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PRISON, s. f. (chartre). Les châteaux, les abbayes, les palais épiscopaux, les beffrois des villes, les chapitres, possédaient des prisons dans leurs murs, pendant le moyen âge ; ces prisons n’étaient que des cellules plus ou moins bien disposées, des cachots ou même des culs de basse-fosse. Le moyen âge n’avait pas à élever des établissements spéciaux destinés aux prisonniers ; établissements qui ne peuvent subsister qu’au milieu d’un État dans lequel l’exercice de la justice est centralisé. Il va sans dire que les prisons que contiennent nos vieux édifices ne se font pas remarquer par ces mesures prévoyantes, ces dispositions saines et ce système de surveillance bien entendu, qui placent aujourd’hui ces établissements au rang des édifices complets et sagement entendus. Toutefois on a beaucoup exagéré et le nombre et l’horreur de ces lieux de réclusion pendant le moyen âge. Il existe encore au château de Loches des prisons bien authentiques, qui ne sont autre chose que des chambres grillées, saines d’ailleurs et suffisamment claires. On en voit également à l’abbaye du mont Saint-Michel en mer, encore au donjon de Vincennes, et dans la plupart de nos vieilles forteresses, qui ne diffèrent des chambres réservées aux habitants que par la rareté des issues et la nudité des murs. Il n’est pas besoin d’être fort versé dans l’histoire de ces temps, pour reconnaître que les prisons étaient nécessaires dans tout domaine féodal, mais nous devons constater que bien peu de ces terribles vade in pace paraissent avoir été occupés, tandis que les cellules, qui n’étaient que des chambres bien fermées, ont été souvent remplies. Il semble que ce qui était plus à craindre pour les prisonniers du roi ou des seigneurs, c’étaient les exactions des geôliers, et nous en prenons pour preuve ce passage de l’Apparicion de maistre Jehan de Meun :

« N’ose dire des geoliers
Comment gouvernent prisonniers,
Mais on m’a dist, par le chemin,
Qu’ilz en ont le vaissel et le vin.
Ne or, n’argent, n’emportera
Le prisonnier quant partira.
Quant on lui dist qu’il faist péchié,
Et il respont, tost de rechié,
Que la geole lui vent-on chier
Et qu’il n’y perdra jà denier.
Si le Roy savoit qu’on y fait,
Jamais ne souffriroit tel fait[1]. »

Et plus loin :

« Ly Sarrazins dit des geoliers
Qu’ils despouillent les prisonniers,
Mais cecy est chose certaine
Que les vendre est du demaine,
Et sy n’est pas petite rente
Que les geoles soient en vente[2]. »

Si les geôles étaient affermées, il est clair que les prisonniers avaient tout à redouter de leurs geôliers ; mais ceci sort de notre sujet. Les prisons qui sont groupées dans le voisinage d’une salle de justice sont celles qui présentent évidemment le plus d’intérêt et dont la destination ne peut être mise en doute. Or, il existe encore dans l’officialité de Sens une prison complète à côté de la salle où l’on jugeait les accusés. Cette salle est située à rez-de-chaussée sous la grand’salle synodale ; elle est voûtée sur une rangée de colonnes formant épine. Les prisons occupent un quart environ de l’espace, et sont prises à l’extrémité d’une des deux nefs. Nous en donnons (fig. 1) le plan. L’entrée du palais archiépiscopal est en A, la cour en B. L’escalier C conduit à la grand’salle au premier étage. Par le guichet D, on pénètre dans l’officialité E. Le guichet G donne entrée dans une prison H voûtée en berceau. En I est une dalle percée d’un orifice communiquant à une fosse d’aisances ; scellée au mur est une barre de fer, à 0m,60 de hauteur environ, destinée à passer la chaîne qui retenait le prisonnier assis. Une hotte de pierre K empêche le patient de voir le ciel par la fenêtre L, très-relevée au-dessus du sol, et ne lui laisse qu’un jour reflété. Mais cette prison présente une particularité curieuse : au-dessus du guichet G, fort bas, est un petit escalier qui conduit à une cellule placée au-dessus du cabinet M, et qui est mise, par une fenêtre, en communication avec la prison H. Ainsi pouvait-on placer là, soit un surveillant, soit une personne recueillant les moindres paroles du prisonnier. De la place occupée par celui-ci, il était impossible de voir la fenêtre de la cellule, à cause de la hotte qui abat le jour extérieur.

Un second guichet N donne entrée dans trois cellules O, P, Q ; cette dernière assez spacieuse et munie d’un siège d’aisances. La cellule O ne paraît pas avoir été destinée à enfermer un prisonnier ; elle ne reçoit pas de jour de l’extérieur, mais son pavé est percé d’une trappe R donnant dans un vade in pace, ou un paradis, comme on disait alors. En M, est un cabinet d’aisances qui donnait directement dans la salle de l’officialité par une porte S. Si nous soulevons la trappe R, nous descendons, au moyen d’une échelle ou d’une corde, dans le cachot A (fig. 2), prenant de l’air, sinon du jour, par une sorte de cheminée B. La fosse d’aisances des prisons étant en C, au niveau du cachot, le prisonnier avait un siège d’aisances relevé de plusieurs marches en D. Nous avons encore trouvé dans ce paradis un lambris de bois placé dans l’angle près de la cheminée de ventilation B, pour préserver le prisonnier de l’humidité des murs. Dans la crainte que le malheureux jeté dans ce cul de basse-fosse ne cherchât à s’évader en perçant les murs de la fosse, le plus épais, celui qui donne le long de l’escalier descendant aux caves de l’officialité, est bardé extérieurement de larges bandes de fer posées en écharpe et retenant ainsi unies toutes les pierres.

