Dictionnaire topographique, historique et statistique de la Sarthe/CHARNIE

CHARNIE, Carneta vel Carnia, seu Charitate. Contrée assez considérable de l’ancienne province du Maine, qui, dans le 11. e siècle, n’était qu’une forêt immense appelée Sylva Carneta vel Carniense nemus, nom qui, suivant quelques autorités, exprime une terre charnue. Aujourd’hui la Charnie dépend des deux départemens de la Sarthe et de la Mayenne, comme elle appartenait autrefois à une partie du Haut et Bas-Maine. Elle comprend encore une grande étendue de foret, soit en futaie, soit en taillis, que l’on divise en deux principales parties, sous les noms de forêts de la Grande et de la Petite-Charnie : (voir l’article suivant). Comme il serait difficile de diviser l’historique ancien de la Charnie, pour la partie Sarthoise, nous le traiterons en général ; et, ensuite, nous ferons connaître la partie de son territoire dépendante du département de la Sarthe en particulier. Nous pensons, ainsi que nous l’avons fait pour les articles belinois et Champagne, qu’une carte spéciale, pour celui-ci, sera propre à en faciliter l’intelligence au lecteur.

La Charnie, partie du Maine située entre le Mans et Laval, est un pays coupé, montueux, couvert, humide et froid, qu’on peut circonscrire entre le 2, e degré 20 minutes et le 2. e degré 55 minutes de longitude, et entre le 47 — e degré 58 minutes et le 4-8. e degré 8 minutes de latitude ; entourée par les petites rivières d’Ouette, à l’O. ; et de Vègre, à l’E. C’est à-peu-près le pays des Arviens, dont la cité de Vagoritum, leur ancienne capitale, a été reconnue sur les bords de l’Erve, d’après le savant géographe Danville, entre le bourg de Saint-Pierre-d’Erve et celui de Thorigné, sur le territoire de cette dernière commune (Mayenne) ; et non sur celui de S.-Pierre, ainsi que nous l’avons écrit page 32 de ce volume, art. arviens.

Il ne peut entrer dans le plan de cet article, de traiter en détail l’histoire féodale de la Charnie et du marquisat de Sainte-Suzanne ? qui en était la principale seigneurie, lequel passa de la maison et du comté de Beaumont (Voir l’art. beaumont-sur-sarthe), dans le domaine royal, lorsque Henri IV parvint au trône ; ensuite fut donné par ce prince, à titre d’engagement, à Guillaume Fouquet de Ja Varenne 7 son favori ; entra par alliance dans la maison de Champagne de Vilaine (v. ci-dessus, page 276), et porté en dot, par une fille de cette maison, dans celle de Choiseul-Praslin. On comptait dans la Charnie plusieurs autres terres nobles importantes, notamment celles de Sourches, de Bouille, de Montéclair, et de l’abbaye d’Evron ; les Chartreux du Parc de S.-Denis d’Orques étaient aussi seigneurs d’un territoire assez étendu.

Nous avons dit ailleurs, et nous en offrons souvent la preuve, que dans les premiers siècles du christianisme les forêts du Maine devinrent l’asile et la retraite d’un grand nombre de solitaires qui y placèrent leurs hermitages, lesquels, plus tard, devinrent des établissemens religieux importais : les forêts de la Charnie n’en cédèrent point aux autres sous ce rapport. Un saint hermite nommé Alleaume, qui s’y fixa vers la fin du n. e siècle, sollicita de Baoul II de Beaumont, vicomte du Maine, la fondation de l’abbaye d’Etival, Æstivalium, sur les confins S. E. de la forêt de la Grande-Charnie, et devint chapelain des sœurs de ce monastère, de l’ordre de S.-Benoît. Dans la première moitié du i3. e siècle, une princesse de la même maison, obtint de son oncle, Baoul 111 de Beaumont, aussi vicomte du Maine, la maison et une partie du domaine du Parc, où elle fonda un couvent de Chartreux, fondation qui fut augmentée dans le i4— e siècle, par d’autres seigneurs de la même maison et de celle de Laval ; enfin, la célèbre abbaye d’Evron, qui dut son établissement au zèle religieux de lévêque du Mans, S. Hadouing, dans le 7 » e siècle, fut brûlée par les Normands dans le g. e, et magnifiquement reconstruite par les comtes de Blois. (Voir les articles étival-en-charnie, et chartreuse du parc). Le prieuré de Loué, également fondé par les vicomtes de Beaumont, vers le commencement du i3. e siècle, peut-être encore considéré, avec ceux de Joué-en-Charnie, de Chassillé, etc., comme faisant partie des nombreux établissemens religieux, hermitages, cellules, prieurés, monastères de la Charnie, qui firent qualifier cette contrée de seconde théraïde, par les historiens du diocèse du Mans.

