Différence de la philosophie de la nature chez Démocrite et Épicure/Philosophie épicurienne - troisième cahier


Philosophie épicurienne. Troisième cahier.


Berlin, semestre d’été 1839.


[Critique de la polémique de Plutarque contre Épicure]


[L’ataraxie]


[Extraits de Plut, de eo quod 1088,4] Ici aussi, Plutarque ne comprend pas la logique d’Épicure ; le fait qu’il regrette l’absence d’une transition spécifique de la voluptas corporis ad voluptatem animi[1] est toujours important et doit être déterminé de manière plus précise, comme cela se présente chez Épicure. [Extraits de Plutarque, de eo quod 1088 à 1089]

C’est une remarque importante pour la dialectique épicurienne du plaisir, bien que Plutarque en fasse une mauvaise critique. D’après Épicure, le sage lui-même est dans l’état vacillant qui apparaît comme la définition du plaisir (ἡδονή) ; le pur repos (μακαριότης) du néant en soi, l’évacuation complète de toute détermination, est Dieu lui-même ; voilà pourquoi, comme le sage, il n’habite pas lui non plus à l’intérieur, mais à l’extérieur du monde.


[Extraits de Plut, de eo quod 1089]

Quand Plutarque objecte à Épicure qu’à cause de la possibilité de la douleur, la liberté dans un état présent de bonne santé ne saurait exister, d’abord l’esprit épicurien n’est pas un esprit qui s’encombre de telles possibilités, mais au contraire, c’est parce que la relativité absolue, la fortuite de la relation en soi n’est qu’absence de relation que le sage épicurien prend son état comme dépourvu de relation, et c’est dans cette mesure que cet état est pour lui un état sûr. Le temps n’est, en effet, pour lui, que l’accident des accidents, comment son ombre pourrait-elle pénétrer dans la solide phalange de l’ἀταραξία ? Mais quand il présuppose comme sain la présupposition la plus proche de l’esprit individuel, le corps, cela revient à ramener dans la proximité de l’esprit l’absence de présupposition, sa nature innée, c’est-à-dire un corps sain, et non ouvert vers l’extérieur et soumis à la différence. Lorsque, dans la douleur, cette nature qui est la sienne lui apparaît comme les produits imaginaires et les espérances d’états isolés, dans lesquels cet état caractéristique de son esprit se manifestait, cela veut simplement dire que l’individu comme tel contemple sa subjectivité idéale d’une manière individuelle, et c’est une remarque parfaitement exacte. D’après Épicure, l’objection de Plutarque se ramène à ceci : la liberté de l’esprit dans un corps sain n’existe pas, parce qu’elle existe ; car s’il est superflu d’exclure la possibilité, c’est justement parce que la réalité effective n’est déterminée que comme possibilité, comme hasard. Si par contre, on considère la chose dans son universalité, c’est justement de la part de l’état véritable, positif et spirituel, abandonner l’universalité que de se laisser assombrir par des singularités fortuites ; cela revient à penser aux mixtures singulières quand on se trouve dans le pur éther, à l’haleine de plantes vénéneuses, à la respiration de bestioles, cela revient à ne pas vivre parce qu’on peut mourir, etc., cela revient à ne pas s’accorder la jouissance de l’universalité pour retomber hors d’elle dans les singularités. Un tel esprit ne fréquente que le minuscule, il est tellement prévoyant qu’il ne voit rien.

Si, enfin, Plutarque veut dire qu’on devrait avoir le souci de conserver la santé du corps, Épicure dit aussi cette trivialité, mais plus génialement : celui qui ressent l’état universel comme l’état véritable, veille plus que tout autre à le conserver. Tel est le sens commun. Il croit pouvoir présenter aux philosophes ses niaiseries et ses lieux communs comme une terra incognita[2]. Il croit, quand il nous lance à la tête des coquilles d’œuf, être un Colomb. Épicure a raison d’une manière générale, abstraction faite de son système (car celui-ci est son summun jus[3]), lorsqu’il dit que le sage considère la maladie comme un non-être, mais que l’apparence disparaît. Si donc il est malade, sa maladie est pour lui une apparence évanescente qui ne saurait durer ; s’il est en bonne santé, dans son existence essentielle, l’apparence n’existe plus et il a autre chose à faire que penser qu’elle pourrait être. Donc, s’il est malade, il ne croit pas à la maladie ; s’il est en bonne santé, il vénère sa santé comme si elle était l’état qui lui est dû : il se comporte comme un homme en bonne santé. En face de cet individu sain et décidé, quel triste sire que ce Plutarque qui doit se souvenir d’Eschyle, d’Euripide et même du docteur Hippocrate, pour ne pas seulement être joyeux de la santé !

La santé, comme l’état identique, s’oublie d’elle-même, car on ne s’y occupe pas du corps ; la différence d’avec le corps ne commence que dans la maladie.

Épicure ne veut certes pas d’une vie éternelle ; d’autant moins peut l’émouvoir le fait que l’instant présent peut cacher un malheur.

