Discours admirable d’un magicien de la ville de Moulins qui avoit un démon dans une phiole


Discours admirable d’un magicien de la ville de Moulins qui avoit un demon dans une phiole, condemné d’estre bruslé tout vif par arrest de la Cour de parlement.

1623



Discours admirable d’un magicien de la ville de Moulins qui avoit un demon dans une phiole, condemné d’estre bruslé tout vif par arrest de la Cour de parlement.
À Paris, chez Antoine Vitray1, au collège Sainct Michel.
1623. In-8.

Le 14 juin dernier, le lieutenant criminel de Moulins, ayant receu plusieurs plaintes qu’un nommé Michel, menuisier, usoit d’arts magiques et qu’il faisoit une infinité de maux dans la dicte ville, le feit constituer prisonnier. Le lendemain, le concierge alla trouver le dit sieur lieutenant criminel pour l’advertir que le dit Michel se tourmentoit extraordinairement dans son cachot, et qu’il luy avoit dit, en presence de plusieurs personnes, qu’il estoit venu à luy quelqu’un qui l’avoit voulu estrangler et qui l’avoit merveilleusement excedé, battu et traîné par les bras, voulant qu’il reniast Dieu et son baptesme, et qu’il demandoit quelque confesseur qui fust habile homme, et qu’à cause des tourmens qu’il disoit recevoir, il avoit furieusement crié qu’on le tuoit et estrangloit, demandant secours. Le dit sieur lieutenant commanda aussitost au dit concierge d’aller querir le père recteur des PP. Jesuittes, et le prier d’aller consoller le dit Michel et l’assister en la confession sacramentelle qu’il disoit vouloir faire ; pendant quoi il alla aussi en la Conciergerie pour interroger quelques autres prisonniers, où, ayant trouvé le dit P. recteur, il le pria d’avoir soin de l’ame de ce pauvre miserable. Le P. recteur luy dit qu’il estoit grandement tourmenté, qu’il feroit ce qu’il pourroit, et qu’il luy avoit donné un Agnus Dei pour le conserver des apparitions du diable desquelles il se plaignoit (mais il faloit un cœur contrit, qui est bien rare en telles personnes), et puis s’en alla pendant que le dit sieur lieutenant demeura là pour ouyr d’autres prisonniers, auquel, incontinent après, le geollier retourne dire que le dit Michel crioit tant qu’il pouvoit qu’on le vouloit estrangler et qu’il demandoit du secours. Aussitost il commanda au dit geollier de luy aller ouvrir le cachot, et s’y transporta sur l’heure, où il le trouva le visage gros et enflé, et livide comme de quelques tumeurs, les yeux fermez, et se plaignoit sans pouvoir cognoistre le dit sieur lieutenant, qui luy demanda par deux ou trois fois ; mais enfin, ayant repris ses esprits, il le recogneut et luy reitera ses plaintes, luy disant qu’il avoit esté bien battu par quelqu’un qui luy avoit voulu faire nier Dieu et son baptesme, quoy que cet abominable eust desjà renié Dieu, ainsi qu’il en demeura d’accord après, comme vous verrez tantost. Il advoua aussi avoir toutesfois fait des invocations d’esprits et sacrifié une tourterelle2, et qu’il s’estoit servy d’un livre de caractères escrit à la main en langue françoise. Là-dessus, le dit sieur lieutenant luy remonstra que le diable n’auroit point eu la puissance de luy nuire, si ce n’eust esté en vertu du pact qu’il avoit avec luy, et puis l’interrogea en quelle forme cela luy estoit apparu. À quoy il respondit que la première fois il n’avoit point de forme, à la seconde et troisième il estoit en feu, qui l’avoit non seulement batu, traîné par le bras et par les jambes, mais qu’il luy avoit mis les pieds dans un trou qui estoit au dit cachot, le menaçant de le precipiter s’il ne faisoit la renegation. Voylà pas un bon maistre et qui flatte bien ses serviteurs ! Il dit encore que le livre duquel nous venons de parler luy avoit esté bruslé, par arrest de la cour, en presence de luy, qui avoit fait amende honorable et banny pour cinq ans pour s’estre meschamment et impieusement appliqué aux arts magiques et invocations des demons, dont il avoit demandé pardon à Dieu, au roy et à justice, et qu’il executa cet arrest dès le 15 octobre 1605. Chose etrange que l’aveuglement des hommes ! Cela luy devoit servir à mieux vivre, cet auguste senat luy en donnant mesme un si excellent moyen. Mais bien au contraire, ce mechant homme, mesprisant les salutaires remonstrances que la cour du parlement luy avoit faites sur la sellete, s’en alla en Allemagne, en Angleterre, en Espagne et à Venise, où il dit qu’il acheta une phiole dix escus, dans laquelle il y avoit comme un peu d’eau blanche, et que, quand il vouloit sçavoir quelque chose, il disoit : Phiole, fais-moy sçavoir cecy ou cela, et qu’après il se mettoit à sommeiller, et en reposant il luy estoit revelé ce qu’il vouloit sçavoir ; et, le temps de son bannissement accomply, il retourna à Moulins, où, par le moyen de ceste phiole, il recommença de faire mille mechancetez, lesquelles, enfin decouvertes, font qu’il est remis prisonnier comme je vous ay dit ; et comme le sieur lieutenant criminel, qui est un très sçavant homme, luy eust dit qu’il falloit qu’il eust fait abnegation de la foy, des bonnes œuvres de l’Eglise et des siennes pendant qu’il avoit eu cet esprit, il dit que non ; mais, ayant affaire à un homme qui sçait fort bien son metier, il le sceut si bien prendre par ses paroles qu’il advoua avoir renoncé à Dieu, à ses bonnes inspirations et aux prières des saincts, entre les mains de celuy qui luy avoit vendu ladite phiole, et qu’il repetoit cela tous les ans le 14 septembre à son esprit, qui luy apparoissoit en feu, lequel esprit s’appeloit Boël3 ; il dit aussi qu’il estoit aërien, vapeur de la region d’Orient. Il fut trouvé saisy d’un Agrippa4 dont il se servoit pour faire des caractères5 ; et comme on luy eust demandé qu’il avoit fait de la dite phiole, il dit qu’il l’avoit cassée, et puis il dit qu’il l’avoit vendue, mais qu’il avoit juré qu’il ne le diroit point, et qu’il avoit fait un pact tacite avec son diable de lui donner tous les ans une poule6 avec les suffumigations qu’il faisoit tousjours le dit jour 14 septembre. Il dit que quand le sorcier donne un malefice à mort, le diable leur donne six sols huict deniers, et à un animal la moitié. Il advoua avoir esté en une assemblée qui s’estoit faite en Bourgongne, et que les assemblées des magiciens ne se font que de huict en huict ans, où ils parlent tous en l’oreille d’un demon qui paroist de sept pieds de hauteur, auquel ils demandent ce qu’ils veulent, et que luy parlant avoit demandé de pouvoir guerir les maladies, et qu’après avoir mangé ils sont tous reportez chacun en leur demeure.

