Discours de l’inondation arrivée au fauxbourg S.-Marcel-lez-Paris


Discours de l’inondation arrivée au fauxbourg S.-Marcel-lez-Paris, par la rivière de Bièvre, 1625.

1625



Discours sur l’inondation1 arrivée au faux-bourg S.-Marcel lez Paris, par la rivière de Bièvre, le lendemain de la Pentecoste, 1625, et moyen d’empescher a l’advenir telles inondations et conserver la dite rivière, à cause de son incomparable proprieté pour les teintures, nonobstant le destour des sources de Rungis. Plus autre advis pour l’establissement des tueries, tanneries et megisseries, par la moyen du destour de la dite rivière au dessus de la ville de Paris.
À Paris, de l’imprimerie de Jean Barbote, en l’isle du Palais, rue de Harlay, à l’Alloze.
M. DC. XXV.
In-8.

Ornari res ipsa negat, contenta doceri.

La possession vitieuse, clandestine et violente de plusieurs proprietaires des heritages situez le long de la rivière de Bièvre et ancien cours d’icelle estant cause des inondations et deluges survenus ès faux-bourgs Sainct-Marcel et Sainct-Victor, requiert qu’on en mette au jour les remèdes et moyens certains, non seulement pour prevenir les dites inondations, mais aussi pour remedier à la perte et ruine d’icelle rivière durant les grandes sechcresées, à cause du destour du ruisseau venant des sources de Rungis2 pour l’embelissement et necessité de la ville de Paris.

Ce qui est dict, non pour bastir des dedales et labirinthes de procez, ains pour donner et laisser à la posterité ce que nos predecesseurs, avec tant de peine, nous ont laissé, et encor quelque chose davantage.

La fontaine Bouviers3, près Guyencourt, est la source de la rivière de Bièvre4, laquelle remplit trois estangs, appelez de Braque5, Regnard et du Val, dans lesquels la dite rivière est retenue durant les grandes secheresses, et la pesche d’iceux faite durant les grandes inondations, de la descharge desquels estangs le moulin Regnard prend son eau, laquelle se perd au dessouz, n’ayant aucune forme de ruisseau, se respandant dans les prez sauvages et aulnayes, l’egoust desquelles eaux fait moudre le moulin du Val, au dessous duquel la dite rivière se perd encor dans un autre estang, qu’on a converty en aulnaye, au dessouz de laquelle se fait un petit ruisseau qui fait moudre le moulin de Launoy, et un quart de lieüe au dessouz le moulin de Buc, lesquels cessent durant les grandes secheresses, comme aussi durant les grandes inondations, faute de descharge et curage de la dite rivière. Un quart de lieue au dessouz est le moulin de Vaupetain, et plus bas, de demie-lieuë en demie-lieuë, les moulins de Sainct-Martin, de Jouy-en-Josas, du Rat, de Vauboyan, Bièvre, d’Ignis, d’Amblainvilliers, des Grez, de Mineaux et d’Anthony, auquel lieu se joinct le ruisseau de Vauharlantz à la rivière de Bièvre, provenant des goulettes que les particuliers font à la dite rivière pour arrouser leurs prez et descharges des estangs de Massy, lesquels deux ruisseaux, joincts ensemble au pont Sainct-Anthony, ne subsistant que des ravines d’eaux, peuvent estre appelez torrens jusques au moulin de Lay, où ils rencontrent le ruisseau provenant des sources de Rongis, qui seul donne estre à la dite rivière durant les grandes secheresses, et, partant, ne coulant doresnavant plus dans la dite rivière, ains dans l’aqueduct pour les fontaines de Paris, la secheresse d’icelle rivière sera plus à craindre et ruineuse que l’inondation ; auquel lieu d’Anthony se rencontre une chose grandement remarquable : c’est que les trois ruisseaux de Bièvre, Vouharlant et Rungis, joincts ensemble au lieu appelé la Mer-Morte, Molières et Croulières de Lay et Chevilly, ne se trouve non plus d’eau tous ensemble qu’en chacun d’eux separement ; auquel lieu aussi se trouve des terres propres à brusler, appellées tourbières, et plusieurs abysmes d’eaüe, dont le plus grand est appellé de Laridan.