Tout aussi faux est le reproche suivant de Plutarque : τοὺς γὰρ ἀδικοῦντας καὶ παρανομοῦντας ἀθλίως, φασὶ, περιφόβως ζῆν τὸν πάντα χρόνον, ὅτι κἂν λαθεῖν δύνωνται, πίστιν περὶ τοῦ λαθεῖν λαβεῖν ἀδύνατόν ἐστιν. ὅθεν ὁ τοῦ μέλλοντος ἀεὶ φόβος ἐγκείμενος οὐκ ἐᾷ χαίρειν, οὐδὲ θαρρεῖν ἐπὶ τοῖς παροῦσι, ταῦτα δὲ καὶ πρὸς ἑαυτοὺς εἰρηκότες λελήθασιν, εὐσταθεῖν μὲν γὰρ ἔστι καὶ ὑγιαίνειν τῷ σώματι πολλάκις, πίστιν δὲ λαβεῖν περὶ τοῦ διαμενεῖν ἀμήχανον. ἀνάγκη δὴ ταράττεσθαι καὶ ὠδίνειν ἀεὶ πρὸς τὸ μέλλον ὑπὲρ τοῦ σώματος.[4]. [Plutarque, de eo quod 1090, 6]

C’est tout juste l’inverse de ce que pense Plutarque. Ce n’est qu’à partir du moment où l’individu singulier brise la loi et les mœurs communes, que celles-ci commencent à devenir pour lui une présupposition, il se différencie d’elles, et il ne pourrait se sauver de cette différence que par la πίστις (croyance), mais celle-ci n’est garantie par rien.

[Hasard et nécessité]

Ce qui est en général intéressant chez Épicure, c’est que dans tous les domaines il écarte l’état qui entraîne la présupposition comme telle à apparaître, et qu’il estime normal l’état dans lequel la présupposition est voilée. De la nature corporelle en tant que telle, il n’est en général jamais question. Dans la justice punitive, ce sont justement la connexion intérieure, la nécessité aveugle qui ressortent, et cette nécessité, Épicure l’écarte ; il écarte sa catégorie de la logique, comme, de la vie du sage, l’apparence de sa réalité. Par contre le hasard, qui fait qu’un juste souffre, n’est jamais une relation extérieure et ne l’arrache pas à son absence de relation.

On voit à partir de là combien faux est aussi le reproche suivant de Plutarque. τὸ δὴ μηδὲν ἀδικεῖν, οὐδέν ἐστι πρὸς τὸ θαρῥεῖν, οὐ γὰρ τὸ δικαίως παθεῖν, ἀλλὰ παθεῖν φοβερόν[5] [Plut. De eo quod. 1090, 6]. Plutarque estime, en effet, qu’Épicure devrait raisonner ainsi d’après ses principes. Il ne lui vient pas à l’esprit qu’Épicure a peut-être d’autres principes que ceux qu’il veut bien lui donner.


[Extraits de Plutarque de eo quod 1090-1091]

τὸ γὰρ ἀναγκαῖον οὐκ ἀγαθόν ἐστιν, ἀλλʹἐπέκεινα τῆς φυγῆς τῶν κακῶν κεῖται τὸ ἐφετὸν καὶ τὸ αἰρετόν[6][Plut. De eo quod. 1091, 8]. Plutarque parle avec une sagesse qui lui est bien particulière, quand il dit que l’animal cherche en dehors de la nécessité, laquelle est la fuite hors du mal, le bien, bien qui se situe au-delà de la fuite. Que l’animal cherche encore un bien au-delà, c’est justement ce qui est animal en lui. Chez Épicure, il n’y a aucun bien qui soit pour l’homme en dehors de lui ; le seul bien qu’il possède en rapport au monde est le mouvement négatif qui consiste à être libre à l’égard de ce monde.

Le fait que tout ceci soit conçu chez Épicure de manière individuelle tient au principe de sa philosophie, philosophie qu’il développe dans toutes ses conséquences. Le procédé syncrétique et privé de pensée de Plutarque ne saurait rivaliser avec. [Extraits de Plut. De eo quod. 1092, 1094, 1095, 1097, 1099]

[Le rapport de l’homme à Dieu]
[1. La crainte et l’être transcendant]

La polémique de Plutarque contre la théologie d’Épicure est plus digne de considération que les insipides reproches d’ordre moral qui précèdent, non pas pour elle-même, mais parce qu’elle montre que la conscience commune, qui se tient dans l’ensemble sur le sol épicurien, ne redoute que la franchise de la rigueur philosophique. Et à ce sujet, on doit toujours avoir à l’esprit qu’Épicure ne s’intéresse ni à la voluptas (jouissance), ni à la certitude sensible, ni à quoi que ce soit hormis la liberté et l’absence de détermination de l’esprit. C’est de ce point de vue que nous allons parcourir les considérations particulières de Plutarque. [Extrait de Plut. De eo quod. 1101]

La crainte de Dieu au sens où l’entend Épicure, Plutarque ne la comprend absolument pas ; il ne conçoit pas que la conscience philosophique souhaite s’en libérer. L’homme du commun ne connaît pas cela. Plutarque nous apporte donc des exemples triviaux tirés du monde empirique, qui montrent combien peu cette croyance effraie le public.

