TOMBEAU, s. m. (sepouture, sepoulture, tumbe). De tous les monuments, les tombeaux sont ceux qui présentent peut-être le sujet le plus vaste aux études de l’archéologue, de l’ethnologue, de l’historien, de l’artiste, et voire du philosophe. Les civilisations, à tous les degrés de l’échelle, ont manifesté la nature de leurs croyances en une autre vie par la façon dont elles ont traité les morts. Supprimez toute idée de la durée de l’individu au delà de l’existence terrestre, et le tombeau n’a plus de raison d’être. Or, depuis les races supérieures jusqu’aux noirs du sud de l’Afrique, on voit, en tout temps, les hommes ensevelir leurs morts avec l’idée plus ou moins nette d’une prolongation ou d’une transformation de l’existence. On pourrait faire l’histoire de l’humanité à l’aide des tombeaux, et le jour où un peuple cessera de perpétuer l’individualité des morts par un monument, un signe quelconque, la société, telle du moins qu’elle a vécu depuis les temps historiques, aura cessé d’exister. Le culte des morts est le ciment qui a constitué les premières sociétés, qui en a fait des institutions permanentes, des nationalités, c’est-à-dire la solidarité du présent avec le passé, la perpétuité des tendances, des aptitudes, des désirs, des regrets, des haines et des vengeances. Faites que les morts, chez un peuple, soient confondus dans un engrenage administratif de salubrité, et traités décemment, mais comme une matière dont il faut hâter la décomposition pour en rendre le plus tôt possible les éléments à la nature inorganique, ainsi qu’on traite un engrais ; faites que cela entre dans les mœurs et les nationalités, ces agglomérations traditionnelles, puissantes et vivaces, ne seront plus que des sociétés anonymes constituées pour… tant d’années, à moins de supposer toutefois que les idées métaphysiques les plus abstraites sur l’existence de l’âme soient communément acceptées comme elles peuvent l’être par une demi-douzaine de philosophes au milieu d’un pays de plusieurs millions d’habitants. Il sera bien difficile de faire admettre l’indifférence absolue pour la dépouille périssable d’une personne que l’on a aimée, respectée ou connue. Et dans nos grandes villes, s’il est une chose qui choque le sentiment populaire, c’est ce qu’on appelle la fosse commune.
Ce n’est que depuis le XVIe siècle que l’on a imaginé de donner aux sépultures un caractère funèbre ; de les entourer d’emblèmes, d’attributs ou d’allégories qui rappellent la fin, la décomposition, la douleur sans retour, l’anéantissement, la nuit, l’oubli, le néant. Il est assez étrange que ces idées se soient fait jour chez des peuples qui se piquent d’être chrétiens, et chez lesquels, en chaire, on montre la mort comme une délivrance, comme la fin des misères attachées à la courte existence terrestre. Les païens, par opposition, ont donné aux monuments funéraires un caractère plutôt triomphal que désolé. Le moyen âge avait conservé cette saine tradition ; les tombeaux qu’il a élevés n’adoptent jamais ces funèbres attributs mis à la mode depuis le XVIe siècle, ces effets théâtrals ou ces froides allégories qui exigent toujours pour être comprises la présence d’un cicerone.
De la mort il ne faut point tant dégoûter les gens, puisque chacun doit subir sa loi ; il ne paraît pas nécessaire de l’entourer de toute cette friperie de mélodrame, disgracieuse et ridicule. C’est à la fin de la renaissance que l’on éleva les premiers mausolées décorés d’allégories funèbres sorties de cerveaux malades : d’os de mort, de linceuls soulevés par des squelettes, de cadavres rongés de vers, etc. L’art du grand siècle ne pouvait manquer de trouver cela fort beau, et le XVIIIe siècle renchérit encore sur ces pauvretés. Ce moyen âge, que plusieurs nous présentent toujours comme maladif, ascétique, mélancolique, ne prenait pas ainsi les choses de la mort, non plus que les Grecs et les Romains. Ceux-ci avaient, comme on sait, l’habitude de brûler les cadavres, ce qui avait beaucoup d’avantages. Le long des chemins qui rayonnaient vers les cités, étaient élevés des tombeaux. Cette disposition seule indique assez que, pour ces païens, la sépulture ne faisait pas naître les idées lugubres qui s’emparent de nous aujourd’hui dans les cimetières. Ces voies des tombeaux, dont les faubourgs de Rome étaient entourés, n’empêchaient pas les gens qui passaient sur les chemins de s’entretenir des sujets les moins graves, sans que pour cela le respect pour les morts fût moins profond. Pendant le moyen âge, les cimetières ne sont pas davantage pris au point de vue lugubre, romantique. Le moyen âge, pas plus que l’antiquité, n’a peur de ses morts. Si les Grecs aimaient à s’asseoir et à deviser au pied d’une tombe placée sur le bord d’un chemin, nos aïeux se réunissaient volontiers dans les cimetières pour traiter de certaines affaires. La nuit, ces enceintes, indiquées par un fanal, servaient au besoin de refuge au voyageur, qui ne songeait point aux revenants, du moins dans nos contrées françaises. Ces cimetières étaient presque toujours entourés d’un portique bas, et c’était sous cet abri que le pauvre et le voyageur attardés, qui ne pouvaient se faire ouvrir les portes de la ville, attendaient le jour.
Nous n’entreprendrons pas la description des cimetières gallo-romains et mérovingiens. Ce travail, fait et bien fait sur une partie de la France par M. l’abbé Cochet[1], nous dispensera de parler des sépultures des premiers conquérants barbares des Gaules, d’autant que ces sépultures n’affectent aucune apparence architectonique. Ce sont des ensevelissements dans des cercueils de bois, de pierre, ou à même le sol, qui n’ont d’intérêt qu’au point de vue de l’histoire ou de l’archéologie.
Il paraîtrait que l’usage d’élever des tombeaux le long des voies publiques ne fut pas entièrement abandonné pendant la période mérovingienne. Grégoire de Tours cite plusieurs exemples de ces sortes de monuments[2]. Plus tard, sous les premiers Carlovingiens, les personnages considérables tenaient à être ensevelis sous l’égout des toits des églises, chapelles ou oratoires[3]. Cette coutume persista jusque vers le milieu du XIIe siècle. On enterrait aussi sous les porches des églises et dans les lieux voisins qui étaient bénis. Ce ne fut qu’à la fin du XIIe siècle que s’établit l’usage d’enterrer dans les églises, et d’élever des monuments ou de graver des dalles commémoratives sur les sépultures.
Les premiers chrétiens, contrairement à l’usage admis chez les Grecs et chez les Romains, ne brûlaient pas les corps, ils les ensevelissaient dans des niches pratiquées dans les parois de cryptes, ou dans des sarcophages de pierre ou de marbre. Ces sarcophages, si les personnages étaient considérables, restaient souvent apparents dans des chambres souterraines ; ils étaient décorés de sculptures symboliques ou de signes religieux, croix, monogrammes du Christ, colombes, etc. Habituellement ils étaient posés sur des dés ou colonnettes, afin de les isoler de terre. Ces sarcophages se composaient d’une auge oblongue quadrangulaire, avec couvercle en forme de toit à deux pentes ou bombé. Le corps du défunt était déposé dans cette auge[4]. Les tombeaux du moyen âge procèdent de ce principe. Mais, vers le milieu du XIIe siècle, on plaça sur le couvercle l’effigie du mort, et alors le sarcophage n’était plus ordinairement qu’un simulacre et le corps était déposé au-dessous, dans une fosse ou un petit caveau. Ce fut aussi vers cette époque que l’on se contenta souvent de placer sur le cercueil enterré une dalle gravée ou une lame de bronze représentant le défunt. La partie principale du tombeau, le sarcophage, ou plutôt son simulacre, ne fut bientôt qu’un accessoire, un véritable socle portant des figures couchées, et le monument, outre ces statues, se composa de dais élevés ou de sortes de chapelles en façon de larges niches.
Les tombeaux du moyen âge peuvent donc être divisés en trois séries : la première comprend les sarcophages proprement dits, plus ou moins décorés de sculptures, mais sans représentation du défunt ; sarcophages apparents, placés au-dessus du sol ; la seconde, les socles posés sur une sépulture, portant parfois l’effigie du mort, et placés, soit dans une sorte de niche ou petite chapelle, soit sous un édicule en forme de dais ; la troisième, les tombes plates posées au niveau du pavé des églises, gravées ou en bas-relief, et formant comme le couvercle de la fosse renfermant le cercueil.
Les sarcophages contenant réellement les corps, sans effigie, ne se trouvent guère passé le XIIe siècle, mais ils sont très-nombreux pendant les périodes mérovingienne et carlovingienne.

