VII


Michelle, évitant le sable des allées qu’auraient fait craquer ses pas, marchait sur le bord des pelouses. Les dogues lâchés vinrent à elle, gambadant, flairant leur ancienne amie. Elle leur fit l’aumône d’une caresse et s’enfonça dans le parc, comme Georges Rozel et Minihic jadis… Aucune sentinelle n’errait plus aux entours. La poterne du fond du bois devait être ouverte, Mina l’avait promis et la lune sereine éclairait la nuit… une petite ombre derrière la sienne sautillait de massifs en massifs et le bruit de sa course était couvert par les bonds des molosses.

La porte, en effet, n’était que poussée, la nuit, très épaisse sous les grands lierres de ce quartier isolé du parc, ne laissait rien distinguer de l’entourage, et, tout à coup, Michelle tressaillit : la porte s’ouvrait sans qu’elle la touchât, quelque chose fuyait devant elle, un chien sans doute.

Elle referma. La clé était à la serrure, elle la fit jouer, puis la lança dans le parc par-dessus le mur. Elle était sortie ! Que faire maintenant ? Retourner coucher au village ? non ; elle ferait mieux de prendre le train de France tout de suite ; mais combien elle était lasse ! ses jambes avaient peine à la soutenir, elle s’affaissa sur l’herbe contre la porte fermée… alors deux petits bras l’entourèrent. Elle crut rêver.

« Je ne veux plus te quitter, où tu iras j’irai. L’enfant est à sa mère, le bon Dieu l’a dit.

— Oh ! quelle folie, mon cher mignon ! »

Elle tenait Heinrich étroitement enlacé et tout à coup, ranimée par ce cœur vaillant de son fils qui battait contre le sien, elle se leva résolue.

« Oui, tu as raison, partons, sauvons-nous tous deux, tu choisis ta mère, toi… tu préfères la lutte au repos, la misère au bien-être. Alors viens pour qu’on ne nous poursuive pas avant que nous soyons en sûreté. »

Ils se levèrent ensemble.

« Tiens regarde, dit-elle, regarde Rantzein, il en est temps encore, veux-tu retourner ?

— La porte est fermée, la clé jetée de l’autre côté, barrée la route ! » répondit Heinrich courant en avant sur le chemin.

Michelle alors prit la main de son fils.

« Dieu le veut, dit-elle, le sort en est jeté, Vierge sainte, mère aussi, vous protégez les errants qui cherchent un refuge ainsi que vous cherchâtes l’Égypte. »

Une exaltation lui venait. Elle voyait maintenant la possibilité d’une lueur de bonheur, un rayon clair traversait la nuit. Elle avait un enfant, une consolation, un but, ils vivraient en France, elle travaillerait. Ah ! Si elle avait su, par exemple, elle aurait bien pris les rouleaux d’or restés au fond de son bureau, car elle avait bien juste pour payer le voyage.

Où allaient-ils fuir ? bientôt on allait découvrir le lit vide d’Heinrich, tout le monde s’ameuterait, on télégraphierait à la redoutable tante. Elle accourrait, remuerait ciel et terre et ils seraient traqués, pourchassés. Oh ! il fallait vite gagner la frontière : Suisse ou France.

La Suisse était plus près, mais traverser la Forêt Noire ! Une femme et un enfant, seuls, sans guide, cela semblait infranchissable. Non, il valait mieux arriver à une gare, sauter dans un train quelconque, s’éloigner d’abord, ensuite se raccorder à une grande ligne qui les mènerait hors d’Allemagne. Fribourg était à vingt kilomètres, là, dans cette grande ville, ils seraient moins remarqués, ils se perdraient dans la foule. C’était le seul parti à prendre, cinq lieues peuvent se faire en une nuit ; quand Heinrich ne pourrait plus marcher, en bien ! elle le porterait. Aucun autre parti n’était possible.

« Mère, j’entends un roulement derrière nous, remarqua l’enfant.

— Qu’est-ce, mon Dieu ! déjà on nous poursuit ? Ce n’est pas possible cependant ; on n’aurait pas eu le temps matériel d’atteler, à peine une demi-heure s’est écoulée depuis notre départ. »

Une carriole accourait ; sur l’unique banquette, un homme seul se tenait. Michelle, à cette vue, eut une inspiration :

« Le ciel nous envoie un secours ! » Et elle se plaça sur le passage du voyageur.

