Discours sur l’Histoire universelle/I/3


III. Epoque.

La vocation d’Abraham.


Quatre cens vingt-six ans aprés le deluge, comme les peuples marchoient chacun en sa voye, et oublioient celuy qui les avoit faits, ce grand Dieu pour empescher le progrés d’un si grand mal, au milieu de la corruption, commença à se separer un peuple éleû. Abraham fut choisi pour estre la tige et le pere de tous les croyans. Dieu l’appella dans la terre de Chanaan où il vouloit établir son culte et les enfans de ce patriarche qu’il avoit résolu de multiplier comme les étoiles du ciel, et comme le sable de la mer. à la promesse qu’il luy fit de donner cette terre à ses descendans, il joignit quelque chose de bien plus illustre ; et ce fut cette grande benediction qui devoit estre répanduë sur tous les peuples du monde en Jesus-Christ sorti de sa race. C’est ce Jesus-Christ qu’Abraham honore en la personne du grand pontife Melchisedec qui le represente ; c’est à luy qu’il paye la dixme du butin qu’il avoit gagné sur les rois vaincus ; et c’est par luy qu’il est beni. Dans des richesses immenses, et dans une puissance qui égaloit celle des rois, Abraham conserva les moeurs antiques : il mena toûjours une vie simple et pastorale, qui toutefois avoit sa magnificence que ce patriarche faisoit paroistre principalement en exerçant l’hospitalité envers tout le monde. Le ciel luy donna des hostes ; les anges luy apprirent les conseils de Dieu ; il y crut, et parut en tout plein de foy et de pieté. De son temps Inachus le plus ancien de tous les rois connus par les grecs, fonda le royaume d’Argos. Aprés Abraham, on trouve Isaac son fils, et Jacob son petit-fils, imitateurs de sa foy et de sa simplicité dans la mesme vie pastorale. Dieu leur réïtere aussi les mesmes promesses qu’il avoit faites à leur pere, et les conduit comme luy en toutes choses. Isaac benit Jacob au préjudice d’Esaü son frere aisné ; et trompé en apparence, en effet il exécute les conseils de Dieu. Jacob que Dieu protegeoit excella en tout au dessus d’Esaü. Un ange contre qui il eût un combat plein de mysteres, luy donna le nom d’Israël, d’où ses enfans sont appellez les israëlites. De luy nasquirent les douze patriarches, peres des douze tribus du peuple hebreu : entre autres Levi, d’où devoient sortir les ministres des choses sacrées ; Juda, d’où devoit sortir avec la race royale le Christ roy des rois et seigneur des seigneurs ; et Joseph, que Jacob aima plus que tous ses autres enfans. Là se déclarent de nouveaux secrets de la providence divine. On y voit avant toutes choses l’innocence et la sagesse du jeune Joseph toûjours ennemie des vices, et soigneuse de les réprimer dans ses freres ; ses songes mysterieux et prophetiques ; ses freres jaloux, et la jalousie cause pour la seconde fois d’un parricide ; la vente de ce grand homme ; la fidelité qu’il garde à son maistre, et sa chasteté admirable ; les persecutions qu’elle luy attire ; sa prison, et sa constance ; ses prédictions ; sa delivrance miraculeuse ; cette fameuse explication des songes de pharaon ; le merite d’un si grand homme reconnu ; son génie élevé et droit, et la protection de Dieu qui le fait dominer par tout où il est ; sa prévoyance ; ses sages conseils, et son pouvoir absolu dans le royaume de la basse Egypte ; par ce moyen le salut de son pere Jacob et de sa famille. Cette famille cherie de Dieu s’établit ainsi dans cette partie de l’Egypte dont Tanis estoit la capitale, et dont les rois prenoient tous le nom de pharaon. Jacob meurt, et un peu devant sa mort il fait cette célebre prophetie, où découvrant à ses enfans l’estat de leur posterité, il découvre en particulier à Juda les temps du messie qui devoit sortir de sa race. La maison de ce patriarche devient un grand peuple en peu de temps : cette prodigieuse multiplication excite la jalousie des egyptiens : les hebreux sont injustement haïs, et impitoyablement persecutez : Dieu fait naistre Moïse leur liberateur, qu’il delivre des eaux du Nil, et le fait tomber entre les mains de la fille de pharaon : elle l’éleve comme son fils, et le fait instruire dans toute la sagesse des egyptiens. En ces temps les peuples d’Egypte s’établirent en divers endroits de la Grece. La colonie que Cecrops amena d’Egypte fonda douze villes, ou plûtost douze bourgs, dont il composa le royaume d’Athenes, et où il établit avec les loix de son païs, les dieux qu’on y adoroit. Un peu aprés arriva le deluge de Deucalion dans la Thessalie confondu par les grecs avec le deluge universel. Hellen fils de Deucalion regna en phtie païs de la Thessalie, et donna son nom à la Grece. Ses peuples auparavant appellez grecs, prirent toûjours depuis le nom d’hellenes, quoyque les latins leur ayent conservé leur ancien nom. Environ dans le mesme temps Cadmus fils d’Agenor transporta en Grece une colonie de pheniciens, et fonda la ville de Thebes dans la Beocie. Les dieux de Syrie et de Phenicie entrerent avec luy dans la Grece. Cependant Moïse s’avançoit en âge. à quarante ans, il méprisa les richesses de la cour d’Egypte ; et touché des maux de ses freres les israëlites, il se mit en peril pour les soulager. Ceux-cy loin de profiter de son zele et de son courage, l’exposerent à la fureur de pharaon, qui resolut sa perte. Moïse se sauva d’Egypte en Arabie, dans la terre de Madian, où sa vertu toûjours secourable aux oppressez, luy fit trouver une retraite asseûrée. Ce grand homme perdant l’esperance de delivrer son peuple, ou attendant un meilleur temps, avoit passé quarante ans à paistre les troupeaux de son beaupere Jethro, quand il vit dans le desert le buisson ardent, et entendit la voix du Dieu de ses peres qui le renvoyoit en Egypte pour tirer ses freres de la servitude. Là paroissent l’humilité, le courage, et les miracles de ce divin legislateur ; l’endurcissement de pharaon, et les terribles chastimens que Dieu luy envoye ; la pasque, et le lendemain le passage de la Mer Rouge ; pharaon et les egyptiens ensevelis dans les eaux, et l’entiere delivrance des israëlites.