Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance/Arbalète

Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance
VE A. MOREL ET CIE, ÉDITEURS (tome 5p. 20-38).
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ARBALÈTE, s. f. Arme de jet, dérivée de l’arc (arc-baliste), composée d’un arc fait de nerf, de corne ou de métal, d’un arbrier ou corps de bois destiné à fixer l’arc et à recevoir le projectile, et d’une noix avec sa détente. Il est question d’arbalètes dès les premières croisades, et un manuscrit de la Bibliothèque nationale[1] de la fin du Xe siècle[2] montre, dans une de ses vignettes, deux arbalétriers à pied tirant contre les remparts de la ville de Tyr. En 1139, cette arme, reconnue comme très-meurtrière, fut interdite par le concile de Latran entre armées chrétiennes, mais permise contre les infidèles. Elle fut reprise par les troupes à pied de Richard Cœur-de-Lion et de Philippe-Auguste, malgré le bref d’Innocent III, qui renouvela les défenses du concile de 1139[3] et ne fut abandonnée, comme arme de guerre, que sous le règne de François Ier. L’arbalète était en effet une arme excellente tant par la justesse du tir que par sa puissance de projection. Elle n’avait contre elle que son poids et la lenteur du tir, car, au xive siècle, alors que les arbalètes étaient très-perfectionnées, un bon arbalétrier ne pouvait guère envoyer que deux carreaux par minute, tandis qu’un archer décochait une douzaine de flèches. Au xve siècle, on distinguait trois espèces d’arbalètes de guerre : l’arbalète à pied-de-biche, l’arbalète à tour ou à moufle, et l’arbalète à cry, dénominations empruntées à la manière de bander l’arc ; mais avant cette époque on ne possède qu’un petit nombre de renseignements sur les procédés employés par les arbalétriers pour amener la corde de l’arc sur la noix. Au xiie siècle, l’arbrier de l’arbalète était déjà muni à son extrémité d’un étrier pour passer le pied et faciliter ainsi le tirage sur la corde. Les vignettes des manuscrits du xiiie siècle permettent de se rendre un compte exact de la manière de procéder lorsque l’arbalétrier voulait bander son arme. La retournant la noix de son côté, il passait le pied droit dans l’étrier[4], logeait la corde de l’arc dans un crochet pendu par une forte courroie à sa ceinture, et, exerçant une pesée sur l’étrier par le relèvement des reins, il amenait la corde dans l’encoche de la noix (fig. 1[5]). De la main gauche il saisissait l’arbrier, et de la droite le bout de la courroie à laquelle le crochet était fixé ; ainsi pouvait-il appuyer la corde contre l’arbrier. La gâchette destinée à décliquer la noix se présentait ainsi en dehors, comme le montre la figure 1. Les exemples touchant cette manière de bander l’arc de l’arbalète de guerre, pendant les xiiie, xive et xive siècle, ne font pas défaut. On voit même, dans le beau manuscrit de Gaston Phébus sur la vénerie[6] qui date de la fin du xive siècle, des veneurs à pied qui bandent les arcs de leurs arbalètes par ce moyen. Sur ces dernières peintures, le crochet est simple, et devait ainsi glisser à côté de l’arbrier. Le crochet double des armes de guerre avait plus de puissance et était adapté aux armes d’un volume plus fort que celles de chasse. Nous ne pensons pas que le pied-de-biche (qui pourrait bien être le mécanisme le plus anciennement employé pour bander l'arc des arbalètes de guerre) ait été en usage avant le commencement du xve siècle ; du moins ne trouvons-nous, avant cette époque, d’autre procédé pour bander les arcs des arbalètes que celui précédemment indiqué. Les fouilles du château de Pierrefonds ont fait découvrir un de ces crochets doubles.

Le tour ou la moufle n’apparaît dans les peintures que vers 1425. Le cry est le dernier mécanisme adopté, c’est aussi le plus puissant. Mais avant de décrire l’arbalète et d’expliquer ses variétés, il est nécessaire de dire quelques mots de l’équipement des arbalétriers à dater du xiiie siècle, car avant cette époque ils ne paraissent pas avoir un habillement particulier, ni être organisés d’une manière régulière.