« Mein herr ! » cria-t-elle.

L’homme s’arrêta aussitôt.

« Voulez-vous nous prendre avec vous ? vous nous rendriez bien service et je payerai ce que vous demanderez.

— Montez, et tant mieux, répondit l’arrivant ; j’aime pas la solitude, moi, la nuit surtout. C’est moins long à plusieurs un bout de route. »

Michelle ne se fit pas répéter l’invitation, elle enleva son fils, le posa sur le devant de la voiture et monta à son tour.

Ah ! quel sauveur venu à propos ! Maintenant, ou les menait-il ? Bah ! c’était toujours loin de Rantzein. Elle enveloppa de son châle — celui d’Elsa — son enfant, elle le soutint de son bras et :

« Dors, mon mignon, dit-elle, tu auras besoin de forces avant qu’il soit longtemps.

Vous allez dans la direction de Fribourg continua-t-elle en allemand, s’adressant à son voisin.

— Ma foi oui, répondit-il, avec un accent trahissant son peu d’habitude de la langue.

— Vous n’êtes pas Allemand ?

— Je suis Suisse, Madame, je vais à Fribourg où j’ai à embarquer un troupeau de moutons pour la France.

— De sorte, fit Michelle, heureuse de cette faveur inespérée, que vous pouvez nous conduire jusqu’à votre but.

— Très facilement. Tirez donc la peau de mouton sur vous, la nuit est fraîche, nous avons deux bonnes heures de route en ce pays de côtes. »

La fugitive accepta l’offre avec satisfaction, elle entoura Heinrich soigneusement, l’enfant dormait déjà, las d’émotions. Alors elle reprit :

« Vous êtes bon, vous devez être père.

— Ah ! bigre oui, j’en ai des mioches, c’est pour eux que je trime. Les aînés sont avec les bêtes à pied en avant, moi je suis resté en arrière pour d’autres achats. La marmaille est de reste au logis avec la bourgeoise.

— Savez-vous à quelle heure j’aurai un train pour la France, demain matin ?

— À huit heures environ, à dix je crois.

— Merci. »

Elle se tut. Ce train de huit heures serait admirablement son affaire, nul ne devinerait qu’elle avait pu le joindre, et puis, si on prenait des informations dans le pays, cet étranger, ce sauveur de rencontre qui partait comme elle, ne saurait la trahir. Son ange gardien veillait sur elle.

La nuit invite au silence, les trois voyageurs, bercés par une rapide allure, s’assoupissaient à demi et le temps ainsi courait plus vite.

On traversait des villages endormis où pas une lumière ne brillait aux fenêtres, les arbres feuillus se détachaient fantastiques au sommet des côtes, pas un passant ne croisait la carriole. Quand ils aperçurent le clocher de la cathédrale de Fribourg, minuit sonnait lentement, solennellement. Ils dévalèrent une pente et se trouvèrent au bas de la « Kaiserstrasse ».

« Moi, je descends à Gasthousetopf, dit le conducteur, et vous ?

— Moi, je vais aller le plus près possible de la gare : Victoria-Hôtel. »

Elle connaissait bien la ville pour y avoir souvent séjourné avec Hans, elle y avait même des relations, mais à cette heure elle ne les redoutait nullement. On passait devant la caserne, devant le monument de la Victoire qui se dresse fièrement à l’entrée de la ville.

« Veuillez me laisser descendre, Monsieur, demanda Michelle, je Vais maintenant aller à pied. Tenez, prenez ceci. »

Elle tendait à l’obligeant inconnu une pièce de cinq marks.

« Ah ! pour ça non, refusa le brave homme, c’est pour le plaisir que m’a fait votre société, bien le bonjour et bon voyage. »

Elle le remercia sincèrement et prenant son fils par la main.

« Viens, éveille-toi, mon mignon, nous allons nous rendre à l’hôtel. »

Heinrich sourit et se mit à sauter, pour s’échauffer, les ruisseaux larges et profonds ainsi que des petits canaux qui sont une des spécialités de Fribourg.

Ils tournèrent plusieurs rues et arrivèrent à l’avenue de la gare, là se dressait Victoria-Hôtel ainsi qu’un sombre massif.