Le sarcophage devenant cénotaphe, il était naturel de couvrir celui-ci d’un dais, d’un arc, d’en faire un monument honorifique, de le considérer comme un lit de parade sur lequel l’effigie du mort était posée.
Les artistes du moyen âge ont apporté, dans la composition des tombeaux, l’esprit logique que nous retrouvons dans leurs œuvres. Le tombeau, pour eux, était la perpétuité de l’exposition du mort sur son lit de parade. Ce qui avait été fait pendant quelques heures avant l’ensevelissement, on le figurait en pierre ou en marbre, afin de reproduire aux yeux du public la cérémonie des funérailles dans toute sa pompe. Mais à cette pensée se mêle un sentiment qui exclut le réalisme. Des anges thuriféraires soutiennent le coussin sur lequel repose la tête du mort. Sur les parois du sarcophage sont sculptés les pleureurs, les confréries, quelquefois les saints patrons du défunt, ou des anges. C’est l’assistance poétisée. Nous allons tout à l’heure présenter des exemples de ces dispositions.

Un curieux monument nous explique l’origine de ces tombeaux cénotaphes, avec l’exposition du mort. C’est un chapiteau du porche occidental de l’église de Saint-Séverin (vulgairement Saint-Seurin) de Bordeaux. Ce porche date du commencement du XIIe siècle. L’une de ses colonnes engagées est couronnée par une représentation du tombeau de saint Séverin, formant chapiteau sous une naissance d’arc-doubleau. Le corps du saint (fig. 2), enveloppé d’un linceul, ayant une crosse à son côté gauche, est placé sur une sorte de lit de parade supporté par des colonnettes[7] ; sur les parois de ce lit est gravée l’inscription suivante[8]. Sur la face :
Sur la face de droite :
Sur celle de gauche :
Pour éviter la confusion dans cet article, nous poursuivrons l’examen des tombeaux en maintenant le classement que nous venons d’indiquer.

On peut considérer comme un des tombeaux les plus anciens parmi ceux accolés à des monuments religieux, le tombeau que l’on voit à Toulouse, entre les contre-forts des bâtiments des Chartreux. Ce monument du XIIe siècle, bien conservé, se compose d’un sarcophage placé dans une niche élevée au-dessus du sol, sur des colonnettes. Une arcature formant claire-voie défend le sarcophage. La figure 3 présente le plan de ce tombeau, et la figure 4 son élévation et sa coupe.

Les colonnettes sont de marbre, ainsi que le sarcophage, les arcatures en pierre, et le reste de la construction en briques. Ce tombeau était entièrement peint. On ne sait pour quel personnage il fut élevé, mais il est bien certain qu’ici le corps était déposé dans le sarcophage même, placé sur cinq colonnettes au-dessus du soubassement, conformément à l’usage admis encore au XIIe siècle dans les provinces méridionales, et qui semble dériver de traditions fort anciennes, étrangères à l’antiquité chrétienne gallo-romaine. Un siècle plus tard, cet usage d’enfermer les corps dans des sarcophages juchés sur des colonnettes était, comme nous l’avons dit plus haut, entièrement abandonné dans les provinces septentrionales, et très-rarement pratiqué même dans celles du Midi. Les corps étaient enterrés. Cependant la tradition influe sur la forme apparente des tombeaux. On voit encore dans le cloître de l’église de Saint-Salvy (d’Alby) un tombeau datant de la seconde moitié du XIIIe siècle, qui présente une disposition analogue à celle du monument des Chartreux de Toulouse donné ci-dessus. À Saint-Salvy, la claire-voie ne préservait point le sarcophage, mais bien le massif élevé sur la fosse et formant soubassement.


