Discours sur l’Histoire universelle/I/7


VII. Epoque.

Romulus, ou Rome fondée.


Cette ville qui devoit estre la maistresse de l’univers, et dans la suite le siege principal de la religion, fut fondée sur la fin de la troisiéme année de la Vi olympiade, 430 ans environ aprés la prise de Troye, de laquelle les romains croyoient que leurs ancestres estoient sortis, et 753 ans devant Jesus-Christ. Romulus nourri durement avec des bergers, et toûjours dans les exercices de la guerre, consacra cette ville au Dieu de la guerre, qu’il disoit son pere. Vers les temps de la naissance de Rome, arriva par la mollesse de Sardanapale, la chute du premier empire des assyriens. Les medes, peuple belliqueux, animez par les discours d’Arbace leur gouverneur, donnerent à tous les sujets de ce prince effeminé l’exemple de le mépriser. Tout se révolta contre luy ; et il perit enfin dans sa ville capitale, où il se vit contraint à se brusler luy-mesme avec ses femmes, ses eunuques, et ses richesses. Des ruines de cét empire on voit sortir trois grands royaumes. Arbace ou Orbace, que quelques-uns appellent Pharnace, affranchit les medes, qui aprés une assez longue anarchie eûrent des rois tres-puissans. Outre cela, incontinent aprés Sardanapale, on voit paroistre un second royaume des assyriens, dont Ninive demeura la capitale, et un royaume de Babylone. Ces deux derniers royaumes ne sont pas inconnus aux auteurs profanes, et sont célebres dans l’histoire sainte. Le second royaume de Ninive est fondé par Thilgath ou Theglath fils de Phalasar, appellé pour cette raison Theglathphalasar, à qui on donne aussi le nom de Ninus le jeune. Baladan, que les grecs nomment Belesis, établit le royaume de Babylone, où il est connu sous le nom de Nabonassar. De là l’ere de Nabonassar, célebre chez Ptolomée et les anciens astronomes, qui comptoient leurs années par le regne de ce prince. Il est bon d’avertir icy que ce mot d’ere signifie un dénombrement d’années commencé à un certain point que quelque grand évenement fait remarquer. Achaz roy de Juda impie et méchant, pressé par Razin roy de Syrie, et par Phacée fils de Romelias roy d’Israël, au lieu de recourir à Dieu qui luy suscitoit ces ennemis pour le punir, appella Theglathphalasar premier roy d’Assyrie ou de Ninive, qui reduisit à l’extremité le royaume d’Israël, et détruisit tout-à-fait celuy de Syrie : mais en mesme temps il ravagea celuy de Juda qui avoit imploré son assistance. Ainsi les rois d’Assyrie apprirent le chemin de la terre sainte, et en résolurent la conqueste. Ils commencerent par le royaume d’Israël, que Salmanasar fils et successeur de Theglathphalasar détruisit entierement. Osée roy d’Israël s’estoit fié au secours de Sabacon, autrement nommé Sua, ou sous roy d’Ethiopie, qui avoit envahi l’Egypte. Mais ce puissant conquerant ne put le tirer des mains de Salmanasar. Les dix tribus où le culte de Dieu s’estoit éteint, furent transportées à Ninive, et dispersées parmi les gentils s’y perdirent tellement, qu’on ne peut plus en découvrir aucune trace. Il en resta quelques-uns, qui furent meslez parmi les juifs, et firent une petite partie du royaume de Juda. En ce temps arriva la mort de Romulus. Il fut toûjours en guerre, et toûjours victorieux ; mais au milieu des guerres, il jetta les fondemens de la religion et des loix. Une longue paix donna moyen à Numa son successeur d’achever l’ouvrage. Il forma la religion, et adoucit les moeurs farouches du peuple romain. De son temps les colonies venuës de Corinthe, et de quelques autres villes de Grece, fonderent Syracuse en Sicile, Crotone, Tarente, et peut-estre quelques autres villes dans cette partie de l’Italie, à qui de plus anciennes colonies greques répanduës dans tout le païs avoient déja donné le nom de grande Grece. Cependant Ezechias le plus pieux et le plus juste de tous les rois aprés David, regnoit en Judée. Sennacherib, fils et successeur de Salmanasar, l’assiegea dans Jerusalem avec une armée immense ; elle perit en une nuit par la main d’un ange. Ezechias délivré d’une maniere si admirable servit Dieu, avec tout son peuple, plus fidelement que jamais. Mais aprés la mort de ce prince, et sous son fils Manasses, le peuple ingrat oublia Dieu, et les desordres s’y multiplierent. L’estat populaire se formoit alors parmi les atheniens, et ils commencerent à choisir les archontes annuels, dont le premier fut Créon. Pendant que l’impieté s’augmentoit dans le royaume de Juda, la puissance des rois d’Assyrie, qui devoient en estre les vengeurs, s’accrut sous Asaraddon fils de Sennacherib. Il réünit le royaume de Babylone à celuy de Ninive, et égala dans la grande Asie la puissance des premiers assyriens. Sous son regne les cuthéens, peuples d’Assyrie, depuis appellez samaritains, furent envoyez pour habiter Samarie. Ceux-cy joignirent