La comtesse Hartfeld avait plusieurs fois déjeuné au restaurant de l’hôtel avec son mari, elle connaissait la maison. Elle demanda une chambre, du thé pour son fils et elle se hâta de le mettre au lit. L’enfant n’en pouvait plus, elle-même presqu’à bout de forces.

Depuis deux jours, elle mangeait à peine et ne dormait pas.

Après leur léger repas, la mère et le fils purent goûter un repos dont ils avaient le plus grand besoin. Malgré leur fatigue, ils s’éveillèrent tôt, préoccupés de leur départ. Michelle procéda à la toilette d’Heinrich, tout en lui faisant ses recommandations.

« Tu ne parleras que français, et le moins possible en voyage : tu ne diras pas ton nom, je t’appellerai Henri comme dans mon pays.

— Oui, ma petite mère, tu peux compter sur moi.

— Maintenant, prions le bon Dieu qui nous a si visiblement épargnés pendant ce voyage. Pourvu que mon pauvre Wilhem n’oublie pas sa religion loin de moi.

— Ne crains rien, mère, Wilhem ne manque à aucun devoir, c’est un garçon sérieux, tu sais, toujours le premier partout, tandis que moi… C’est un caractère, disait notre professeur.

— Mais qui donc fera prier Frida ?

— Wilhem, mère ; hier matin et avant-hier soir, nous nous sommes réunis tous les trois comme avec toi, et nous avons récité la prière. »

Michelle embrassa son fils. Non, elle n’était pas trop malheureuse, puisque ses enfants étaient pareillement doués !

Quand leur prière fut achevée et qu’ils eurent imploré pour leur journée la divine protection du Très-Haut, Michelle compta sa bourse.

« Hélas ! dit-elle, nous aurons bien juste jusqu’à Belfort, et après ?

— Après, tiens, voici la mienne, dit l’enfant ; vois, il y a là tous les marks que papa me donnait pour mes places, les cent marks que tante Edvig m’avait offerts pour mon jour de naissance et aussi ce que tu y mettais, toi, pour nos promenades.

— Tu nous sauves, fit la mère attendrie, tu as pensé à tout. À présent, nous irons aisément jusqu’à Paris où je gagnerai pour nous deux. »

Ils se rendirent à la gare ; Michelle, toujours inquiète, demanda vite deux billets de seconde classe ; on les lui donna sans même la regarder et enfin elle put s’installer dans le wagon. Heinrich tira de sa poche ses billes, son carnet et s’amusa tranquillement. Quand on cria : Alt Monterol ! la comtesse Hartfeld eut une crispation au cœur. C’était la dernière station allemande. Quelques instants après, l’employé répétait :

« Petit-Croix, tout le monde descend pour la douane. »

Michelle eut vers le ciel un regard d’intense gratitude : Sauvés !

Elle courut au télégraphe et lança cette dépêche :

« Capitaine Lahoul,17e de ligne, Belfort. Je passe ce soir allant à Paris, neuf heures.

Michelle. »

Elle attendit à Petit-Croix le départ du train indiqué à son ami. Avec un allègement inouï, elle alla se promener en compagnie de son fils sur la lisière de France.

La joie de Minihic fut immense à la vue de celle qu’il appelait toujours sa chère maîtresse, et la bonne Elsa ne savait de quelles attentions combler la comtesse.

« Ah ! Madame, disait-elle, ce n’est pas étonnant si la première fois que je vous ai rencontrée dans le train, j’avais pour vous tant de sympathie ! »

La mère et le fils vécurent quelques jours chez ces braves gens où ils furent dorlotés, choyés. Michelle en avait tant besoin ! mais elle s’arracha à cette mollesse pour reprendre le harnais de travail, la peine de vivre, et elle s’enfuit vers Paris, toujours escortée de son cher petit compagnon. En route elle acheta un journal, le Tag-blatter[1], qui consacrait ses deux premières pages à l’éloge du brave général Hartfeld, mort si prématurément et victime de l’unique faute de sa vie : un mariage d’inclination avec une intrigante française qui l’avait conduit au tombeau.

Cette dernière flèche s’émoussa sur l’épiderme de Michelle qui, à présent, respirait l’air natal et se sentait sous la protection des lois de son pays.