Au XIIIe siècle, les lois ecclésiastiques qui défendaient d’enterrer des laïques dans l’enceinte même des églises tombèrent en désuétude. Les chapitres des cathédrales seuls continuèrent généralement d’observer ces règles, mais les paroisses, les collégiales, les églises abbatiales mêmes, tirèrent un profit considérable de la vente du droit de sépulture dans les églises, et bientôt les murs et les pavés des nefs furent couverts de monuments, d’inscriptions et d’effigies. Les chœurs étaient réservés pour les membres du clergé ou pour de très-hauts personnages. De même que dans les cathédrales les évêques étaient ensevelis sous le pavé du chœur ou entre les piliers du sanctuaire, par exception des princes profitaient du même privilège. En fouillant le chœur de Notre-Dame de Paris pour y établir le caveau actuel des archevêques, nous avons trouvé la tombe d’Isabelle de Hainaut, première femme de Philippe-Auguste, qui dut être enterrée sous ce pavé, l’église à peine élevée jusqu’aux voûtes[11].
C’était principalement dans les églises abbatiales que les princes se faisaient ensevelir. Les fondateurs d’abbayes se réservaient la faculté d’être enterrés, eux et leurs successeurs, dans l’église érigée avec leurs dons. C’est ainsi que beaucoup de monuments remarquables ont pu être conservés jusqu’à la fin du dernier siècle, et même jusqu’à nos jours. Les abbayes de Saint-Denis, en France, de Sainte-Geneviève, de Saint-Germain des Prés à Paris, de Braisne, de Vendôme, de Jumièges, de Fécamp, de Longpont, de Royaumont, d’Eu, des Célestins à Paris, de Poissy, renfermaient des sépultures splendides de princes et seigneurs, et quelques-uns de ces monuments nous sont restés. L’abbaye de Saint-Denis, fondée par Dagobert, fut particulièrement destinée à la sépulture des rois français, et reçut en effet les dépouilles de la plupart de ces princes, depuis le fondateur jusqu’à Louis XV. L’église ayant été rebâtie par Suger, il est à croire que les monuments anciens (si tant est qu’il y ait eu des mausolées élevés sur les tombes des princes) furent détruits ou fort endommagés. Quand, plus tard, vers le milieu du XIIIe siècle, on remplaça la plus grande partie des constructions du XIIe siècle, que l’on reconstruisit la nef, le transsept et tout le haut chœur, les derniers restes des tombeaux antérieurs à Louis IX furent dispersés ; si bien que pour ne pas laisser perdre la mémoire de ces vénérables sépultures, saint Louis résolut de rétablir tous ces tombeaux, à commencer par celui de Dagobert. Les ossements que l’on put retrouver dans les anciens cercueils furent replacés dans les nouvelles tombes. Parmi les tombeaux antérieurs à saint Louis, un seul fut conservé et replacé au milieu du chœur des religieux : c’était celui de Charles le Chauve, qui était de bronze, avec parties émaillées, et qui dut probablement à la solidité du métal de ne pas être détruit, comme les autres. Du tombeau de Dagobert il restait, sous le cloître de l’église de Suger, un fragment dont parle dom Doublet[12], et que M. Percier a dessiné en 1797. C’était une statue colossale, assise, couronnée, vêtue d’une tunique longue et d’un pallium.

Certaines parties de la statuaire du tombeau de Dagobert sont très-remarquablement traitées. La statue de Nantilde, à laquelle, au musée des Petits-Augustins, M. Lenoir avait fait adapter une tête d’homme[16], les groupes des évêques dans les zones légendaires, les anges des voussures et la sculpture du tympan, sous le gâble, sont d’un style excellent et d’une exécution parfaite. Ce tombeau n’est point dans les données des monuments placés dans l’intérieur des églises : c’est une chapelle, un de ces édicules comme on en élevait dans les cloîtres, entre les contre-forts des églises, et c’est pourquoi nous l’avons présenté ici ; cependant l’effigie du mort est sculptée sur le sarcophage vrai ou feint, tandis que ni le tombeau de Toulouse, ni celui de Saint-Salvy d’Alby, n’avaient de statues couchées.


En voici un autre (fig. 10)[19], qui était placé à Fontevrault, contre le mur du bas côté, à la droite du maître autel (côté de l’évangile). C’était celui de l’évêque Pierre de Poitiers (XIIIe siècle). La statue, couchée sur un lit drapé, est entourée de figurines en ronde bosse représentant les religieux assistant aux funérailles de l’évêque. Parmi ces religieux, on distingue l’abbesse de Fontevrault et un abbé, tous deux tenant la crosse, signe de leur dignité. Les autres personnages portent des croix et des cierges. La chasuble de l’évêque était d’un bleu verdâtre, aux croisettes d’or, doublée de rouge ; sa mitre blanche avec un bandeau rouge, l’aube blanche, l’étole verte, les chaussures noires. L’abbesse était vêtue de noir, et les religieux, les uns de blanc, les autres de vert, se détachant sur un fond rouge. Une arcature couvrait le sarcophage, mais elle était déjà détruite du temps de Gaignères, qui nous a laissé le dessin de ce curieux monument.
On voit encore dans la cathédrale de Limoges, adossé au collatéral nord, un de ces tombeaux en forme de niches ou chapelles, datant du XIVe siècle : c’est celui de l’évêque Bernard Brun. Ce monument est gravé dans l’ouvrage de M. Gailhabaud[20]. Au fond de la niche, séparée par une pile centrale, des bas-reliefs représentent des sujets de la légende de sainte Valérie, un crucifiement, un couronnement de la Vierge et un jugement dernier. Il faut citer aussi les deux jolis tombeaux appartenant à la même époque, et qui sont adossés au mur de la chapelle de la Vierge, dans la cathédrale d’Amiens. Ils sont en forme de niche couverte par une arcade basse surmontée d’un gâble. Sur le socle, portant les statues couchées des défunts, sont sculptés, dans de petites niches, des personnages religieux, chanoines et laïques, qui composent le cortège accompagnant les corps à leur dernière demeure. Les écus armoyés des deux personnages, un évêque et un chanoine, sont peints au fond des niches.
Un des monuments funéraires les plus intéressants, affectant la forme d’une niche avec sujets, est le tombeau du prêtre Bartholomé, placé dans l’église de Chénerailles (Creuse), et dont il fut probablement le fondateur. Ce tombeau, engagé dans la troisième travée du côté méridional, est posé à 2 mètres au-dessus du pavé, et est taillé dans un seul bloc de pierre calcaire. Son architecture présente un arc en tiers-point avec deux contre-forts. L’enfoncement est divisé en zones, dans chacune desquelles se détachent des personnages en ronde bosse. La zone inférieure représente la scène de l’ensevelissement du mort. La sainte Vierge occupe, dans la zone du milieu, le sommet d’un édicule avec escalier. Saint Martial gravit l’escalier, un encensoir à la main. Sur le terrain à la droite de la Vierge, est représenté le martyre de saint Cyr et de sa mère sainte Julite. À sa gauche, le prêtre Bartholomé, agenouillé, est présenté à l’enfant Jésus par son patron, et saint Aignan, évêque. Sous l’arcade est sculpté un crucifiement. Sur deux phylactères placés sous la seconde et la première zone, on lit : « Hic. jacet. dominus. Bartholomeus. de Plathea. presbiter. qui. obiit. die. fest. V. M. (Virginis Mariœ) anno. Dni. M°CCC[21]. » )
La sculpture de ce petit monument est d’un style médiocre, mais sa composition est heureusement trouvée.

On le reconnaît facilement, la donnée de ce tombeau est la même que celle adoptée pour le beau monument de Saint-Denis, élevé à Dagobert. Nous ne pensons pas qu’il soit nécessaire d’insister davantage sur ce genre de sépultures en forme de niches ou chapelles adossées, et nous passerons à l’examen des tombeaux isolés, en commençant par les plus simples et qui sont aussi les plus anciens.
Sur les sommets des Vosges, près de Saverne, on trouve des restes d’enceintes et de débris qui remontent à une époque reculée, et particulièrement, entre Saverne et Dabo, de nombreux cimetières ont été découverts. La plupart des tombes qu’ils renferment présentent une disposition singulière. Ces monuments funéraires consistent en une auge ou un simple trou en terre, entouré de pierres sèches, contenant un vase cinéraire ; le tout est couvert par une pierre en forme de prisme triangulaire, légèrement convexe. À la base de la face antérieure est percé un trou en façon de petit arc, et correspondant une cavité faite aux dépens du bloc[22].