Près du dit lieu est le moulin de Cachan, au dessouz duquel est le grand clos, dans lequel la dite rivière coule et se decharge par des grilles de fer, lesquelles, se remplissant d’herbages et autres ordures par les ravines d’eaux, ferment le cours de la dite rivière, laquelle, par ce moyen, s’enfle et cause en partie les dites inondations ; laquelle rivière, s’escoulant souz les arcades de l’acqueduct des fontaines de Rongis, va faire moudre le moulin d’Arcueil, puis ceux de la Roche, de Gentilly, Jantevil et Croulebarbe, puis, passant par les Gobelins, fait moudre le moulin Sainct-Marcel ; puis, passant au pont aux Tripes, le faux ru, rivière morte, sont bouchez, usurpez et remplis de plusieurs plantars et atterissemens ; tellement que la rivière, n’ayant sa descharge, a fait de temps en temps des degats inestimables. De là, coulant au faux-bourg Sainct-Victor, fait encore moudre les moulins de Coupeaux6 et de la Tournelle jusques à sa descharge, qui rend la rivière de Seyne malade, à cause des grandes infections provenant des teintures, megisseries, tanneries, tueries et eschaudoirs qui sont sur et près de la dite rivière7.

Voilà succinctement le cours de la dite rivière, remarquable par tout l’univers pour son incomparable propriété pour les teintures8, deluges arrivez par icelle, et de ce que, contre le naturel des autres rivières, elle est portée (vraye cause des inondations) et coule contre le cours du soleil, ayant sa source et origine entre Guyencourt et Sainct-Cloud, descendant dans la rivière de Seyne au dessus de la porte Sainct-Bernard.

Les remèdes contre ces inondations et secheresses sont :

Que tous les meusniers des moulins siz sur la rivière de Bièvre soient tenuz d’avoir des pales et vannes nivellées à proportion de l’eaüe qu’ils doivent avoir, afin qu’elle ne se respande dans le vallon prochain ;

Que tous les proprietaires des heritages tenans et aboutissans à la dite rivière, faux ru et rivière morte, soient tenuz de tenir la rivière en son ancienne largeur, ou du moins, suivant l’ordonnance, icelle curer, houdraguer trois fois l’année, et en certifier messieurs des eaux et forests, aux assises de Pâques et Sainct-Remy, et ce depuis la source de la fontaine Bouvière jusques à la rivière de Seyne ;

Tenir la main à l’execution des ordonnances, à ce que les berges de la dite rivière soient entretenues d’un pied plus haut que les vannes des moulins ;

Que l’eaüe de la dite rivière, durant les secheresses, ne soit destournée par les particuliers pour arrouser les prez, remplir leurs estangs et canaux, et mares, ny retenue faute du nettoyement de leurs grilles ;

Que les defenses faites aux proprietaires des estangs de Braque, Regnard, du Val, Massy et autres, ayant viviers et canaux de la dite rivière, soient reiterées, de ne pescher leurs estangs ensemble durant les grandes inondations, ains durant les grandes secheresses ;

Que tous les plantars et atterissemens de la dite rivière, faux ru, rivière morte et sangsues, seront ostés au moins sur la largeur de deux thoises pour la rivière et d’une thoise pour le faux ru et rivière morte ;

Que le canal nouveau encommencé au lieu dit la Mer-Morte, Molières et Croulières de Lay et Chevilly, soit continué pour remplacer le destour des eaux de Rungis, attirer les eaux perdues au pont Anthony, servir de reservoir pour remplir la rivière durant les grandes secheresses, et empescher le debord d’icelle rivière au dit lieu ;