L’histoire de ce canton du Maine, sous le rapport des faits militaires, n’offrirait pas moins d’intérêt que son histoire ecclésiastique, s’il pouvait nous être permis de la placer ici. C’est surtout pendant les guerres des règnes de Charles VI et de Charles VII, qu’elle offrirait le plus d’événemens remarquables. Il n’est aucune de ses localilés que les Anglais n’aient parcourues alors, et qui n’ait été le témoin de quelque combat entre eux et les Français. La petite ville de Sainte-Suzanne, bâtie sur un rocher, et d’où, dans le n. e siècle, Hubert II, vicomte de Beaumont, fatigua pendant trois ans les troupes aguerries de Guillaume-le-Roux, n’offrit pas moins de résistance à celles des Anglais du i4— e siècle, défendue alors par le plus valheureux des Manceaux, l’immortel Ambroise de Loré. De nos jours, ce pays presqu’impraticable, et par cela même si propre pour une guerre de partisans, fut comme un foyer inextinguible de l’insurrection royaliste, connue sous le nom de Chouannerie, placé entre la Bretagne et la Normandie, le Maine et l’Anjou. Le récit des guerres de ces différentes époques, trouve plus naturellement sa place dans le précis historique, pour les faits généraux ; et dans les articles des communes de l’ancienne Charnie, qui font partie du département de la Sarthe, pour les faits particuliers.

Le sol montagneux, agreste et presque sauvage, de la Charnie, couvert de bois et d’étangs, bien plus autrefois encore qu’aujourd’hui, appartient en majeure partie aux terrains primordiaux granitoïdes, à ceux de transition et même aux terrains secondaires. On y trouve des granités, des petrosilex, du jaspe et du porphyre, dans la partie N. et N. O., ou dans les rochers des Couëvrons ; des schistes argileux, des grès argileux à grains fins, dans les rochers d’Orques ; des calcaires fétides, des couches d’argile et des minerais de fer oxidé, mêlé d’oxide de manganèse, des grès ferrugineux et des grès de transition, accompagnant des veines puissantes d’anthracite ; des marbres, dans les rochers de Poil, de Pisgrel et ailleurs ; et enfin, le calcaire jurassique y qui termine son territoire à l’est.

