Discours prononcé par M. Thommeret, curé de Noisy-le-Sec, lors de sa prestation de serment, conformément au décret de l’Assemblée nationale

No. 18.

M. Thommeret, curé de Noisy-le-Sec, étoit monté à la tribune de l’assemblée électorale, dont il est membre, pour prononcer et motiver son serment civique. Citoyen vertueux, orateur exemplaire, il a renouvellé dans sa paroisse, et sa promesse religieuse et son éloquente exposition. Voici son discours que nous avons transcrit, pour l’instruction des fidèles et pour l’exemple des pasteurs :


Si la pieuse cérémonie qui nous rassemble en cette église, porte avec elle un caractère majestueux, elle présente aussi un consolant spectacle.

Citoyens qui m’écoutez, gravez dans votre souvenir, non pas mes foibles paroles, mais l’exemple solemnel que je viens donner au monde, et la soumission filiale que je viens jurer à la patrie.

Cette mère commune, mes frères, a parlé, et je m’empresse d’obéir. Je le dois comme citoyen : car la cité, dit Saint-Augustin, est une puissance tutélaire qui a veillé sur nous dès le berceau, et à qui nous sommes liés jusqu’au tombeau. Je le dois comme pasteur : car obligé de vous prêcher l’obéissance aux loix, je le suis de donner l’exemple de cette obéissance ; et un prêtre qui se révolteroit contre le magistrat, justifieroit le magistrat de sévir contre le prêtre. Je le dois enfin comme simple fidèle : car la foi n’est autre chose que la soumission aux dogmes religieux ; et le premier de ces dogmes, c’est que le créateur nous a faits pour observer l’ordre établi dans la nature et l’ordre convenu par la société : c’est dans ce sens qu’on a dit : toute puissance émane de Dieu ; omnis potestas a Deo.

Mes frères, vous n’exigerez pas de moi, sans doute, que j’entre ici dans une longue discussion de quelques points de controverse, déja éclaircis par une foule d’ouvrages lumineux, et décidés par une foule d’autorités respectables. Cependant je suis fait pour ajouter l’instruction à l’exemple. Ce n’est qu’en répandant au milieu de vous les lumières de l’évidence, que je pourrai convaincre ceux qui persistent opiniâtrement dans une fausse opinion, et affermir ceux qui, comme moi, ont embrassé l’opinion véritable.

S’il est une vérité, catholique, c’est-à-dire universellement reconnue par l’église et consignée dans les livres saints, s’il est une maxime adoptée de toutes les écoles et répétées dans toutes les chaires chrétiennes, c’est que les ministres des autels ne peuvent, sans une rebellion coupable, se soustraire aux puissances législatives de la terre ; subditi estote princifibus etiam discolis : Obéissez aux princes mêmes qui n’auroient ni vos opinions ni vos vertus.

Samuel commandoit aux Hébreux ; le peuple mécontent lui demande un roi : Samuel couronne ce roi et lui obéit le premier. Jérémie voit ses concitoyens captifs à Babylone : il les exhorte, en pleurant sur leur sort, à se soumettre à leur conquérant, jusqu’à leur délivrance. L’empereur Maurice promulgue dans l’Orient une loi qui ferme l’entrée du cloître aux guerriers inconstans ou enthousiastes. Que fait le pape Saint-Grégoire ? Il commence par promulguer cette loi dans l’empire d’Occident, et ensuite il remontre à l’empereur combien cette loi prohibitive contrarioit la liberté de l’homme et la vocation de la grace : obtempero ut debes : nunc rescribo ut licet.

Et que deviendroient les empires, si la religion, au lieu de consacrer l’obéissance civile, en rompoit à son gré les liens ? Chaque pontife seroit plus qu’un roi : il seroit plus qu’un peuple : il seroit un demi-dieu ; la théocratie, ou le règne du fanatisme, deviendroit le seul gouvernement : des oracles arbitraires nous tiendroient lieu de loix : tout seroit bouleversé au nom du ciel. La puissance temporelle ayant un cercle visible et mesuré, et l’église ayant un cercle invisible et incommensurable, celle-ci envahiroit, absorberoit l’Etat. Au moindre effort des souverains, les pontifes crieroient : le temple est profané ; on touche à l’encensoir ; que les consciences élèvent la voix ; peuples souvenez-vous que Dieu vous parle par notre organe, et qu’il vaut mieux obéir au Tout-Puissant qu’à de chétifs mortels.