À la différence d’Épicure, Plutarque commence par considérer la croyance en Dieu des πολλοί (de la multitude) ; il dit que chez eux cette tendance a sans doute d’un côté la figure de la crainte ; la peur sensible est la seule forme sous laquelle il peut concevoir l’angoisse de l’esprit libre devant un être personnel tout-puissant, absorbant en lui la liberté, donc la niant en dehors de lui. Maintenant il estime :

1. Que ces gens qui craignent, δεδιότες γὰρ ὥσπερ ἄρχοντα χρηστοῖς ἤπιον, ἀπεχθὴ δὲ φαύλοις ἐπὶ φόβῳ. δι’ὂν οὐ δέουσι πολλῶν, ἐλευθεροῦνταί τε τοῦ ἀδικεῖν καὶ παρ’ αὐτοῖς ἀτρέμα τὴν κακίαν ἔχοντες οἶον ἀπομαραινομένην, ἧττον ταράττονται τῶν χρωμένων αὐτῇ καὶ τολμώντων, εἰτʹεὐθὺς δεδιότων καὶ μεταμελομένων[7]. [Plut. De eo quod. 1101,21]

Ainsi, c’est cette crainte sensible qui les garde du mal, comme si cette crainte immanente n’était pas le mal ? Quel est donc le noyau du mal empirique ? C’est que l’individu singulier s’enferme dans sa nature empirique contre sa nature éternelle ; mais n’est-ce pas la même chose que lorsqu’il exclut de lui sa nature éternelle, la saisit dans la forme de la persistance de la singularité en soi, de l’empirie, et donc la contemple, comme un Dieu empirique, en dehors de lui ? Ou bien l’accent doit-il être mis sur la forme de la relation ? Ainsi, Dieu punit les méchants, est clément aux bons, et le mal est ici mal pour l’individu empirique et le bien, bien pour l’individu empirique, car d’où pourraient sinon provenir cette crainte et cet espoir, étant donné qu’il s’agit pour l’individu du bien et du mal qui le concernent ? Dieu sous ce rapport n’est rien d’autre que la communauté de toutes les conséquences que peuvent comporter des mauvaises actions empiriques. Ainsi, c’est de peur que le bien que l’individu empirique se gagne dans une mauvaise action engendre des maux plus grands et qu’un plus grand bien lui échappe qu’il n’agit pas mal, afin que la continuité de son bien-être ne soit pas dérangée par la possibilité immanente d’être arraché à celle-ci ?

N’est-ce pas la même chose qu’Épicure enseigne avec netteté : agis avec franchise et sérieux pour ne pas garder la crainte continuelle d’être puni. Ce rapport immanent de l’individu à une ἀταραξία est ici établi comme le rapport à un dieu qui est en dehors de l’individu, mais qui encore une fois n’a d’autre contenu que précisément cette ἀταραξία laquelle est ici continuité du bien-être. La crainte de l’avenir, cet état d’innocence est ici interpolé dans la lointaine conscience de Dieu, considéré comme un état qui préexiste déjà en elle, mais aussi d’abord comme menace, donc exactement comme dans la conscience individuelle.


[2. Le culte et l’individu]


En second lieu, Plutarque déclare que cette tendance vers Dieu donne aussi de la voluptas. [Extrait de Plut, de eo quod 1101]

Il raconte plus loin que des vieillards, des femmes, des commerçants, des rois trouvent de la joie lors de fêtes religieuses. [Extrait de Plut, de eo quod 1102]

Il faut examiner d’un peu plus près la manière dont Plutarque décrit cette joie, cette voluptas.

Il dit d’abord que l’âme est le plus souvent délivrée de la tristesse, de la crainte et du souci, quand Dieu est présent. La présence de Dieu est donc déterminée comme la délivrance de l’âme à l’égard de la crainte, de la tristesse, du souci. Cette libération s’extériorise dans une allégresse débridée, car c’est l’extériorisation positive opérée par l’âme individuelle de cet état qui est le sien.

Plus loin : l’état de différence fortuit de la situation individuelle disparaît dans cette joie. C’est donc le fait que l’individu se vide de ses déterminations extrinsèques qui est déterminé dans cette fête, c’est l’individu comme tel, et c’est une détermination essentielle. Enfin, ce n’est pas la jouissance séparée mais au contraire la certitude que le dieu n’est rien de séparé, mais que son contenu est de se réjouir de la joie de l’individu, de laisser descendre vers elle son regard avec bienveillance, donc d’être lui-même dans la détermination de l’individu qui se réjouit. Ce qui donc est ici divinisé et fêté comme tel, c’est l’individualité divinisée comme telle, libérée de ses souffrances coutumières : le σοφός d’Épicure avec son ἀταραξία. C’est la non-existence de Dieu comme dieu, et son existence comme joie de l’individu qui sont l’objet des prières. Outre celle-là, ce Dieu n’a aucune détermination. Bien plus, la forme véritable dans laquelle cette liberté de l’individu ressort ici, c’est l’esprit, l’esprit singulier, sensible, l’esprit qui passe d’abord par le stade du trouble. Cette ἀταραξία plane ainsi en tant que la conscience universelle au-dessus de la tête des hommes ; mais son phénomène est la voluptas sensible comme chez Épicure ; mais chez ce dernier est conscience totale de la vie ce qui ici est état vivant singulier. C’est pour cela que, chez Épicure, le phénomène individuel est plus indifférent et plus animé par son âme, l’ἀταραξία, alors qu’ici cet élément se perd davantage dans la singularité, et les deux éléments, immédiatement mêlés, sont aussi de ce fait immédiatement différents. Aussi pitoyable est la distinction du divin que Plutarque fait prévaloir contre Épicure. Pour faire encore une remarque, quand Plutarque dit que certains rois ne prennent pas autant de plaisir à leurs publicis conviviis et viscerationibus qu’aux banquets sacrificiels, cela veut seulement dire que dans le premier cas la jouissance est considérée comme quelque chose d’humain et de fortuit, mais qu’ici elle est considérée comme quelque chose de divin, la jouissance individuelle est considérée comme quelque chose de divin) ; ce qui est donc tout à fait épicurien.


