-on, sous le règne de Louis XIV, circonstance dont certaines gens semblent vouloir lui faire un crime. Et, comme cette chicane qu’on lui cherche vise tous nos meilleurs romans rétrospectifs, du Bon plaisir à la Rôtisserie de la reine Pédauque et de Saint Cendre à l’Enfant d’Austerlitz, j’essayerai de dire en passant combien je la trouve injustifiée. À en croire tels et tels critiques, le roman ne doit avoir cure que des mœurs contemporaines ; son rôle se borne à noter nos façons actuelles de penser et d’agir, à peindre, non le passé qui est la mort, mais le présent qui est la vie. Autrement, il empiète sur le terrain de l’histoire et ses fictions nous laissent froids là où, grâce aux correspondances, aux archives, aux mémoires du temps, nous possédons la vérité.
D’abord, j’admire cette foi robuste en la vérité historique. De l’aveu même des spécialistes, les documents officiels et les mémoires particuliers ne tendent qu’à la travestir si bien que, sauf dans l’exposé des faits matériels et brutaux, l’histoire, si consciencieuse qu’elle soit, arrive seulement à nous donner une couleur approximative, une hypothétique vraisemblance, en plus des probabilités, et par suite devient une manière de roman. D’autre part, et en admettant qu’elles contiennent encore quelques parcelles de vérité, les sources où puise l’historien ne sont-elles pas également à la portée du romancier ? Ne lui présenteront-elles pas une image du passé moins trouble, moins fragmentaire que les vagues apparences perçues au hasard de la vie courante ? N’aura-t-il pas pour en juger, plus de recul, plus d’horizon, et de ce qu’il n’a pas coudoyé ses modèles, sera-t-on fondé à conclure qu’ils ne lui sont pas familiers ? N’a-t-il pas de commun avec eux tout ce qu’il y a en lui d’éternellementhumain? N’est-ce pas lui-même qui s’objective dans les êtres réels, fictifs ou disparus qu’animera sa fantaisie ? Et, qu’elle observe, invente ou évoque, l’imagination d’un artiste n’est-elle pas toujours pareillement créatrice ? Un François Barbazanges et une Hyacinthe de Combareilh sont donc aussi vivants pour lui que ce monsieur qui passe, comme dit Fantasio, ou que l’amie dont chaque jour il écoute battre le cœur ; il a d’eux tous une vision aussi précise et aussi directe. Enfin, resterait à délimiter où finit le présent, où commence le passé. Les romanciers « dans le train », les psychologues « dernier bateau » ne retardent-ils pas eux-mêmes d’une année d’un mois ou d’une heure ? L’humanité qu’ils nous décrivent n’est-elle pas déjà celle d’hier et jamais celle d’aujourd’hui ; alors pourquoi cet étrange culte de la veille et cet absurde dédain de l’avant-veille ? Au moment où il furent écrits, la plupart des romans de Balzac remontaient de vingt ans en arrière ; à ce titre, les classerez-vous au nom des œuvres mort-nées ?
Mais c’est trop m’écarter de l’aimable François et des deux tragiques épisodes qui furent, à eux seuls, toute sa vie amoureuse. Il était écrit, en effet, que « très beau de corps et de visage », l’héritier des Barbazanges « serait aimé d’un chacun et surtout des femmes par lesquelles luy pourrait arriver malheur ». Ainsi en avait décidé, au soir même de sa naissance, l’opposition des planètes, car, tandis que M. son père établissait son horoscope, « Vénus qui s’était levée, nue comme une perle, sur la grève pourpre du couchant », fuyait déjà, toute craintive, l’œil maléfique du vieux Saturne. Toutefois le présage n’étant pas, Dieu merci, très imminent, on crut devoir le taire à la mère de François, moins curieuse d’astrologie que de précieux langage ou de beaux sentiments ; et, en attendant, sous le regard émerveillé des visiteuses. « le berceau craquait ; le soleil oblique riait aux carreaux ; la matrone, accroupie devant la rougeur du foyer dépliait des linges et, sous ses rideaux de ras vert, Madame Catherine, attendrie, orgueilleuse et lasse, sentait le premier lait lui monter au sein ». N’est-il pas, achevé, ce tableau d’intérieur ? N’y cherche-t-on pas malgré soi la signature de quelque vieux maître ? Et à chaque page nous trouverons de ces naïves et archaïques peintures. Ce sera non seulement la vie d’un honnête ménage bourgeois au dix-septième siècle, mais celle de tout un centre provincial, de toute cette bonne ville de Tulle, patrie d’Etienne Baluze, diocèse de Mascaron, que nous verrons ainsi reconstituer devant nous. Avec Margot la dentelière, nous courrons ses faubourgs agrestes, ses rues étroites où serpentent les processions corporatives ; nous regarderons, par le trou de la serrure, ses salons, ses bureaux d’esprit légèrement en retard sur les modes et sur les engouements de Versaille ; enfin, nous surprendrons François endormi à côté de son luth, qu’une suave chanson du roi Louis XIII a laissé encore tout vibrant. Et si l’aspect du joli musicien, de ses cheveux caressés par un rai de lumière, de « ses mains nerveuses, et nobles où bleuissait une veine comme un filet d’azur dans un blanc pétale de fleur », nous émeut moins profondément que Marguerite Chabrillat, du moins nous expliquerons-nous sans peine que l’effrontée gamine pressente de ce jour-là l’existence d’un certain amour « aux délicatesses inconnues » et qui ne tient pas entre deux draps. ».