C’est avec ce langage imposteur que d’ambitieux pontifes ont ébranlé tant de couronnes et brisé tant de sceptres. Je ne scandaliserai pas le sanctuaire, en répétant ici les blasphèmes que les papes ont fait prononcer contre l’église de Jésus-Christ ; je me contente d’opposer les saintes maximes de son évangile aux prévarications de ses ministres. « Mon royaume n’est pas de ce monde : rendez à César ce qui appartient à César. Il n’y aura parmi vous ni premier ni dernier. Celui qui refusera d’écouter l’assemblée des fidèles, sera mis au rang des idolâtres et des publicains. »

Voilà, mes frères, des textes précis ; voilà d’éternels décrets. Ceux de la constitution civile du clergé en sont l’image ressemblante et la copie exacte. Comment oserai-je donc les combattre ? comment balancerai-je à m’y soumettre ? Quel est le seul cas où la conscience doive, non-seulement se déclarer, mais se révolter même contre le gouvernement ? Quel est le moment juste de l’insurrection religieuse ? L’oracle de l’église, Saint-Augustin, l’a marqué, l’a prescrit dans ces paroles mémorables : L’église, a-t-il dit au chapitre dix sept, livre dix-neuf de la cité de Dieu, l’église doit se conformer aux mœurs, aux lois, aux établissemens politiques des États, sans les attaquer, sans les contester même, excepté lorsqu’un gouvernement s’oppose au culte du vrai Dieu. « Non curans quidquid in moribus, in legibus, institutisque diversum est, nihil eorum rescindens nec destruens, immò etiam servans ac sequens, si religionem quâ unus, summus et verus Deus colendus docetur, non impedit. »

Adorateurs de l’Être Suprême, reconnoissez dans ce passage vraiment divin, la morale de Jésus-Christ, le dogme du bon sens, la théologie de la conscience éclairée. Oui ; mes frères, les diversités de législation. de savoir, de mœurs et de coutume, quoiqu’intéressantes pour l’esprit humain, sont tolérées par la foi chrétienne, si elles admettent, si elles conservent le culte du véritable Dieu, et tant que cet immortel flambeau luit sur un empire, on peut laisser librement errer de passagers nuages : nihil curans, si religionem qua unus deus colendus docetur, non impedit.

Fénelon, le plus vertueux évêque de son siècle a pensé comme Saint-Augustin. La fidélité civile, dit-il dans ses maximes des saints, s’accorde avec la foi religieuse. La seule différence entre elles, c’est que la première lie les mains, et que la seconde lie les sentimens : en un mot, l’une obéit et l’autre croit.

L’ennemi de Fénelon et le rival de son éloquence, Bossuet, a proclamé d’une voix éclatante cette même doctrine. Il n’existe, dit-il dans sa défense de la célèbre déclaration du clergé de France, il n’existe qu’un seul cas où il soit permis de résister aux magistrats : c’est s’ils se disoient les égaux ou les supérieurs de Dieu, si deo superiores esse velint.

Quel est l’homme insensé ou hypocrite, qui oseroit dire que la constitution civile du clergé, est opposée au culte du vrai Dieu, à la morale, aux dogmes de l’évangile ? Personne ne le dit, mes frères, les ennemis de cette constitution en conviennent eux mêmes ; mais ils soutiennent que l’assemblée nationale n’avoit pas le droit de la faire. Mais c’est sans fondement, sans motif raisonnable ; car il est de fait que dans toutes les assemblées d’États généraux, dont la puissance étoit moins étendue que celle du sénat François d’aujourd’hui, on a délibéré et statué sur la discipline extérieure de religion : il est de principe que la puissance temporelle qui, pour la France, réside dans l’assemblée nationale et dans le roi, est plus absolue, pour ce qui concerne le culte extérieur de la religion, que celle de l’église. La puissance temporelle peut rejeter un canon de discipline extérieure qui lui est proposé par un concile général : un canon de discipline n’a force de loi ecclésiastique dans un gouvernement que par l’acceptation du prince qui en tient les rênes. Dans le cas de contradiction de la part des ministres de la religion, c’est-à-dire, si la puissance temporelle veut faire des changemens, des modifications dans la police, si je puis parler ainsi, du culte religieux, et que ces ministres invités par elle, à y coopérer, s’obstinent à ne pas vouloir admettre ces changemens et ces modifications, cette puissance temporelle doit l’emporter. Si son succès pouvoit être préjudiciable aux dogmes et a la morale de l’évangile, les ministres de la religion auroient le droit de faire des représentations, mais leur premier devoir est d’obéir. Obtempero ut debeo, nung tibi rescribo ut licet.

