Discours de trois Espaignols et une Espagnolle qui se faisoient porter par les diables


DISCOVRS

PRODIGIEVX ET
eſpouventable, de trois Eſpaignols & une Eſpagnolle, Magiciens & Sorciers, qui ſe faiſoient porter par les diables, de ville en ville, avec leurs declarations d’avoir fait mourir pluſieurs personnes & beſtail par leurs ſorcilleges, & auſſi d’avoir fait plusieurs degats aux biens de la terre.
Enſemble l’Arreſt prononcé contre eux par
la Cour de Parlement de Bourdeaux, le
Samedy 10. jour de Mars, 1610.
A PARIS,
Iouxte la coppie imprimee à Bourdeaux.




DISCOVRS
PRODIGIEVX ET
eſpouventable, de trois Eſpaignols & une Eſpagnolle, Magiciens & Sorciers, qui ſe faiſoient porter par les diables, de ville en ville, avec leurs declarations d’avoir fait mourir pluſieurs perſonnes & beſtail par leurs ſorcilleges, & auſſi d’avoir fait pluſieurs degats aux biens de la terre.
Enſemble l’Arreſt prononcé contre eux par
la Cour de Parlement de Bourdeaux,
le Samedy dixieſme Mars, 1610.


L’Homme des auſſi toſt qu’il fut fabriquer par l’Eternel ouvrier divin, fut des auſſi toſt ſurpris par l’ennemy de nature humaine, du depuis Satan n’a ceſſé par toutes ſubtilitez, & moyen de pouvoir ſucomber & attirer le genre humain en ces lacs. Des incontinant que ce grand Capitaine Moyſe eut en main la Comiſſion pour retirer les Iſraëlites d’entre les mains de ce pervers & inique Roy d’Egypte Pharaon, il luy declare l’ambaſſade celeſte, il le ſomme à relacher le peuple de Dieu : Et pour preuver ſon dire, il jette ſa verge en bas, qui tout auſſi toſt prend vie, & ſe metamorphoſe en Serpent furieux. Les Magiciens veulent faire de meſme : mais pour neant : Car celle qui eſt produite par la toute puiſſance divine, engloutit & diſſipe ceux qui ſont provenus de l’art Diabolique.

De meſme fut fait des raynes, ſauterelles, & autres animaux provenus d’enchanterie & ſortilleges : tellemểt que l’home eſt bien aveuglé, & dehors de toutes conſiderations, qui s’adonne à ces malheureuſes & deteſtables œuvres de Magie, quittant ſon Dieu pour ſuyvre le diable, laiſſant la verité pour le menſonge, ſe precipiter du port de grace & ſalut, dans les abiſmes & gouffre des Enfers. Les lecteurs ſe contenteront de ce preambule, à celle fin de ne les ennuyer pour eſtre prolixe, ſe contentant s’il leur plaiſt au recit de ce diſcours tres-veritable prodigieux, & autant admirable que lổg temps aye eſté mis en lumiere.

Trois Eſpagnols Magiciens accompagnez d’une femme Eſpagnolle, auſſi ſorciere & Magicienne, ſe ſont promenez par l’Italie, Piedmổt Provence, Franche-Comté, Flandres, & ont par pluſieurs fois traverſé toute la France. Et tout auſſi toſt qu’ils avoient receu quelque deſplaiſir de quelques uns, en quelque vilotte ou bourgade ; ils ne manquoyent par le moyen de leurs maudits & pernicieux charmes & ſorcilleges, de faire ſecher les bleds, & de meſme aux vignes, & pour le regard du beſtail, il lẩguiſſoit quelque trois ſepmaines, puis demeuroit mort, tellement qu’une partie du Piedmont a ſenty que c’eſtoit de leurs maudites façons de faire.