[3. La Providence et le Dieu dégradé]


Dans ce rapport des πονηροί et πολλοί[8] (des imperfectibles et de la grande masse) à Dieu, Plutarque distingue le rapport des βέλτιστον ἀνθρώπων καὶ θεοφιλέστατον γένος[9]. [Plut. de eo quod 1102, 22]. Nous allons voir ce qu’il gagne ici sur Épicure. [Extrait de Plut. de eo quod 1102]

Le sens philosophique du fait que Dieu est le ἡγεμὼν ἀγαθῶν et le père πάντων καλῶν (seigneur des bons… père de toute beauté) est que ce n’est pas un prédicat de Dieu, mais que l’idée du bien est le divin lui-même. Mais dans la détermination de Plutarque, il y a un tout autre résultat. Le bien est pris dans l’opposition la plus rigoureuse avec le mal, car le premier est une manifestation de la vertu et de la puissance, le second une manifestation de la faiblesse, de la privation et de la vilenie. Le jugement émane donc de Dieu, la différence est éloignée, et c’est justement un axiome d’Épicure qui pour cette raison trouve logiquement cette absence de différence qui est le propre de l’homme, aussi bien en théorie qu’en pratique, dans son identité immédiate, la sensibilité, dans Dieu conçu comme vide, pur otium (loisir). Le dieu que l’éloignement du jugement hors du monde définit comme le bien est le vide, car chaque état déterminé porte en lui un côté qu’il maintient en l’opposant à un autre, et se referme sur lui-même, manifeste dans l’antithèse et la contradiction son ὀργή, sa μι̃σος et son φόβος (colère… haine… angoisse), à l’idée de s’abandonner. Plutarque a donc la même détermination qu’Épicure, mais chez lui ne se trouve que comme image, comme représentation ce qu’Épicure nomme par son nom conceptuel et que l’image humaine écarte.

C’est pour cela que la question suivante sonne mal : ἆρά γε δίκης ἑτέραι οἴεσθε τοὺς ἀναιροῦντας τὴν πρόνοιαν, καὶ οὐχ ἱκανὴν ἔχειν, ἐγκόπτοντας ἑαυτῶν, ἡδονὴν καὶ χαρὰν τοσαύτην[10]. [Plut. de eo quod 1102, 22-1103]

Car il faut au contraire affirmer que celui qui regarde le divin comme la pure béatitude en soi, sans l’affubler de tous les rapports inconceptuellement anthropologiques, ressent plus de volupté à sa contemplation que celui qui a l’attitude inverse. C’est déjà la béatitude elle-même que d’avoir la pensée de la pure béatitude, même si elle est conçue aussi abstraitement que chez les moines indiens. En outre, Plutarque a supprimé la πρόνοια (Providence) en opposant à Dieu le mal, la différence. Ses autres descriptions sont purement inconceptuelles et syncrétiques ; il montre d’ailleurs en tout qu’il ne se soucie que de l’individu, et non de Dieu. Épicure, par conséquent, est honnête au point de ne pas laisser Dieu lui non plus se soucier de l’individu.

La dialectique intérieure de ses pensées ramène donc nécessairement Plutarque à parler de l’âme individuelle au lieu de parler du divin, et il en vient au λόγος περὶ ψυχῆς (discours à propos de l’âme). Épicure dit ὥστε ὑπερχαίρειν τὸ πάνσοφον τοῦτο δόγμα καὶ θεῖον παραλαβοῦσαν, ὃτι τοῦ κακῶς πράττειν πέρας ἐστὶν αὐτῆ τὸ ἀπολέσθαι καὶ φθαρῆναι καὶ μηδὲν εἶναι… »228.[11]. [Plut, de eo quod 1103, 23]

On ne doit surtout pas se laisser induire en erreur par les mots pleins d’onction de Plutarque. Nous verrons qu’il supprime chacune de ses déterminations. Déjà le parachute artificiel τοῦ κακῶς πράττειν πέρας (de la fin de tout mal), dans lequel l’ἀπολέσθαι et φθαρῆναι et μηδὲν εἶναι (périr… être détruit… n’être rien) sont en opposition, montre, là où est le point essentiel, la minceur du premier côté et la triple intensité de l’autre.