L’ordre public, je l’avoue, en dirigeant mes actions ne peut enchaîner ma conscience. Nulle puissance humaine ne peut en m’ordonnant d’obéir, m’ordonner de croire. Les clefs de Saint-Pierre elles-mêmes n’ouvrent point les cœurs. C’est à la grâce seule qu’il appartient d’y descendre et d’y agir en souveraine. Encore Dieu veut que le libre arbitre puisse lui résister, ou qu’il ne cède que par un mouvement spontané et une persuasion intime.

Puissance divine, puissance humaine, qu’ordonnent vos lois ? d’obéir et non de croire et qu’ordonne le décret national ? un serment conforme à la liberté civile et religieuse : le voici : Je jure d’obéir, je ne jure pas de croire : le doute m’est permis, l’examen m’est recommandé, mais l’obéissance m’est prescrite.

Dans quelque place que nous porte le choix du peuple ou celui du prince, nous devons jurer d’en observer les devoirs et d’en remplir les fonctions. Ce serment est-il un certificat public de la bonté, de la perfection des loix ? Non, il est simplement la promesse d’y être fidèle. Cette fidélité est l’engagement de tout fonctionnaire public. Le capitaine jure d’être fidèle à l’ordonnance militaire, quand même elle ne seroit pas la meilleure à son jugement. Le magistrat jure d’être fidèle au code judiciaire, quand même ce code sembleroit imparfait à ses yeux ; et le ministre des autels refuseroit un semblable serment ! il rejetteroit la discipline extérieure qu’établit la volonté nationale, qu’exige l’économie publique, que nécessite l’édification chrétienne ? Le ministre des autels seroit donc indépendant des nations ? Les prêtres seroient donc étrangers à l’état qui les salarie, et supérieurs à la patrie qui les protège ? Nous suivrions donc dans un siècle de lumières, la marche que suivoient, dans les temps d’ignorance et de superstition ; des Pontifes usurpateurs qui plongèrent la France chrétienne dans un chaos plus monstrueux que celui que Dieu débrouilla en formant le monde.

L’assemblée nationale a débrouillé ce chaos ecclésiastique. La constitution civile qu’elle donne au clergé, n’est autre chose que la constitution apostolique donnée à l’église naissante.

Oui, mes frères, j’ai médité tous les points que la fausse piété ou la fausse logique chicane dans cette constitution. Je les réduits à cinq articles que je vais vous exposer rapidement, afin que vous puissiez juger si je suis fondé à jurer ce que je crois, et à croire ce que je jure.

Premier article. Nouvelle division des diocèses : Cet article est purement territorial et géographique ; il ne concerne ni le dogme, ni la morale évangéliques. Jésus-Christ, en envoyant ses apôtres évangéliser la terre, leur dit : Instruisez et baptisez les nations. Il ne leur a pas dit mesurez et circonscrivez des diocèses. Aussi les premiers diocèses et les premières métropoles de la primitive église, furent-ils tracés d’après la division des provinces romaines, circonscrites par Auguste, quarante ans avant l’établissement du christianisme, Les premiers diocèses et les premières métropoles de l’église Gallicane, furent tracés de même, d’après la division des provinces et des capitales de la Gaule. L’assemblée nationale ayant changé cette division provinciale, a pu, a dû changer la division diocésaine ; par-là le catholicisme s’est, pour ainsi dire, incorporé avec la monarchie françoise.

Deuxième article. Suppression des évêchés. Qu’il y ait cent dix-huit ou quatre-vingt-trois évêchés ; cela est fort indifférent au dogme et à la morale de Jésus-Christ ; une nation est seule juge des convenances locales. Un évêque de trop, est un citoyen déplacé, un fardeau pieux. Lui-même doit applaudir à sa réforme ; c’est ainsi que Saint-Augustin offroit d’abdiquer son siége épiscopal en faveur de la paix et de l’union chrétienne ; c’est ainsi que Saint-Basile se soumit sans murmure à la loi de l’empereur Valence, qui venoit de supprimer la moitié de son diocèse.

Troisième article ; nouvelle circonscription des paroisses. L’utilité publique les a établies, l’utilité publique peut les circonscrire, les transférer, les séparer ou les unir. Que le pasteur se souvienne que ses pouvoirs spirituels émanent de la main sacerdotale, mais que l’exercice de ces pouvoirs doit s’arrêter à la borne posée par la main souveraine.

Quatrième article ; l’élection des fonctionnaires ecclésiastiques par le peuple. Ainsi fut choisi Matthias ; ainsi furent élus presque tous les évêques pendant les deux premiers siècles. Il est vrai que les ministres de la religion participoient à ces élections. Mais la loi françoise n’exclut ni le concours des prêtres, ni la juridiction des évêques. Il n’y a qu’à lire le décret pour s’en convaincre.

