DRESSOIR, s. m. (dressouer, dreçouer). Meuble fait en forme d’étagère, garni de nappes, et sur lequel on rangeait de la vaisselle de prix, des pièces d’orfévrerie pour la montre. On disposait dans les salles de festins, chez les personnages riches, des dressoirs couverts de vaisselle d’argent ou de vermeil, d’objets précieux, de drageoirs, de pots contenant des confitures et des épices. Dans la cuisine ou l’office, le dressoir était destiné à recevoir, dans l’ordre convenable, tous les mets qui devaient être placés sur la table. Dans la chambre, de petits dressoirs supportaient sur leurs gradins, comme les étagères de notre temps, des vases précieux et les mille superfluités dont les personnes habituées au luxe aiment à s’entourer. Le nombre des degrés du dressoir était fixé par l’étiquette : telle personne noble pouvait avoir un dressoir à trois degrés, telle autre à deux seulement. Quelquefois la crédence et le dressoir ne font qu’un, ou plutôt le dressoir sert de crédence. La figure 1 nous donne un dressoir remplissant cette double fonction[1] ; un seul gradin porte des plats d’argent appuyés de champ sur un fond couvert d’étoffe. La petite armoire inférieure, servant de crédence, est couverte d’une nappe sur laquelle sont posées trois aiguières également d’argent. Mais le véritable dresseoir n’était composé que de gradins avec un dorsal et quelquefois un dais d’étoffe ou de bois sculpté, ainsi que l’indique la figure 2.

« En ladite chambre (de la comtesse de Charolais, femme de Charles le Téméraire), il y avoit ung grand dresseoir, sur lequel y avoit quatre beaux degrez, aussi longs que le dresseoir étoit large, et tout couvert de nappes, ledit dresseoir et les degrez estoient tous chargez de vaisselles de cristalle garnies d’or et de pierreries et sy en y avoit de fin or ; car toute la plus riche vaisselle du Ducq Philippe y estoit, tant de pots, de tasses, comme de coupes de fin or. Autres vaisselles et bassins, lesquels on y met jamais qu’en tel cas. Entre autre vaisselle, il y avoit sur ledit dressoir trois drageoirs d’or et de pierreries, dont l’un estoit estimé à quarente mil escus et l’autre à trente mil. Sur ledit dressoir estoit tendu un dorset (dorsal) de drap d’or cramoisy bordé de velours noir, et sur le velour noir estoit brodée de fin or la devise de Monseigneur le Ducq Philippe, qui estoit le fusil. Pour déclarer de quelle façon est un dorseret, pour ce que beaucoup de gens ne sçavent que c’est ; un dorseret est de largeur de trois draps d’or ou d’un autre drap de soye, et tout ainsi fait que le ciel que l’on tend sur un lict, mais ce qu’est dessus le dressoir ne le passe point plus d’un quartier ou d’une demi aulne, et est à gouttières et à franges comme le ciel d’un lict, et ce qu’est derrière le dressoir, depuis en hault jusques en bas est à deux costez, bordé de quelque chose autre que le dorseret n’est ; et doit être la bordure d’un quartier de large ou environ, aussi bien au ciel que derrière.

« Item, sur le dressoir qu’estoit en la chambre de ladite dame, avoit toujours deux chandeliers d’argent, que l’on appelle à la cour mestiers[2], là où il y avoit toujours deux grands flambeaux ardens, tant qu’elle fut bien quinze jours avant que l’on commençât à ouvrir les verrières de sa chambre. Auprès du dressoir à un coing, il y avoit une petite tablette basse, là où l’on mettoit les pots et tasses pour donner à boire à ceux qui venoient voir Madame, après qu’on leur avoit donné de la dragée ; mais le drageoir estoit sur le dressoir[3]. »