Tout auſſi toſt qu’ils avoient fait iouër leurs charmes en quelques lieux par leurs arts pernicieux, ils ſe faiſoient porter par les diables dans les nuees, de ville en ville, & quelquefois faiſoient cent ou ſix vingts lieuës le iour : mais comme la iuſtice divine ne veut longuement ſouffrir en eſtre les malfacteurs, Dieu permit qu’un Curé nomme meſſire Benoiſt la Faye natif d’Ambuy pres de Bourdeaux, eſtant allé à Dole, pour pourſuivre un du lieu, auquel il avoit preſté une ſomme notable, & pour autant qu’il falloit que le dit meſſire Benoiſt s’ẽ retournaſſe à Bourdeaux pour faire enqueſte de ce preſt, attẽdu que ſa partie nioit, il ne fut pas loin d’une harquebuſade de Dole, qu’il trouva ces Eſpagnols & leur ſuivante, leſquels ſe mirent en compagnie avec luy, & luy demanderểt ou il alloit, apres le leur avoir declaré & conté une partie de ſon ennuy, & ſe ſaſchant de la longueur du chemin qu’il avoient à faire, tẩt d’aller que de revenir, & meſme que les Iuges ne luy avoient baillé qu’un mois de delay, & paſſé iceluy, il ſeroit forclos un de ces Eſpagnols nommé Diego Caſtalin luy dit ces mots, ne vous deſconfortez nullement, il eſt pres de midy : mais ie veux que nous allions coucher à Bourdeaux, le Curé penſoit qu’il le diſſe par riſee, veu qu’il y avoit pres de cẽt lieues, neãtmoins ce, apres eſtre aſſis tous enſemble, ils ſe mirent à ſommeiller, au reveil du Curé, environ les ſix heures du ſoir, il ſe trouve aux portes de Bourdeaux avec ces Eſpagnols. Eſtant enquis de ſes amis qu’il avoit fait, il monſtre ſes actes faites du meſme jour dans Dole, nul ne peut croire ce fait, il aſſeure au contraire, un Conſeiller de Bourdeaux en fuſt adverty, il voulut ſçavoir comment cela s’eſtoit paſſé, il declare les trois Eſpagnols & la femme qu’ils menoiẽt, on fouille leurs bagages, ou ſe trouve plusieurs livres, caracteres, billets cires, couſteaux, parchemins, & autres denrees ſervant à magie, ils ſont examinez, ils confeſſent le tout, & plus que l’on ne leur demandoit, diſant entre autres, d’avoir fait par leurs malheureuses œuvres, perir les fruicts fruits de la terre, aux endroits où leur plaiſoit, d’avoir fait mourir pluſieurs personnes & beſtail, & eſtoiẽt reſoluts ſans ceſte deſcouverte de faire pluſieurs maux du coſté de Bourdeaux, la Cour leur fit leur procez extraordinaire, qui leur fut prononcé le premier Mars, mil ſix cens dix, en la maniere que s’ensuit.

Extraict des Registres de la Cour de Parlement.


VEv par la Cour les chambres aſſemblees, le procez Criminel & extraordinaire par les Conſeillers à ce deputez, à la Requeſte du Sieur Procureur general du Roy en ce qui reſulte à l’encontre de Diego Caſtalin, natif de Boquo en Eſpaigne, & de Franceſco Ferdillo natif de Lina en Caſtille, & de Vincentio Torrados natif de Madril, & de encores Catalina Fioſela, natiſve de Còlonaſos, les concluſions du ſieur Procureur general du Roy : ouys & interrogez par ladite Cour, leſdits accuſez sur les enchantemens, magies, ſorcileges, & autres œuvres diaboliques, & pluſieurs autres crimes à eux impoſez, tout conſideré dit a eſté, que ladite Cour a declaré & declare, leſdits Diego Caſtalin, Franceſco Ferdillo, & Vincentio Torrados, & encore Catalina Fioſella, deuëment attaints & convaincus des crimes de magies, ſorcileges, & autres pernicieuſes œuvres malheureuſes & diaboliques. Et pour reparation deſquels crimes, les a ladite Cour condamné & condamne à eſtre prins mené par l’executeur de la haute iuſtice, en la place du marché au porc, & eſtre conduit ſur un buſcher pour illec eſtre bruſlez tous vifs, & leurs corps eſtre mis en cendres, enſemble leur liures, caracteres, couſteaux parchemins, billets, & autres ſervant à magie. Donné à Bourdeaux en Parlement, le 1. Mars 1610.

Eſtant sur le buſcher ils declarent pluſieurs malheureuſes œuvres diaboliques qu’ils exerçoient par art de Magie, & dirent qu’ils avoient apris ledit art à Toledos en Eſpaigne, ou ordinairement s’en faiſoit eſcole publique, & que par le moyen de ceſte fanatique ſcience, ils avoiẽt puiſſance de faire perir pluſieurs personnes, beſtail & porter beaucoup de dommages aux fruicts de la terre, aussi ils confeſſserent d’avoir voulu entrer dans la Rochelle, ce qui ne leur fut permis & n’y alloyent à autre fin, ſinon pour faire par leur diabolique ſcience perir pluſieurs personnes : disant que quand ils vouloyent auec certaines poudres qu’ils bruſloient ils infectoient laër, tellement que plusieurs perſonnes attaints de ceste mauvaiſe & pernicieuſe odeur mouroient ſubitement.

