Discours prodigieux et véritable d’une fille de chambre

Fleury Bourriquant (p. Gt.-13).

DISCOVRS
PRODIGIEVX
ET VERITABLE
D’VNE FILLE DE CHAMBRE,
laquelle a produict vn monſtre, apres
auoir eu la compagnie d’vn Singe, en
la ville de Meſſine.
En ce Diſcours ſont récitées les paroles que ladite fille profera
eſtant au ſuplice, & les prières qu’elle fiſt ; enſemble le
iour qu’elle fuſt bruſlée, auec le monſtre & le Singe.
Dont voicy la figure au naturel dudit monſtre.
A PARIS,
Par Flevry Bovrriqvant.
Prins ſur la copie imprimée à Sienne.

DISCOVRS
PRODIGIEVX
ET VERITABLE,
D’VNE FILLE DE CHAMBRE,
laquelle a produict vn monſtre,
apres auoir eu la compagnie
d’vn Singe.

AVANT-PROPOS.


S I les Anciens ont eu de tout temps en ſi grand horreur les adulteres & fornicateurs, qu’il n’y a eu preſque peuple, nation ou prouince, qui ne les ayt chaſtié par quelque ſeuere loy. Strabo (liure ſeizieſme) eſcrit, que les Arabes puniſſoient de peine de mort les adulteres ; comme außi faiſoyent les Lombards. Les Egyptiens faiſoyent fouëtter le paillard par la cité, & coupoient le nez à la femme, afin qu’elle fut defigurée par la face, & qu’elle fut trouuée plus difforme : Les Parthes (entre tous les vices) puniſſoient plus ſeuerement l’adultere. Et dedans les hiſtoires ſacrées il eſt recité, que par la Loy de Moyſe, ils eſtoyent lapidez & aſſommez. S. Paul aux Hebrieux, treizieſme chapitre, dit : que Dieu condamnera les fornicateurs & adulteres. En vn autre endroit il s’eſcrie : Ne vous trompés point ; les fornicateurs ny les idolatres, ny les adulteres, ne poſſederont point le Royaume de Dieu. Entre les principales cauſes du deluge ; quand le Seigneur fit plouuoir ſon ire ſur la terre, les paillardiſes ſont nombrées : La ſuperbe Troye fut ruinée par le rauiſſement d’Helene : Thebes, cité populeuſe, pour le rapt de Chriſippe, & pour l’inceſte Dedipie, fut totalement defaite : A Rome les Roys furent bannis, & leurs noms exterminés, pour le rauiſſement de Lucreſſe. Or donc, ſi les hiſtoires ſacrées & prophanes ſont toutes remplies de griefues peines, cruels ſupplices, ire & malediction, qui ſont enuoyé de Dieu, ſur les paillards ; que doyuent eſperer les ſodomites, & autres qui ſe ioignent en l’ignominie de Dieu & de nature, auec les beſtes bruttes ? comme vous ſera deduit en ce diſcours prodigieux & veritable.


V Ovs ſerez donc aduerty (Seigneurs & Dames) que à Meſſine, au palais & habitation de Magnifico, & Nobiliſſimo ſignor Lupo Donnati, gentil-homme bien né, & d’vn fort bon naturel, amateur de toutes courtoiſie ; lequel s’eſtoit marié il y a enuiron quelques trois ou quatre ans, à vne grand’ damoiſelle du Royaume de Naples, laquelle auoit en ſa ſuitte vne fille de chambre, de l’aage de dix-neuf à vingt ans, nommée Hipolita Biſcontina, d’aſſez honorables parens : mais degenerant à iceux, ne meritoit à la vérité, porter leurs nom & tiltre : Car oubliant ſon Dieu, pour ſuyure le Diable : quittant la vertu, pour empoigner le vice, fut cauſe que ceſte miſerable Hipolita, du tout tranſportée d’eſprit & d’entendement, commence à s’accoſter d’vn Marmot, eſpece de ces gros ſinges à queuë, que ce gentil-homme (ſondit maiſtre) nourriſſoit par plaiſir : & s’induiſant en toutes ſortes de lubricité à l’animal (lequel y eſtant accouſtumé) ne manquoit à la careſſer, auſſi toſt qu’il l’apperceuoit. Cecy dura l’eſpace de quelques vingt mois. Ceſte mal-heureuſe eſtimoit bien le faict eſtre ſecret, ne croyant pouuoir conceuoir de cet animal : mais Dieu iuſte Iuge, ne voulant qu’vne telle abomination demeura celée & impunie, permit qu’elle ſe trouua groſſe.

