COFFRET, s. m. (coffre, escrint). Petit coffre.

« Pour les dames, cofres ou escrint
« Pour leurs besongnes hebergier[1]. »

Dès les premiers siècles du moyen âge, les coffrets étaient fort en usage ; on les fabriquait en matières précieuses, en ivoire, en marqueterie, en cuivre émaillé, en or, en argent ; ils étaient repoussés, ciselés, émaillés. Pendant leurs voyages, les dames les transportaient avec elles et y renfermaient des bijoux de prix. En campagne, dans les expéditions lointaines, les nobles, les chevaliers, outre les bahuts qui contenaient leurs effets, portaient de ces coffrets qui étaient confiés à la garde des écuyers, et qui contenaient l’argent, les bijoux, parfois même des titres. Car il était assez d’usage, jusqu’au XIIIe siècle, d’emporter avec soi les archives de famille, les titres précieux : tel était l’esprit de défiance qui dominait alors toutes les classes, que les plus puissants seigneurs n’osaient se séparer des objets dont ils n’eussent pu réparer la perte. Les coffres et coffrets tiennent donc une place importante dans le mobilier du moyen âge. C’est dans un coffret que sont déposés le cœur et la lettre de Raoul de Coucy destinés à la dame de Fayel, et rapportés par son écuyer Gobert, de Brindes en France.

Le châtelain de Coucy, sentant sa mort prochaine,

 
« 
fist aporter
« Un des coffres de ses sonmiers

« Ouquel estoit li trésors chiers
« Des tresches (tresses) qu’il véoit souvent.
« Un coffre petitet d’argent
« En a trait et puis l’a baizié,
« Ouvert l’a, si a fors sachié

« Les tresches qui sambloient d’or[2].
« 
 »

Les trésors des cathédrales, des églises, les musées, conservent encore un grand nombre de ces petits meubles, exécutés en général avec beaucoup de soin et de recherche. Un des plus beaux et des plus anciens coffrets que nous connaissions faisait partie de la collection de M. le prince Soltykoff[3]. Ce coffret est d’ivoire bordé de lames de cuivre doré finement gravées ; il a 32 centimètres de long sur 19 de large et 10 de hauteur. En voici (fig. 1) l’ensemble : il nous paraît appartenir au Xe siècle, il est intact, sauf la serrure, la clef et l’anse, qui ont été refaites au XVe siècle. Les dessins dont il est orné sur ses quatre faces et le couvercle représentent des animaux dans des entrelacs, biches becquetées par des aigles, daims, aiglettes. La figure 2 donne le détail de la plaque formant couvercle, et la figure 3 une des bordures de cuivre gravé, grandeur d’exécution. Il est facile, avec ces renseignements, de se faire une idée complète de cet objet, remarquable par sa date, sa belle composition et sa parfaite conservation.

Beaucoup de ces coffrets étaient renfermés, comme nos nécessaires de voyage, dans des enveloppes de cuir ornées elles-mêmes de gaufrures et dorures, de légendes armoyées ou d’emblèmes. Ces coffrets se rangeaient parfois à côté les uns des autres dans les bahuts de voyage, et contenaient chacun des armes, des objets nécessaires à la toilette, des parfums, des bijoux, des coiffures, aumônières, manches brodées, ceintures, etc. D’autres séries contenaient couteaux, petite vaisselle de table, coupes, hanaps, tasses de vermeil, épices, cordiaux dans de petits flacons.

« Or est monte a cheual le gentil Palanus lequel sen va accoustre tout ainsi que le vous conteray sans grant nombre de gens ne bagaige, car il nauoit que deux baheux, dont lung portait ung lit de camp bien petit entre deux coffres ou estoit une partie de son accoustrement, et l’autre bahu portoit ses coffres d’armes avec ses hardes sans aultre chose[4]. »

Les mœurs du moyen âge étaient nomades : nobles et marchands étaient souvent sur les grands chemins, et force était alors, lorsqu’on voulait vivre passablement, d’emporter tout avec soi ; puis, comme nous l’avons dit plus haut, on ne s’en rapportait qu’à soi-même pour garder son bien. Arrivait-on dans une ville, dans une hôtellerie, s’établissait-on temporairement quelque part, on se faisait un mobilier de tous ces coffres de voyage : les plus grands devenaient lits, tables ou armoires ; les moyens servaient de bancs, et les petits de nécessaires propres à renfermer tous les menus objets. Ces habitudes prirent un tel empire, que, dans des temps plus rapprochés de nous, où l’état du pays n’exigeait plus le charroi de tous les objets utiles à la vie journalière, on voyait encore des princes, et même de riches particuliers, se faire suivre en voyage de leur vaisselle et d’une quantité de meubles, tapisseries, linge et vêtements assez considérable pour meubler un palais[5].

