Dieu et les hommes/Édition Garnier/Chapitre 26

Dieu et les hommesGarniertome 28 (p. 184-185).
CHAPITRE XXVI.
Si l’histoire de Bacchus est tirée de celle de Moïse.

Nous avons déjà remarqué[1] une prodigieuse ressemblance entre ce que l’antiquité nous dit de Moïse et ce qu’elle dit de Bacchus : ils ont habité la même contrée ; ils ont fait les mêmes miracles ; ils ont écrit leurs lois sur la pierre. Qui des deux est l’original ? Qui des deux est la copie ? Ce qui est très-certain, c’est que Bacchus était connu de presque toute la terre avant qu’aucune nation, excepté la juive, eût jamais entendu parler de Moïse. Aucun auteur grec n’a parlé des écrits qu’on attribue à ce Juif avant le rhéteur Longin, qui vivait dans le iiie siècle de notre ère. Les Grecs ne savaient pas seulement si les Juifs avaient des livres. L’historien Josèphe avoue, dans le quatrième chapitre de sa Réponse à Apion, que les Juifs n’avaient aucun commerce avec les autres peuples. « Le pays que nous habitons, dit-il, est éloigné de la mer ; nous ne nous appliquons point au commerce, nous ne communiquons point avec les autres nations. » Et ensuite : « Y a-t-il donc sujet de s’étonner que notre nation habitant si loin de la mer, et affectant de ne rien écrire, elle ait été si peu connue ? »

Rien n’est plus positif que ce passage. Les mystères de Bacchus étaient déjà célébrés en Grèce, et l’Asie les connaissait avant qu’aucun peuple eût entendu parler du Moïse hébreu[2]. Il est si naturel qu’une petite nation barbare inconnue imite les fables d’une grande nation civilisée et illustre, il y en a tant d’exemples, que cette seule réflexion suffirait pour faire perdre le procès aux Juifs. En fait de fables, comme en fait de toute invention, il paraît que les plus anciennes ont servi de modèle aux autres. La Légende dorée[3] est remplie de toutes les fables de l’ancienne Grèce, sous des noms de chrétiens. On y trouve l’histoire d’Hippolyte, et celle d’Œdipe tout entière. Il y a un saint à qui un cerf prédit qu’il tuera son père, et qu’il couchera avec sa mère. La prédiction du cerf est accomplie ; le saint fait pénitence, et est dans le Martyrologe. Les hommes aiment tant les fables que quand ils ne peuvent en inventer ils en copient.

Nous ne faisons ces réflexions que pour nous tenir en garde contre l’esprit romanesque de l’antiquité, esprit qui s’est perpétué trop longtemps.


  1. Tome XI, page 79 ; XXVI, 201 ; et ci-dessus, chap. xi, page 152.
  2. Voyez tome XXVI, page 201.
  3. Voyez tome XIII, page 175.