Elle s’en alla droit chez sa mère, prévenue par lettre de son malheur, mais elle trouva la pauvre Mme Carlet plus affaiblie moralement que jamais et très occupée de la pensée de ses toilettes de deuil.

« Songes-tu, dit-elle à sa fille, après les premiers mots de bienvenue, porter du crêpe tout l’été ! Où comptes-tu descendre ? Je ne puis te loger, j’ai si peu de place.

— Rassurez-vous, ma mère, je viens comme je le dois vous faire ma première visite, je vous demanderai aussi pour cette nuit de permettre à mon fils de dormir sur ce canapé et à moi sur ce fauteuil ; demain matin, je me pourvoirai. »

La conversation continua puérile jusqu’à l’heure du sommeil et dès la première heure, le lendemain, Michelle, son enfant par la main, sortit pour aller où elle savait trouver un conseil sérieux :

« L’abbé Rozel ? demanda-t-elle au suisse de garde à la porte de la sacristie de Saint-Philippe du Roule.

M. l’abbé est chez lui. Madame sait qu’il demeure avec sa sœur, 166, faubourg Saint-Honoré. »

La mère et l’enfant firent une courte prière à l’autel privilégié de la Vierge et remontèrent un peu le faubourg jusqu’au numéro indiqué. Un long message que Michelle avait envoyé de Belfort à son vieil ami l’avait mis au courant de ses tristes affaires. Il vint vers elle les deux mains tendues :

« Encore une épreuve ! Dieu vous traite en élue, Michelle ; vous êtes à la hauteur de votre tâche, j’espère ?

— Aidez-moi à y monter, mon Père, car en vérité je suis bien lasse !

— J’ai relu votre lettre très attentivement, mon enfant, vous voulez des leçons, c’est brave et digne. En conséquence, je me suis mis en quête auprès de plusieurs de mes amis, et le curé de Saint-Ferdinand des Ternes vous a trouvé un emploi dans une pension de jeunes filles de son quartier : un cours d’allemand deux fois par semaine. Entre temps, des traductions de journaux scientifiques allemands pour l’Académie de médecine.

— Mais je suis sauvée ! et grâce à vous.

— Grâce à Dieu qui se sert de moi, mais vos débuts seront durs ; il vous faut un logement.

— Je vais le chercher.

— Mon confrère y a encore pourvu. Il a trouvé près de l’institution, rue Demours, un modeste appartement de deux pièces pour cinq cents francs par an. Le premier terme est de cent vingt-cinq francs payable d’avance… et, continua-t-il en hésitant, j’ai compté assez sur votre vieille confiance en moi ; mon enfant, pour retenir le loyer et retirer la quittance… non, ne rougissez pas, Michelle ; dans peu vous me rendrez et si vous ne le faites jamais, dites-vous que toutes les situations en ce monde sont imposées par le Maître des destinées et que l’humiliation ne saurait venir d’événements plus forts que la volonté.

— Mon Père, répondit Michelle, j’ai sur moi quelques objets de valeur, par prudence pour moi, acceptez d’en être le gardien. »

L’abbé regarda la jeune femme, il lut dans ses yeux purs si clairement son angoisse, qu’il tendit la main et renferma dans son bureau, après les avoir soigneusement étiquetés, les bijoux offerts.

« Ma sœur va vous conduire, mon enfant, reprit-il, il faut dès ce matin vous présenter chez la directrice de la maison d’éducation où vous devez être engagée. Je voudrais aller avec vous, mais je suis si vieux que je vous prie de m’excuser. »

Mme Rozel se fit un plaisir de rendre service à cette généreuse créature qui avait soigné son fils pendant la guerre. Elle lui ouvrit les bras. Elle eût voulu la garder chez elle, lui rendre un peu le bien fait autrefois au blessé français, mais, courageuse et fière, la jeune femme imposa silence à ces offres et accepta seulement l’indication des adresses nécessaires.

Les deux femmes et Henri, nous lui conserverons désormais son nom francisé, prirent ensemble l’omnibus de la barrière des Ternes à l’avenue Friedland, et en route Michelle demanda des nouvelles du missionnaires.

