XVIII


« L’armistice ! » cria Lahoul, entrant comme une bombe dans le salon de la Roussalka, où Yvonne préparait doucement, sur une petite lampe une sorte de bouillie nourrissante, qu’elle faisait ensuite avaler à son malade, pendant que la princesse soutenait sa tête, à l’aide d’un bras sous l’oreiller. Max tourna les yeux il entendait et comprenait tout.

Ne pouvant encore parler, il exprimait par signe et à l’aide d’un crayon ses volontés et ses désirs. Le prince était allé le matin à Saint-Malo, ayant affaire à son yacht, toujours en rade et le Vieux Corsaire, journal malouin, venait de publier la nouvelle reçue par télégramme. La princesse avait tressailli.

« Enfin !

— C’est le prélude de la paix, fit Yvonne joyeuse. Nous allons revoir Minihic.

— Je l’espère, dit Lahoul, pourvu que tu dises vrai, ma fille ! »

Le prince, ayant appris en route la nouvelle, était revenu sur ses pas pour l’annoncer aux siens. Il étendait le journal, triomphant, sous les yeux de son fils.

L’armistice ! Toute la journée ce furent des visiteurs, avec ces mots bienheureux. La France épuisée répétait ces mots d’espoir. Une suspension d’armes enfin ! on allait respirer, cesser la boucherie !

Chacun pensait aux siens. Puis les jours suivants, les lettres arrivèrent ; beaucoup de sinistres, hélas ! les lamentations éclataient partout ; peu de familles qui ne fussent en deuil.

Alexis eut un télégramme du général Hartfeld, annonçant son arrivée, pour affaire urgente.

Lui et sa femme demeurèrent surpris, mais satisfaits de cette bonne et inespérée visite.

D’autre part, les Lahoul reçurent un message de Minihic :

« Toujours pas blessé, chers parents, écrivait le joyeux garçon, j’ai passé entre les lames, avec une protection divine si évidente, que mon premier devoir après vous avoir embrassés, sera de me rendre en pèlerinage à Notre-Dame de Worsbourg en Suisse, sous la protection de laquelle je m’étais mis avant de partir et où un ange… n’a cessé de prier pour moi, pendant la guerre, cet ange terrestre, vous le savez, s’appelle Elsa et mon plus vif désir est d’obtenir d’elle la joie d’en faire votre fille. Elle en est en tout point digne, venant de pieuse et brave famille. J’ai pris goût à l’épaulette, puisque la misère de mes pauvres camarades m’a valu d’être officier dans nos bataillons décimés, et je désire continuer ma carrière et travailler ferme pour conserver mon grade. Quelle joie, chers parents, de vous embrasser tous à plein cœur ! de revoir, enfin, mon vieux rocher de Saint-Malo ! »

On lut ces pages tout haut à la Roussalka. Rita s’empressa d’écrire à Michelle, de la rassurer sur sa mère, sur eux, sur Hans. Les journaux russes qui parvenaient maintenant au comte citaient le général Hartfeld au nombre des héros de la guerre. Il était décoré, prôné, mis sur un piédestal. Ces détails n’étaient pas pour réjouir vivement les deux cousines, car ce piédestal était élevé sur des défaites françaises.

« Aussitôt Max en état de voyage, dit Alexis, il faudra rentrer en Russie ; mes intérêts, depuis longtemps abandonnés, me réclament.

— Quand vous voudrez, répondit Rita ; ma patrie, c’est le ciel, et peu m’importe le coin du monde où je dois le gagner. »

Max suivait cette conversation de ses yeux expressifs. Il saisit le crayon, toujours à sa portée, avec lequel il exprimait ses désirs. Ne pouvant parler, il écrivit :

« Il faudra venir avec nous, Yvonne.

— Ah ! Monsieur Max, que dites-vous là, répondit la jeune fille, prendre une Bretonne à sa lande, une fille à ses parents. »

Il écrivit :

« Prendre suppose un vol ; moi je demande un don. Michelle est bien partie, elle ! D’ailleurs, que vous le vouliez ou non, moi j’emporte une partie de vous-même à présent. »

Les yeux de Max riaient ; elle répondit gaiement :

« Mon cœur. Oui, vous emportez une partie de mon cœur, vous tous ici, car avec mes parents, bien sûr, vous êtes mes meilleures tendresses. »

Rita l’attira à elle ; mit un baiser sur le front de la jeune fille :

« Tu es toi, la plus excellente créature que je connaisse. Ces Bretonnes sont de purs diamants. J’en ai connu deux : deux perles.

— Dans deux huîtres, conclut Yvonne souriant ; mais l’huître meurt, quand on la détache de son rocher.

— Du tout, elle se greffe, ma belle, les Sables-d’Olonne fournissent à Ostende les jeunes plants.

— Comment voulez-vous, Yvonne, que je vive sans vous ? écrivit Max.

— Ainsi qu’avant ; dans deux ou trois jours, on vous ôtera votre bandeau et vous n’aurez plus besoin de personne ; vous redeviendrez un grand garçon robuste.

— Toujours faible sans vous, ma petite fée. »

À présent, c’était ainsi chaque jour : des causeries gaies entre eux trois, où se montrait une affection croissante.

Souvent, le soir, à l’heure où tombait la nuit, avant qu’on apportât les lampes, Rita faisait entendre son admirable voix, si pure et si suave, Max écoutait les mains jointes, Yvonne avait les larmes aux yeux, et le prince – jamais las d’entendre celle qu’il aimait si saintement – songeait aux extases du ciel.