Que la descharge de la rivière de Bièvre soit mise au dessoubz de la ville de Paris par un aqueduct sous-terrain soubs les fossez Sainct-Marcel, Sainct-Jacques et Sainct-Michel, et de là conduite dans le fossé de l’abbaye Sainct-Germain, le long de la rue du Colombier, et après au Pré-aux-Clercs, joindre le courant de la rivière de Seyne qui fait l’isle de Chaliot, près les Bonshommes ;

Que plusieurs executeront volontiers, pour la pierre qui sortira des dits fossez faisant l’aqueduct, et des places vuides et non basties estant sur la pante des dits fossez, pour l’establissement des tueries, tanneries, megisseries, suivant et au desir des arrests de la cour.

Par ainsi la rivière de Bièvre, ayant sa descharge près Chaliot, ne regorgera dans les faux-bourgs Sainct-Marcel et Sainct-Victor ; ne rendra la rivière de Seine malade ; servira pour l’establissement necessaire des tueries, tanneries, megisseries9, et conservera à la posterité les teintures d’escarlate, par le moyen desquelles la drapperie, seul et principal negoce de la ville de Paris, a esté jusques à present maintenu.

Ensuit l’advis du sieur Errard, ingenieur ordinaire du roy, pour le restablissement de la rivière de Bièvre, de l’ordonnance de M. le maistre particulier des eaux et forests de la prevosté et vicomté de Paris, ou son lieutenant, à la requeste des marchands teincturiers du bon teinct du faux-bourg Saint-Marcel-lez-Paris.

Nous, Alexis Errard10, ingenieur ordinaire du roy, souz-signé, en vertu de certain jugement et ordonnance rendue par M. le maistre particulier des eaux et forests de la prevosté, vicomté de Paris, du            jour de            1623 et 19 mars 1624 , à la requeste de Estienne et Henry Gobelins11, marchands teincturiers, bourgeois de Paris, nous sommes transportez le long du cours de la rivière de Bièvre, dite des Gobelins, icelle veüe, visitée, nivelée où besoin a esté, aux fins du restablissement et conservation d’icelle ; et trouvé que, pour y parvenir, il est besoin de curer, nettoyer et houdraguer la dite rivière, ruisseaux, sources, sangsuës, descendans en icelle depuis sa source jusques au faux-bourg Sainct-Marcel, — particulièrement les ruisseaux venant de Vauharlan et Bourg-la-Royne, comme plus considerables, pour avoir leur cours naturel et descharge en la dite rivière au pont Anthony et au dessouz du dit Bourg-la-Reyne ; dans laquelle rivière de Vauharlan les sources et estangs de Massy, passant à Amblainviliers, ont aussi leur descharge, et rendent le dit ruisseau de Vauharlan à plus près aussi fort que la dite rivière de Bièvre à l’endroit de l’assemblage d’icelles.

Et d’autant qu’il nous est apparu que la dite rivière de Bièvre, le dit ruisseau de Vauharlan et le ruisseau venant de Rongis et fontaine de Vuissons sont, chacun à part, plus gros qu’estans joincts ensemble au dessouz de Berny, il est notoire que les dites eaux se perdent depuis le dit pont d’Anthony jusques à Cachan, et n’en est conservé que ce qui coule et descharge par le grand canal du dit Berny ; partant, seroit necessaire, tant à cause de la sinuosité de la dite rivière qu’autrement, faire nouveau canal jusques à l’endroit du Trou de Laridan, près le moulin de Cachan, avec bon couroy où il se trouvera necessaire, et que l’eaüe ne se pourroit perdre comme dans le vieux canal à present.

Comme aussi sera besoin de curer et approfondir le fossé depuis l’enclos de Cachan jusques au Trou Laridan, pour luy donner cours et descharge dans la dite rivière, au dessous du dit moulin de Cachan, conjointement avec la source procedant des Molières, de Lay et Chevilly, lesquelles il faudra pareillement conduire, soit par tuyaux ou canaux souz la dite rivière ou autrement, jusques à la descharge du Trou Laridan, selon que, travaillant, il se trouvera plus à propos.