L’arbalétrier que donne la figure 1 est vêtu de la maille complète, avec la cotte par-dessus. Mais, vers le milieu du xiiie siècle, l’arbalétrier est coiffé d’un chapel de fer destiné à garantir le visage et le cou contre les projectiles envoyés de haut en bas ; car l’arbalétrier étaitchargé de défendre les positions ou de couvrir les retranchements de carreaux pour faciliter les approches. La figure 1 bis[7] montre un arbalétrier coiffé du chapel de fer avec renfort croisé, auquel sont rivés les quatre demi-quarts sphériques. Sous le chapel de fer, le camail de mailles est recouvert par la cotte. Tout le reste du corps est revêtu de mailles, mais des genouillères, des grèves et des solerets de fer en recouvrant le cou-de-pied, renforcent l’armement des jambes. Sur la cotte d’armes est serrée la ceinture à laquelle pendent le crochet de tirage et la trousse des carreaux. Cet habillement de l’arbalétrier persiste pendant le xiiie siècle et jusque vers 1320. Mais alors l’arbalétrier revêt la brigantine, plus commode que la maille ; la cervelière couvre la tête et le camail y est fixé ; les épaules, les jambes, ne sont pas toujours armées ; mais c’est à l’aide du crochet que l’arc est bandé (fig. 1 ter[8]).

A la bataille de Crécy, les Français disposaient d’un corps de quinze mille arbalétriers génois[9]. Ces arbalétriers avaient fait une étape de six lieues lorsqu’ils furent mis en ligne devant l’armée anglaise ; ils étaient fatigués outre mesure, et un orage qui survint au commencement de l’action, en mouillant les cordes, contribua à rendre le tir inefficace ; si bien que criblés par les flèches des Anglais, ils commencèrent à lâcher pied et mirent le désordre dans les corps de cavalerie qui les suivaient. L’équipement de l’arbalétrier était en effet très-lourd. Une arbalète de guerse pesait environ vingt livres, la trousse garnie quatre ou cinq livres ; l’arbalétrier portait souvent, en outre, un large pavois pour se garantir pendant qu’il bandait son arc ; il avait à son côté une épée longue, était revêtu d’un chapel de fer, d’un camail de mailles, d’une brigantine de lamelles de fer couvertes d’étoffe, avec hautes manches et sous-jaquette de mailles, de chausses de toile ou de peau doublées, avec genouillères de fer. L’ensemble de cet équipement ne devait pas peser moins de soixante-dix à quatre-vingts livres. Aussi les arbalétriers ne pouvaient-ils être considérés comme des troupes mobiles, et leur véritable emploi était la défense ou l’attaque des places. Derrière un parapet ou un mantelet, l’arbalétrier conservait tous ses avantages ; ne tirant que lentement, il fallait qu’il fût à couvert. La figure 2 montre l’arbalétrier de la fin du XIVe siècle. La brigantine était un excellent vêtement de guerre ; laissant aux mouvements du corps leur souplesse, elle était d’ailleurs aussi lourde que le corselet de fer[10]. L’arbalétrier que présente notre figure porte son pavois sur son dos, attaché par une courroie ; le double crochet pour bander son arc, devant lui ; la trousse faite de peaux collées ensemble, pour recevoir la provision de carreaux[11] ; l’arbalète accrochée derrière la courroie à laquelle est fixé le crochet ; les genouillères de fer et la longue épée avec quillons à potences contrariées[12] ; le chapel de fer sans visière et le camail de mailles. En marche, l’arbalète se portait sur l’épaule, comme plus tard le mousquet.

Cet équipement varie peu pendant le cours du XVe siècle. Le crochet est remplacé par la moufle ou le cry attaché à la ceinture ; mais nous reviendrons sur ces modifications.