Le dressoir décrit ici, placé dans la chambre d’Isabelle de Bourbon, femme du comte de Charollais, depuis Charles le Téméraire, fut garni ainsi richement, à l’occasion de la naissance de Marie de Bourgogne, qui épousa le duc d’Autriche. C’était un usage, lors des couches des princesses, de tenir leur chambre fermée pendant quinze jours, et de la décorer de tout ce que le trésor du palais contenait de plus précieux. Les étoffes prenaient une place importante dans ces meubles ainsi garnis, et servaient de fond à la vaisselle posée sur les gradins. On voit que l’étiquette, non-seulement imposait le nombre de ces gradins, mais aussi la forme et la dimension du dorsal, du dais et des bordures. Dans la chambre de parade, qui précédait la chambre de l’accouchée, il y avait un autre dressoir très-grand, tout chargé de grands flacons, pots et autre vaisselle d’argent doré, de tasses et drageoirs ; celui-ci était également couvert de nappes sur les degrés et autour, suivant l’usage. Marie de Bourgogne, comme fille du comte de Charolais, et héritière par conséquent, avait cinq degrés à son dressoir ; cependant les reines de France seules jouissaient de ce privilège. Une femme de chevalier banneret n’avait pendant ses couches que deux degrés à son dressoir ; une comtesse pouvait en avoir trois[4].

Les dressoirs n’étaient pas toujours disposés pour être adossés à la muraille ; ils étaient isolés quelquefois en forme de buffet (voyez ce mot), ronds, à pans ou carrés. Ce meuble ne paraît guère avoir été en usage avant le XIVe siècle, car, jusqu’alors, les plus riches seigneurs et les souverains ne semblent pas avoir possédé une vaisselle somptueuse. Pendant l’époque féodale, les habitudes de la vie intérieure étaient simples, et les grands possesseurs de fiefs préféraient employer leurs trésors à bâtir des châteaux forts, à tenir près d’eux un grand nombre d’hommes d’armes, à les équiper et les nourrir, qu’à acheter de la vaisselle d’or ou d’argent. C’est depuis Charles V surtout que l’on voit apparaître ce désir d’étaler un luxe excessif. Ni les malheurs qui accablèrent la France pendant le XVe siècle, ni la misère des classes inférieures, ne purent arrêter les progrès du mal. Le peu de matières d’or ou d’argent que laissèrent les guerres dans ce malheureux pays étaient soustraites à la circulation pour décorer les dressoirs de la haute noblesse.

Dès la fin du XIVe siècle, la maison de Bourgogne, puissante, possédant les domaines les plus productifs de l’Europe d’alors, faisait parade de sa richesse, donnaient des fêtes qui surpassaient comme luxe tout ce que l’on peut imaginer. La cour de France était plus jalouse encore peut-être de cette splendeur que de la prédominence politique qu’avaient acquise les ducs de Bourgogne. C’était donc à qui, à Paris ou à Dijon, éclipserait son rival par un déploiement de luxe inouï, par la montre d’une grande quantité de vaisselle d’or et d’argent, d’orfévrerie de table, par des largesses et des fêtes renouvelées à de courts intervalles.

C’est aussi pendant le XVe siècle que des meubles, et particulièrement ceux d’apparat, prennent une importance inconnue jusqu’alors. Les dressoirs, qui étaient plutôt des meubles de luxe que d’utilité, se rencontrent dans toutes les descriptions de fête, de banquets, dans les entrées mêmes des personnes souveraines, car les bonnes villes en établissaient alors, chargés de vaisselle, en plein air ou sur des litières transportées pendant le passage des princes ; ils les suivaient jusqu’à leur logis, où, bien entendu, on les laissait[5]. (Voy. Litière.)

  1. Du manuscr. de l’Hist. de Girard, comte de Nevers, Biblioth. nat., fonds la Vallière, no 92.
  2. Mortiers, chandelles de nuit, qu’on appelait aussi mortiers de cire.
  3. Alienor de Poictiers, les Honneurs de la cour.
  4. Alienor de Poictiers.
  5. Suivant Nicod, ce qui distingue le dressoir du buffet, c’est que le premier n’a jamais de tiroirs ni d’armoires à portes. Le dressoir ne sert qu’à étaler la vaisselle qu’on lire du buffet. « Jacquemart Canisset, charpentier, fait un crechoir à coulombe (à tablettes ou compartiments) pour l’hôtel de ville de Béthune, au commencement du XVIe siècle. » (Voy. les Artistes du nord de la France, par M. le baron de Mélicocq. Béthune, 1848.)