Si ce cachot ne présente que peu de traces du séjour des humains, il n’en est pas ainsi pour les cellules du rez-de-chaussée, qui sont, surtout celle H, littéralement couvertes de gravures et de sculptures grossières datant des XIIIe, XIVe et XVe siècles. On y voit un crucifiement, un tournoi, des inscriptions, des noms, gravés sur l’enduit de plâtre ; car ces divisions et murs intérieurs sont en moellons enduits d’une épaisse couche de plâtre.

Nous n’avons trouvé nulle part un ensemble aussi complet de cachots et prisons n’ayant subi aucune modification depuis l’époque de leur établissement.

Ces prisons ont été bâties en même temps que l’officialité de Sens, et datent par conséquent du milieu du XIIIe siècle. Toutes les voûtes, celle du vade in pace comprise, sont en berceau et construites en moellons. Seule la voûte de la fosse d’aisances est composée d’arcs de pierre parallèles, avec intervalles en moellons posés sur les extrados de ces arcs.

Les prisons des châteaux ne sont pas habituellement groupées, mais au contraire séparées les unes des autres. Beaucoup de tours de châteaux possèdent des prisons ; mais nous n’en connaissons pas qui en présentent un aussi grand nombre et d’aussi belles (si cette épithète peut s’appliquer à des prisons) que le château de Pierrefonds. Dans cette résidence, le luxe s’est étendu jusque dans ces demeures. Sur huit tours, quatre possèdent deux étages de cachots : l’un éclairé et aéré, l’autre absolument dépourvu de lumière.


La figure 3 donne le plan d’une de ces tours (celle nord-est) au niveau de la prison supérieure située au-dessous du sol de la cour, mais beaucoup au-dessus du chemin de ronde extérieur. On descend à cette prison par l’escalier à vis A. Elle est circulaire, et son diamètre est de 4 mètres. Deux portes ferment le couloir B. Elle reçoit du jour et de l’air par deux meurtrières C, et est munie d’un cabinet d’aisances D. Au centre de cette salle circulaire, est ménagée une trappe qui donne au centre d’une voûte couvrant un cachot absolument fermé, mais muni également d’un siège d’aisances.
La figure 4 donne la coupe de ces deux salles[3]. On voit, dans cette figure, que la prison supérieure est spacieuse, largement éclairée, aérée et parfaitement saine. La voûte, composée de six arcs ogives, a 1m, 20 d’épaisseur, pour éviter toute tentative de communication avec les prisonniers ; la salle A était au niveau de la cour et destinée à l’habitation. Cette coupe fait voir le cachot inférieur dont le sol est au niveau du chemin de ronde extérieur O. On ne peut descendre dans cette chartre que par l’orifice percé dans la voûte, lequel était fermé par un tampon de pierre et une barre cadenassée. Les malheureux enfermés dans cette sorte de cloche de pierre n’avaient pas à craindre l’humidité, car les murs sont parfaitement secs, mais ne recevaient ni air ni jour de l’extérieur. L’épaisseur prodigieuse des murs et leur admirable construction ne pouvaient laisser aucune chance d’évasion. On remarquera que la voûte de cette chartre est bâtie par assises horizontales réglées, comme toutes celles du château, et non en claveaux. Dans l’un de ces cachots (celui de la tour nord-est) est gravé grossièrement un crucifiement sur la paroi intérieure, ouvrage de quelque prisonnier qui n’a pu exécuter ce travail qu’à tâtons, puis deux noms et quelques linéaments informes. Dans le cachot de la tour du milieu (ouest), nous avons découvert un squelette de femme accroupi dans la niche formant siège d’aisances. La construction de ces étages inférieurs est exécutée avec autant de soins que celle des parties du château destinées à l’habitation. Les parements sont admirablement dressés, et les lits d’une régularité irréprochable. La tour sud-ouest contient, au milieu du cachot inférieur, une oubliette (voy. Oubliettes).

Nous avons découvert encore des prisons basses dans des tours de la cité de Carcassonne. Un de ces cachots, dépendant de l’ancien évêché, possède un pilier dans le milieu et une chaîne avec entraves attachée à ce pilier, de telle sorte que le prisonnier ne pouvait atteindre les parois intérieures de la muraille. Des ossements humains tenaient encore à cette chaîne. Toutefois nous devons constater que beaucoup de cachots intérieurs ne paraissent pas avoir été habités. Il en est qui ne présentent aucune trace d’être humain et semblent sortir des mains du maçon. Ajoutons que l’on donne souvent, dans les résidences des seigneurs du moyen âge, le nom de cachot à des caves destinées à recevoir des approvisionnements. Il n’est pas nécessaire d’exagérer l’emploi de ces moyens de répression, et en tenant compte des mœurs du temps, on peut même considérer ces prisons et cachots comme établis relativement dans des conditions de salubrité qui n’ont pas toujours été observées pendant les derniers siècles.

  1. L’Apparicion de Jehan de Meun, publiée par la Société des bibliophiles français, p. 35 (XIVe siècle).
  2. Ibid., p. 54.
  3. Dans cette coupe nous avons fait les sections sur l’escalier, le passage et l’une des meurtrières, ainsi que sur le siège d’aisances et la fosse inférieurs.