[L’immortalité individuelle]


[1. Du féodalisme religieux. L’enfer de la populace]


Plutarque fait une nouvelle classification, distinguant le rapport τῶν ἀδίκων καὶ πονηρῶν[12], puis des πολλῶν καὶ ίδιωτω̃ν[13] et enfin des έπιεικω̃ν καί νου̃ν εχόντων[14][15]. [Plut. de eo quod 1104-25] à la doctrine de la persistance de l’âme. Déjà cette classification en solides différences qualitatives montre combien peu Plutarque comprend Épicure qui considère, en tant que philosophe, le rapport de l’âme humaine ; et quand Épicure reste certain de l’ήδονή (jouissance), malgré sa détermination comme passagère, Plutarque aurait dû voir que chaque philosophe estime involontairement une ήδονή, qui lui est étrangère dans son être-borné. Pour les coupables d’injustices, on nous donne encore maintenant la crainte comme moyen de perfectionnement. Nous avons déjà considéré cette objection ; tandis que dans la crainte, une crainte intérieure et inextinguible, l’homme est déterminé comme animal, chez un animal est en général indifférente la manière dont il est retenu dans des barrières.

Si un philosophe ne tient pas pour la chose la plus injurieuse le fait de considérer l’homme comme un animal, on ne peut absolument plus rien lui faire comprendre. [Extraits de Plut, de eo quod 1104-1105]

Nous en venons maintenant à l’opinion des πολλοί (de la masse), bien qu’il apparaisse à la fin que peu sont exclus de cette opinion, bien plus que tous, à proprement parler, δέω λέγειν πάντας[16] [Plut, de eo quod 1105, 27] jurent fidélité à cet étendard.

Ce qui distingue qualitativement du degré précédent n’existe pas à proprement parler ; au contraire, ce qui apparaissait auparavant dans la figure de la crainte animale, apparaît ici dans la figure de la crainte humaine, dans la forme du sentiment. Le contenu reste le même.

On nous dit que l’amour le plus ancien va au souhait d’être ; sans doute, l’amour le plus abstrait et donc le plus ancien est l’amour de soi, l’amour de son être particulier. Mais c’était déclarer trop nettement la chose, on la reprend de nouveau et on lance autour d’elle, grâce à l’apparence du sentiment, un éclat épuré. Ainsi donc, celui qui perd femme et enfants préfère qu’ils soient quelque part, même s’ils y souffrent, plutôt qu’ils n’aient cessé tout à fait d’exister. S’il s’agissait simplement d’amour, la femme et l’enfant de l’individu comme tels sont conservés de la manière la plus profonde et la plus pure dans le cœur de cet individu, un être beaucoup plus élevé que celui de l’existence empirique. Mais il s’agit d’autre chose. La femme et l’enfant ne sont femme et enfant dans l’existence empirique que dans la mesure où l’individu lui-même existe empiriquement. Que celui-ci préfère les savoir n’importe où, dans un espace sensible, même s’ils y souffrent, plutôt que nulle part, signifie seulement que l’individu veut avoir la conscience de son existence empirique propre. Le manteau de l’amour n’était qu’une ombre, le je empirique dans sa nudité, l’amour de soi-même, l’amour le plus ancien est le noyau, il ne s’est pas rajeuni par une figure plus concrète, plus idéale. Pour Plutarque, le nom de la transformation rend un son plus agréable que celui de la cessation complète. Mais la transformation ne doit pas être qualitative, le « Je » singulier dans son être singulier doit persister ; le nom est donc simplement la représentation sensible de ce qu’il est et doit signifier le contraire. Le nom est donc une fiction mensongère. La chose ne doit pas être transformée, mais seulement placée dans un lieu obscur ; l’interposition du lointain fantastique doit cacher le saut qualitatif (et toute différence qualitative est un saut ; sans ce saut, aucune idéalité).


[2. La nostalgie de la multitude]


Plus loin, Plutarque émet l’opinion que cette conscience de la finitude rend faible et inactif, qu’elle est une mauvaise humeur contre la vie présente ; mais la vie ne disparaît pas ; au contraire seul disparaît cet être singulier. Si cet être singulier se considère comme exclu de cette vie universelle permanente, peut-il en devenir assez riche et assez plein pour emporter son extrême petitesse toute une éternité ? Cette éternité change-t-elle son rapport à la vie ? Ne demeure-t-il pas plutôt encroûté dans son absence de vie ? Est-ce que cela ne revient pas au même qu’il se trouve aujourd’hui dans ce rapport d’indifférence à la vie, ou que ce rapport dure 100 000 ans ?


À la fin, Plutarque dit carrément qu’il ne s’agit pas du contenu, ni de la forme, mais de l’être de l’individu singulier. Il faut être, même si c’est pour être déchiré par Cerbère. Quel est donc le contenu de sa doctrine de l’immortalité ? C’est que l’individu, abstrait de la qualité qui lui donne ici sa situation individuelle, persiste non comme l’être d’un contenu, mais comme la forme atomistique de l’être ; n’est-ce pas la même chose que dit Épicure : que l’âme individuelle se dissout et retombe dans la forme des atomes. Attribuer à ses atomes comme tels un sentiment (bien que l’on avoue que le contenu de ce sentiment est indifférent), n’est qu’une représentation inconséquente. Dans sa polémique contre Épicure, Plutarque ne fait donc qu’exposer l’enseignement d’Épicure ; il n’oublie pas cependant d’exposer partout le μὴ εἶναι (non-être) comme la chose la plus effrayante. Ce pur être pour soi est l’atome. Quand, en général, on assure l’immortalité à l’individu, non pas dans son contenu (lequel, dans la mesure où il est universel, existe universellement en soi-même, et, dans la mesure où il est forme, s’individualise éternellement), mais à l’individu comme être individuel, la différence concrète de l’être pour soi tombe et cela revient à l’affirmation que l’atome comme tel est éternel, et que ce qui est animé retourne à cette forme fondamentale qui est la sienne.