le culte de Dieu avec celuy des idoles, et obtinrent d’Asaraddon, un prestre israélite qui leur apprist le service du Dieu du païs, c’est à dire les observances de la loy de Moïse. Dieu ne voulut pas que son nom fust entierement aboli dans une terre qu’il avoit donnée à son peuple, et il y laissa sa loy en témoignage. Mais leur prestre ne leur donna que les livres de Moïse, que les dix tribus révoltées avoient retenus dans leur schisme. Les ecritures composées depuis par les prophetes, qui sacrifioient dans le temple, estoient détestées parmi eux ; et c’est pourquoy les samaritains ne reçoivent encore aujourd’huy que le pentateuque. Pendant qu’Asaraddon et les assyriens s’établissoient si puissamment dans la grande Asie, les medes commençoient aussi à se rendre considerables. Déjoces leur premier roy, nommé Arphaxad dans l’ecriture, fonda la superbe ville d’Ecbatanes, et jetta les fondemens d’un grand empire. Ils l’avoient mis sur le trosne pour couronner ses vertus, et mettre fin aux desordres que l’anarchie causoit parmi eux. Conduits par un si grand roy, ils se soustenoient contre leurs voisins, mais ils ne s’étendoient pas. Rome s’accroissoit, mais foiblement. Sous Tullus Hostilius son troisiéme roy, et par le fameux combat des Horaces et des Curiaces, Albe fut vaincuë et ruinée : ses citoyens incorporez à la ville victorieuse l’agrandirent et la fortifierent. Romulus avoit pratiqué le premier ce moyen d’augmenter la ville, où il receut les sabins et les autres peuples vaincus. Ils oublioient leur défaite, et devenoient des sujets affectionnez. Rome en étendant ses conquestes regloit sa milice ; et ce fut sous Tullus Hostilius qu’elle commença à apprendre cette belle discipline, qui la rendit dans la suite maistresse de l’univers. Le royaume d’Egypte affoibli par ses longues divisions, se rétablissoit sous Psammetique. Ce prince qui devoit son salut aux ioniens et aux cariens, les établit dans l’Egypte fermée jusqu’alors aux étrangers. à cette occasion les egyptiens entrerent en commerce avec les grecs ; et depuis ce temps aussi l’histoire d’Egypte, jusques-là meslée de fables pompeuses par l’artifice des prestres, commence, selon Herodote, à avoir de la certitude. Cependant les rois d’Assyrie devenoient de plus en plus redoutables à tout l’Orient. Saosduchin fils d’Asaraddon, appellé Nabuchodonosor dans le livre de Judith, défit en bataille rangée Arphaxad roy des medes. Enflé de ce succés, il entreprit de conquerir toute la terre. Dans ce dessein il passa l’Euphrate, et ravagea tout jusqu’en Judée. Les juifs avoient irrité Dieu, et s’estoient abandonnez à l’idolatrie, à l’exemple de Manasses ; mais ils avoient fait penitence avec ce prince : Dieu les prit aussi en sa protection. Les conquestes de Nabuchodonosor et d’Holopherne son général, furent tout à coup arrestées par la main d’une femme. Déjoces quoy-que batu par les assyriens, laissa son royaume en estat de s’accroistre sous ses successeurs. Pendant que Phraorte son fils, et Cyaxare fils de Phraorte subjuguoient la Perse, et poussoient leurs conquestes dans l’Asie Mineure jusques aux bords de l’Halys, la Judée vit passer le regne détestable d’Amon, fils de Manasses ; et Josias fils d’Amon, sage dés l’enfance, travailloit à réparer les desordres causez par l’impieté des rois ses prédecesseurs. Rome, qui avoit pour roy Ancus Martius, domptoit quelques latins sous sa conduite ; et continuant à se faire des citoyens de ses ennemis, elle les renfermoit dans ses murailles. Ceux de Veies, déja affoiblis par Romulus, firent de nouvelles pertes. Ancus poussa ses conquestes jusqu’à la mer voisine, et bastit la ville d’Ostie à l’emboucheure du Tibre. En ce temps le royaume de Babylone fut envahi par Nabopolassar. Ce traistre que Chinaladan, autrement Sarac, avoit fait général de ses armées contre Cyaxare roy des medes, se joignit avec Astyage fils de Cyaxare ; prit Chinaladan dans Ninive, détruisit cette grande ville si long-temps maistresse de l’Orient, et se mit sur le trosne de son maistre. Sous un prince si ambitieux Babylone s’enorgueillit. La Judée dont l’impieté croissoit sans mesure, avoit tout à craindre. Le saint roy Josias suspendit pour un peu de temps, par son humilité profonde, le chastiment que son peuple avoit merité ; mais le mal s’augmenta sous ses enfans. Nabuchodonosor Ii plus terrible que son pere Nabopolassar, luy succeda. Ce prince nourri dans l’orgueïl, et toûjours exercé à la guerre, fit des conquestes prodigieuses en Orient et en Occident ; et Babylone menaçoit toute la terre de la mettre en servitude. Ses menaces eûrent bientost leur effet à l’égard du peuple de Dieu. Jerusalem fut abandonnée à ce superbe vainqueur, qui la prit par trois fois : la premiere au commencement de son regne, et à la quatriéme année du regne de Joakim, d’où commencent