Ce qui sera facile à faire, d’autant que, depuis les dites sources jusques au Trou de Laridan, il se trouve plus de deux pieds de pante ; et depuis le dit Trou Landau jusqu’à la chute du dit moulin dans le dit enclos, trois pieds au plus.

Pareillement, d’autant que les eauës de la dite rivière, au dessouz du clos du sieur Vize à Arcueil, sont grandement fortes, et que, venant à grossir, la berge n’estant que de terre gazonnée, ne peut resister, l’eauë se respend dans le valon, pour y remedier, seroit necessaire d’y faire un versoir de pierre.

Et pour ce que tous les moulins sur les rivières portées comme celle des Gobelins ont et doivent avoir une descharge pour le curage d’icelles, il est aussi necessaire de curer les dites descharges, faux ru et rivière morte, en telle façon que l’eaüe retourne tousjours en la rivière et ne se perde estant espanchée dans les valons, comme elle fait.

Pour à quoi parvenir, sera besoin que les meusniers ayent les vannes et pales de leurs moulins nivelées à proportion de l’eaüe qu’ils doivent avoir, sans la respandre dans la prairie prochaine.

Et parce que les secheresses en temps d’esté et les deluges et inondations d’hyver proviennent des estangs de Braque, Regnard, Duval, Massy et autres viviers venans ou ayans descharge en la dite rivière, sçavoir celuy de Braque, Regnard et Duval, pour s’estre appropriez et mis le cours de la dite rivière dans leurs estangs, retiennent les eaües durant les grandes secheresses et en font la vuidange tous ensemble avec ceux de Massy en hyver, pour faire la pesche, il seroit besoin que le cours de la dite rivière soit libre, et ne soit retenu en aucune saison ; et que, si aucune vuidange en doit estre faite, qu’ils soient tenuz d’en demander la permission, afin de pourveoir aux berges, secheresses de la dite rivière, et ruine qui en pourroit arriver, comme par cy-devant ès dits faux-bourgs Sainct-Marcel et Sainct-Victor.

Fait le dix-neufiesme mars mil six cens vingt-quatre.

Signé A. Errard.

En suit le dict advis pour les tueries, tanneries et megisseries.

La plus belle situation de ville de l’Europe est celle de Paris, aydée de quinze rivières navigables, joinctes en divers endroicts à la Seine, laquelle, courant à l’Ocean, retire des estrangers ce dont ils abondent, leur donnant en eschange ce qu’elle a de reste ; plus bastie, plus populeuse que ville de France, à cause des grandes commoditez arrivans journellement en icelle par la rivière de Seine, troublée, indisposée par les immundicitez coulans de la rivière de Bièvre, tueries, escorcheries, tanneries, megisseries, teinturies, trempis du poisson sec et sallé, vrayes sources des maladies dont elle a esté et est à present affligée, des dix parts du peuple les neuf ne beuvans et ne se servans d’autre eaue que de la dite rivière pour paistrir le pain, laver le linge et autres necessitez domestiques ; à quoy, comme aussi à la grande cherté des cuirs et mauvaise préparation d’iceux, il est très facile de remedier, faisant couler la rivière de Bièvre depuis la porte Sainct-Victor par un aqueduct sous terrain le long des fossez de la ville jusques à la porte de Nesle, establissant sur la pante de dehors des dits fossez les dites tueries, escorcheries, tanneries, megisseries, taintureries, trempis du poisson sec et salé, dont s’ensuivront plusieurs grandes commoditez qui ne se peuvent avoir par autre meilleur et asseuré moyen :

Premièrement, la conservation de la rivière de Seine par le detour des immundicitez de la rivière de Bièvre du dessus de la ville, sans aucune incommodité des faux-bourgs Sainct-Victor et Sainct-Marcel-lez-Paris ;