Mais qu’importe à Maître François l’adoration de cette coureuse, hâlée comme une maugrabine et trop justement décriée ! Est-ce pour disputer sa maîtresse au batricotier Galapian qu’il a jadis appris ses lettres dans l’Astrée ? Est-ce à l’intention d’une Chabrette que sa mère, Madame Catherine, l’a si douillettement et si chastement élevé ? Non pas ; il a de l’armour une plus haute idée et la femme dont il s’éprendra doit être toute perfection. Mme de Phelletin elle-même s’est vainement attaquée à lui François, résistant aux appas de cette gaillarde entreprenante, a trouvé moyen de s’en tirer avec esprit et les bagues sauves. L’impudente Margot peut donc mourir d’amour sans qu’il daigne seulement le deviner, et c’est, hélas ! ce qu’elle va faire.
Assoifée d’illusion, elle s’en laissera conter par Pierre Broussol, le camarade sensuel et rustique de François ; elle ne voudra se promettre à ce jovial soupirant que s’il vient la voir revêtu du costume de son ami et, quand Pierre, dépité, furieux d’avoir été pris pour dupe, la menace de tout dire à son Prince Charmant, la pauvrette court se jeter sans phrases dans la Corrèze, au gouffre de la Belle-Fille.
On l’en ramène à demi morte et soudain le cœur de François est saisi d’une immense pitié. La muette et fervente passion de la Chabrette le gagne, renfièvre à son tour ; et il apporte à celle qui l’a tant aimé, la suprême joie de sa présence, l’aveu de son tardif repentir : « pâle comme une flamme au soleil, toute sa vie dans ses grands yeux, Margot n’était plus qu’une âme resplendissante une extraordinaire beauté spirituelle effaçait le nez camus, la bouche moqueuse, tout le masque d’ironie et de volupté… Elle mourait comme un flambeau s’embrase, consumée par son ardeur même, et François tremblait d’éteindre cette flamme au petit souffle d’un baiser. » Aussi attendra-t-il que le cœur ait cessé de battre pour fermer de ses lèvres pieuses les paupières de la Chabrette, et ce sera son premier baiser d’amour.
Je me suis étendu sur cet épisode, car il me paraît se suffire et former à lui seul une sorte de petit chef-d’œuvre. La dernière partie, qui n’y est rattachée que par un lien assez ténu et quelque peu artificiel, s’éloigne trop à mon gré de tout terrain solide et nous promène en plein conte bleu. « À vous maintenant d’être heureux ! Puissiez-vous aimer comme je vous aime et mourir comme je meurs ! » Tel fut le dernier souhait de Margot la Chabrette à François Barbazanges et vous pensez bien que les événements se chargent de le réaliser. En Hyacinthe de Combareilh, l’idéale chasseresse, à la fois vierge et veuve, qu’il a d’abord surprise au bain, dans le simple appareil d’une déesse antique, François reconnaît la femme attendue, l’impeccable beauté que le sort lui destinait ; et, pour fantaisiste qu’il soit, ce bain de Diane au bord d’une rivière d’Auvergne est encore un morceau de merveilleuse peinture où « d’énormes nuages »,– et de cette page qu’il faut lire je ne cite que ces deux lignes, – « où d’énormes nuages, comme ceux qui passent dans le ciel en fête des tableaux vénitiens, roulent leurs boules et leurs volutes et s’enflamment somptueusement. »
La déesse habite, d’ailleurs, un « petit château couleur de rose morte dont le toit d’ardoise miroite comme une nacre humide et grise et dont les fenêtres sont, ce soir là, tout en feu ». François l’y retrouve près de sa belle-mère qui, ayant été jadis une des belles de la Fronde, a conservé le goût des refrains galants, des propos raffinés et les jeunes gens peuvent ainsi s’expliquer à demi-mot devant elle. Du reste, Hyacinthe, elle aussi, a reçu le coup de foudre à première vue ; et la nuit suivante, dans la chambre où se rencontraient autrefois Corisandre et le roi Henri, François possède-t-il sa maîtresse en rêve ou en réalité ? L’auteur laisse volontairement planer là-dessus un léger doute ; mais, réelle ou imaginaire, cette douce nuitée, en excitant la jalousie d’un sinistre gentilhomme qu’ont oublié, bien à tort, les juges des Grands Jours de Clermont, vaut au pauvre Barbazanges une mortelle décharge de mousquet. Et ainsi finit sur une impression de vaporeuse mélancolie ce livre exquis, moitié conte et moitié roman. Une fille perdue y meurt d’amour pour un beau garçon, un beau garçon s’y fait tuer pour l’amour d’une honneste dame ; toute la vieille France y sourît ; un charmant écrivain y prouve peut-être plus qu’ailleurs sa maîtrise professionnelle, -- et pourtant ce n’est pas la Maison du Péché !
Marcel Ballot.
- Gil Blas [3]