Épicure expose jusqu’à ce point cette doctrine de l’immortalité. Mais il a suffisamment de philosophie et de logique pour appeler la chose par son nom, pour dire que l’être animé en question retourne à la forme atomistique. On ne saurait ici faire appel à aucune demi-mesure. Si n’importe quelle différence concrète de l’individu doit tomber (ce que montre cette vie elle-même), toutes celles qui ne sont pas en soi universelles et éternelles doivent tomber. Si l’individu doit être indifférent à cette μεταβολή (transformation), il ne reste que cette gousse d’atomes qui enveloppait le contenu antérieur, c’est-à-dire la doctrine de l’éternité des atomes.


Celui pour qui éternité est comme temps
Et temps comme éternité
Est libéré
De tout conflit,


dit Jacob Boehme, car la différence ne voudrait pas dire que l’individu persiste, mais au contraire que l’éternel s’oppose au transitoire.


[3. L’orgueil des élus]


Nous en venons maintenant à la classe des ἐπιεικῶν καὶ νοῦν ἐχόντων (les honnêtes gens doués de raison). Il va de soi qu’on ne sort absolument pas de la classe précédente ; au contraire, ce qui apparaissait d’abord comme crainte animale, puis comme crainte humaine, comme plainte angoissée, comme la répugnance à abandonner l’être atomistique, apparaît maintenant dans la forme de l’arrogance, de l’exigence et de la justification. Il s’ensuit qu’il manque à cette classe, telle que Plutarque la définit, le plus souvent la raison. La classe la plus basse n’a aucune prétention, la seconde pleure et consent à tout pour sauver l’être atomistique, la troisième est celle du philistin qui s’écrie : « Mon Dieu, voilà qui serait encore plus beau ! » Un gaillard aussi avisé et honnête devrait aller au diable.


Διὸ τῇ δόξῃ τῆς ἀθανασίας συναιροῦσιν τὰς ἡδίστας ἐλπίδας καὶ μεγίστας τῶν πολλῶν[17]. [Plut. de eo quod 1105, 28]. Quand donc Plutarque dit qu’Épicure enlève à la foule, avec l’immortalité, ses espoirs les plus beaux, il aurait été de sa part beaucoup plus exact de dire ce qu’il affirme ailleurs en visant tout autre chose : οὐκ ἀναιρεῖ, ἀλλ’ὥσπερ ἀπόδειξιν αὐτοῦ προστίθησι[18]. [Plut. De eo quod 1105, 27]

Épicure ne dépasse pas ce point de vue, il l’explique, il le porte à son expression conceptuelle. [Extrait de Plut. De eo quod 1105]

Ainsi, ces gens bons et avisés attendent le salaire de la vie après la vie ; mais quelle inconséquence, dans ce cas, d’attendre encore comme salaire la vie, étant donné que pourtant le salaire de la vie, pour eux, diffère qualitativement de la vie. Cette différence qualitative est à nouveau déguisée en une fiction, la vie n’est pas supprimée dans une sphère plus haute, mais transportée ailleurs. Ils ne se posent donc que comme contempteurs de la vie, ils n’ont rien de mieux à faire, ils habillent simplement leur espoir en une exigence.

Ils méprisent la vie, mais leur existence atomistique est le bien dans celle-ci, et l’éternité de leur être atomistique, qui est le bien, ils la désirent. Si l’ensemble de la vie se présentait à eux comme un mirage et un mal, d’où tiennent-ils la conscience d’être bons ? Simplement dans le savoir de soi en tant qu’être atomistique ; et Plutarque va jusqu’à dire qu’ils se contentent presque de cette conscience, que — parce que l’individu empiriquement singulier n’existe que dans la mesure où il est vu par un autre individu — ces hommes bons se réjouissent maintenant de ce qu’après leur mort, les gens qui les ont méprisés bis dato les considèrent maintenant réellement comme les bons, sont contraints de les reconnaître comme tels, et sont punis s’ils ne les tiennent pas pour le bien. Quelle exigence ! Les méchants doivent les reconnaître dans la vie comme les bons, et eux-mêmes ne reconnaissent pas comme le bien les puissances universelles de la vie. N’est-ce pas avoir élevé la fierté de l’atome à son plus haut sommet ? N’est-ce pas, dit sèchement, l’aveu de l’arrogance et de la présomption qu’on assigne à l’éternité, et de l’éternité qu’on accorde au sec être pour soi, privé de tout contenu ? Il ne sert à rien de cacher cela sous des fleurs de rhétorique, de dire que personne ici n’est en mesure de satisfaire sa soif de connaissance.

Cette exigence n’exprime rien d’autre que ceci : l’universel devrait être dans la forme de la singularité, en tant que conscience ; cette exigence comble l’universel pour l’éternité. Mais dans la mesure où l’on exige encore que l’universel existe dans cet être pour soi empirique exclusif, cela signifie simplement que ce qui importe, ce n’est pas l’universel, mais au contraire l’atome.