Mais revenons aux coffrets. Ceux-ci n’affectent pas toujours la forme d’un parallélipipède ; quelquefois ils sont à pans. Il existe encore aujourd’hui, dans le trésor de la cathédrale de Sens, un coffret d’ivoire sculpté et peint, qui fut, dit-on, rapporté de Constantinople au XIIe siècle, et qui contenait des reliques précieuses. Il est en forme de prisme à douze pans, terminé par un couvercle en pyramide tronquée également à douze faces ; la hauteur du prisme est de 0m,22, le diamètre du coffret de 0m,31. Il est divisé en trois zones : celle inférieure représente l’histoire de David, celle au-dessus l’histoire de Joseph ; la troisième, des lions, des griffons affrontés, un griffon terrassant un bœuf, un griffon dépeçant une bête à cornes, un lion se jetant sur un bœuf, un griffon tuant un serpent, et un lion poursuivant un bouc. Sur le couvercle, on retrouve la suite de l’histoire de Joseph, ou plutôt son triomphe, l’arrivée de sa famille en Égypte, et son apothéose. La gorge qui sépare le couvercle du corps du coffret est revêtue de plaques d’émail de fabrique byzantine. Ce petit meuble fut certainement exécute à Byzance et paraît appartenir au XIIe siècle ; les bas-reliefs sont accompagnés d’inscriptions grecques, et le style des figures rappelle l’antiquité gréco-romaine.

Voici (fig. 4) un ensemble de ce précieux coffret, et (fig. 5) un fragment d’un des petits bas-reliefs représentant Joseph allant au-devant de Jacob et le recevant à son arrivée dans la terre de Gessen. Le style des bas-reliefs qui décorent l’extérieur du coffret de Sens est plein de grandeur, et certainement l’introduction d’objets de fabrique byzantine, si fréquente en France pendant le XIIe siècle, dut exercer une notable influence sur la sculpture due à nos artistes occidentaux. Le trésor de la cathédrale de Sens n’a pas cessé de posséder ce coffret depuis cette époque. Son origine n’est pas douteuse. Quand on examine les bas-reliefs des édifices du XIIe siècle, dans l’Ile-de-France, la Champagne et la Bourgogne, on demeure frappé de l’analogie qu’il y a entre les sculptures de ce coffret, par exemple, et celles des chapiteaux du porche de l’église de Vézelay, qui datent de 1130 environ. Nous avons dit que les ivoires du coffret de Sens étaient peints : le vert, le pourpre, y dominent ; malheureusement, une maladroite réparation a fait disparaître en grande partie cette intéressante coloration et les inscriptions que Millin a encore pu copier lorsqu’il visita Sens[6] en 1805. Sur le sommet tronqué de la pyramide s’élevait probablement un bouton de cuivre émaillé, pour permettre de soulever le couvercle ; il a été remplacé par une de ces pommes de cuivre que l’on pose sur les premiers balustres des escaliers.

L’abbaye du Lys possédait un coffret de bois recouvert de plaques d’argent vernies en noir verdâtre, de cuir doré et émaillé ; ce petit meuble est aussi précieux par sa composition que par son exécution. Il est aujourd’hui conservé dans l’église de Dammarie (Seine-et-Marne), et connu sous le nom de cassette de saint Louis[7]. Il est certain que ce coffret date du XIIIe siècle. Sur le couvercle, outre les huit médaillons représentant en relief des animaux, quatre améthystes sont enchâssées sur les encoignures ; sur la face et les côtés sont également disposés des médaillons. Un grand nombre d’écussons, semés entre ces médaillons, sont émaillés aux armes de France ancien, de Castille, de Bourgogne ancien, de Guillaume de Courtenay, de Montfort, de Dreux, de Bretagne, de Flandre, de Navarre et Champagne, de Graville, de Dammartin, de Toulouse, de France à trois fleurs de lis, de Coucy, de Beaumont, de Roye, de Champagne, de Jérusalem, de Bar, de Montmorency, de Normandie, d’Harcourt. L’anse, les équerres, les charnières, la serrure et son moraillon sont dorés et émaillés. De petits clous d’or à tête ronde fixent, entre les médaillons et les écus, la plaque d’argent très-mince qui recouvre exactement le bois. Rien n’indique que cette cassette ait eu une destination religieuse, et nous la regardons plutôt comme un de ces précieux écrins qui devaient renfermer des bijoux de prix.