les 70 ans de la captivité de Babylone, marquez par le prophete Jeremie ; la seconde sous Jechonias, ou Joachin fils de Joakim ; et la dernieré sous Sedecias, où la ville fut renversée de fonds en comble, le temple reduit en cendre, et le roy mené captif à Babylone avec Saraïa souverain pontife et la meilleure partie du peuple. Les plus illustres de ces captifs furent les prophetes Ezechiel et Daniel. On compte aussi parmi eux les trois jeunes hommes que Nabuchodonosor ne put forcer à adorer sa statuë, ni les consumer par les flammes. La Grece estoit florissante, et ses sept sages se rendoient illustres. Quelque temps devant la derniere desolation de Jerusalem, Solon l’un de ces sept sages donnoit des loix aux atheniens, et établissoit la liberté sur la justice : les phocéens d’Ionie menoient à Marseille leur premiere colonie. Tarquin l’ancien roy de Rome, aprés avoir subjugué une partie de la Toscane, et orné la ville de Rome par des ouvrages magnifiques, acheva son regne. De son temps les gaulois conduits par Bellovese, occuperent dans l’Italie tous les environs du Po, pendant que Segovese son frere mena bien avant dans la Germanie un autre essaim de la nation. Servius Tullius, successeur de Tarquin établit le cens, ou le dénombrement des citoyens distribuez en certaines classes, par où cette grande ville se trouva reglée comme une famille particuliere. Nabuchodonosor embellissoit Babylone, qui s’estoit enrichie des dépouïlles de Jerusalem et de l’Orient. Elle n’en joûït pas long-temps. Ce roy qui l’avoit ornée avec tant de magnificence, vit en mourant la perte prochaine de cette superbe ville. Son fils Evilmerodac, que ses débauches rendoient odieux, ne dura gueres, et fut tué par Neriglissor son beau-frere, qui usurpa le royaume. Pisistrate usurpa aussi dans Athenes l’autorité souveraine qu’il sceût conserver trente ans durant parmi beaucoup de vicissitudes, et qu’il laissa mesme à ses enfans. Neriglissor ne put souffrir la puissance des medes, qui s’agrandissoient en Orient, et leur déclara la guerre. Pendant qu’Astyage fils de Cyaxare I se préparoit à la résistance, il mourut, et laissa cette guerre à soustenir à Cyaxare Ii son fils, appellé par Daniel, Darius le mede. Celuy-cy nomma pour général de son armée Cyrus fils de Mandane sa soeur et de Cambyse roy de Perse, sujet à l’empire des medes. La réputation de Cyrus, qui s’estoit signalé en diverses guerres sous Astyage son grand-pere, réunit la pluspart des rois d’Orient sous les étendards de Cyaxare. Il prit dans sa ville capitale Croesus roy de Lydie, et joûït de ses richesses immenses : il dompta les autres alliez des rois de Babylone ; et étendit sa domination non seulement sur la Syrie, mais encore bien avant dans l’Asie Mineure. Enfin il marcha contre Babylone : il la prit, et la soumit à Cyaxare son oncle, qui n’estant pas moins touché de sa fidelité que de ses exploits, luy donna sa fille unique et son heritiere en mariage. Dans le regne de Cyaxare, Daniel déja honoré sous les regnes précedens de plusieurs celestes visions où il vit passer devant luy en figures si manifestes tant de rois et tant d’empires, apprit par une nouvelle révelation ces septante fameuses semaines, où les temps du Christ et la destinée du peuple juif sont expliquez. C’estoit des semaines d’années, si bien qu’elles contenoient 490 ans ; et cette maniere de compter estoit ordinaire aux juifs, qui observoient la septiéme année aussi-bien que le septiéme jour avec un repos religieux. Quelque temps aprés cette vision, Cyaxare mourut aussi-bien que Cambyse pere de Cyrus ; et ce grand homme, qui leur succeda, joignit le royaume de Perse obscur jusqu’alors au royaume des medes si fort augmenté par ses conquestes. Ainsi il fut maistre paisible de tout l’Orient, et fonda le plus grand empire qui eust esté dans le monde. Mais ce qu’il faut le plus remarquer pour la suite de nos epoques, c’est que ce grand conquerant, dés la premiere année de son regne, donna son decret pour rétablir le temple de Dieu en Jerusalem, et les juifs dans la Judée. Il faut un peu s’arrester en cét endroit, qui est le plus embroûïllé de toute la chronologie ancienne, par la difficulté de concilier l’histoire profane avec l’histoire sainte. Vous aurez sans doute, monseigneur, déja remarqué, que ce que je raconte de Cyrus est fort different de ce que vous en avez leû dans Justin ; qu’il ne parle point du second royaume des assyriens, ni de ces fameux rois d’Assyrie et de Babylone, si célebres dans l’histoire sainte ; et qu’enfin mon recit ne s’accorde gueres avec ce que nous raconte cét auteur des trois premieres monarchies, de celle des assyriens finie en la personne de Sardanapale, de celle des medes finie en la personne d’Astyage grand-pere de Cyrus, et de celle des perses commencée par Cyrus et détruite par Alexandre.