La figure 12 montre un de ces monuments en coupe (A), et le couvercle séparé en B. Parfois, mais plus rarement, ces couvercles ne sont pas curvilignes (fig. 13). La rouelle gauloise, des imbrications ou des ornements dans le style gallo-romain les décorent. M. le colonel Morlet, qui a mis en lumière ces découvertes, considère en effet, et avec raison, ces tombeaux comme postérieurs à la conquête des Gaules par les Romains ; les objets, médailles et vases trouvés autour d’eux, les inscriptions qui sont gravées sur leurs parois, ne peuvent laisser de doutes à cet égard.
« Les monuments funèbres que recèlent les sommets des Vosges, entre Saverne et Dabo, n’étaient pas répandus au hasard sur ces hauts plateaux, dit en terminant M. le colonel Morlet, mais réunis en de véritables cimetières entourés de temples, d’autels et d’habitations ; ils annoncent la présence permanente d’une population nombreuse, chargée de défendre les grands camps fortifiés dont nous voyons les traces.
« Favorisées par la configuration du sol qui descend en pente douce vers la Lorraine, tandis qu’il s’arrête brusquement à pic du côté de l’Alsace, ces positions ont dû être occupées et fortifiées dès la plus haute antiquité, pour arrêter les invasions d’outre-Rhin. Bien avant les Romains, il y eut donc de sanglants combats sur cette barrière naturelle, où chaque invasion kymrique, celtique et germanique, vit s’élever de nouveaux travaux de défense, au-dessus desquels l’époque gallo-romaine a laissé une dernière empreinte.
« C’est ainsi, sans doute, que les tombeaux décrits ci-dessus se trouvent mêlés à des ruines d’une époque plus ancienne, telles que ces grandes murailles doubles du Gros-Limmersburg, où je ne puis reconnaître l’art romain.
« La monnaie de Titus trouvée au Kempel, ainsi que la bonne facture du vase découvert au même lieu, annoncent que ces nécropoles existaient dès les premiers temps de l’ère chrétienne.
« Ces tombeaux n’ont rien de germanique ; ils sont gaulois de l’époque romaine. Leur caractère spécial consiste dans la petite ouverture que l’on voit toujours à leur base, et dans l’arc aigu qui termine généralement leur sommet.
« L’ouverture de la base est difficile à expliquer, à moins d’admettre que ce soit un moyen de communiquer avec les cendres du mort et de faire des libations.
« L’arc aigu, dont on retrouve l’image exacte dans les monuments funèbres de l’Asie Mineure, ne serait-il pas l’indice d’une tradition antérieure à l’invasion celtique, qui se serait conservée chez une tribu campée au sommet des Vosges ? »
En effet, des tombeaux lyciens, en grand nombre, se terminent à leur sommet par une sorte de couvercle ou de couverture imitée d’un ouvrage de bois, qui affecte la forme d’un prisme curviligne[23], et, en pénétrant dans l’extrême Orient, on retrouve des sépultures hindoues qui présentent la même apparence géométrique. Sans attacher à ces rapports plus d’importance qu’il ne convient, il est nécessaire d’en tenir compte, car nous voyons cette forme de recouvrement du corps persister chez les populations sorties de l’Orient septentrional.
La loi salique mentionne la construction, la balustrade, le petit édifice ou le petit pont placé au-dessus d’un homme mort[24]. Grégoire de Tours[25] à propos d’un vol avec effraction commis dans la basilique Saint-Martin de Tours, dit que les voleurs s’étaient introduits par une fenêtre en montant sur un treillis qu’ils avaient enlevé sur la tombe d’un mort (Qui ponentes ad fenestram absidœ cancellum, qui super tumulum cujusdam defuncti erat…). Les Anglo-Saxons avaient pour habitude de poser sur la tombe du mort une sorte de berceau de bois ou de fer (hearse), que l’on recouvrait d’un poêle[26]. Or, la forme des tombeaux lyciens, celle des tombes des Vosges, indiquent l’aristato[27] que cite la loi salique, le hearse des Anglo-Saxons, les catafalques figurés dans la broderie de Bayeux (dite tapisserie de la reine Mathilde) ; et bien que les pierres des Vosges recouvrent des urnes cinéraires, et que les Francs ni les Anglo-Saxons ne brûlassent leurs corps, il est difficile de ne pas admettre pour cette forme de tombeaux, figurant un poêle recouvrant une carcasse de bois ou de fer, une origine pareille. Observons que cet aristato, ce hearse, recouvrent, non pas le mort, mais la sépulture du mort ; c’est ce que nous appelons aujourd’hui un catafalque. Ce n’est pas la bière, mais le signe honorable et visible qui indique la place de la tombe.




Quand saint Louis fit refaire, dans l’église abbatiale de Saint-Denis, la plupart des tombeaux de ses prédécesseurs, l’artiste chargé de ce travail adopta un parti mixte. Ne voulant pas encombrer le transsept au milieu duquel ces tombes sont placées, et ayant à ménager la place, n’ayant pas peut-être des ressources suffisantes, il ne put élever un édicule sur chaque sépulture. Les rois et reines furent placés sur des socles deux par deux ; derrière leur tête fut dressé un dais double en forme de chevet ou de dossier, et deux colonnettes accompagnant et surmontant ces dais permirent de poser sur leurs chapiteaux, et entre leurs fûts, des flambeaux. Peut-être, certains jours, des poêles d’étoffe attachés à ces colonnettes étaient-ils tendus sur chaque tombe. C’est ici l’occasion de parler des illuminations des tombes, usage qui remonte à une très-haute antiquité. Les Grecs illuminaient les monuments funèbres, et la plupart des tombeaux qui existent encore en si grand nombre dans la Syrie centrale sont surmontés de pyramides disposées de façon à placer des lampes sur de petites consoles ménagées à cet effet le long des pans inclinés[31]. Depuis l’établissement du christianisme dans les Gaules, on illuminait les cimetières à l’occasion de certaines fêtes, et chaque nuit un fanal était allumé dans leur enceinte. Quelques tombeaux du moyen âge possèdent encore les herses de fer qui étaient destinées à porter des cierges, et les tombeaux relevés par Louis IX à Saint-Denis adoptent ce parti.

Voici entre autres la tombe de Charles, comte d’Étampes, petit-fils de Philippe le Hardi, qui était placée dans l’église des Cordeliers, à Paris, derrière le grand autel[33]. Ce comte d’Étampes mourut en 1336 (fig. 19).


Quelquefois le socle portant la statue était ajouré : tel était le tombeau d’un sire de Coucy, placé entre deux piliers, à gauche du grand autel de l’abbaye de Longpont, et qui datait de la fin du XIIIe siècle[35]. Ce tombeau était, comme le précédent, entièrement peint. Le vêtement guerrier du personnage appartient aux dernières années du XIIIe siècle.
Maintenir l’intégrité d’un principe et en tirer des conséquences très-variées, c’est le fait d’un art qui a trouvé sa voie. Le programme du monument catafalque est adopté dès le XIIIe siècle, pour la sépulture des personnages considérables, de préférence au tombeau en forme de niche ; cependant quelle variété non-seulement dans les détails de ces édicules, mais aussi dans la façon d’interpréter ce programme !




