Dieu et les hommes/Édition Garnier/Chapitre 2

Dieu et les hommesGarniertome 28 (p. 132-134).
CHAPITRE II.
Remède approuvé par la faculté contre les maladies ci-dessus.

Les nations qu’on nomme civilisées, parce qu’elles furent méchantes et malheureuses dans des villes, au lieu de l’être en plein air ou dans des cavernes, ne trouvèrent point de plus puissant antidote contre les poisons dont les cœurs étaient pour la plupart dévorés que le recours à un Dieu rémunérateur et vengeur.

Les magistrats d’une ville avaient beau faire des lois contre le vol, contre l’adultère, on les volait eux-mêmes dans leurs logis, tandis qu’ils promulguaient leurs lois dans la place publique ; et leurs femmes prenaient ce temps-là même pour se moquer d’eux avec leurs amants.

Quel autre frein pouvait-on donc mettre à la cupidité, aux transgressions secrètes et impunies, que l’idée d’un maître éternel qui nous voit, et qui jugera jusqu’à nos plus secrètes pensées ? Nous ne savons pas qui le premier enseigna aux hommes cette doctrine. Si je le connaissais, et si j’étais sûr qu’il n’alla point au delà, qu’il ne corrompit point la médecine qu’il présentait aux hommes, je lui dresserais un autel.

Hobbes dit qu’il le ferait pendre. Sa raison, dit-il, est que cet apôtre de Dieu s’élève contre la puissance publique, qu’il appelle le Léviathan, en venant proposer aux hommes un maître supérieur au Léviathan, à la souveraineté législative.

La sentence de Hobbes me paraît bien dure. Je conviens, avec lui, que cet apôtre serait très-punissable, s’il venait dire à notre parlement, ou au roi d’Espagne, ou au sénat de Venise : « Je viens vous annoncer un Dieu dont je suis le ministre ; il m’a chargé de vous faire mettre en prison à ma volonté, de vous ôter vos biens, de vous tuer si vous faites la moindre chose qui me déplaise. Je vous assassinerai, comme le saint homme Aod[1] assassina Églon, roi de Moabie et de Juiverie, comme le pontife Joïada[2] assassina Athalie à la porte aux Chevaux, et comme le sage Salomon[3] assassina son frère Adoniah, etc., etc., etc. »

J’avoue que si un prédicateur venait nous parler sur ce ton, soit dans la chambre haute, soit dans la basse, soit dans le Drawing-room[4], je donnerais ma voix pour serrer le cou à ce drôle.

Mais si les athées dominaient chez nous, comme on dit que cela est arrivé dans notre ville de Londres du temps de Charles II, et à Rome du temps de Sixte IV, d’Alexandre VI, de Léon X, etc., etc., je saurais très-bon gré à un honnête homme de venir simplement nous dire, comme Platon, Marc-Aurèle, Épictète : Mortels, il y a un Dieu juste, soyez justes. Je ne vois point du tout de raison de pendre un pareil concitoyen.

Quoique je me pique d’être très-tolérant, j’inclinerais plutôt à punir celui qui nous dirait aujourd’hui : « Messieurs et dames, il n’y a point de Dieu ; calomniez, parjurez-vous, friponnez, volez, assassinez, empoisonnez, tout cela est égal, pourvu que vous soyez les plus forts ou les plus habiles. » Il est clair que cet homme serait très-pernicieux à la société, quoi qu’en ait pu dire le R. P. Malagrida, ci-devant jésuite, qui a, dit-on, persuadé à toute une famille que ce n’était pas même un péché véniel d’assassiner par derrière un roi de Portugal en certain cas[5].


  1. Juges, iii, 21.
  2. IV. Rois, xi, 16.
  3. III. Rois, ii, 25.
  4. On appelle la chambre des pairs en Angleterre la chambre haute ; la chambre des communes est appelée chambre basse : Drawing-room signifie antichambre. (B.)
  5. Voyez tome XV, page 390.