Nos collections ne renferment aucune arbalète antérieure au XVe siècle, et les peintures des manuscrits donnent à cette arme, avant cette époque, une forme qui ne diffère pas de celle admise depuis 1400 jusqu’à 1500. L’arbalète à tour est semblable à l’arbalète dont l’arc est bandé par le crochet, si ce n’est que cet arc d’acier est plus fort, l’arme un peu plus lourde par conséquent. Aussi l’arbalète à tour ou à moufle est-elle la plus propre à la défense ou à l’attaque des places pendant la première moitié du XVe siècle. Voici (fig. 3) une de ces armes de jet[13]. Sa longeur totale est de 0m,95 (3 pieds 1 pouce), non compris l’étrier. L’arc d’acier a 0m,73 d’envergure ; sa largeur au milieu est de 0m,006, son épaisseur de 0m,015 ; aux extrémités, de 0m,03 sur 0m,006. L’arbrier a 0m,04 à l’étrier et 0m,025 sur 0m,035 au bout. De la main gauche, quand l’arc était bandé, le tireur saisissait le renfort a ; plaçant le bout b sous son aisselle droite, il posait la paume de la main droite en C ; puis, quand il avait visé, il appuyait sur le fer détourné d de la gâchette, et faisait ainsi décliquer la noix. Ce déclic est indiqué en e dans l’ensemble A, qui présente en même temps le profil et la coupe de l’arbalète, et en E dans un détail au quart de l’exécution.

La noix était habituellement faite de corne de cerf, avec pivot et broche d’acier pour recevoir l’extrémité de la gâchette. Celle-ci est de fer, avec pivot et ressort en r. En f, est présentée la noix de face ; un ressort s, le plus souvent fait d’une lame de corne, maintenait le carreau dans sa rigole. La commotion produite sur la corde et son arc par le décliquage était telle, qu’il fallait que l’arc d’acier fût solidement maintenu au sommet de l’arbrier. À cet effet, deux bielles de fer posées sur joues de fer, avec cales également de fer à la queue, retenaient l’arc i et l’étrier g. Ces cales étaient disposées ainsi que l’indique le détail t. Les bouts de l’arc d’acier étaient habilement forgés, ainsi que le montrent les détails l, l′, l″ pour retenir les boucles de la corde. Celle-ci était faite de fils de chanvre non tordus, mais entourés, au milieu et aux extrémités, de fils fortement serrés (voyez en h). Il fallait l’aide d’une machine pour faire entrer les boucles de la corde dans les encoches qui leur étaient réservées aux extrémités de l’arc. Cette arme étant très-pesante, le tireur appuyait, pour viser, le coude du bras gauche sur son flanc gauche. Dans cette position on peut maintenir l’arbrier fixe pendant quelques secondes.

Lorsque le carreau était parti, la noix était renversée, ayant pivoté sur son axe ; l’arrêt X était masqué, et le mamelon n dépassait la ligne de l’arbrier. En ramenant la corde, ce mamelon était remis en place, l’arrêt X sortait de nouveau, et l’extrémité de la gâchette entrait dans son encliquetage. L’arbalète était ainsi armée par la corde.

Voici comment celle-ci était amenée jusqu’à l’encoche de la noix (fig. 4[14]), — car il était impossible de bander l’arc avec la main ou à l’aide d'une pesée, comme l’indique la figure 1. — Il fallait avoir recours à ce qu’on appelait le tour ou la moufle. Cette moufle se composait d’une boîte en fer a, avec fond, munie latéralement de deux poulies retenues par trois branches ; celle supérieure servant, en même temps d’arrêt à la corde, et celle inférieure se soudant à une traverse de fer également soudée à la base de la boîte. Deux bielles maintenaient un petit treuil avec deux manivelles contrariées garnies de poignées de corne. Puis une seconde traverse b empêchait l’écartement des bielles. Un mécanisme composé de quatre poulies, deux de 0m,10 de diamètre environ et deux de Om,06 environ, retenues par des brides et terminées par un double crochet avec entretoise, permettait de faire passer les deux cordes, ainsi que l’indique le détail A au cinquième de l’exécution. A l’aide de ce puissant moyen de traction, en tournant les manivelles, on amenait sans secousses la corde dans l’encoche de la noix ; lâchant sur les manivelles, on décrochait alors les deux griffes g, l’arbalétrier suspendait la moufle à sa ceinture ou la déposait à terre, visait et tirait.