Un tracé perspectif (fig. 25), en fera saisir l’effet du côté du collatéral. Deux thuriféraires entr’ouvrent un rideau qui laisse voir la statue couchée du prélat. La voûte de l’édicule est en berceau, et des bas-reliefs décorent ses pieds-droits. Devant le socle, des chanoines sont sculptés dans de petites niches. Ce monument date également du XIVe siècle. Cette disposition fut conservée jusqu’à l’époque de la renaissance, et nous possédons un grand nombre de représentations de tombeaux, avec dais plus ou moins riches, protégeant l’effigie du mort. On retrouve encore l’application de ce principe dans les célèbres tombeaux de Louis XII, de François Ier et de Henri II, érigés à Saint-Denis Cependant le programme des XIIIe et XIVe siècles est modifié sur un point capital. Dans ces derniers monuments, les personnages sont représentés avec les apparences de la mort sous le cénotaphe ; vêtus, vivants et agenouillés au-dessus. Le monument recouvrant la sépulture de François Ier montre non-seulement les figures nues du roi et de la reine Claude sous le cénotaphe, mais encore, sur le couronnement, les mêmes figures agenouillées, vêtues et accompagnées du dauphin François, du prince Charles d’Orléans et de Charlotte de France, qui mourut âgée de huit ans. Disons, en passant, que ce tombeau, attribué par quelques-uns à des artistes italiens, est dû à Philibert de l’Orme, comme architecte ; à Pierre Bontems, maître sculpteur, bourgeois de Paris, qui s’engagea, par un marché en date du 6 octobre 1552, moyennant 1699 livres, à faire une partie des célèbres bas-reliefs du stylobate, et une figure du couronnement ; à Germain Pilon, qui exécuta pour 1 100 livres les huit figures de Fortune (sous la voûte du cénotaphe) ; à Ambroise Perret, qui fit les quatre évangélistes ; et enfin, pour l’ornementation, à Jacques Chantrel, Bastile Galles, Pierre Bigoigne et Jean de Bourgy. Les belles figures couchées appartiennent à l’école française, et paraissent être sorties des ateliers de Jean Goujon. Quant à la statuaire du tombeau de Henri II, elle est tout entière de la main de Germain Pilon[38].
Depuis la fin du XVe siècle, beaucoup de monuments funéraires adoptèrent cette disposition, d’une représentation du mort sous le cénotaphe, et du même personnage vivant, agenouillé sur le couronnement ; puis on en vint à supprimer parfois l’effigie du cadavre, et à ne plus montrer que les figures des personnages agenouillés sur un socle, ou sur le simulacre d’un sarcophage. Toutefois ces compositions n’apparaissent pas en France, que nous sachions, avant la seconde moitié du XVe siècle.
Au XVIe, elles deviennent assez fréquentes. Le tombeau de Charles VIII, à Saint-Denis, présentait cette disposition.
Charles VIII mourut le 7 avril 1498, par conséquent son tombeau appartient déjà au style dit de la renaissance française. Il était fort beau[39], et a été gravé plusieurs fois. Gaignières, dans sa collection[40], en a donné un bon dessin. Comme corollaire de ces tombeaux cénotaphes, il faut citer les monuments appliqués contre les murs, et qui présentent sur une surface verticale comme le développement de toutes les parties qui constituent le mausolée, avec soubassement, image du mort et dais.
Ces sortes de monuments sont assez rares en France ; le défaut d’espace et aussi le défaut d’argent faisaient parfois adopter ce parti. Nous en connaissons deux beaux exemples dans l’ancienne cathédrale de la cité de Carcassonne. L’un date du milieu du XIIIe siècle, c’est celui de l’évêque Radulphe. Le simulacre du sarcophage, qui persiste tard dans les provinces méridionales de la France, est posé sur trois colonnettes et paraît engagé dans la muraille. Des chanoines, sous une arcature, assistent aux obsèques. Sur le sarcophage se dresse debout, en bas-relief, la figure de l’évêque bénissant. Un gâble orné de fleurons et de crochets couronne le tout.
Il nous reste à parler des plates tombes, avec effigies en relief ou simplement gravées sur la pierre ou sur le métal. Ces tombes sont de deux sortes : ou les effigies des morts sont posées sur un socle très-bas, présentant une faible saillie au-dessus du sol, ou elles sont au ras même du sol, de façon à permettre de marcher dessus comme sur un dallage. Nous ne doutons pas que les premiers de ces tombeaux étaient garnis d’un poêle d’étoffe aux anniversaires ou à certains jours solennels, et nous en donnerions comme preuve les attaches de tiges de métal ou les douilles dont on trouve fréquemment la trace le long des socles. Pour les seconds, ils n’étaient qu’un signe apparent indiquant la place de la sépulture.
Il existe des plates-tombes d’une époque assez ancienne, c’est-à-dire remontant au XIIe siècle, mais qui, tout en présentant peu de relief, formaient cependant assez de saillie sur le sol pour qu’on ne pût marcher dessus, tandis que ce n’est que vers 1225 que l’on commence à voir des plates-tombes au ras du sol, et seulement gravées.
Il faut cependant mentionner ici une tombe très-singulière, qui autrefois était placée dans le chœur de l’église Saint-Germain des Prés, à Paris, et qui est aujourd’hui déposée à Saint-Denis : c’est celle de Frédégonde. Dom Bouillard[42] prétend que cette princesse avait été enterrée dans la basilique de Sainte-Croix et de Saint-Vincent, du côté du nord, près du gros mur qui soutenait le clocher. La tombe actuelle ne remonte pas au delà de la première moitié du XIIe siècle. C’est une plaque de pierre de liais incrustée de fragments de pâtes de verre et de pierres dures, entremêlés de filets de cuivre. Des réserves laissées dans la pierre forment les linéaments du vêtement. La tête, les mains et les pieds, entièrement unis aujourd’hui, étaient très-probablement peints. Nous ne connaissons pas d’autre exemple de ce genre de monuments funéraires[43] ; et il est difficile de découvrir les motifs qui déterminèrent les religieux de Saint-Germain des Prés à faire exécuter ce monument suivant un procédé aussi peu usité. Était-ce pour imiter une mosaïque beaucoup plus ancienne qui aurait été faite par encloisonnements, sur des indications d’artistes byzantins ? Était-ce l’essai d’un artiste occidental ? Nous ne saurions le dire. D’autres plates-tombes en mosaïque existent en France, celle, entre autres, de l’évêque d’Arras, Frumaldus, mort en 1180[44], et celle trouvée dans les ruines de l’abbaye de Saint-Bertin, avec la date de 1109 ; mais ces tombes sont exécutées suivant le procédé ordinaire du mosaïste employé en Italie et en France au XIIe siècle, procédé qui ne ressemble en rien à celui adopté pour l’effigie de Frédégonde.
Il nous reste deux belles tombes datant du XIIe siècle, qui représentent, en plat relief les effigies des rois Clovis Ier et Childebert Ier. Ces tombes, qui proviennent de l’abbaye Saint-Germain des Prés, sont maintenant déposées à Saint-Denis. Le relief de ces figures est trouvé aux dépens d’une cavité faite dans une épaisse dalle de pierre. Elles avaient remplacé, dans l’église Saint-Germain des Prés, des monuments beaucoup plus anciens, mais fort dégradés, lorsque l’abbaye fut prise par les Normands.
Vers la fin du XIIe siècle et le commencement du XIIIe, on plaça dans les églises beaucoup de ces tombes avec effigie en demi-relief, peu élevées au-dessus du pavé. Elles étaient très-fréquemment exécutées en bronze coulé ou repoussé, émaillé, et consistaient en une plaque de métal posée aux quatre coins sur des colonnettes très-trapues, sur des lions, ou simplement sur des cales. La tombe de Charles le Chauve, placée au milieu du chœur des religieux de Saint-Denis, et dont la fabrication paraît appartenir aux premières années du XIIIe siècle, était ainsi composée. Nous en donnons (fig. 27) une copie d’après le bon dessin de la collection Gaignières.