L’eſpagnolle qui les ſuyvoit nommee Catalina Fioſela, dit & confeſſa une infinité de meſchancetez par elle exercez entre autres par ſes malheureux ſorcilleges, elle auoit fait avorter une infinité de femmes enceintes, & d’avoir infecté avec certaines poiſons pluſieurs fontaines, puits, & ruiſſeaux, & auſſi d’avoir fait mourir plusieurs beſtail, & d’avoir fait par ſes charmes tumbé pierres & greſles ſur les biens & fruits de la terré : apres sa confeſſion elle fut incitee a crier mercy à Dieu, ce que jamais ne voulut faire : ainſi fut la fin de ces maudits Magiciens, leſquels eſtãt poſſedez du diable meumeurent ſans aucune contrition de leurs fautes & pechez.

Voila qui doit ſervir d’exemple à pluſieurs perſonnes qui s’eſtudient à la Magie, d’autres ſi toſt qu’ils ont perdu quelque choſe s’en vont au devin, & ſorciers, & ne conſiderent pas qu’allant vers eux, ils vont vers le Diable, & quittent leur Dieu & Createur pour suivre l’ennemy & le prince des tenebres.

Mais qu’en vint il à la fin ? une ruine miſerable, comme il eſt arrivé à ces pauvres malheureux : car Dieu qui eſt jaloux de ſon honneur, & de ſa gloire, ne permet pas que ces tours de Babel, qui ont eſté edifiees par cet arrogant & ſuperbe qui ne taſche qu’à obscurcir ſa gloire, puiſſent durer long temps, & des auſſi toſt qu’il commence à s’ennuyer de ces crimes trop odieux, du premier mouuement qu’il remue ſa main pour les accabler, tout cela s’en va en poudre, & n’en ſort qu’vne confuſion miſerable de ceux qui s’y ſont arreſtez. Voire encore ce qui devroit effrayer d’avantage leurs imaginatiõs, il fait d’ordinaire, que celuy qui les a fait broncher en ce filez par ſes belles promeſſes, c’eſt celuy qui les prẽt dedans, & leur fait endurer une fin miſerable : auſſi est-ce le bourreau de la iustice de Dieu, qui ne ſe plaiſt qu’en la perte des ames, & qui roule toutes ses machines pour les abiſmer au gouffre de damnation, où il leur fait puis apres payer l’uſure des maux, & execrables parricides qu’ils ont attenté, & mis en execution ſur leurs freres, C’eſt une chose du tout eſtrange, de dire, que l’homme ſe laiſſe tellement aveugler en ſoymeſme, qu’il perde tout ſentiment, & de l’humanité, & de la religion, laſchant ainsi la bride à ſes paſſions, pour executer les deſſeins de Satẩ sur les creatures, & bouchant l’oreille aux inſpirations du Ciel, qui luy font voir parmy les tenebres de ſon erreur, la deformité de ſes pechez. Ils ne ſe ſoucient plus de ſalut, & logent toutes leurs eſperances en morte paye en enfer, ſans ſe ſoucier de rien, ſinổ d’eſtre compagnons du diable, & ce luy qui peut faire quelque acte dổt l’abomination face dreſſer les cheveux, voire à ſes compagnons, c’eſt celuy qui s’eſtime le plus gentil de la trouppe, & qui merite plus de ſalaire, de façon qu’il n’y a meſchanceté que ces maudits ne mettent en execution. D’où penſerons nous que cela proviểne, ſinon de ce qu’ils oublient entierement Dieu & ſon Paradis, pour ſe donner en holocauſte à la cruauté de l’enfer. Recognoiſſons donc noſtre Dieu, & craignõs ses jugemens, puis qu’il permet ainſi que ceux qui l’oublient treſbuschent en des horreurs ſi eſtranges, & le priant de confondre ceſte engeance perverſe retournons nous à luy par penitence, & le ſupplions qu’il luy plaiſe reveiller ceux qui ſont enyurez de ces charmes, pour ſe remettre au droit chemin.


FIN.