Il dit encore que son esprit le dispensoit d’aller aux assemblées, à cause du gage qu’il lui donnoit tous les ans, et que la dernière des dites assemblées se feit en l’an mil six cents quatorze, et que s’il ne se fust defait de sa phiole, il y fust allé la veille de Noël, qui est le jour où elle se fait tousjours.

Ce meschant homme estant interrogé combien il avoit gardé la phiole de laquelle nous venons de parler, il dit qu’il l’a gardée onze ans, et qu’il faisoit brusler de la semence de baleine dans un rechaut pour parfumer la dite phiole en disant : Je te parfume en vertu de ce que tu m’as esté donné, comme il s’y estoit obligé. Il se mesloit de donner des feuilles d’herbes sur lesquelles il escrivoit certains mots qu’il disoit guerir des fievres, et s’il n’estoit bien payé, il faisoit mourir les malades.

Il dit qu’il advertit un jour le curé de Saint-Bonnet qu’un procez qu’il avoit pendant en la cour venoit d’estre jugé, et qu’ils estoient, sa partie et luy, hors de cour et de procez, ce qu’il sceut le jour mesme dans la ville de Moulins par le moyen de son esprit.

Le dit sieur lieutenant luy ayant demandé s’il y avoit quelque caractère dessus la phiole, il respondit qu’il y en avoit un sur du parchemin et qu’il estoit noir. Ce ne seroit jamais fait qui voudroit dire toutes les meschancetez de cet imposteur, contre lequel il y avoit une infinité de plaintes qui furent cause que le dit lieutenant, ayant instruit son procez, le condamna d’estre pendu et bruslé, et quelques autres de sa cordelle7 pendus. Le procez estant sur le bureau, il le feit amener pour l’entendre sur la sellette, où il se met à pleurer, disant qu’il avoit bien offencé Dieu en le reniant l’espace de dix ou unze ans, comme il avoit tousjours fait, et qu’il avoit aussi offert tous les ans, le 14 septembre, une poulle en sacrifice à un esprit nommé Bouël, lequel il adoroit enfermé dans une phiole, le parfumant avec de la fumée de semence de baleine, comme celuy qui luy avoit vendu luy avoit obligé. La sentence de mort luy estant prononcée, il appella en ceste ville pardevant messieurs de la cour, et quelques autres qui estoient condemnez à mort par la mesme sentence ne voulurent point appeler ; toutesfois, le juge de Moulins, qui, comme j’ay dit, est un très habile homme, a envoyé ce Michel appellant et gardé les autres pour voir ce que le parlement en fera.