La conservation des dits faux-bourgs Sainct-Victor et Sainct-Marcel durant les grandes inondations de la rivière de Bièvre, par la descharge d’icelle eslongnée des dits faux-bourgs, capacité du dit aqueduct et fossez de la ville ;

La conservation des ponts, transports des denrées par le montage et avalage des bateaux le long des dits fossez par le dit aqueduct durant les grandes eaux, impossible par la Seine à cause de la bassesse des ponts ;

La conjonction et transport hors la ville des eaux des tueries, tanneries, escorcheries, megisseries, teintureries, trempis de poisson sec et sallé, nettoyement de leurs ordures, par le facile transport d’icelles ès voiries dans des tonneaux, par le moyen des bateaux entrans et sortans du dit aqueduct en la rivière ;

L’execution des ordonnances et arrests de la cour touchant les tanneries, pour remedier à la grande cherté et mauvaise preparation des cuirs, dechet d’iceux, faute d’icelles ès Païs-Bas, Lorraine, Allemagne, qui nous renvoyent et vendent cherement les pires et gardent les meilleurs ;

La perte de l’escorce de nos taillis recouverte, qui est le vray tan, par le debit, employ ès dites tanneries, comme aussi du sel de saline, très propre pour la preparation des cuirs, dont la rivière est grandement infectée et le poisson gaté ;

La construction des moulins à tan par le moyen du vent, à la façon de Hollande, ou par le moyen d’un cheval, attendu la facilité de la construction d’iceux.

Lieu seul plus proche de la ville et des eaux pour l’execution des ordonnances et arrests de la cour, aucune incommodité n’en pouvant arriver, à cause de la conjonction des dites tueries, escorcheries, tanneries, megisseries et trempis de saline, et facilité du nettoyement de leurs immundicitez par basteaux, rapidité, pante, profondeur et voulte du dit aqueduct, hauteur des murs de la ville.

Bref, lieu seul en l’Europe, auquel l’abatis des bestes, l’eau, le tan, le nombre d’artisans (moyennant la franchise), le grand et prompt debit de cuirs, sont en la plus apparente commodité.



1. Ces inondations de la Bièvre étoient fréquentes. On en connoît deux au XVIe siècle, l’une en 1526 (Piganiol, I, 39), l’autre au mois d’avril 1579. Celle-ci fut des plus furieuses. Les eaux s’élevèrent de plus de quinze pieds, et l’église des Cordelières de la rue de Lourcine fut submergée jusqu’à la hauteur du grand autel. Plusieurs relations parurent au sujet du déluge de Saint-Marcel, comme on appeloit cette inondation. MM. Cimber et Danjou en ont reproduit une dans leurs Archives curieuses de l’histoire de France (1re série, t. 9, p. 303–309) ; elle a pour titre : le Désastre merveilleux et effroyable d’un déluge advenu ès faubourg S.-Marcel lès Paris le 8e jour d’avril 1579, avec le nombre des mors et blessés et maisons abbatues par la dicte ravine ; Paris, chez Jean Pinart… 1579. Une autre pièce, moins connue et aussi moins intéressante, parut la même année sous ce titre : Deluge et inondation d’eaux fort effroyable advenu ès faubourg S.-Marcel à Paris la nuict précédente, jeudy dernier, neufvième avril an présent, 1579, etc. — L’inondation qui donna lieu à la pièce reproduite ici, et déjà indiquée par le P. Lelong (t. 3, p. 343, nos 34, 541), semble n’avoir pas causé autant de ravages. La seule mention que nous en connaissions se trouve même dans ce livret. Quarante ans après, la Bièvre, contre laquelle on n’avoit sans doute pas pris les précautions recommandées ici, déborda de plus belle et renouvela les désastres de 1579. « La petite rivière des Gobelins, écrit Gui-Patin le 28 février 1665, a fait bien du ravage dans les faubourgs de S.-Marceau ; elle a débordé en une nuit, et y a bien noyé des pauvres gens. On en comptoit hier (ce 24 février) 42 corps qui avoient esté repeschez, sans ceux que l’on ne sçait pas. »

2. C’est l’année précédente (1624) que l’aqueduc d’Arcueil, commencé en 1613, pour conduire les eaux de Rongis à Paris, avoit été terminé, privant ainsi le canal de la Bièvre d’une partie des eaux qui l’alimentoient.