Vous pouvez joindre à Justin Diodore avec la pluspart des auteurs grecs et latins, dont les écrits nous sont restez, qui racontent ces histoires d’une autre maniere que celle que j’ay suivie. Pour ce qui regarde Cyrus, les auteurs profanes ne sont point d’accord sur son histoire : mais j’ay cru devoir plûtost suivre Xenophon avec saint Jerosme, que Ctesias auteur fabuleux que la pluspart des grecs ont copié, comme Justin et les latins ont fait les grecs ; et plûtost mesme qu’Herodote, quoy-qu’il soit tres-judicieux. Ce qui m’a déterminé à ce choix, c’est que l’histoire de Xenophon plus suivie et plus vray-semblable en elle-mesme, a encore cét avantage qu’elle est plus conforme à l’ecriture, qui par son antiquité et par le rapport des affaires du peuple juif avec celles de l’Orient, meriteroit d’estre préferée à toutes les histoires greques, quand d’ailleurs on ne sçauroit pas qu’elle a esté dictée par le Saint Esprit. Quant aux trois premieres monarchies, ce qu’en ont écrit la pluspart des grecs, a paru douteux aux plus sages de la Grece. Platon fait voir en général sous le nom des prestres d’Egypte, que les grecs ignoroient profondément les antiquitez ; et Aristote a rangé parmi les conteurs de fables, ceux qui ont écrit les assyriaques.

