Discussion:Jean de La Roche (RDDM)
Éditions modifier
- 1859 Jean de La Roche (RDDM)
dans la Revue des Deux Mondes - 1860 Hachette édition originale [1] (idem [2] ou [3]
- 1865 Michel Lévy, frères [4] (idem [5])
- sans date (après 1875) Calmann-Lévy [6] (scan couleur)
Référence modifier
http://www.henri-sch.net/George_Sand/Oeuvre_romanesque.htm#JeanDeLaRoche
Critiques, résumés... modifier
280 LA CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE. 25 AVRIL.
Ouvrages divers de Mmes G. SAND, JULIETTE LAMBER, MM. A. WEILL, JAIME, CH. DIDIER, ACHARD.
— Les deux derniers ouvrages de G. Sand sont deux nouvelles études sur l’amour. Jean de la Roche[1] est un récit simple : de larges sentiments au milieu d’une grande nature. G. Sand excelle à composer ces poëmes de la tendresse et à mettre en présence la tentation et la chasteté ; comme deux couleurs, elle varie et broie ces deux éléments, et en tire des nuances exquises. Le décor est plus vaste dans Jean de la Roche, mais l’idée est plus poignante et plus originale dans le second roman, Constance Verrier. Dans le premier ouvrage apparaît l’auteur qui refait la vie telle qu’elle devrait être et plane en plein idéal ; dans le second, l’artiste montre ce qu’il voit, avec vérité, avec force, mais toujours sous une forme supérieure. Il n’y a qu’une critique à adresser à G. Sand : elle produit trop. Je ne saurais pas dire quels sont les romans que je voudrais ne pas avoir lus ; mais à coup sûr ils sont trop nombreux. Le talent de l’écrivain est loin d’être fatigué, et cependant il y a quelque chose de merveilleusement monstrueux dans cette verve intarissable. Jean de la Roche paraît à peine en volume que Constance Verrier va suivre, et voici bientôt la Ville noire qui sollicitera le lecteur ; la distraction est trop généreuse pour le loisir. Le public est comme un enfant auquel sa marraine donnerait trop de joujoux ; son esprit ne peut suffire aux émotions.
— Nous pouvons, sans un grand effort de transition, placer auprès de G. Sand Juliette Lamber. Mon Village[2] est une série d’études qui offrent l’intérêt d’un roman. Il eût suffi d’un léger travail pour mêler une action aux chapitres de son livre. Il ne lui a pas semblé utile de le faire. Elle a craint peut-être de noyer dans des scènes de fantaisie les pensées solides et sérieuses de son ouvrage, et n’a pas voulu distraire par une émotion romanesque l’esprit du lecteur, qui voit se dérouler devant lui une succession de tableaux attachants de vérité. Le cadre choisi est un petit village de Picardie. Mme Juliette Lamber vous emmène avec elle et, sans prétention littéraire, sans recherches de style, elle vous raconte les scènes locales dans le patois du pays. On a critiqué ce jargon picard. Il ne nous déplaît pas ; mais fût-ce ! comme on dit à Saint-Brunelle, il n’y a là ni affectation ni prétention. C’est franc et bien venu. Fructueux Cellier le tisserand nous raconte les affaires de son village d’un ton de fine bonhomie. M. le curé, Mme la mairesse, le médecin sont des personnages très-bien tracés. L’histoire de la Rose est simplement dite et avec sobriété ; le chapitre des parigots est un petit chef-d’œuvre de sentiment. On appelle parigots les nourrissons venus de Paris. La Moisson et l’Épidémie sont deux sortes de poëmes en prose. On croit entendre ce brave tisserand vous dire les souffrances de ceux qui font des voyages épuisants pour aller couper le blé, ramasser quelques pièces d’argent glanées péniblement, et rapporter dans leur pays la maladie qui tue une partie d’entre eux. Fructueux Cellier, après avoir fait le récit de l’épidémie, rédige une pétition à sa manière, et le livre n’eût-il que cette page, Mme Juliette Lamber devrait être remerciée de l’avoir écrit : t << Messieurs, depuis l’invention des trains de plaisir, tout Parisien connaît les beautés de la province, tout provincial a vu Paris. Rien de mieux. Les voyages sont favorables au développement intellectuel. Mais combien seraient plus utiles encore des trains qu’on pourrait facilement organiser ! À l’époque de la moisson, les faucheurs du Nord, belges, picards, descendent dans le centre de la France ; les pauvres gens font à pied, les uns cinquante à quatre-vingts lieues, les autres cent à deux cents. Il résulte de ce déplacement une fatigue extrême, une perte de temps considérable à une époque où les bras des travailleurs manquent partout. Les franciers reviennent malades, développent des épidémies, et font courir à la santé publique un danger réel. Il s’agirait de transporter sur des points donnés, à des prix équivalents à ceux des trains de plaisir, moindres même s’il se pouvait, les moissonneurs qui descendent du Nord à l’époque de la moisson. Puisque vous avez su, messieurs, trouver moyen de gagner aux trains de plaisir, il serait triste de penser que vous dussiez perdre aux trains de travail. » Il ne nous semble pas trop sot le tisserand de Saint-Brunelle. Au milieu des pages inutiles qui pleuvent de tous côtés, il a dicté à Mmc Juliette Lamber une bonne page, pleine de sens et de charité.