3. Bouviers est un hameau près Guyencourt, « tirant vers S.-Cyr ». (L’abbé Le Beuf, Hist. du diocèse de Paris, t. 8, p. 453.)

4. Piganiol, dans sa Description historique de Paris, t. 1er, p. 39, résume ainsi ce qui va suivre sur le cours de la Bièvre : « Cette rivière, dit-il, a son cours d’occident en orient, et est formée par deux sources, fort proches l’une de l’autre, qui sont au bois de Satory, près de Versailles. Elles se joignent un peu au dessous de ce bois. Elle passe à Bièvre, village qui lui donne son nom, puis à Igni, au Pont-Antoni, à Gentilly, etc., et, près de Paris, se partage en deux bras, dont l’un passe aux Gobelins ; puis ils se rejoignent au Pont-aux-Tripes, dans le faubourg S.-Marceau, et elle se jette dans la rivière auprès de la Salpêtrière. » Piganiol eût pu ajouter que, du XIIIe siècle jusqu’au XVIIe, il y eut une autre dérivation de la Bièvre, faite au profit des moines de S.-Victor, à travers l’enclos de leur couvent, et par suite de laquelle une partie des eaux de la petite rivière, au lieu de se jeter dans la Seine au dessus de la Salpêtrière, venoit s’y perdre tout près de la place Maubert, vers les Grands-Degrés (Memoires de l’Académie des Inscriptions, t. 14, p. 270–272.) C’est ce canal supplémentaire, supprimé définitivement par arrêt du Conseil du 3 décembre 1672, qui étoit cause en partie des inconvénients qu’on signalera tout à l’heure, et surtout de l’infection des eaux dela Seine à la hauteur du quai de la Tournelle.

5. Ces étangs s’appeloient ainsi d’une famille qui avoit aussi donné son nom à une rue de Paris, dans le Marais. (L’abbé Le Beuf, id., p. 451.)

6. Ils étoient à la hauteur du Jardin des Plantes actuel. Ils existoient dès le temps de saint Bernard, désignés sous le nom de moulins de Cupels. (Mémoires de l’Acad. des Inscript., t. 14, pag. 270.) L’inondation de 1579 les avoit détruits. (V. Archives curieuses, 1re série, IX, pag. 309). — Le nom de la rue Copeau est encore un souvenir de ces moulins.)

7. Il en étoit encore ainsi en 1702. Il est dit dans une ordonnance de police rendue le 20 octobre à cet effet : « La rivière de Seyne, du costé des quays S.-Bernard et de la Tournelle, jusques et au dessus du pont de l’Hôtel-Dieu, estoit extrêmement grasse et bourbeuse, mesme d’un goût puant et infecté, ce qui empeschoit d’y puiser comme à l’ordinaire ; laquelle infection provient de ce que les tanneurs et mégissiers demeurant dans le faubourg S.-Marcel et aux environs lavent dans la rivière de Seine et dans celle des Gobelins leurs bourres et leurs cuirs pleins de chaux, y jettent leurs escharnures, plains et morplains, et tous les immondices de leur mestier. »

8. Cette propriété si long-temps proverbiale des eaux de la Bièvre est niée par M. Lacordaire, directeur actuel des Gobelins (Notice sur l’origine et les travaux des manufactures de tapisseries et de tapis réunies aux Gobelins, 1852, gr. in-18, p. 56). Tout ce qu’on en a dit repose, écrit-il, sur une « erreur que la seule inspection du cours de ces eaux bourbeuses suffit pour dissiper. » M. Lacordaire ajoute que l’eau de Seine et celle d’un puits sont exclusivement employées dans les ateliers de teinture.