C’est que les grecs ont écrit tard, et que voulant divertir par les histoires anciennes la Grece toujours curieuse, ils les ont composées sur des memoires confus, qu’ils se sont contentez de mettre dans un ordre agréable, sans se trop soucier de la verité.

Et certainement la maniere dont on arrange ordinairement les trois premieres monarchies est visiblement fabuleuse. Car aprés qu’on a fait perir sous Sardanapale l’empire des assyriens, on fait paroistre sur le theatre les medes, et puis les perses ; comme si les medes avoient succedé à toute la puissance des assyriens, et que les perses se fussent établis en ruinant les medes. Mais au contraire, il est certain que lors qu’Arbace révolta les medes contre Sardanapale, il ne fit que les affranchir, sans leur soumettre l’empire d’Assyrie. Herodote suivi en cela par les plus habiles chronologistes, fait paroistre leur premier roy Déjoces 50 ans aprés leur révolte ; et il est d’ailleurs constant par le témoignage uniforme de ce grand historien et de Xenophon, pour ne point icy parler des autres, que durant les temps qu’on attribuë à l’empire des medes, il y avoit en Assyrie des rois tres-puissans que tout l’Orient redoutoit, et dont Cyrus abbatit l’empire par la prise de Babylone.

Si donc la pluspart des grecs et les latins qui les ont suivis ne parlent point de ces rois babyloniens ; s’ils ne donnent aucun rang à ce grand royaume parmi les premieres monarchies dont ils racontent la suite ; enfin si nous ne voyons presque rien dans leurs ouvrages de ces fameux rois Teglathphalasar, Salmanasar, Sennacherib, Nabuchodonosor, et de tant d’autres si renommez dans l’ecriture et dans les histoires orientales : il le faut attribuer, ou à l’ignorance des grecs plus éloquens dans leurs narrations que curieux dans leurs recherches, ou à la perte que nous avons faite de ce qu’il y avoit de plus recherché et de plus exact dans leurs histoires.

En effet, Herodote avoit promis une histoire particuliere des assyriens que nous n’avons pas, soit qu’elle ait esté perduë, ou qu’il n’ait pas eû le temps de la faire ; et on peut croire d’un historien si judicieux, qu’il n’y auroit pas oublié les rois du second empire des assyriens, puis que mesme Sennacherib qui en estoit l’un, se trouve encore nommé dans les livres que nous avons de ce grand auteur, comme roy des assyriens et des arabes. Strabon qui vivoit du temps d’Auguste rapporte ce que Megastene auteur ancien et voisin des temps d’Alexandre avoit laissé par écrit sur les fameuses conquestes de Nabuchodonosor roy des chaldéens, à qui il fait traverser l’Europe, penetrer l’Espagne, et porter ses armes jusqu’aux colonnes d’Hercule. Aelien nomme Tilgamus roy d’Assyrie, c’est à dire sans difficulté le tilgath, ou le teglath de l’histoire sainte ; et nous avons dans ptolomée un dénombrement des princes qui ont tenu les grands empires, parmi lesquels se voit une longue suite de rois d’Assyrie inconnus aux grecs, et qu’il est aisé d’accorder avec l’histoire sacrée.

Si je voulois rapporter ce que nous racontent les annales des syriens, un Berose, un Abydenus, un Nicolas De Damas, je ferois un trop long discours. Joseph et Eusebe de Césarée nous ont conservé les précieux fragmens de tous ces auteurs, et d’une infinité d’autres qu’on avoit entiers de leur temps, dont le témoignage confirme ce que nous dit l’ecriture sainte touchant les antiquitez orientales, et en particulier touchant les histoires assyriennes.

Pour ce qui est de la monarchie des medes, que la pluspart des historiens profanes mettent la seconde dans le dénombrement des grands empires, comme separée de celle des perses, il est certain que l’ecriture les unit toûjours ensemble ; et vous voyez, monseigneur, qu’outre l’autorité des livres saints, le seul ordre des faits montre que c’est à cela qu’il s’en faut tenir.

Les medes avant Cyrus, quoy-que puissans et considerables, estoient effacez par la grandeur des rois de Babylone. Mais Cyrus ayant conquis leur royaume par les forces réünies des medes et des perses, dont il est ensuite devenu le maistre par une succession legitime, comme nous l’avons remarqué aprés Xenophon ; il paroist que le grand empire dont il a esté le fondateur a deû prendre son nom des deux nations : de sorte que celuy des medes et celuy des perses ne sont que la mesme chose, quoy-que la gloire de Cyrus y ait fait prévaloir le nom des perses. On peut encore penser qu’avant la guerre de Babylone, les rois des medes ayant étendu leurs conquestes du costé des colonies greques de l’Asie Mineure, ont esté par ce moyen célebres parmi les grecs, qui leur ont attribué l’empire de la grande Asie, parce qu’ils ne connoissoient qu’eux de tous les rois d’Orient. Cependant les rois de Ninive et de Babylone, plus puissans, mais plus inconnus à la Grece, ont esté presque oubliez dans ce qui nous reste d’histoires greques ; et tout le temps qui s’est écoulé depuis Sardanapale jusqu’à Cyrus, a esté donné aux medes seuls.