Souvent les coffrets étaient faits de bois, et n’avaient de valeur que par la délicatesse et le goût des sculptures dont leurs ais étaient couverts.

Voici un de ces coffrets, très-simples comme matière, très-riches par le travail (fig. 6) ; il est de bois de châtaignier, avec anse, charnières et serrure de fer[8]. Le dessus, que nous reproduisons (Pl. III), est remarquable par sa composition. L’anse est munie d’un anneau maintenu par une goupille lâche, de manière qu’en le passant au doigt, le coffret puisse être cependant tourné en tous sens ; procédé qui permettait, en tenant cette anse d’une main, de présenter l’entrée de la serrure en face de l’autre main tenant la clef. Ce coffret est décoré de figures et d’animaux dans des cercles ornés de feuillages ; sur le côté, dans un des cercles, est une rose au milieu de laquelle est sculptée en relief la lettre H ; sur des banderoles portées par les figures, sont gravées des devises.

Souvent, sur les coffrets, étaient sculptées des chasses, des scènes tirées de romans en vogue, des inscriptions, etc. Il existe encore, dans le trésor de l’église de Saint-Bertrand de Comminges, un coffret de bois recouvert de plaques de cuivre jaune estampé, sur lesquelles sont figurés en relief des chevaliers, des dames, des animaux. Les reliefs faits à l’étampe se répètent comme ceux d’une étoffe. Il était d’usage aussi de porter en voyage des coffrets de fer solidement fermés, dans lesquels on gardait les bijoux. Voici (fig. 7) un de ces coffrets, qui date du XVe siècle. Il se compose d’une boîte de chêne recouverte de cuir rouge ; sur le cuir est appliqué un premier réseau de fer étamé, à jour ; puis une seconde enveloppe de fer non étamé, également à jour, laissant voir à travers ses mailles le cuir et le réseau étamé. Des nerfs de fer renforcent le couvercle, et une petite serrure très-solide et habilement travaillée le maintient fermé. Sur les deux côtés, quatre anneaux permettent d’attacher ce coffret, au moyen de courroies ou de chaînes, à l’intérieur d’un bahut trop lourd pour être facilement soustrait, ou de le porter en croupe, de le réunir au bagage chargé sur des bêtes de somme[9].

La figure 8 explique la disposition des deux plaques de fer appliquées l’une sur l’autre ; la charnière occupe toute la largeur du coffret et est formée par les plaques de fer battu qui lui servent d’enveloppe (fig. 9).

L’Italie fournit beaucoup de ces petits meubles : on en trouve encore dans les trésors de nos églises ; ils sont généralement d’os ou d’ivoire sculpté et de marqueterie. Le trésor de l’église de Saint-Trophime d’Arles en possède un fort remarquable, qui parait remonter au XIIIe siècle (Pl. IV)[10]. Celui de la cathédrale de Sens en conserve un autre du XIVe siècle. On en voit un grand nombre dans nos musées et dans les collections particulières.

  1. Eust. Deschamps.
  2. L’Hist. du châtelain de Coucy et de la dame de Fayel, vers 7607 et suiv., édit. de Crapelet, 1829.
  3. Nous devons encore à l’obligeance de M. le prince Soltykoff d’avoir pu dessiner ce précieux meuble.
  4. L’Hist. de Palanus, comte de Lyon, manuscr. de la Bibl. de l’Arsenal.
  5. Nous avons vu encore un auguste personnage qui ne voyageait qu’avec son lit, et qui eût mieux aimé passer la nuit dans un fauteuil que de se coucher dans un lit qui n’eût pas été le sien.
  6. Voyages dans le midi de la France, par Millin, 1807. Atlas.
  7. Ce charmant coffret est reproduit avec beaucoup d’exactitude dans les Monuments de Seine-et-Marne, par MM. A. Aufauvre et G. Fichot, in-fo. Melun, 1854.
  8. Ce coffret, qui date du XIVe siècle, faisait partie de la collection de M. A. Gérente ; il est de fabrication rhénane. Il faut dire qu’à cette époque les provinces de l’est de la France et l’Allemagne fournissaient beaucoup de ces menus objets sculptés en bois.
  9. Nous devons ce petit meuble à M. Alaux, architecte de Bordeaux. Les dimensions de ce coffret sont : longueur, 0m,17 ; largeur, 0m,13 ; hauteur, 0m,10.
  10. Le dessin de ce coffret nous a été donné par M. Révoil, architecte à Nîmes.