Il est clair que pour agir sur les manivelles, l’arbalétrier était obligé de passer le bout de son pied droit dans l’étrier e. En examinant le profil B, on remarquera que l’arc est incliné de telle sorte que la corde arrive perpendiculairement à la largeur de cet arc dans l’encoche de la noix. Cette disposition est générale à toutes les arbalètes. On observera aussi que la rigole qui reçoit le carreau est légèrement concave dans sa longueur, afin de diminuer le frottement du projectile sur l’arbrier, et qu’il existe en c un renfort destiné à recevoir, comme il est dit ci-dessus, la paume de la main, lorsque le tireur met en joue.

La rigole est incrustée d’os (voyez en o), et les bouts de l’arc sont forgés, ainsi que le montre le détail g′[15]. Examinons plus en détail la boîte de la moufle. Quelquefois la traverse b est munie d’un crochet qui permet de suspendre le mécanisme à la ceinture. Dans l’exemple figure 4, cette traverse pouvait passer dans une agrafe tenant à la ceinture même ; les poulies restaient ainsi suspendues le long de la cuisse droite de l’arbalétrier (fig. 4 bis[16]). La figure 5 donne une de ces boîtes[17] d’une exécution parfaite[18]. En A, la boîte est présentée renversée et le crochet dans sa position normale. Pour que ce crochet se maintienne vertical, une patte b appuie sur le petit treuil lorsque l’agrafe a est passée dans la ceinture. Cette figure montre le soin apporté dans l’exécution de ces objets usuels de l’armement des arbalétriers. L’arbalète portait elle-même souvent un crochet qui permettait de la suspendre derrière la ceinture. L’exemple figure 6 qui provient du musée d'artillerie de Paris, montre comment le crochet a est fixé à l’extrémité de l’arbrier, sous l’arc d’acier ; cette arbalète n’a que 0m,75 de longueur.

Occupons-nous maintenant des arbalètes à pied-de-biche. Celles que possèdent nos musées, et qui ne datent guère que de la fin du XVe siècle, plus souvent du xvie, sont plus légères que les arbalètes à tour : c’est qu’en effet ces arbalètes étaient une arme de cavalier ; généralement elles sont dépourvues de tout appendice à l’extrémité antérieure de l’arbrier. Cependant il en est qui ont une sorte de petit étrier, ou plutôt de boucle qui servait à les suspendre ou à les fixer à quelque crochet en avant de la selle, en contre-bas, pour faciliter le jeu du pied-de-biche. L’exemple que nous donnons ici (fig. 7) est dans ce dernier cas[19]. Outre la boucle antérieure a, l’arbrier porte un crochet b qui facilitait l’attache de l’arme aux côtés de la selle et l’empêchait de ballotter. Le jeu et la détente de la noix sont semblables à ce que nous avons déjà vu, si ce n’est que la gâchette ne consiste qu’en une petite tige g, qui se couche au repos et qui agit par un renvoi sur la détente de la noix. Le pied-de-biche tracé sur notre figure se compose de deux crochets rendus solidaires par une traverse et de deux fers à contre-courbe réunis par une forte entretoise en c, contre laquelle vient buter l’embase du levier d, lorsqu’on appuie sur celui-ci. Cette pesée fait glisser les courbes e sous les arrêts f jusqu’à ce que les crochets aient amené la corde dans l’encoche de la noix, ainsi que l’indique le tracé géométral h. Par suite de ce glissement, le pivot p étant arrivé en p’, l’arc est bandé. Alors l’arbalétrier enlève le pied-de-biche et l’attache à sa ceinture par le crochet n. Ce moyen de tirage par la corde était beaucoup plus expéditif que n’était celui de la moufle ; mais cette arme, étant moins forte, avait moins de portée. L’arbrier de cette arbalète n’a que 0m,61 de longueur, tandis que ceux des arbalètes à tour ont 0m,95 ; le pied-de-biche, de l’agrafe à l’extrémité des fers courbes, mesure 0m,47 et l’arc 0m,41 ; l’épaisseur de cet arc d’acier est, au sommet, de 0m,01 sur une largeur de 0m,026, et aux deux bouts de 0m,005 sur 0m,016. Cette arme étant relativement légère, il n’était pas besoin, pour viser, de passer le bout de l’arbrier sous l’aisselle, ni d’assurer le coude du bras gauche sur le flanc, comme pour les grandes arbalètes à tour ; il suffisait de saisir l’arbrier, sous la noix, avec la main gauche, d’empoigner avec la droite le bois en A, et d’agir sur la gâchette g avec l’index. À cheval, on ne pouvait guère tirer qu’au jugé, mais encore cette position permettait-elle de viser, puisqu’on pouvait approcher la main droite de l’œil, sans trop incliner la tête. Avec les grandes arbalètes à tour, l’extrémité de l’arbrier passant sous l’aisselle pour empêcher la bascule, le tireur devait incliner beaucoup la tête pour mirer le but. Ces arbalétriers à pied acquéraient cependant une grande habileté et manquaient rarement leur homme. La qualité des carreaux entrait pour beaucoup dans la justesse du tir, aussi étaient-ils fabriqués avec grand soin (voyez Carreau).