Ainsi il ne faut plus tant se donner de peine à concilier en ce point l’histoire profane avec l’histoire sacrée. Car quant à ce qui regarde le premier royaume des assyriens, l’ecriture n’en dit qu’un mot en passant, et ne nomme ni Ninus fondateur de cét empire, ni à la réserve de Phul aucun de ses successeurs, parce que leur histoire n’a rien de commun avec celle du peuple de Dieu. Pour les seconds assyriens, la pluspart des grecs ou les ont entierement ignorez, ou pour ne les avoir pas assez connus, ils les ont confondus avec les premiers. Quand donc on objectera ceux des auteurs grecs qui arrangent à leur fantaisie les trois premieres monarchies, et qui font succeder les medes à l’ancien empire d’Assyrie sans parler du nouveau que l’ecriture fait voir si puissant, il n’y a qu’à répondre qu’ils n’ont point connu cette partie de l’histoire ; et qu’ils ne sont pas moins contraires aux plus curieux et aux mieux instruits des auteurs de leur nation, qu’à l’ecriture. Et, ce qui tranche en un mot toute la difficulté, les auteurs sacrez plus voisins par les temps et par les lieux des royaumes d’Orient, écrivant d’ailleurs l’histoire d’un peuple dont les affaires sont si meslées avec celles de ces grands empires, quand ils n’auroient que cét avantage, pourroient faire taire les grecs et les latins qui les ont suivis.

Si toutefois on s’obstine à soustenir cét ordre célebre des trois premieres monarchies, et que pour garder aux medes seuls le second rang qui leur est donné, on veuille leur assujetir les rois de Babylone, en avoûant toutefois qu’aprés environ cent ans de sujetion, ceux-cy se sont affranchis par une révolte : on sauve en quelque façon la suite de l’histoire sainte, mais on ne s’accorde gueres avec les meilleurs historiens profanes, ausquels l’histoire sainte est plus favorable en ce qu’elle unit toûjours l’empire des medes à celuy des perses. Il reste encore à vous découvrir une des causes de l’obscurité de ces anciennes histoires. C’est que comme les rois d’Orient prenoient plusieurs noms, ou si vous voulez plusieurs titres, qui ensuite leur tenoient lieu de nom propre, et que les peuples les traduisoient, ou les prononçoient differemment, selon les divers idiomes de chaque langue ; des histoires si anciennes, dont il reste si peu de bons memoires, ont deû estre par là fort obscurcies. La confusion des noms en aura sans doute beaucoup mis dans les choses mesmes, et dans les personnes ; et de là vient la peine qu’on a de situer dans l’histoire greque, les rois qui ont eû le nom d’Assuérus, autant inconnu aux grecs que connu aux orientaux.

Qui croiroit en effet que Cyaxare fust le mesme nom qu’Assuérus, composé du mot Ky, c’est à dire, seigneur, et du mot Axare, qui revient manifestement à Axuérus, ou Assuérus ? Trois ou quatre princes ont porté ce nom, quoy-qu’ils en eussent encore d’autres. Si on n’estoit averti que Nabuchodonosor, Nabucodrosor, et Nabocolassar, ne sont que le mesme nom, ou que le nom du mesme homme, on auroit peine à le croire ; et cependant la chose est certaine. Sargon est Sennacherib ; Ozias est Azarias ; Sedecias est Mathanias ; Joachas s’appelloit aussi Sellum ; Asaraddon, qu’on prononce indifferemment Esar-Haddon, ou Asorhaddan, est nommé Asenaphar par les cuthéens ; et par une bizarerie dont on ne sçait point l’origine, Sardanapale se trouve nommé par les grecs Tonos Concoleros. On pourroit vous faire une grande liste des orientaux, dont chacun a eû dans les histoires, plusieurs noms differens : mais il suffit d’estre instruit en général de cette coustume. Elle n’est pas inconnuë aux latins, parmi lesquels les titres et les adoptions ont multiplié les noms en tant de sortes. Ainsi le titre d’Auguste et celuy d’africain sont devenus les noms propres de César Octavien et des scipions ; ainsi les Nerons ont esté Césars. La chose n’est pas douteuse, et une plus longue discussion d’un fait si constant vous est inutile.

Je ne prétens plus, monseigneur, vous embarasser dans la suite des difficultez de chronologie, qui vous sont tres-peu necessaires. Celle-cy estoit trop importante pour ne la pas éclaircir en cét endroit ; et aprés vous en avoir dit ce qui suffit à nostre dessein, je reprens la suite de nos epoques.