« Georges, répondit la mère, est dans les îles des mers de Chine, il vit chez ses chrétiens, ce qui est loin d’être confortable, mais il a de grandes consolations. Tenez, j’ai là dans ma poche sa dernière lettre, voulez-vous la lire ? précisément, il parle de vous. »

Michelle prit le papier.

« Mère bien-aimée, lut-elle pendant que le lourd véhicule descendait l’avenue des Ternes, tu n’as pas idée de ma joie. J’avais ce matin mon église pleine, mon église bâtie avec les douze cents francs que tu m’as envoyés. Ce chiffre pour une église t’étonne, et pourtant il est exact. Nous ne sommes pas logés comme des princes, mais en attendant le palais que le bon Dieu nous réserve dans le ciel, nous sommes campés. Ma pensée ne te quitte guère, mère, et je suis heureux que tu sois réunie à mon oncle, vous êtes ainsi moins seuls tous deux et vous parlez ainsi ensemble de l’absent qui chaque jour, au pied de l’autel, prie pour vous.

J’ai écrit à Minihic, je lui ai envoyé des chinoiseries pour mon filleul.

Si vous avez des nouvelles de la vaillante femme qui m’a soigné en Allemagne et vis-à-vis de laquelle j’ai été si prodigieusement injuste, ainsi que vous me l’avez appris en me contant ce qui s’était passé entre vous et le général à l’ambulance du château de Voisins… »

Ah ! que ces mots me font de bien, murmura Michelle.

« Donnez-m’en. Je voudrais la remercier, me faire pardonner mon ingratitude, je demande pour elle à Dieu la couronne éternelle !

Je vous écris sur du papier étrange, n’est-ce pas ? je n’ai rien de mieux, une misère inouïe nous accable, nous avons un toit à notre maison comme un écumoir et quand nous mangeons ce sont des œufs pourris, des chiens… on vit tout de même.

Je suis devenu homme d’intérieur, je lave mon linge, je fais cuire mon riz. Chers parents aimés, je suis bien heureux, mon chemin du ciel est montueux, mais je l’espère, assez court, car je me sens très affaibli ces temps.

Je vous vénère et vous aime tous deux du

plus profond de mon cœur en Notre-Seigneur[2].
Georges. »

Des larmes noyaient les yeux de Michelle à la fin de cette lecture. Elle n’eut que le temps de les essuyer, l’omnibus s’arrêtait et Mme Rozel l’appelait en hâte pour descendre.

« Voici votre lettre, chère Madame, je vous remercie de votre confiance à mon égard, vous avez mis du baume sur ma blessure avec ces lignes où je vois que justice m’est enfin rendue au moins d’une part.

— Patience, l’autre viendra.

— Sûrement, fit la comtesse avec conviction.

— Nous sommes arrivées, c’est à deux pas, rue Demours. »

L’arrangement des cours était fait d’avance, Michelle n’eut qu’à se présenter pour être agréée. Quant aux traductions, le curé de Saint-Ferdinand les lui donnerait lui-même, étant l’ami intime du secrétaire de l’Académie.

Restait maintenant à voir le logement.

Un rez-de-chaussée au fond d’une cour avec une petite terrasse de deux mètres, où poussaient quatre rosiers. Si modeste que soit ce pauvre logement, ces fleurs lui donnaient l’air gai, Henri fut charmé :

« Mère, je bêcherai le jardin ! » s’écria-t-il.

Une autre porte vitrée donnait sur ce minuscule parterre et sur les vitres on lisait ces mots : « Blanchisseuse de fin. »

Ce voisinage ne plut guère à la comtesse Hartfeld, Mme Rozel le vit.

« Sans doute, dit-elle, vous aurez à subir un contrôle gênant ; mais à Paris on s’occupe peu les uns des autres ; de plus, cette femme est très honnête ; notre ami, le curé de Saint-Ferdinand, la connaît, il a son fils comme enfant de chœur. »

Michelle haussa les épaules, indifférente.

« Que m’importe, dit-elle, pourvu que je gagne notre pain quotidien, je me trouve ici dans mon milieu, auprès d’une travailleuse comme moi, et le Seigneur, je crois, ne créa pas le monde en échelons. »

  1. La feuille du jour, journal allemand qui se vend jusqu’à Belfort.
  2. Cette lettre est authentique.