Discussion:Contes d’une grand’mère
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modifier- Polybiblion : revue bibliographique universelle 1878[1]
— Nous aurions encore a dire un mot d'une douzaine de romans qui viennent de paraître. Mais le temps et l'espace nous manquent. Remettons la chose à notre prochaine revue trimestrielle, et, sans transition, abordons les Contes et les Nouvelles. On publie les œuvres posthumes de George Sand, et ces œuvres posthumes sont des Contes, et des Contes de grand'mère encore. Lélia, grand'mère, voyez-vous cela d'ici ? Eh bien ! oui, George Sand était, dans ces derniers jours, passée à l'état d'aïeule, et c'est pour ses deux petites-filles, Aurore et Gabrielle, qu'elle a écrit le Chêne parlant, le Chien, la Fleur sacrée, Ce que disent les fleurs, le Marteau rouge, le Gnôme des huîtres, la Fée Poussière, la Fée aux gros yeux, le Château de Pictordu, la Reine Coax, les Ailes de courage, le Nuage rose, le Géant Yeous et l'Orgue du Titan. Quelques-uns de ces contes, tels par exemple que l'Orgue du Titan, la Fée aux gros yeux, le Gnome des huîtres et la Fleur sacrée (le lotus) laissent passer des bouts d'oreilles sur lesquels on lit : panthéisme, boudhisme, métempsycose et migration des âmes. Mais les autres ne méritent que des éloges, et des éloges sans réserves. Le merveilleux de la narration cache toujours une moralité ou une leçon — et les fées évoquées par George Sand enseignent, celle-ci l'amour du travail, celle-là les avantages de la vertu. D'autres révèlent à la petite Aurore et à la petite Gabrielle les merveilles de la minéralogie, de l'entomologie et de la botanique. Le Chêne parlant, le Géant Yeous et le Manoir de Pictordu, où se marient si harmonieusement le réel et l'idéal, sont des démonstrations on ne peut plus ingénieuses de la puissance moralisatrice de la souffrance et de la supériorité de l'homme sur les forces aveugles de la nature. Il y a, dans le Manoir de Pictordu, une touchante théorie sur les rapports du monde visible et du monde invisible. Il y est question des mères mortes qui veillent sans cesse sur leurs enfants confiés aux soins des marâtres. Dans les Ailes de courage, George Sand nous présente un jeune Pythagore rural qui, comme saint François d'Assise, comprend et explique le langage des oiseaux — avec cette différence cependant que Clopinet ne sait pas, comme le séraphique François, idéaliser et déifier les créations du bon Dieu. Dans la Reine Coax, la reine des grenouilles, qui se pare d'émeraudes, qui joue de l'éventail, qui danse la sarabande, qui passe la moitié du jour à faire la pecque et la mijaurée et qui crève à la peine, la grand'mère a voulu prouver que la vanité était un vilain défaut et qu'une jeune fille doit chercher à plaire uniquement par ses vraies qualités et non pas des qualités d'emprunt. En résumé, il y a dans les Contes d'une grand'mère des pages de toute perfection : « Il ne manque que Dieu à George Sand, » disait Raymond Brucker. En effet, si Dieu, le Dieu vivant – et non le Dieu des philosopheurs, un Dieu qui pue l’encre — apparaissait dans ces Contes, ce seraient d'incomparables chefs-d'œuvre. Aux Contes d'une grand'mère se rattache un volume de Nouvelles, comprenant la Coupe, Lupo Liverani, le Toast et la Rêverie à Paris. On aurait mieux fait de laisser dormir ce volume dans les tiroirs de la châtelaine de Nohant. Il n'ajoute rien à sa gloire. Au contraire ! ce sont, en partie, des conceptions de la George Sand des mauvais jours, des jours d'impiété et de révolte. La Rêverie à Paris est un dithyrambe en l'honneur de la ligne droite, de la rue tirée au cordeau, si souvent critiqué par l'école romantique. Le Toast est un petit rien, écrit pourtant avec une plume d'or. Restent la Coupe et Lupo Liverani, sur lesquels portent principalement nos blâmes. La Coupe est un poème féerique en prose, nuageux, obscur, monotone, conçu d'après les idées druidiques des Triades bardiques, de Jean Reynaud, d'Henri Martin et de Michelet-Dumesnil. La « Coupe des fées » donne la beauté, la jeunesse, la puissance, l'immortalité — mais elle ne donne pas le bonheur. Si bien que le dernier mot du poème aboutit au dégoût de la vie. Le prince fabuleux dont la fée Zilla s'est constituée la protectrice en arrive à s'écrier « La mort, c'est l'espérance. » Belle devise, mais seulement dans une bouche chrétienne. Quant à Lupo Liverani, drame en trois actes, imité de Tirso de Molina, nous ne pouvons en louer que le style. La donnée est dirigée contre un des dogmes les plus redoutables du catholicisme. L'œuvre de Gabriel Tellez (Tirso de Molina) est la plus hardie création du théâtre espagnol. Mais c'est un drame sincèrement religieux, un véritable auto, fait, selon les croyances du temps où il a été écrit, par un moine à qui Dieu avait départi le génie d'un Shakespeare. Cette œuvre effrayante, audacieuse et puissante, a pour titre El Condenado por desconfiado, le Damné pour manque de foi. On peut y voir une sorte de parabole destinée à rendre intelligible au peuple la doctrine catholique de la grâce efficace. George Sand a dénaturé la conception rigoureusement orthodoxe de Gabriel Tellez, conception très-large d'allures, ne comportant rien d'étroit, de mesquin, de ridicule. Au dénoûment d’El Condenado, tout de réconciliation et de pardon, le dernier mot reste à Dieu. Dans Lupo Liverani, le dernier mot est à Satan, qui dit au héros principal, à Angelo devenu ermite « C'est au désert que je règne sur celui qui n'aime que lui-même. Va ! invente des supplices pour ton corps, et persiste à croire que le sang est plus agréable à Dieu que les larmes. Je t'aiderai à dessécher ton cœur et à développer par de fécondes imaginations le précieux germe de férocité qui fait les saints exorcistes et les inquisiteurs canonisés. » Ne croirait-on pas lire une page du Réveil ou de la Lanterne.
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