Discussion:Haudequin, de Lyon
Critiques, résumés…
modifier- L’Express du Midi : journal quotidien de Toulouse et du Sud-Ouest 18 octobre 1927 [1]
— Parmi les meilleurs souvenirs de mes lectures de jeune fille, je range un roman intitulé : La Pension du Sphinx, qui était plein d’agrément et de qualités. Je l’aimais d’instinct, sans que mon inexpérience ait cependant prévu la maîtrise où atteindrait l’auteur, Mme Colette Yver. Le livre qu’elle vient d’écrire, 'Haudequin de Lyon (Paris, Calmann-Lévy, 3. rue Auber) est de tout premier ordre. Admirablement composé d’un intérêt constamment soutenu, il met en scène un homme type d’une société : le grand soyeux lyonnais. Ce n’est pas le roman d’un individu, c’est celui d’une caste, on pouirait dire celui d’une ville.
Et c’est aussi celui de la Soie le poème d’un travail humain probe et acharné, constamment ennobli par un souci d’art, de beauté, de perfection.
Philippe Haudequin sera-t-il le digne continuateur du grand fabricant Haudequin ? Voilà tout le problème économique et moral autour duquel se cristallisent les pensées d’une société puissante méthodiquement ordonnée, d’une ville qui souffrirait tout entière d’une fissure dans l’édifice superbe construit par un de ses fils.
Or, l’aventure sournoisement se glisse dans la vie si bien préparée du jeune Lyonnais. Alioutcha, une Russe exilée, menace de renverser d’un seul geste de sa belle main la massive construction qui se dresse impeccable, orgueilleuse hostile au rêve désordonné. Mais le propre caprice de l’étrangère la rend inoffensive. Elle passe comme un souffle d’été aux parfums trop voluptueux. Philippe, un instant désemparé, se relève, titubant un peu, dans l’atmosphère bienfaisante de sa famille et de sa ville, il retrouve le goût de la vie et du travail.
Il ne faudrait pas imaginer, d’après cette sèche analyse que les personnages de Mme Colette Yveir soient de simples entités symboliques. Ce sont des êtres bien vivants, à la sensibilité profonde et intense, ils aiment et ils souffrent ; ils sont violents, âpres maladroits, touchants, ils sont humains.
À côté du caractère puissant et un peu rude des hommes d’affaires, la romancière a eu placer le mysticisme, l’idéalisme exalté de certains personnages secondaires. Elle a dessiné en la personne de Benoîte, la virile fille dévouée, une figure simplement exquise dans son humilité, image souriante aux yeux baissés, dont on ferait volontiers une sainte de vitrail.
C’est là un livre vigoureux et sain, que, pour ma part, je n’hésiterais pas à mettre dans les mains des jeunes filles.
Adrienne BLANC-PÉRIDIER.