Nous voyons donc Plutarque, dans sa polémique contre Épicure, se jeter pas à pas dans les bras de ce dernier. Mais Épicure développe les conséquences simplement, abstraitement, avec la sécheresse de la vérité ; il sait ce qu’il dit, tandis que Plutarque, dans tout ce qu’il dit, dit autre chose que ce qu’il pense dire, mais au fond pense aussi autre chose que ce qu’il dit. C’est en général le rapport qui existe entre la conscience philosophique et la conscience commune.


[Critique des vues de Plutarque sur d’autres philosophes, nommément sur Platon]


[Extrait de Plut. adv. Col. 1107 E 1]

Si, dans le dialogue précédent, Plutarque a cherché à démontrer à Épicure quod non beate vivi possit (qu’on ne saurait vivre heureux) d’après sa philosophie, il tente à présent de justifier les thèses des autres philosophes contre ce reproche venant des épicuriens. Nous verrons si cette tâche lui réussit mieux que la précédente, où sa polémique peut être appelée pour ainsi dire un panégyrique d’Épicure. Ce dialogue est important en ce qui concerne le rapport d’Épicure aux autres philosophes. Colotès fait un bon mot d’esprit, quand il offre à Socrate du foin à la place de pain, et quand il lui demande pourquoi il mange les plats par la bouche et non par l’oreille. Socrate se mouvait dans le minuscule, conséquence nécessaire de sa situation à l’égard de l’histoire.


[Extraits de Plut. adv. Col. 1108, 2 ; 1110, 6]

Plutarque ressent une démangeaison partout où la logique d’Epicure éclate. Si quelqu’un conteste l’opinion qui veut que le froid ne soit pas froid ou que le chaud ne soit pas chaud selon qu’en juge la foule d’après son sensorium, le philistin estime que cet homme se trompe lui-même s’il n’affirme pas que les deux points de vue sont faux. Notre homme ne se rend pas compte qu’ainsi la différence a purement et simplement glissé hors de la chose dans la conscience. Si l’on veut résoudre cette dialectique de la certitude sensible sans sortir de cette dernière, on doit dire que la propriété réside dans les deux termes pris ensemble, dans la relation du savoir sensible au sensible, et donc qu’elle est immédiatement distincte, étant donné que cette relation est immédiatement distincte. Ainsi, la faute n’est placée ni dans la chose, ni dans le savoir ; c’est au contraire le tout de la certitude sensible qui est considéré comme ce processus vacillant. Qui ne possède pas la puissance dialectique de nier cette sphère dans sa totalité, qui veut la laisser telle quelle, doit aussi se contenter de la vérité telle qu’elle se trouve à l’intérieur de cette sphère. Pour la première attitude, Plutarque est trop impuissant, pour la seconde il est un monsieur trop honnête et avisé[19].


[Extraits de Plut. adv. Col. 1110, 7]

Ainsi, dit Plutarque, à propos de toute propriété, on ne devrait pas plus soutenir qu’elle est, qu’elle n’est pas ; car cela change selon la manière dont chacun est affecté. Mais sa question montre déjà qu’il ne comprend pas la chose. Il parle de l’être ou du non-être solide en tant que prédicat. Mais le propre de l’être du sensible est plutôt de ne pas être un tel prédicat. De ne pas être un être ou un non-être consistant. Lorsque je sépare ces deux termes, je sépare donc justement ce qui n’est pas séparé dans la sensibilité. La pensée commune a toujours des prédicats abstraits tout prêts, qu’elle sépare du sujet. Tous les philosophes ont fait des prédicats eux-mêmes des sujets.


[Extraits de Plut., adv. Colot. 1111 — 1115 sur le rapport à Démocrite, Empédocle, Parménide et Platon]

Quand Plutarque dit de ceux qui enseignent les idées, nommément de Platon, οὐ παρορᾷ τὸ αἰσθτόν, ἀλλὰ τὸ νοητὸν εἶναι λέγει[20]. [Plut. adv. Col. 1116, 15], le stupide éclectique ne voit pas que c’est justement cela qu’on reproche à Platon. Platon ne supprime pas (aufhebt) le sensible, mais il affirme l’être du pensé. L’être sensible n’échoit pas à des pensées, et le pensé tombe aussi dans un être, si bien que deux royaumes possédant l’être subsistent l’un à côté de l’autre. On peut voir ici quels échos trouvent, avec une singulière facilité, le pédantisme platonicien auprès de l’homme du commun, et Plutarque, nous pouvons, au vu de ses opinions philosophiques, le compter au nombre des hommes du commun. Il va de soi que ce qui apparaît chez Platon de manière originelle et nécessaire, à un certain degré de développement de la formation philosophique universelle, cela est, chez un individu qui se tient au sortir du monde antique, le souvenir éventé de l’ivresse d’un mort, une lampe d’un temps antédiluvien, le spectacle répugnant d’un vieil homme retombé en enfance.

