Discours prononcé sur la tombe de M. Parade, le 7 décembre 1864

DISCOURS
PRONONCÉ SUR LA TOMBE DE M. PARADE
LE 7 DÉCEMBRE 1864


Par M. LACROIX




Messieurs,

Je devais donc encore une troisième fois être chargé du triste devoir d’accompagner l’un de nous à sa dernière demeure, et de lui adresser au nom de l’Académie de Stanislas le supreme adieu. Moi qui, en voyant approcher la fin de la funèbre année de ma présidence, commençais à espérer qu’elle s’achèverait sans nous apporter de nouveau deuil, me voici encore au bord d’une tombe appelé, par ce nouveau coup de la mort, à être une fois de plus, en présence d’un cercueil, l’organe de votre douleur et de vos regrets.

Mais après ce que vous venez d’entendre[1], ai-je besoin de beaucoup de paroles pour vous retracer toute l’étendue de la perte que nous venons d’éprouver ? Ce qu’a été M. Parade, ce qu’il a fait de bon et d’utile, j’allais presque dire de grand pendant le temps qu’il a passé ici-bas, ce qu’il valait comme savant, comme administrateur, comme citoyen, comme homme privé, tout cela vient de vous être retracé avec une compétence et une autorité qui me manquaient également toutes deux. Et ce témoignage rendu à la mémoire de M. Parade par le chef suprême du service où il occupait un poste considérable et par le digne auxiliaire de ses fonctions administratives, trouve un écho qui le confirme dans l’émotion qui s’est emparée de tous les cours à la nouvelle de son trépas, dans la touchante manifestation de piété presque filiale qu’il a provoquée, d’un bout de la France à l’autre parmi ceux dont il avait été le maître, dans le concours des habitants de cette cité empressés à rendre hommage à la mémoire d’un homme qui lui faisait honneur, et à donner à ses funérailles les proportions et la solennité d’un deuil public. Que pourrais-je ajouter à l’éloquence de telles démonstrations qui attestent si haut la valeur de celui que nous pleurons, et l’estime, l’attachement, la vénération dont il était entouré.

Une seule chose me reste à faire, c’est d’exprimer au nom de l’Académie le sentiment tout particulier d’affliction et de regret qu’elle ressent de la disparition si soudaine du membre éminent qu’elle a possédé trop tard et qu’elle a perdu trop tôt.

M. Parade avait été vivement désiré par l’Académie de Stanislas. Mais son dévouement à ses devoirs qui lui faisait craindre d’en détourner les moindres instants d’une vie qui leur était toute consacrée, son extrême modestie qui le faisait se dérober à des suffrages que nous ne demandions qu’à lui décerner, l’avait tenu longtemps éloigné de nous. Enfin il consentit à se laisser rendre la justice qui lui était due, et ce fut avec un légitime orgueil que nous vîmes entrer dans nos rangs l’homme dont le nom est à jamais associé à la restauration de la sylviculture en France, celui que tous, à l’étranger comme dans sa patrie, s’accordent à saluer comme un des maîtres de la science. À peine fut-il des nôtres, que le plus éclatant hommage fut rendu au mérite scientifique de notre confrère, et le titre de membre correspondant que l’Institut lui conféra vint encore ajouter pour nous au prix de sa possession.

Mais hélas ! le moment approchait où ces distinctions, ces honneurs si bien justifiés, tout cela et le reste, allaient lui être ravis. Un jour on apprit le coup qui l’avait subitement frappé et les plus tristes pressentiments envahirent les cours. Toutefois l’espoir nous fut un instant rendu : M. Parade reparut un soir à nos séances, et l’on se fit illusion sur son état en l’entendant, de sa voix nette et ferme, prendre part à nos délibérations et nous assister de ses sages conseils. C’est ainsi que nous avons eu la dernière démarche de sa vie active. Le grave intérêt qui nous occupait alors fut l’objet de la conversation du retour, je ne l’oublierai jamais, l’ayant accompagné dans ses derniers pas à travers ces rues qu’il ne devait plus parcourir, jusqu’à cette porte de l’École forestière qui ne se rouvrira plus pour lui.

Le lendemain, la foudre le frappait une seconde fois, et il ne m’a plus été donné de te revoir. Seuls, un petit nombre d’amis intimes avaient conservé le droit de pénétrer jusqu’à lui ; et c’est par eux, que dans notre sollicitude sur l’état de notre confrère, nous apprenions les alternatives de cette longue maladie où venaient l’assaillir, parmi tant de douleurs physiques, des afflictions morales plus cruelles encore. C’est par eux, par leurs récits encore attendris et émus, que nous avons su avec quelle force patiente et douce il tenait tête au mal qui l’avait terrassé, combien il grandissait par l’effort de cette lutte héroïquement, chrétiennement soutenue, acquérant tous les jours aux yeux de ceux qui le connaissaient le plus comme des grâces et des vertus nouvelles et un charme qui le transfigurait ; comment enfin, et je dois à la vérité de vous le redire, épuré par la souffrance, et franchissant un jour le dernier intervalle qui le séparait du souverain bien, cet homme toujours si droit et si juste, couronna une vie consacrée à l’accomplissement de tous ses devoirs envers les hommes, par l’accomplissement de tous ses devoirs envers Dieu.

Dans de telles conditions, la mort peut venir ; elle a perdu ses horreurs. Si elle ne cesse pas d’être une épreuve, elle n’est plus une menace, et il est doux de ne doit penser qu’en la voyant entourée du rayon de la divine espérance, celui qu’on pleure a pu encore sourire à son approche.

Puissante consolation sans doute, mais qui ne peut, qui pas tarir entièrement dans les cours de ceux qui survivent la source de la douleur et des larmes ! Le spectacle du deuil qui nous entoure nous le fait assez comprendre en ce moment, où chacun de nous ressent en lui-même, dans la mesure où il est atteint, le coup qui nous frappe tous à la fois. Quant à l’Académie de Stanislas, sa part dans la douleur commune est bien grande, car la mort de M. Parade a fait dans ses rangs un vide irréparable ; et c’est pour le dire, c’est pour le déplorer, que j’ai élevé la voix en son nom, et que j’ai déposé sur cette tombe le témoignage de notre profonde affliction et de nos impérissables regrets.



  1. Ce discours avait été précédé par ceux de M. Vicaire, directeur général des Eaux et Forêts, et de M. Nanquette, successeur de M. Parade dans la direction de l’École forestière.