Icy on peut conſiderer qu’vn mal, pour caché qu’il ſoit, Dieu en fin le reuele, lors qu’il apperçoit que nous demeurons obſtiné ; & que ſans nous amander, nous demeurons plongé au peché.

Hipolita ſe ſentant groſſe, ou ſoit pour n’y eſtre accouſtumée, ou pour l’horreur & grauité de ce deteſtable peché, elle eſtoit toute alengorie, triſte, & toute chagrineuſe. Le Signor Lupo ſon maiſtre, homme de iugement, la voyant en telle angonie, iugeoit qu’elle fut opilée : mais remarquant tous les iours ſes façons de faire, & apperceuant qu’elle auoit plus gros ventre que de couſtume, ſe douta qu’elle ne fut groſſe : de fait il en communique à ſa femme, la priant de ſçauoir d’elle, par flaterie ou douce parolle, la verité du faict : Ce que la damoiſelle ſa maiſtreſſe fit, y employans, comme on dit vulgairement, toutes les herbes de la Sainct Iean : mais ce fut pour neant, ains au rebours : car Hipolita jettoit vne effuſion de larmes ; diſant que ſa maiſtreſſe luy faiſoit tort, de preſumer d’elle, qui eſtoit ſi fille de bien ; ſortie de ſi bon lieu, choſe où iamais elle n’auoit penſé. La damoiſelle tres-faſchée recite à ſon mary le tout, le ſuppliant n’auoir plus ceſte opinion enuers ſa chambriere : neantmoins luy, qui n’eſtoit gruë, prenoit garde de iour à autre à elle ; & voyant que ſon ventre croiſſoit de plus en plus, vn iour apres diſner l’appelle en vne chambre particuliere, luy diſant ces propres mots :

Hipolita, tu ſçais bien que ie t’ay deſ-ia fait parler vne fois par ta maiſtreſſe, ſur vn ſoupçon que i’ay de toy, dont tu te ſçais tres-bien excuſer : mais maintenant il ne faut plus que tu le cache, ny moins que tu t’en faſche, car cela ne ſeruira de rien : mais ie t’adiure à me dire la verité : (car ie cognois bien que tu es groſſe) prens garde de ne faire quelque cas ſinistre, dont il t’auienne en-apres quelque grãd mal-heur : confeſſe librement la verité, nous chercherons d’y apporter remede. Elle nioit fort & ferme, & iuroit n’auoir iamais eu affaire à homme viuant. Le ſeigneur Lupo ne ſçauoit que coniecturer : En fin il ſe reſoult la faire viſiter : pour ces fins il mande querir vne matrone, laquelle apres l’auoir viſitée, aſſeure que Hipolita eſtoit enceinte, enuiron de cinq mois : Hipolita au contraire r’affermoit ſon ſerment, iurant que iamais homme ne l’auoit touchée. Le Signor Lupo tout eſtonné de ce fait, la fit tenir ſerrée en vne chambre, pour voir que ce ſeroit. Apres quelques trois mois & demy qu’elle eut demeuré ſerrée, quelques ſeruiteurs du ſieur Lupo la ſentirent plaindre, leſquels en auertirent leur maiſtre, lequel incontinent manda vne matrone auec quelques autres femmes. Enuiron deux heures apres, elle fit vn monſtre prodigieux & contre nature ; comme vous voyez le portraict au vif à la premiere page cy deuant : il eſtoit depuis le nombril en haut en forme de chair humaine, fort bien formé : mais depuis le nombril en bas, en façon de ſinge auec vne queuë. Cecy venü à la notice du ſieur Lupo, il manda querir la iuſtice, & furent mis des ſergens pour ſa garde, iuſques au huictieſme iour ſuiuant, qu’elle fut apliquée à la torture où elle confeſſa librement, d’auoir prouoqué le Marmot à cet acte mal-heureuſe, & d’auoir eu ſa compagnie par pluſieurs & diuerſes fois. Veu ſa confeſſion, elle fut condamnée d’eſtre tenaillée par tous les carrefours de Meſſine, & apres eſtre bruſlée toute vifue, enſemble le Marmot, qui fut mis dans vne cage de fer, & auſſi le monſtre, qui n’auoit veſcu que trois iours. Et ladite ſentence fut executée le II. Aouſt dernier.