La Charnie, dans l’espace que nous lui avons assigné (et qu’il faudrait peut-être étendre jusqu’au de-là de la forêt de Sillé-le-Guillaume, au nord ; jusqu’à la Sarthe, au sud), comprend à-peu-près 3o à 35 anciennes paroisses, dont seulement 16, qui se réduisent à 13 communes, de notre département. Ces communes sont : Neuvillette, Parennes et Rouez, du canton de Sillé-le-Guillaume ; S.-Symphorien, en partie, et Ruillé, de celui de Conlie ; Chassillé, Chemiré et Etival, Epineu-le-Chevreuil, S.-Denis-d’Orques et le Creux, Joué, Montreuil, Loué, en partie, du canton de Loué ; Brûlon, Viré, Mareil, ce dernier en partie, dans le canton de Brûlon. Si, au contraire, nous reculions ses limites au N. et au S., comme nous venons de le dire, depuis le 47— c degré 5i minutes de latitude, jusqu’au 48. e degré i5 minutes, environ, fondé sur ce qu’il est probable, ainsi que l’indique la nature du sol, que la forêt de Sillé a fait partie autrefois de celles de la Charnie, dont elle est moins éloignée (7 kilom), que ne le sont aujourd’hui les bois de Charnie (10 kilom. 1/2), des forêts du même nom ; on aurait une augmentation de territoire d’environ un tiers, pour toute la contrée de la Charnie, et de i4 communes seulement pour le département de la Sarlhe, celles de Mont-S.-Jean, le Gréz, Pezé-le-lobert, S.-Remy-de-Sillé, Rouessé-Vassé et Sillé-le-Guillaume, du canton de Sillé, Montreuil-le-Chétif, du canton de Fresnay, au nord ; celles d’Avessé et Poillé, du canton de Brulon ; d’Asnières, en partie, Juigné, Gâtines, Sablé, en partie, Auvers-le-Hamon, du canton de Sablé, au sud ; ces dernières considérées, en ce qui est sur la rive droite de la Sarlhe et de la Vègre, comme dépendantes de l’ancien territoire des Arviens. C’est aussi dans la Charnie, peu au-dessous de l’ancienne cité des Arviens, sur les rives de l’Erve, que se trouvent les fameuses excavations souterraines appelées Grottes de Sauge, et vulgairement caves à margot, nom qui, dans le pays, est synonyme de Caves à la Sorcière, parce qu’elles ont pu servir de retraite, ou être le séjour de quelque druidesse, dans des temps de persécution. On appelait généralement du nom de sorcières les prêtresses du druidisme, quand ce culte cessa d’être pratiqué et en honneur dans le pays, et qu’il ne laissa plus que des souvenirs confus qui donnèrent lieu à une foule de fables extraordinaires, de sortilèges, de trésors cachés, etc., etc. Ces caves sont surtout remarquables par les belles stalactites ou concrétions calcaires qui en tapissent les parois supérieures. Elles doivent être l’objet de la visite des amateurs de curiosités naturelles ; mais leur situation dans le territoire des communes de Sauge et de Thorigné, du département de la Mayenne, nous interdit d’en donner ici une plus ample description.

Dans la première de ces circonscriptions, on doit comprendre, outre les principaux massifs de bois nommés forêts de la Grande et de la Petite-Charnie, les bois de Blandouet et le bois Marie, ainsi que les bois de Charnie, tous dans le département de la Mayenne, ces derniers à l’extrémité est du territoire de la Charnie ; ceux du Parc ou de la Chartreuse de S.-Denis-d’Orques, qui sont presque attenants au sud de la forêt de la Grande-Charnie ; ceux de Chemiré, du Creux, de l’Isle, de l’Hommoye et même d’Epineu, à l’extrémité O. de cette contrée ; et, en y comprenant le territoire dont nous hasardons l’addition, on y ajouterait la forêt de Sillé, au N. ; les bois de Brice, de la Cour-du-Bois et autres, au S. ; qui tous ne paraissent être que des démembremens de l’ancienne grande forêt de la Charnie, que les défrichemens en ont détachés. Dans ce territoire se trouvent comprises plusieurs forges où les minerais de fer qu’on y trouve sont exploités : celle de Moncors, dans la Mayenne ; et dans la Sarthe, celle de Cherniré. L’Erve fait aussi mouvoir, à S. le —Suzanne, de nombreux moulins à papier.

Nous ne nous sommes point attaché, dans cet article, à distinguer les territoires de la Grande et de la Petite-Charnie, travail aussi inutile que difficile et fastidieux. La carte que nous offrons au lecteur l’aidera à faire lui-même cette distinction, assez arbitraire, en affectant l’un ou l’autre nom au territoire qui entoure de plus près l’une ou l’autre forêt.