Nous ne possédons plus en France que quatre tombes de métal dans le genre de celle de Charles le Chauve. Deux sont sans émaux, ce sont les tombes des évêques d’Amiens, Ewrard de Fouilloy et Godefroy ; l’un de ces deux monuments est d’une grande valeur comme art, c’est celui de l’évêque Ewrard. La tête, les draperies, admirablement modelées, sont d’un style excellent.
Nous donnons (fig. 28) une copie de ce tombeau.
Les tombes plates de cuivre, isolées, comme celles de Charles le Chauve et des deux évêques d’Amiens, précieuses par la matière et le travail, étaient très-probablement, comme nous l’avons dit plus haut, protégées à certains jours par des poêles de riches étoffes, et illuminées au moyen de porte-lumières. Nous avons la preuve de cette dernière disposition dans les magnifiques tombeaux de cuivre doré et émaillé qui se voyaient, avant 1793, dans l’église de Villeneuve, près de Nantes, et dont les dessins nous sont conservés dans la collection de Gaignières. L’un de ces monuments, élevé sur la sépulture de deux princesses qui sont Alix, comtesse de Bretagne, morte en 1221, et sa fille Yolande de Bretagne, qui mourut en 1212, date de cette dernière époque. Le vêtement de la comtesse Alix appartient même aux années comprises entre 1225 et 1235. Cette figure était-elle déjà faite alors, ou le statuaire voulut-il reproduire le costume de la princesse, morte en 1221 ? Nous ne pourrions décider la question ; cependant on peut admettre que la statue d’Alix était faite après sa mort, ainsi que la plaque sur laquelle on l’avait fixée (car l’ornementation émaillée de cette plaque est évidemment plus ancienne que celle de Yolande), et qu’après la mort de celle-ci les deux tombes furent encadrées dans un même socle. Quoi qu’il en soit, sur les bordures armoyées qui entourent et séparent les deux plaques, sont disposées douze douilles en forme de fleurettes fermées, qui étaient destinées évidemment à recevoir des bobèches et des cierges, ainsi que l’indique notre figure 29. Les socles très-bas de la tombe jumelle sont également couverts d’émaux armoyés. Aux angles sont quatre lions issants de bronze doré. Le tout reposait sur une marche de pierre.

C’est aux angles de ce socle de pierre que l’on retrouve presque toujours la trace de scellements de métal ou de bases de colonnettes, soutenant l’armature de fer sur laquelle on jetait une étoffe aux anniversaires ou à certaines occasions. La figure 29 rend compte de cette disposition.
Rien n’égale la splendeur de ces monuments de métal doré et émaillé. L’abbaye de Braisne, les cathédrales de Beauvais et de Paris, l’abbaye de Royaumont, en possédaient plusieurs[47].
Il y a une sorte de monument intermédiaire entre ces derniers tombeaux et les plates-tombes : ce sont des statues couchées sur un lit légèrement incliné, et ayant au-dessus du pavé un faible relief. Ces tombes étaient placées dans le chœur des églises ou dans des chapelles, de façon à être vues des fidèles et à ne pas gêner la circulation. Il existait avant la révolution, dans l’église de Chaloché, au milieu du chœur, un tombeau ainsi composé : c’était celui de Thibaut, seigneur de Mothefélon, de Béatrix de Dreux, sa femme, de leur fils et de leur bru. Les quatre statues étaient couchées sur un socle peu élevé, en forme de lit de camp (fig. 30) ; les statues étaient peintes ; les deux sires de Mothefélon avaient leurs mailles dorées et portaient des cottes armoyées de leurs armes, qui sont de gueules aux six écussons d’or posés 3, 2 et 1. Ce tombeau datait du commencement du XIVe siècle[48].

Les tombés plates gravées ne remontent pas, comme nous l’avons dit déjà, au delà du XIIIe siècle. Mais vers la fin du XIIe et le commencement du XIIIe, on plaçait dans les églises beaucoup de pierres tombales, au ras du sol, qui présentaient l’effigie du mort en bas-relief. Le respect que l’on avait pour les sépultures faisait que les fidèles ne marchaient point sur ces pierres ; mais s’il y avait foule dans l’église, il était assez difficile d’éviter de butter contre ces saillies, si faibles qu’elles fussent : aussi se contenta-t-on bientôt de graver sur des dalles de pierre ou des plaques de bronze la figure entière du défunt.