Hipolita eſtant ſur l’eſchafaut, voyant vne grãde aſſemblée de peuple, qui eſtoit accouru pour voir le ſpectacle, elle ietta vn grãd ſouſpir ; puis dit : Messievrs, vous voyez icy une miſerable creature, laquelle a delaiſſé ſon Dieu pour ſuiure Satan & ſes œuures : i’auois eſté creée auec un ame ; ce qui ne m’apartenoit pour auoir laſché la bride à ce miſerable corps ; pour commettre le plus abominable, deſnaturé & deteſtable péché qui ſe puiſſe commettre : Dieu m’auoit creée creature raiſonnable, il m’auoit donné l’intellect & les ſens, i’en ay abusé, & me ſuis rendue irraiſonnable. Meßieurs, ie vous crie à tous mercy : & vous mes dames & damoiſelles, prenez exemple à ceſte pauure miſerable, laquelle eſt preſte d’eſtre reduite en cendre, pour ſon miſerable forfaict. Sur toutes choſes ie vous exhorte à quitter l’oyſiueté ; car c’eſt la mere de tous vices : ſi ie me fuſſe occupée à la lecture de quelques bõs liures ſaints, ou bien à quelque honneſte occupation, ſans doute le diable ne m’eut déceu, & ie ne fuſſe tombée en cet enorme péché : ie ne merite d’auoir aucune grace de vous, pour auoir perpetré vn ſi mal-heureux acte, contre la raiſon : neantmoins ie vous ſuplieray, au nom de Dieu ; de prier pour moy, & me pardonner tous en general. Adieu madamoiſelle, adieu chere maiſtreſſe : ſi i’euſſe bien fait mon profit des honneſtes remonſtrances que vous me faiſiez iournellement, ie ne ſerois pas icy, pour prendre vne ignominieuſe fin. Puis leuant les mains au ciel, pria en ceſte ſorte :

Hélas ! Seigneur Dieu ; comme oſe-ie leuer les yeux deuant voſtre ſaincte Maieſté, moy la plus grande pechereſſe des pechereſſes : mon crime eſt ſi grand, bon Dieu, que ie crains ne pouuoir eſtre pardonnée : toutesfois i’aime mieux implorer voſtre miſericorde que me deſeſperer. Helas ! mon Dieu, au nom de voſtre ſaincte paßion, pardonnez à ceſte miſerable. Si vne petite goutte de voſtre ſang, mon Sauueur, eſt baſtante pour racheter cent mille monde ; que ceſte grande effuſion, que vous auez reſpandue en l’arbre de la croix, ſoit au ſalut de mon ame, s’il vous plaiſt. Mon Dieu, mon Pere, & mon Sauueur, ayez pitié de moy. L’executeur mit le feu au bois, elle ne ceſſa iamais iuſques au dernier ſouſpir, à prier Dieu.

Vous voyez icy (Meſſieurs & Dames) comme ſatan, noſtre ancien ennemy, taſche à nous eſpier en toutes nos actions ; taſchant s’il eſt poſſible, nous prouoquer à peché : & incontinent que nous laiſſons la vertu, & qu’il nous voit oiſif ; c’eſt alors qu’il ſe ſert de ceſte commodité, pour taſcher de nous pouuoir induire à faire quelque ſiniſtre mal-heurs. Pour obuier à ce, prions Dieu inceſſamment, qu’il le lie ſi bien, qu’il ne nous puiſſe iamais deceuoir. Ainſi ſoit-il.

FIN.