9. Depuis long-temps les tanneurs et mégissiers s’étoient établis sur les bords de la Bièvre. Nous trouvons des détails sur les suites de leur établissement, dans le récit du procès qu’ils firent, en 1789, au sieur de Fer, qui prétendoit détourner le cours de la rivière pour l’amener, ainsi que l’Ivette, au sommet du faubourg Saint-Jacques (Bachaum. Mém. secr. t. 34, p. 232). Pour combattre ce projet, qui tendoit à leur enlever leur cours d’eau, les mégissiers s’appuyoient sur la longue durée de leur établissement et sur les lettres royales qui leur en avoient octroyé la permission et même imposé l’obligation. Richer, qui, dans les Causes célèbres (t. 177, p. 123), a rédigé l’exposé de cette cause, s’explique ainsi pour ce qui regarde le droit menacé des tanneurs : « Ils étoient jadis, dit-il, au centre de Paris, où ils habitoient les rues de la Tannerie et plusieurs autres ; mais, dès 1577, le gouvernement, qui s’occupoit déja plus spécialement de la propreté et de l’embellissement de cette capitale, avoit résolu de les éloigner, et un arrêt du Conseil du 24 février 1673, revêtu de lettres-patentes qui furent enregistrées au Parlement le 28 novembre suivant, les transféra définitivement au faubourg S.-Marceau, en leur conservant tous les droits et priviléges des bourgeois de Paris, et affectant à leur usage particulier la rivière des Gobelins, pour la conservation des eaux de laquelle le roi, entre autres choses, par son arrêt de règlement du 26 février 1732, a accordé auxdits syndics et intéressés la permission d’avoir deux gardes à ses armes et bandouillières, pour constater les delits et contraventions qui pourroient être commis sur ladite rivière, pour l’entretien de laquelle ils dépensent annuellement plus de 6,000 livres. »

10. Il étoit neveu du fameux ingénieur J. Errard, dont l’excellent ouvrage De la fortification démonstrée et réduite en art lui doit sa seconde édition, in-fol., 1620.

11. C’étoient les descendants de ce Gilles Gobelin qui, sous François Ier, avoit établi là ses premières teintures d’écarlate. Rabelais en parle (liv. 2, chap. 22) quand il dit de la rivière de Bièvre : « Et c’est celuy ruisseau qui de present passe à S.-Victor, auquel Guobelin teinct l’escarlatte. » Au temps de Ronsard, la réputation de cette race de teinturiers n’avoit fait que s’accroître. Le poète, s’adressant à Gaspar d’Auvergne, parle (liv. 2, ode 21)

D’une laine qui dement
Sa teinture naturelle,
Es poisles du Gobelin,
S’yvrant d’un rouge venin
Pour se desguiser plus belle.

Selon M. Lacordaire (loc. cit., p. 18, note 2), la famille Gobelin étoit originaire de Reims ; mais, d’après un manuscrit de la Bibliothèque de La Haye, cité par M. Achille Jubinal (Lettre à M. le comte de Salvandy sur quelques manuscrits de la Bibliothèque royale de La Haye, 1846, in-8, p. 113 et 114), il paroîtroit qu’elle étoit venue de Flandres. Il y est dit que la rivière des Gobelins « se nomme ainsi de ces fameux teinturiers flamands qui se nommoient Gobeelen, et, par corruption de langue, on en a fait Gobelins. Ils y ont establi une fabrique de tapisserie qui, pour la finesse, la bonne teinture et le beau meslange des couleurs, des soyes et des laines, surpasse celles de Flandres et d’Angleterre ; mais aussy sont-elles de beaucoup plus chères. Ceux qui y travaillent sont encore, pour la plupart, d’Anvers, de Bruges ou d’Oudenarde. »