Discours à la nation française, 24 mars 1934

Denoël et Steele (p. 9-19).



Mes chers Concitoyens,


Je me propose de venir de temps en temps m’entretenir avec vous. Je veux d’abord vous dire, aujourd’hui, pourquoi je suis sorti de la retraite où je vivais depuis près de trois ans et pourquoi j’ai accepté la très lourde charge du pouvoir. Ce n’est ni par ambition ni par intérêt, vous pouvez m’en croire.

Après avoir servi du mieux que j’ai pu pendant quarante ans la France et la République, je n’aspirais qu’au repos. Si j’ai renoncé à la retraite et au repos, c’est parce que le chef de l’Etat et les chefs de partis m’ont appelé en me disant que la guerre civile était près d’éclater, qu’on s’était battu dans Paris, qu’il y avait eu des morts le 6 février et qu’il y en aurait beaucoup plus le lendemain si je n’acceptais pas de prendre le pouvoir. La guerre civile, cette chose horrible et qui risque d’amener cette chose encore plus horrible qui s’appelle l’invasion étrangère. Je me suis rendu en toute hâte à Paris. J’ai accepté d’être Président du conseil et, aussi rapidement que possible, j’ai constitué un ministère en faisant loyalement appel à tous les partis. Il n’a pas dépendu de moi que tous fussent représentés dans le gouvernement.

Cette manifestation d’union témoignant d’une volonté d’oublier pour un temps les querelles partisanes aurait grandement facilité ma tâche et rendu plus rapide et plus aisée en même temps que plus durable l’œuvre de redressement nécessaire.


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La tâche du gouvernement est vaste et ardue. Apaiser d’abord les passions surexcitées et, pour rendre cet apaisement plus prompt, poursuivre et punir sévèrement des coupables dont l’impudence et l’impunité ont très justement exaspéré l’ensemble de notre nation, qui est honnête, probe et saine. L’œuvre de justice et d’assainissement moral ne pouvait pas attendre. Elle est en train : elle se poursuivra sans ménagement pour personne. Il faut que l’atmosphère soit bien purifiée pour que le gouvernement puisse mener à bien tout ce qu’il y a à faire, et il y a beaucoup à faire. Il faudra donc du temps. Il n’y avait plus beaucoup d’ordre ni d’autorité dans la maison. Nous devons donc, le plus rapidement possible, y établir l’un et l’autre. C’est indispensable et urgent si l’on veut sauver le régime parlementaire.

Ce salut exigera des réformes dans les lois qui régissent ce régime, des changements de méthode, des mises au point dont l’expérience a démontré la nécessité et aussi le retour à des disciplines trop oubliées en même temps que l’adoption de disciplines nouvelles.


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Mais, auparavant, et sans perdre de temps, une tâche s’impose à nous. J’ai pu faire voter rapidement le budget de 1934 dont la discussion menaçait de traîner d’une façon interminable. Ce budget a besoin d’être solidement équilibré pour que le budget de 1935 soit à son tour assuré d’avoir un bon équilibre.

Il est indispensable que la situation financière de la France inspire au dedans et au dehors la plus grande confiance. La valeur du franc ne doit pas pouvoir être entamée. Elle a suffisamment fléchi. Le franc à quatre sous doit demeurer intangible pour que soit conservée la vertu d’économie du peuple français, dont certains se moquent, mais qui est infiniment précieuse.

Nous sommes travailleurs et économes et nous voulons le rester. Cela vaut mieux que d’être spéculateurs et oisifs.

Comment équilibrer solidement le budget ? Dans le budget d’un Etat, comme dans le budget d’un foyer, il ne faut jamais que la dépense soit plus élevée que la recette. Voilà la règle. Pouvons-nous augmenter la recette ? Il faudrait pour cela augmenter les impôts existants et en créer de nouveaux. Une pareille opération, avec la crise économique qui sévit, est irréalisable.

Augmenter les impôts, en créer de nouveaux, serait vouloir accroître cette crise et accroître par conséquent le chômage.

Quand le patron n’a pas de commandes, l’ouvrier n’a pas de travail.

Aussitôt que la chose sera possible, les impôts qui chargent trop lourdement la production et qui contribuent ainsi à maintenir les prix à un taux élevé devront être réduits. Une telle réduction constituera un des meilleurs moyens d’action dans la lutte que le gouvernement entend poursuivre contre la cherté de la vie.

Nous arrivons donc à cette conclusion que, pour équilibrer le budget et avoir de bonnes finances, il n’est qu’un moyen : c’est celui qu’emploient actuellement presque tous les Français, ils restreignent leur train de vie. Il faut que l’Etat les imite et qu’il restreigne sérieusement son train de vie. Faute de quoi des catastrophes seraient à craindre, faisant comme premières victimes ceux qui auraient refusé de se soumettre aux sacrifices indispensables.

Ce n’est ni vers ceux dont les récoltes ne se vendent pas ou qui les ont perdues par suite du mauvais temps, ni vers les industriels et les commerçants qui n’ont pas de commandes, ni vers les ouvriers qui chôment ou dont les salaires ont été réduits par suite de la gravité de la crise économique que l’Etat peut se retourner pour ramener le chiffre de ses dépenses à celui de ses recettes.

Quand il aura supprimé les abus, les doubles emplois, les offices coûteux, réduit les personnels trop nombreux dans pas mal de services publics, l’Etat ne pourra pas éviter de procéder à d’autres réductions de dépenses, à l’imitation de ce qui a été fait dans tous les pays à budget en déficit.

Le salut de nos finances et la sauvegarde de notre monnaie font de ces réductions une nécessité inéluctable.

Hésiter à les faire, je vous l’ai déjà dit et je vous le répète, conduirait notre pays à des catastrophes. Vous pouvez m’en croire, mes chers concitoyens. Tout ce que je vous dis m’est dicté par l’amour passionné que j’ai pour notre pays et par mon attachement au régime de liberté qui est le sien. Aucun autre sentiment, aucun intérêt personnel n’inspirent mes paroles.


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Je ne tiens pas au pouvoir. Je ne tiens pas aux honneurs. Je ne veux rien pour moi-même. Je n’ai aucun intérêt à ne pas dire ce que je pense et ce que je crois être la vérité. Cette vérité, je vous la dirai toujours, dût-elle déplaire à ceux-ci ou à ceux-là. J’aspire au repos et à la retraite silencieuse qui conviennent à mon âge. Si j’ai renoncé sans hésiter à l’une et à l’autre, c’est uniquement dans l’espoir que ce que j’ai pu acquérir d’expérience au service de mon pays pendant quarante ans et ce qui me reste encore de forces pourraient aider la France, grâce à votre appui et à votre confiance, à sortir victorieuse de la crise complexe et grave qu’elle traverse.

Le miracle que je ne peux pas faire tout seul, nous pouvons, mes chers amis, le réaliser ensemble si vous vous rapprochez les uns des autres, si vous oubliez, pour un temps assez long, vos querelles de partis, si vous vous unissez sans arrière-pensée, si vous marchez coude à coude avec la foi dans le succès final, comme nos soldats l’ont fait à la Marne au début de la grande guerre.

La victoire de la Marne au mois de septembre 1914 fut le grand redressement militaire, le prélude impressionnant et décisif de la victoire finale. Il y a aujourd’hui un redressement d’une autre nature à faire, mais non moins indispensable, une autre victoire de la Marne à gagner pour relever magnifiquement notre situation financière et faire front à toutes nos autres difficultés. Si nous demeurons unis, nous réussirons. Le monde, qui nous observe à cette heure, pourra se rendre compte encore une fois que la France s’est sauvée elle-même.