Il nous reste à parler des arbalètes à cry ou à cric, lesquelles sont les plus puissantes, à cause de la force de leur arc. L’arbrier de ces arbalètes est court, de 0m, 60 à 0m, 65, épais ; l’arc n’est plus maintenu par des bielles de fer, mais par un système d’attache de cordages des plus ingénieux. Il est bandé à l’aide d’un cry à manivelle. Voici (fig.8) une de ces arbalètes avec son cry[20]. L’arc d’acier de cette arbalète n’a pas moins de 0m, 045 sur 0m, 015 au milieu. Afin d’éviter le contrecoup de cet arc sur la tête de l’arbrier, lorsqu’on lâche la détente de la noix, cet arbrier est fendu à son extrémité antérieure (voy. le profil A). Un boulon a maintient les deux branches b et c. Une cale de bois dur est posée sur l’arc en e ; un trou est pratiqué en f ; une ligature de cordelle de chanvre passe à travers ce trou, se divise en deux parts, se croise sur la cale de bois en saisissant un anneau g ; puis cette ligature est fortement ficelée transversalement. Ainsi l’arc est retenu par une bride puissante, mais souple, qui neutralise les effets du contre-coup. La corde de l’arc, fabriquée comme celles présentées ci-dessus, est saisie, lorsqu’on veut bander cet arc, par une double griffe tenant à une crémaillère passant à travers une boîte de fer qui contient une roue d’engrenage h et un pignon i mû par une manivelle R. À cette boîte de fer est adaptée une forte bride de cordelle passant à travers deux boucles ; cette bride d est arrêtée par un loqueteau n, passe sous un goujon l traversant l’arbrier, et se trouve ainsi parfaitement maintenir la boîte le long de la face supérieure de l’arme. On agrafe la corde, on fait tourner la manivelle jusqu’à ce que cette corde tombe dans l’encoche de la noix. Alors on détourne la manivelle, on décroche les crochets, ou abat le loqueteau n, et l’on enlève le cry, qui s’attache à la ceinture de l’arbalétrier par le crochet o. Pour tirer, il suffit d’appuyer sur la grande gâchette m. Celle-ci (voy. en m′), pivotant sur la broche p, déclique la noix. Un ressort r tend à remettre la gâchette en place. Mais pour que l’arme, une fois l’arc bandé, ne puisse partir par l’effet d’un choc ou par inadvertance, la gâchette porte une branche à pivot s′ qui appuie son extrémité sur une paillette ou ressort t. Cette branche, glissant le long d’une goupille fixe, lorsqu’on appuie sur la gâchette, tend à faire sortir la paillette t ; donc, en tournant l’arrêt u de manière que son aile appuie sur la paillette, celle-ci ne peut être poussée par la branche s′, et cette branche restant fixe, la gâchette ne peut agir. On voit en B la paillette t par-dessous, avec l’arrêt u. Pour éviter les pertes de temps, lorsque arbalétrier a passé la bride en cordelle de la boîte du cry sous la crosse de l’arbrier, et pour que cette bride reste en place, le loqueteau n, maintenu par une paillette, est relevé ainsi qu’on le voit en v. Si l’on veut enlever le cry, ce loqueteau est rabattu dans l’entaille X. On voit en D comme est taillée la crosse. Cette arme est attachée sur le dos de l’arbalétrier par une courroie qui passe derrière la boucle de cuir C et à travers l’anneau E. Le carreau ne coule pas dans une rainure, mais est simplement posé sur la face d’ivoire de l’arme et est maintenu par un ressort de corne passant par-dessus la noix. Une hausse de laiton est fixée en arrière de la noix et se rabat sur l’arbrier, ainsi que le montre la figure. Le tir de cette arme est très-juste, le carreau ne subissant aucun frottement ; sa portée est de 100 mètres environ horizontalement, de plein fouet ; beaucoup plus longue, si l’on veut obtenir un tir parabolique.