Estant icy, et la cour l’ayant ouy et recogneu que c’estoit un très meschant esprit qui n’estoit capable que de faire du mal, et qui sçavoit à autre chose que faire des chevilles et des martoises8, que mesmement il avoit esté banny par arrest pour des impietez dès l’an 1605, le renvoya à la fin du mois dernier à Moulins pour y estre bruslé tout vif, et ordonna encore la dite cour que les autres seroient menez en la Conciergerie pour, leur procez veu, estre ordonné ce que raison.

J’avois oublié de vous dire que ce magicien, pour attraper de l’argent, en faisoit porter certain nombre de pièces sur les croix de cimetières ou sur le seuil des eglises par ceux qui venoient à luy pour leur santé, et disoit qu’on ne pouvoit rien faire sans cela, et qu’il falloit que ce fust la nuict ; et puis il y alloit et prenoit les pièces, qu’il mettoit dans sa bourse pour la guarir de l’evacuation qu’elle avoit, tellement que par ce moyen il en guarissoit deux à la fois.

L’on peut veoir par ce discours que la fin de ces gens-là est tousjours deplorable, et que le diable ne tend à autre chose qu’a leur faire renier celuy pour la confession duquel ils devroient exposer mille vies, parce qu’il sçait bien qu’un homme qui a perpetré ce crime n’a jamais son esprit en repos, et que sans cesse la justice de Dieu l’espouvante, l’astuce du malin esprit estant telle, afin que, quand il a reduit à ce point quelque pauvre insensé, il le tourne et le manie à sa guise, luy promettant tout et ne luy donnant jamais rien, n’ayant pas de quoy se bien faire à soy-mesme.

Au contraire, pour recompense de dix ou douze ans de service, ils les battent tout leur saoul, comme il a fait ce pauvre miserable, et leur representent ce qu’ils ont fait de mal toute leur vie afin de les desesperer. Il vaut donc bien mieux (sans comparaison) advouer Dieu, qui donne le ciel pour un verre d’eau froide, et une eternité de contentement pour recompense d’une œuvre de charité qu’on aura seulement fait en son nom, et renier le diable, qui se sert des hommes comme des chevaux de bagage, et, après les avoir fait suer d’ahan en ce monde, n’a rien pour les faire rafraîchir en l’autre qu’un estang de feu et de souffre qui n’estaindra jamais.



1. C’est Antoine Vitré, l’un des plus fameux imprimeurs de Paris au XVIIe siècle. Il n’y avoit que deux ans qu’il avoit commencé à imprimer quand il publia cette pièce. Le Bruslement des moulins des Rochelois en 1621 est, à ce qu’on croit, la première chose qui sortit de ses presses. Il exerça jusqu’à sa mort, en 1674. Il n’avoit pas moins de 85 ans alors, car en 1670, dans l’avis qu’il donna au sujet de la grande affaire du Pain mollet, pour lequel il eut la collaboration d’un Poquelin, peut-être celle de Molière lui-même, il est dit qu’il a 81 ans. V. notre article Molière et le procès du pain mollet (Revue françoise, 20 juillet 1855).

2. C’est la première fois que nous voyons cet inoffensif oiseau tenir dans les invocations la place de la fameuse poule noire ; mais celle-ci interviendra tout à l’heure.

3. Dans le Diable boiteux imité de l’espagnol par Lesage, c’est Asmodée qui joue le même rôle. Celui-ci est un démon bien plus ancien et bien plus célèbre que ce Boël. Il est déjà question de lui dans la Bible. V., pour l’étymologie de ce nom, Revue archéologique, t. 4, 1re part., p. 326.

4. Le livre de Cornelius Agrippa de Nettesheim, De philosophia occulta, si fameux encore au XVIIIe siècle qu’un en publia en 1717 une traduction françoise, 2 vol. in-8.

5. Ce mot se disoit de certains billets que donnoient les charlatans ou sorciers, et qui, à cause des figures talismaniques dont ils étoient marqués, pouvoient, disoient-ils, produire toutes sortes de prodiges. Il est utile de connoître cette acception du mot caractère pour bien comprendre ce passage du rôle de Crispin dans les Folies amoureuses de Regnard (act. 1, sc. 5) :

J’ay fait pr… Tout le temps de ma vie
J’ay fait profession d’exercer la chymie.
Tel que vous me voyez, il n’est guère de maux
Où je ne sache mettre un remède à propos,
Pierre, gravelle, toux, vertiges, maux de mère.
On m’a même accusé d’avoir un caractère.

6. V. l’une des notes précédentes.

7. De sa compagnie. Ce mot s’employoit pour société, liaison. On lit dans l’Apologie pour Hérodote, par Henry Estienne, « le stratagème duquel usa une femme d’Orléans pour parvenir à son intention, qui estoit d’attirer à sa cordelle un jeune escholier duquel elle estoit amoureuse. »

8. Mortaises.