Dictionnaire wallon-français (Remacle, 1e éd.)/Avant-propos

Chez C. A. Bassompierre (p. 11-14).

AVANT-PROPOS.


Pour affecter de parler français, s’ensuit-il que l’on possède cette langue ? si la prétention vaut le fait, la question est résolue. Depuis que la mode a proscrit l’idiome wallon, les professeurs de la langue française se sont multipliés à l’infini : des imprudens dont la fortune avait trahi les prétentions exagérées n’ont pas peu contribué à cette révolution. Il devait en résulter que chacun se croirait grammairien et que peu de personnes seraient habiles dans les sciences grammaticales. De jeunes gens trompés par de mauvais maîtres, et quelquefois par leur amour-propre, traduisent littéralement le wallon en français, et tombent dans des bévues et des contre-sens qui blessent l’oreille la moins exercée. Dans l’espoir de corriger ces idiotismes, j’ai rempli mon dictionnaire de phrases wallonnes que j’ai traduites sur le génie de la langue française. Trop des mots, dans les deux idiomes, paraissent appartenir à une même famille, quand ils ont des acceptions différentes.

Les raisons qui m’ont fait traiter de nos idiotismes, sont aussi celles qui m’ont fait traiter de la synonimie française : les nuances délicates qui tracent la démarcation des mots qui se rattachent par une idée commune, me fesaient un devoir d’entrer dans ces détails. Je pourrais ajouter qu’il en est de la science comme de la fortune, plus nous avons plus nous voulons posséder.

On m’a dit que nous avions la synonimie de l’abbé Girard ; nous avons encore celle de Roubaud, de Beauzée, etc., mais ces ouvrages ne sont pas dans les mains de tout le monde ; ils devraient être refondus dans tous les dictionnaires.

Les routiniers intolérans par principe et par orgueil, toujours prêts à censurer leur siècle, toujours prêts à rejeter l’œuvre moderne du génie comme les rêves de l’ignorance, ne cessent de s’écrier. Il faut orthographier et prononcer comme il y a deux cents ans : le dictionnaire de l’académie est seul infaillible : hors Girard point de salut. Dites à ces gens-là que de tous les dictionnaires qui ont paru depuis 15 ans, celui de l’Académie est le moins bon : dites leur que l’illustre abbé a commis de grandes méprises ; dites-leur enfin, que l’autorité mère a sanctionné l’orthographe de Voltaire, ils vous répondront par des cris, sinon par des injures. Voici comme s’exprime Urbain Domergue, membre de l’institut, en parlant des routiniers et consors : « Un érudit qui se borne à l’érudition utile ! un routinier qui veut faire usage de sa raison ! un instituteur résolu à faire emplette de livres pour marcher avec son siècle ! voilà trois miracles que la légion d’honneur doit inscrire dans ses fastes, trois importantes conversions qui appellent sur les convertis la décoration nationale, si le pouvoir qui le dispense fait attention que de tous les mérites, le bon sens est le plus rare, et le plus propre à faire fleurir un état. » Citer ce célèbre grammairien c’est répondre à toutes les objections.

En traitant de la synonimie, je n’ai consulté que ma raison : plusieurs articles ne se trouvent pas dans le dictionnaire des Synonimes de la langue française ; d’autres sont rapportés sous un nouveau point de vue. On remarquera aussi que je n’ai pas toujours vu avec les yeux de Girard, Beauzée, etc. Malgré les suppressions qu’on en a faites, on reproche encore à Roubaud de s’être livré à des dissertations oiseuses, et d’avoir trop multiplié ses exemples. On pourrait, avec plus de justice, me reprocher d’être trop circonscrit, si toutefois, j’avais eu l’intention de traiter exclusivement de la synonimie.

Quand on aura parcouru mon dictionnaire, on saura apprécier la difficulté de ce travail : je ne crains pas d’avancer qu’il demande une réunion de connaissances, qui sont rarement le partage d’un seul homme : par cet aveu sincère je veux dire que je suis loin de me flatter d’avoir obtenu tout le succès possible. Un homme de mérite, Monsieur Cambresier prêtre, fit paraître en 1787 un dictionnaire wallon et français ; il avait marché sans guide, il avait, m’a-t-on dit, précipité son travail, et le vœu des Wallons n’a pas été rempli. On verra que je n’ai suivi ni sa division ni sa méthode.

Malgré mes recherches, et toute ma bonne volonté, je serai forcé de faire un supplément, et pour le rendre efficacement utile, je rapporterai presque tous les termes d’arts, et métiers ; bien même qu’ils n’aient pas d’équivalens dans l’idiome wallon.