Indépendamment des arbalétriers mercenaires génois, gascons et brabançons, qu’on employait dans les armées de France dès le xiiie siècle, un grand nombre de bonnes villes des provinces septentrionales possédaient des compagnies d’arbalétriers. En 1230, un arrêt du parlement donne la qualification de grand maître des arbalétriers à Thibaut de Montléard[21]. Cette charge était d’une grande importance et équivalait à celle de major général d’une armée moderne. Les arbalétriers étaient pris dans la bourgeoisie des villes et formés en corporations. En 1351, le roi Jean fit un règlement pour les gens de guerre, dans lequel il est dit que : « l’arbalestrier qui aura bonne arbaleste et fort selon sa force, bon baudrier et sera armé de plates, de cerveillière, de gorgerette, d’espée, de coustel, de harnois[22], de bras de fer et de cuir, aura le jour (par jour) trois sons tournois de gaiges… Et voulons que tous piétons soient mis par connestablies et compaignies de vingt-cinq ou de trente hommes, et que chascun connestable ait et prengne doubles gaiges, et que ils facent leurs monstres (revues) devant ceuls à qui il appartiendra, ou qui à ce seront députez ou ordonnez, et que chascun connestable ait un pennencel à queuë de tels armes ou enseigne comme il li plaira. »

Charles V institua, pour la défense de la ville de Paris, un corps d’arbalétriers composé de deux cents hommes[23]. Ce corps élisait chaque année quatre prévosts de la confrérie, qui commandaient chacun cinquante hommes. Chaque arbalétrier recevait en temps ordinaire « deux vielx gros d’argent ou la valeur » par jour, et le double en campagne. La confrérie jouissait en outre de nombreux privilèges. Elle s’accrut beaucoup en peu de temps, puisqu’en 1375, le même Charles V la fixe à huit cents hommes. Sous Charles VI, les privilèges dont jouissaient les arbalétriers, non-seulement à Paris, mais à Rouen, à Compiègne, à Tournay, à Laon, etc., furent encore augmentés. C’est sous François ler qu’on voit disparaître les arbalétriers dans les armées de France. A la bataille de Marignan, il y avait encore deux cents arbalétriers à cheval, de la garde du roi, qui rendirent des services signalés. En 1536, l’auteur de la Discipline militaire[24] dit qu’il n’y avait devant Turin qu’un seul arbalétrier dans l’armée française ; mais que cet homme, à lui seul, tua et blessa plus d’ennemis que n’en tuèrent et blessèrent les meilleurs arquebusiers renfermés dans la place. Cet arbalétrier était un habile tireur, puisqu’à la Bicoque il tua d’un carreau Jean de Cordonne, capitaine espagnol, qui avait levé un instant la visière de son casque pour respirer[25].

Nous ne parlons pas ici des arbalètes de chasse, plus légères que les arbalètes de guerre, et parmi lesquelles il faut ranger les arbalètes à jalet, qui lançaient de petites balles de plomb ou même de terre glaise, et avec lesquelles on tirait sur les petits oiseaux.