Nous possédons en France un assez grand nombre de ces plates-tombes en bas-relief. Il nous suffira d’en donner ici un exemple qui se trouve aujourd’hui déposé dans la nef, à l’entrée de l’église de Saint-Martin de Laon (fig. 31). La tombe, de pierre noire de Belgique, est celle d’un chevalier portant le costume militaire du commencement du XIIIe siècle. Son écu est vairé ; la sculpture du personnage, de grandeur naturelle, est très-peu saillante sur le fond légèrement taillé en cuvette. D’ailleurs il est à croire que ces plates-tombes étaient, au moins pendant un laps de temps après la mort du personnage et à l’occasion des anniversaires, surmontées de dais d’étoffes. La forme de ces dalles sculptées est souvent celle d’un trapèze, c’est-à-dire que la pierre est plus étroite du côté des pieds que du côté de la tête.
Les pavages de nos églises ne se composaient plus, à la fin du XVe siècle déjà, que de dalles tombales juxtaposées, et bien que depuis lors on ait détruit une prodigieuse quantité de ces monuments si précieux pour les études historiques et archéologiques, il en reste encore beaucoup. Plusieurs de ces plates-tombes sont même d’une grande beauté de style, et montrent à quel degré de perfection l’art du dessin s’était élevé pendant le moyen âge. Les meilleures sont celles qui appartiennent aux XIIIe et XIVe siècles.
Les plates-tombes de cuivre gravé ou légèrement modelé ont toutes été fondues. Celles que nous possédons encore dans quelques églises sont de pierre, parfois avec incrustations de marbre blanc pour les nus, et noir pour certaines parties des vêtements ou pour les fonds. Le trait gravé est rempli de plomb ou de mastic noir et brun rouge. La forme de ces tombes est trop connue pour qu’il soit nécessaire d’en donner ici des exemples. Nous citerons parmi les plus belles celles de la cathédrale et de l’église Notre-Dame de Châlons-sur-Marne, celles des églises de Troyes, de Beaune, de la sainte Chapelle du Palais à Paris, etc. Gaignières nous a laissé les dessins de plusieurs de ces plates-tombes provenant de l’abbaye de Jumièges, et qui étaient de terre cuite émaillée.
Souvent ces plates-tombes n’étaient décorées que par une inscription gravée sur les bords et un emblème sur le milieu. L’abbé Lebeuf cite un certain nombre de ces dalles placées dans des paroisses du diocèse de Paris, et qui avaient pour toute gravure un écu, ou une croix, ou un calice. Ces dernières sont des tombes de curés. Les pierres tombales posées sur les sépultures des templiers ne portaient habituellement aucune inscription, mais une simple croix grecque, un écu, et parfois un triangle équilatéral (voyez Temple[49]. On cessa de graver l’effigie du mort sur les dalles tombales vers le milieu du XVIIe siècle.
- ↑ La Normandie souterraine, par M. l’abbé Cochet. Paris, 1855.
- ↑ L’évêque Aravatius « s’étant rendu dans la ville de Maestricht, y fut attaqué d’une fièvre légère dont il mourut. Son corps, lavé par les fidèles, fut enterré près de la voie publique. » (Hist. franç., liv. II, chap. v.)
- ↑
« Un sarkeu fist apareillier (Richard)
Lez la meisiere del mustier (contre le mur de l’église),
A metre emprès sa mort sun core
Suz la gutiere de defors
........... »(Le roman de Rou, vers 5 879 et suiv.) - ↑ Nous avons trouvé, dans l’église abbatiale de Saint-Denis, au-dessous du pavé de la basilique de Dagobert, plusieurs sarcophages de pierre, plus larges d’un bout que de l’autre. Sur le couvercle et l’un des bouts d’un seul de ces sarcophages sont gravées grossièrement des croix pattées ; les autres sarcophages sont unis. Ils contenaient des ossements complètement réduits en poussière, des traces d’étoffes et des fils d’or qui entraient dans le tissu, quelques bouts de courroie de bronze (déposés au musée de Cluny). Plusieurs de ces corps avaient été ensevelis sans la tête, ce qui ferait supposer que les chefs étaient placés à part dans des reliquaires.
- ↑ A, dessus et bout d’un des sarcophages mérovingiens de Saint-Denis ; B, sarcophage de saint Andoche (dom Planchet, Hist. de Bourgogne, t. II, p. 520) ; C, couvercle d’un sarcophage dans l’église de Saint-Hilaire de Poitiers, VIIIe siècle.
- ↑ Sur les sarcophages des derniers temps de l’empire romain, on voit très-souvent des représentations sculptées de chasses. Cette tradition se retrouve encore dans des monuments funéraires du XIIe siècle. Il existe au musée de Niort, entre autres, un sarcophage de cette époque, sur le couvercle duquel sont représentés un seigneur et sa femme, à cheval, chassant au faucon, puis, au milieu d’arbres, un homme qui tend des panneaux propres à prendre des oiseaux, un archer, des chiens et des lièvres.
- ↑ Sur le sarcophage de saint Hilaire le Grand, de Poitiers, est représenté de même le corps du saint posé sur une sorte de lit de parade ; l’archange Michel est placé d’un côté, un second ange de l’autre ; puis viennent divers personnages, saints et assistants. Dans la crypte d’Aix-la-Chapelle, le corps de Charlemagne, embaumé, était placé dans une chaire, revêtu de ses habits, la couronne en tête, l’épée à son côté.
- ↑ Grâce aux soins de M. Durand, architecte à Bordeaux, qui a fait estamper cette inscription, il a été possible de la lire. — Voyez la Notice qu’a publiée M. Durand sur ce monument (Bordeaux, 1844).
- ↑ Cette statue, mutilée, est celle de saint Paul, patron du défunt probablement.
- ↑
« Parler vueil de la saincte terre,
« De lesglise, ou lon enterre
« Riches, pouvres, communement ;
« Elle se vent moult chierement
« A tous ceulx qui ont de lavoir
« Pour deux ou trois pas en avoir
« Et toujours la terre demeure
« Pour aultre fois mettre en euvre.
« Chiere terre se peut nommer
« Sans riens la saincteté blasmer.
« Grans debas souventes fois ont
« Les paroisses, dont se meffont,
« Pour les corps mors mettre en terre.
« Ils sen playdoyent et font guerre.
« Helas ce nest pas pour le corps
« Dont est issue l’ame hors,
« Cest pour avoir la sepulture ;
« Du corps aultrement ils nont cure
« .............. »(Complainte de François Garin, XVe siècle, édit. de 1832. Impr. Crapelet, p. 32.)
- ↑ Le sceau d’argent de cette princesse était déposé dans le cercueil. Conservé pendant quelques années dans le trésor de la cathédrale, il a été volé.
- ↑ « À l’entrée de cette porte » (celle du transsept donnant au midi, dans le cloître des religieux), « entrant en iceux cloistres, à main droite, se voit l’effigie du très chrestien Roy Dagobert, d’une grandeur extraordinaire, assise en une chaire, la couronne sur la teste et une pomme en la main droite ; ayant à ses deux costez les effigies de ses deux enfans Clovis et Sigebert, de pierre de liais… » (Dom Doublet, Antiq. et recherches de l’abbaye de Sainct-Denis en France, liv. I, chap. XLIV.)