Cinquième article, le conseil donné à l’évêque : ce conseil, mes frères, est d’institution divine. Jésus Christ lui-même admettoit ses apôtres aux secrets éternels de sa mission céleste. Ce conseil est d’institution primordiale, d’institution raisonnable et tutélaire un administrateur ecclésiastique, sans conseil, pourroit s’égarer au détriment de la religion. Si la réunion des lumières est favorable à l’administration des intérêts temporels, combien ne l’est-elle pas davantage au gouvernement des consciences ? La véritable hiérarchie consiste dans la subordination des places et la correspondance des autorités. Rompez la chaîne qui les lie, vous renversez l’ordre qui les maintient.

Sixième et dernier article : La restriction mise à la puissance des souverains pontifes. Est-ce dans ce siècle de lumières, est-ce au sein d’une nation libre et éclairée, que l’on espère ressusciter le délire ultramontain ? ou bien espère-t-on persuader au peuple des croyans, que nous voulons rompre la communion romaine parce que nous voulons nous y borner ? Qu’a fait l’assemblée nationale ? a-t-elle imité la Hollande, la Suisse, l’Angleterre, la Suède, le Danemarck, la Grèce et la moitié du monde chrétien, qui a foulé aux pieds la tiare et fait un divorce éternel avec l’église Romaine ? non : dirigée par des idées plus vastes, animée du véritable esprit de l’évangile, c’est-à-dire de la fraternité universelle, elle reconnoît l’église Romaine comme la mère antique de toutes les églises, pour le point de ralliement de tous les fidèles, pour la métropole vénérable de l’univers chrétien. Elle n’a point enlevé l’encensoir de nos temples, pour l’attacher au trône : elle n’a point enlevé les livres saints de la main qui en étoit la dépositaire solemnelle. L’union la plus intime, la plus sincère est conservée avec le chef visible de l’église. La suprématie spirituelle est respectée, avouée, raffermie. Le centre d’unité chrétienne étoit un article de foi contesté par les incrédules : il devient un article de civisme lié à toutes nos loix. La religion sort du nuage ; son émersion subite doit charmer tous les regards pieux, et son flambeau se rallume au moment où il sembloit presque éteint. Quatre vingt-trois évêchés placés dans quatre-vingt-trois departemens, sont, en quelque sorte, quatre-vingt-trois signaux de notre alliance, de notre communion avec l’église de Rome.

Dans les premiers siècles de l’église, les évêques n’ont jamais eu recours aux souverains pontifes, à l’effet d’en obtenir l’institution canonique. Cette proposition est principalement appuyée sur le discours de M. l’abbé Maury, où il dit que Saint-Jacques établit plusieurs évêques sans consulter Saint-Pierre.

C’est dans le fond de ma conscience, c’est aux pieds du crucifix, l’oracle des chrétiens, c’est l’évangile sous mes yeux, c’est d’après avoir conculté les meilleurs auteurs que j’ai discuté tous ces articles. C’est devant le tabernacle saint, où repose Jésus-Christ, c’est devant le peuple qui m’écoute, et le Dieu qui me juge, que je vais réciter le serment civique ordonné par l’assemblée nationale.

Pasteurs de l’église, daignez, non pas être entraînés par mon exemple, mais convaincus de la solidité de mes motifs… je réduis mon discours à deux résultats : ceux qui s’opposent aux réformes de la discipline extérieure du clergé, veulent deux choses, ou le schisme de l’église gallicane, ou la contre-révolution de l’empire François ; ils sont donc les vrais ennemis de Rome, et les vrais ennemis de la France.

Portion d’un peuple souverain, vous qui en êtes aussi une de l’église, vous à qui je communique ma pensée, vous à qui je demande la vôtre : détrompez-moi si je m’égare, ou s’il m’est échappé dans mon effusion quelque idée inexacte.

Autel antique sur lequel ma foi s’appuie, ébranlez vous si je ne suis pas attaché de cœur et d’ame aux devoirs que vous m’imposez. Voûtes sacrées de ce temple, qui avez tant de fois retenti d’exhortations pieuses et solemnelles, entr’ouvrez-vous, et que le feu céleste descende sur moi, pour consumer mon cœur, s’il nourrit un seul sentiment contraire ou étranger au bien public, et à la prospérité nationale. Tout se tait : ce silence est un consentement du peuple et une approbation du ciel ; je prononce donc le serment que l’un et l’autre sanctionne. Je jure, etc.