On ne saurait trouver mieux pour critiquer Platon que la louange que Plutarque lui adresse : οὐδὲ ἀναιρεῖ τὰ γινόμενα καὶ φαινόμενα περὶ ἡμᾶς τῶν παθῶν ; ἀλλὰ ὅτι βεβαιότερα τοῦτων ἕτερα καὶ μονιμώτερα (des représentations purement inconceptuelles, abstraites de la sensibilité) πρὸς οὐσίαν ἐστί, τὸ μήτε γίνεσθαι, μήτʹἀπόλλυσθαι, μήτε πάσχειν (remarquons μήτε – μήτε – μήτε trois déterminations négatives) μηδὲν ἐνδείκνυται τοῖς ἑπομένοις, καὶ διδάσκει καθαρώτερον τῆς διαφορᾶς ἀπτομένους τοῖς ὀνόμασι. (Exact, la différence est une différence nominale) τὰ μὲν ὀντα, τὰ δὲ γινόμενα προσαγορεύειν[21]. [Plut., adv. Colot. 1116, 15]


[Extrait de Plut., adv. Colot. 1116]

Plutarque se tourne maintenant vers Colotès et demande si ses disciples ne font pas eux-mêmes la différence entre l’être solide et l’être passager, etc.


[Extrait de Plut., adv. Colot. 1116]

Il est amusant d’écouter cette sincérité appréciée, qui se trouve avisée. Lui-même, Plutarque, ramène la différence platonicienne de l’être à deux noms différents, et pourtant il veut que les épicuriens, de l’autre côté, aient tort d’attribuer aux deux côtés un être solide (ils font pourtant assez bien la différence entre l’ἄφθαρτον et ἀγένητον (impérissable et non devenu) et ce qui est par composition) : Platon ne la fait-il pas aussi, quand il dit que l’εἶναι (être) est solidement établi sur l’un des côtés, et le γενέσθαι (devenir) sur l’autre[22] ?


  1. . De la jouissance corporelle à la jouissance de l’âme.
  2. . Pays inconnu.
  3. . Son plus haut droit.
  4. . Les criminels et les hors-la-loi, disent-ils, vivent sans cesse misérablement et dans la crainte ; même si, en effet, ils peuvent se cacher, il leur est impossible d’avoir confiance dans leur cachette. C’est pourquoi la crainte de l’avenir qui pèse sans cesse sur eux ne les laisse pas être heureux et leur interdit d’avoir confiance dans l’instant présent. Mais ils ont oublié qu’ils disaient cela aussi à leur propos, car il est possible au corps de connaître l’équilibre et d’être en bonne santé, mais il est impossible d’avoir confiance dans la durée de cet état ; il est nécessaire d’être troublé et d’être continuellement dans l’angoisse à propos de l’avenir du corps.
  5. Ne pas se rendre coupable d’une faute ne donne encore aucun droit à être confiant, car ce n’est pas le fait de souffrir justement, mais c’est la souffrance qui provoque la crainte.
  6. Car le nécessaire n’est pas encore un bien, mais ce n’est qu’au-delà de la fuite des maux que se trouvent le désirable et le souhaitable.
  7. En effet, craignant Dieu comme un maître clément aux bons et hostile aux méchants, par cette seule crainte, qui ne les prive pas de grand-chose, ils sont préservés des mauvaises actions ; ils conservent en eux, sans trouble, leur disposition au mal qui se flétrit, et ainsi sont moins troublés que ceux qui s’adonnent à cette disposition et s’aventurent, pour être ensuite soudain saisis par la crainte et le repentir.
  8. Les méchants et la grande masse.
  9. Les hommes excellents, remplis d’amour pour Dieu.
  10. . Croyez-vous que ceux qui nient la Providence méritent une autre punition et qu’ils ne soient pas suffisamment punis, écartant d’eux le plaisir et la joie ?
  11. . Elle doit ressentir la plus haute félicité quand elle entend cette maxime divine et pleine de sagesse, selon laquelle la fin de tout mal est pour l’âme la perte, la destruction, et le néant.
  12. . Des êtres coupables d’injustice et méchants.
  13. . La grande masse des incultes.
  14. . Les honnêtes gens doués de raison.
  15. . Cet adjectif différencie l’homme bon de la masse qui reste un peu animale. Mot à mot, il désigne celui qui possède l’entendement, c’est-à-dire celui qui est capable de jugement, l’homme sensé. Il faut donc ici comprendre la raison comme la faculté qui fait de l’homme « un animal raisonnable ».
  16. . Je peux bien dire tous.
  17. . Avec la doctrine de l’immortalité, ils enlèvent à la foule ses espoirs les plus grands et les plus beaux.
  18. Ne surmonte pas la crainte de la mort, produis au contraire la preuve qui la justifie.
  19. . Pour tout ce qui concerne la certitude sensible, cf. Hegel : Phénoménologie de l’Esprit, chapitre I. La certitude sensible doit être supprimée comme telle.
  20. . Il ne méprise pas le sensible, mais il affirme l’être de l’Intelligible.
  21. Et il ne méprise pas les événements qui se produisent et apparaissent parmi nous, mais il enseigne à ses disciples qu’il en est d’autres, plus solides et plus durables dans leur essence, leur fait voir qu’ils ne sont pas nés, qu’ils ne connaissent pas la destruction et ne sont soumis à aucune affection, et leur apprend à s’attacher de manière plus précise aux noms de la différence, et à formuler explicitement ce qui est et ce qui devient.
  22. MEGA : la dernière page du cahier est arrachée.