Discours sur l’Histoire universelle/I/12


XII. Epoque.

Charlemagne, ou l'établissement du nouvel Empire.


Enfin l’an 800 de nostre seigneur, ce grand protecteur de Rome et de l’Italie, ou pour mieux dire de toute l’eglise et de toute la chrestienté, éleû empereur par les romains sans qu’il y pensast, et couronné par le pape Leon Iii qui avoit porté le peuple romain à ce choix, devint le fondateur du nouvel empire et de la grandeur temporelle du saint siége.

Voila, Monseigneur, les douze epoques que j’ay suivies dans cét abregé. J’ay attaché à chacune d’elles les faits principaux qui en dépendent. Vous pouvez maintenant, sans beaucoup de peine, disposer, selon l’ordre des temps, les grands évenemens de l’histoire ancienne, et les ranger pour ainsi dire chacun sous son etendart.

Je n’ay pas oublié dans cét abregé cette célebre distinction que font les chronologistes de la durée du monde en sept âges. Le commencement de chaque âge nous sert d’epoque : si j’y en mesle quelques autres, c’est afin que les choses soient plus distinctes, et que l’ordre des temps se développe devant vous avec moins de confusion.

Quand je vous parle de l’ordre des temps, je ne prétends pas, monseigneur, que vous vous chargiez scrupuleusement de toutes les dates ; encore moins que vous entriez dans toutes les disputes des chronologistes, où le plus souvent il ne s’agit que de peu d’années. La chronologie contentieuse qui s’arreste scrupuleusement à ces minuties a son usage sans doute ; mais elle n’est pas vostre objet, et sert peu à éclairer l’esprit d’un grand prince. Je n’ay point voulu rafiner sur cette discussion des temps ; et parmi les calculs déja faits, j’ay suivi celuy qui m’a paru le plus vray-semblable, sans m’engager à le garantir.

Que dans la supputation qu’on fait des années depuis le temps de la création jusqu’à Abraham il faille suivre les septante qui font le monde plus vieux, ou l’hebreu qui le fait plus jeune de plusieurs siécles : encore que l’autorité de l’original hebreu semble devoir l’emporter, c’est une chose si indifferente en elle-mesme, que l’eglise qui a suivi avec saint Jerosme la supputation de l’hebreu dans nostre vulgate, à laissé celle des septante dans son martyrologe. En effet, qu’importe à l’histoire de diminuer, ou de multiplier des siecles vuides, où aussi-bien l’on n’a rien à raconter ? N’est-ce pas assez que les temps où les dates sont importantes ayent des caracteres fixes, et que la distribution en soit appuyée sur des fondemens certains ? Et quand mesme dans ces temps il y auroit de la dispute pour quelques années, ce ne seroit presque jamais un embarras. Par exemple, qu’il faille mettre de quelques années plûtost ou plus tard, ou la fondation de Rome, ou la naissance de Jesus-Christ : vous avez pû reconnoistre que cette diversité ne fait rien à la suite des histoires, ni à l’accomplissement des conseils de Dieu. Vous devez éviter les anachronismes qui brouïllent l’ordre des affaires, et laisser disputer des autres entre les sçavans. Je ne veux non plus charger vostre memoire du compte des olympiades, quoy-que les grecs qui s’en servent les rendent necessaires à fixer les temps. Il faut sçavoir ce que c’est, afin d’y avoir recours dans le besoin : mais au reste, il suffira de vous attacher aux dates que je vous propose comme les plus simples et les plus suivies, qui sont celles du monde jusqu’à Rome, celles de Rome jusqu’à Jesus-Christ, et celles de Jesus-Christ dans toute la suite. Mais le vray dessein de cét abregé n’est pas de vous expliquer l’ordre des temps, quoy-qu’il soit absolument necessaire pour lier toutes les histoires, et en montrer le rapport. Je vous ay dit, monseigneur, que mon principal objet est de vous faire considerer dans l’ordre des temps la suite du peuple de Dieu et celle des grands empires.

Ces deux choses roulent ensemble dans ce grand mouvement des siécles où elles ont pour ainsi dire un mesme cours : mais il est besoin, pour les bien entendre, de les détacher quelquefois l’une de l’autre, et de considerer tout ce qui convient à chacune d’elles.