  1. Bible, ancien fonds latin Saint-Germain (Xe siècle).
  2. Voyez Dictionn. d’architect. , t. I, Architecture militaire, fig. 9 bis.
  3. Voyez la Notice sur les armes de jet, par M. le lieutenant-colonel Penguilly L’Haridon, ancien conserv. du musée d’artillerie de Paris.
  4. « Le soir, au soleil couchant, nous amena li connestables les arbalestriers le roy a pié, et s’arrangierent devant nous. Et quant li Sarraziu nous virent mettre pié en l’estrier des arbalestes, ils s’enfuirent et nous laissierent. » (Hist. de saint Louis, par le sire de Joinville, publ. par M. Nalalis de Wailly, p. 86.).
  5. Manuscr., Hist. du Saint-Graal, Biblioth. nation., vignette des entourages.
  6. Biblioth. nation. Voyez, entre autres vignettes, celle placée en tête du chapitre : « Cy après devise coment on puet traire aux bestes noyres (sanglier, loup) ». Et dans la partie des Jeux et Passetemps, l'article sur la Chasse, les figures 5, 7 et 8.
  7. Manuscr. Biblioth. nation., li Roumans d'Alexandre, français.
  8. Manuscr. Biblioth. nation., le Livre des hist. du commencement du monde, français
  9. Froissart, livr. I, chap. ccxciii.
  10. Voyez Brigantine.
  11. La collection de M. le compte de Nieuwerkerke possédait une de ces trousses (voyez Carreau).
  12. Voyez Épée.
  13. Musée du château de Pierrefonds. Il est question d’arbalètes à tour bien avant le xve siècle, dans l’Histoire de saint Louis du sire de Joinville, par exemple. Mais ces arbalètes étaient des engins de position sur roues et mus par plusieurs hommes. (Voyez dans le Dictionn. d’architect., a l’article Engin, la figure 17.)
  14. Du musée d’artillerie de Paris.
  15. Ces deux derniers exemples datent du xve siècle.
  16. Dans le manuscrit de Froissart de la Biblioth. nation., déjà cité, on voit des arbalétriers qui portent ainsi la moufle.
  17. De la collection de M. le comte de Nieuwerkerke
  18. Quelques auteurs donnent le nom de cranequin à ce mécanisme. M. le colonel Penguilly L’Haridon, dans son excellent catalogue du musée d’artillerie de Paris, n’admet pas cette dénomination, et pense que le cranequin n’est autre chose que le pied-de-biche. Il donne pour raison qu’on appelait cranequiniers les arbalétriers à cheval, et qu’il était impossible à un cavalier de bander une arbalète à tour. Cependant du Cange cite, a l’article Crenkmarii, ce passage datant de l’année 1422 : « Icellui Bauduin prist une arbalestre, nommée crennequin, qui est dire arbalète à pié. » Or l’arbalète à pied est bien l’arbalète à étrier dont l’arc est bandé, non par le pied-de-biche, mais par la moufle. On peut donc admettre qu’au commencement du xve siècle, le cranequin était la moufle, dont nous montrons le jeu dans la figure 4.
  19. Du musée d’artillerie de Paris.
  20. La plupart des arbalètes à cry que conservent nos collections ne datent que du xvie siècle et même du xviie. On les employait cependant dès la seconde moitié du xve siècle. Pendant cette période de cent ans et plus, leur forme n’a pas varié. Celle que nous reproduisons ici provient du musée d’artillerie, n° 54 du Catalogue. Elle est plaquée d’ivoire et munie d’une hausse. Le Catalogue la range parmi les armes de la fin du xvie siècle. Le musée de Pierrefonds en possédait une toute semblable, sauf la hausse, qui date des premières années du xvie siècle.
  21. Recherches historiques sur les corporations des archers et arbalétriers, par Victor Fouque, 1832.
  22. C’est-à-dire de brigantines et de mailles.
  23. 9 août 1359
  24. Ouvrage attribué à Guillaume du Bellay.
  25. Discipline militaire