- ↑ Ce tombeau est aujourd’hui replacé en ce même endroit, après avoir été transporté au musée des monuments français, puis de là rendu à l’église, où les deux faces, séparées pour faire pendants, avaient été placées des deux côtés du narthex.
- ↑ Ce sarcophage était feint, car le corps du roi Dagobert avait été déposé sous le maître autel de l’église primitive ; peut-être était-il enfermé dans le cercueil dont nous avons donné le couvercle et un bout, ornés de croix pattées (fig. 1, A). Cependant la pierre replacée sous le règne de saint Louis avait été creusée comme pour y déposer un corps, et des restes d’ossements y furent trouvés lors de la violation des sépultures en 1793.
- ↑ Ce sarcophage a dû être refait, ainsi que la statue couchée et celle de Sigebert, qui, dans les transports successifs qu’avait subis ce monument, furent perdues. D’ailleurs le sarcophage et les deux statues ont été copiés aussi fidèlement que possible sur les dessins (minutes) que Percier avait faits de ce tombeau avant sa translation au musée des Petits-Augustins. Le sarcophage primitif était, au dire de dom Doublet, de porphyre gris, mais les fragments que nous en avons eus entre les mains étaient d’un grès tendre, grisâtre.
- ↑ Il faut noter que cette statue, ainsi ridiculement défigurée, a été moulée, réduite, vendue partout comme une des œuvres remarquables du moyen âge.
- ↑ Ce tombeau datait des premières années du XIIIe siècle.
- ↑ Nous avons très-fréquemment trouvé, sous les restes des personnages ensevelis pendant les XIIe, XIIIe et XIVe siècles, des litières encore visibles d’herbes et de fleurs, notamment des roses facilement reconnaissables à leurs tiges garnies d’épines. N’était-il pas plus sensé de porter ainsi une personne regrettée, à son dernier séjour, que de placer son corps dans ces chars noirs et blancs dont les formes sont ridicules, les décorations du plus mauvais goût, conduits par des cochers vêtus d’une façon burlesque ?
- ↑ Collect. Gaignères, Bibl. Bodléienne d’Oxford.
- ↑ L’architecture et les arts qui en dépendent.
- ↑ Voyez, dans les Annales archéol., Didron, la notice de M. l’abbé Texier sur ce monument, et la gravure de M. Gaucherel, t. IX, p. 193.
- ↑ Voyez l’intéressante Notice de M. le colonel de Morlet sur ces monuments (Strasbourg, 1863).
- ↑ Voyez, entre autres, les beaux exemples de ces tombeaux déposés au British Museum.
- ↑ Le texte 5e dit : « Si quelqu’un a détruit le petit édifice, qui est le petit pont, tel qu’on le fait suivant l’usage de nos pères… »
- ↑ Lib. VI, cap. X.
- ↑ Voyez l’ouvrage du docteur Rock : The Church of our fathers, et la notice de M. Ernest Feydeau, Annales archéol., t. XV, p. 38, — Voyez le monument de Beauchamp.
- ↑ Voyez du Cange, Gloss.
- ↑ Voyez les portefeuilles de Gaignères, Bibl. Bodléienne.
- ↑ Annales archéol., t. XVIII ; p. 49.
- ↑ Voyez, dans les Annales archéol., la gravure de ce tombeau, t. XIX, p. 315.
- ↑ Voyez l’ouvrage de M. le comte Melchior de Vogüe, Syrie centrale.
- ↑ Toutes les effigies de ces tombeaux replacés depuis peu dans le transsept, où ils se trouvaient avant 1793, sont anciennes. Les socles, dossiers et colonnettes, ont été rétablis d’après les dessins de Gaignières et sur des fragments déposés dans les magasins de l’abbaye.
- ↑ L’effigie de l’arbre blanc existe encore à Saint-Denis. C’est une statue d’un admirable travail.
- ↑ Voyez les portefeuilles de Gaignières, Bibl. Bodléienne d’Oxford.
- ↑ Ce tombeau n’existe plus, mais il est reproduit par Gaignières ; et bien que celui-ci n’en donne pas l’épitaphe, les armoiries (fascé de vair et de gueules) ne laissent aucun doute sur la qualité du personnage.
- ↑ Voyez la collection de Gaignières, Bibl. Bodléienne d’Oxford.
- ↑ Parmi ces ornements, d’un goût déplorable, qui vinrent remplacer de précieux monuments que leur caractère, sinon leur valeur comme art, eût dû au moins faire respecter, il faut signaler une certaine Gloire, de bois doré, qui vient étaler ses rayons de charpente et ses nuages de plâtre sur les piliers de l’abside jusqu’à la hauteur de la galerie, et détruit ainsi l’effet merveilleux de ce rond-point avec sa chapelle absidale.
- ↑ Voyez, pour de plus amples détails sur ces tombeaux, la Monographie de l’église royale de Saint-Denis, par M. le baron de Guilhermy, 1848.
- ↑ Voici ce qu’en dit dom Doublet (Hist. de l’abb. de Saint-Denys en France, 1625, liv. IV, p. 1293) : « Son effigie (du roi Charles VIII) revestue à la royalle, et de genoux au-dessus du tombeau, est représentée après le naturel, laquelle est de fonte ; le haut du dit tombeau couvert de cuivre doré, et au devant de l’effigie il y a un oratoire, ou appuy, et couvert de cuivre doré, sur lequel est posée une couronne avec un livre ouvert, aussi de cuivre doré. Pareillement y a aux quatre coins quatre anges de fonte bien dorez et eslabourez, lesquels tiennent les armoiries des royaumes de Naples et Sicile, aussi de fonte, dorées et peintes. Aux costés du tombeau y a des niches rondes, et au dedans, des bassins de cuivre bien doré, et en iceux bassins de basses figures de fonte bien dorées. »
D. Millet, dans son Trésor sacré de l’abbaye royale de Saint-Denys en France, 1640, dit : « Son sepulchre (du roi Charles VIII) est le plus beau qui soit dans le chœur, sur lequel on voit son effigie représentée à genouil près le naturel, une couronne et un livre sur un oratoire (prie-Dieu), et quatre anges à genoux aux quatre coings du tombeau, le tout de cuivre doré, sauf l’effigie dont la robe est d’azur, semée de fleurs de lys d’or. »
- ↑ De la Bibl. Bodléienne. Voyez la gravure de l’ouvrage de Félibien, Abbaye royale de Saint-Denis.
- ↑ Voyez Cathédrale, fig. 49. Le tombeau de Pierre de Roquefort est placé contre le mur occidental de la chapelle du nord. Ce prélat est mort en 1321.
- ↑ Histoire de l’abbaye royale de Saint-Germain des Près. Paris, 1724.
- ↑ Cette tombe a été souvent reproduite par la gravure et la chromolithographie (voyez la Statistique de Paris, par M. Alb. Lenoir ; l’ouvrage de M. Gailhabaud, l’Architecture et les arts qui en dépendent ; D. Bouillard, Hist. de l’abbaye de Saint-Germain des Près ; Alex. Lenoir, Musée des monuments français ; de Guilhermy, Monographie de l’église royale de Saint-Denis).
- ↑ Voyez l’ouvrage cité de M. Gailhabaud.
- ↑ Ce monument a été envoyé à la fonte en 1793.
- ↑ L’une d’elles est gravée dans la Monographie de l’église royale de Saint-Denis par M. le baron de Guilhermy.
- ↑ Voyez Gaignières, Bibl. Bodléienne, et la Monographie de saint Yved de Braisne, par Stanislas Prioux (Paris, 1859, Didron, édit.).
- ↑ Voyez Gaignières, Bibl. Bodléienne.
- ↑ Nous aurons l’occasion, dans le tome II du Dictionnaire du mobilier français, de donner un grand nombre de ces gravures tombales si précieuses pour l’étude des habillements ; c’est pourquoi nous n’en donnons point d’exemple ici : d’ailleurs ces objets sortent du domaine de l’architecture.