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MENEAU, s. m. ; peu usité au singulier. — On donne ce nom aux montants et compartiments de pierre qui divisent la surface d’une fenêtre en plusieurs parties vides que l’on remplit soit au moyen de vitrages dormants, soit au moyen de châssis ouvrants, également pourvus de vitrages (voy. fenêtre). En Italie, en Espagne et même en France, dans les premiers siècles du moyen âge, les fenêtres des édifices publics étaient souvent dépourvues de vitres ; des claires-voies en pierre, en métal ou en bois étaient alors disposées dans leur ouverture béante, pour tamiser la lumière et empêcher le vent ou la pluie de pénétrer dans les intérieurs. Lorsque l’usage des vitrages devint habituel, vers le XIe siècle, on garnit les baies de vitraux maintenus au moyen de barlotières en fer. Mais vers la fin du XIIe siècle, au moment de l’adoption du système de l’architecture dite gothique, les fenêtres venant à s’agrandir, il fallut disposer dans leur surface vide des séparations en pierre pour maintenir les vitraux ; car les armatures en fer, difficiles à fabriquer, flexibles, ne présentaient pas une résistance suffisante à l’effort du vent. D’ailleurs, ces baies larges et hautes, laissées vides, n’étaient pas d’un heureux effet ; elles ne donnaient pas l’échelle de la structure, et les architectes des écoles laïques de la fin du XIIe siècle possédaient assez le sentiment des proportions pour ne pas laisser de grandes surfaces vides sans les occuper par des compartiments de pierre qui pouvaient seuls rappeler leur dimension. On voit apparaître ces divisions vers les premières années du XIIIe siècle dans l’Île-de-France, le Soissonnais, le Beauvaisis et la Champagne. Ces premiers meneaux sont composés d’assises de pierre, sont bâtis. Tels sont les meneaux de la cathédrale de Soissons et de la cathédrale de Chartres. Les meneaux des fenêtres des chapelles du chœur de Notre-Dame de Reims, bien qu’ils datent de 1215 environ, sont encore composés d’assises ou de claveaux (voy. fenêtre, fig. 13, 14, 15, 16, 17 et 18). Mais bientôt l’école laïque du XIIIe siècle fit, des meneaux, de véritables châssis de pierre formés de montants posés en délit et de compartiments ajourés découpés dans des dalles plus ou moins épaisses suivant les dimensions des baies. Dans les édifices voûtés, comme les églises ou certaines grandes salles d’assemblée, dont les fenêtres occupent toute ou presque toute la surface laissée sous les formerets des voûtes, les meneaux se composent d’abord d’un montant central, avec deux tiers-points surmontés d’un œil. Telles sont les fenêtres hautes du chœur et de la nef de la cathédrale de Paris, refaites vers 1225 (voir cathédrale, fig. 3 et 4). Or, les meneaux des fenêtres hautes de Notre-Dame de Paris peuvent être considérés comme les premiers qui aient été faits en manière de châssis de pierre, rigides, entre des pieds-droits et des arcs construits par assises.

Il est intéressant de voir comment l’architecte introduisit ces châssis de pierre dans les anciennes fenêtres du XIIe siècle, et comment les meneaux furent appareillés. Les fenêtres hautes du chœur de Notre-Dame de Paris avaient été construites vers 1170. Elles se composaient (1), conformément au tracé A, de pieds-droits avec colonnettes à l’extérieur (voir la section horizontale B, faite sur ab), surmontés de deux arcs en tiers-point concentriques C extradossés d’un rang de damiers. En D était le filet de recouvrement du comble en appentis posé sur la galerie, et en E des roses s’ouvrant sous cet appentis au-dessus des voûtes de cette galerie (voir cathédrale, fig. 3 et 4). Le système, nouveau alors, des meneaux qui permettaient de remplir de très-grandes fenêtres de vitraux colorés, avait si bien séduit les évêques, les chapitres et leurs architectes, qu’on n'hésita pas à détruire les roses E, les anciens appuis des fenêtres du XIIe siècle J, à remplacer les combles par des terrasses, à couper les pieds-droits F et à enlever l’arc intérieur des baies. Cela fait, on tailla dans les pierres restantes les colonnettes G, à l’intérieur et à l’extérieur ; on incrusta des morceaux H dans les parties laissées vides par l’enlèvement des claveaux des roses, ainsi que l’indique le trait haché, on passa le meneau I au milieu des baies, et on appareilla sur ce meneau et sur les pieds-droits recoupés le châssis de pierre supérieur composé de deux arcs et d’un œil. La courbe des arcs des fenêtres primitives fut ainsi changée, et entre l’extrados du châssis de pierre et l’intrados du second arc du XIIe siècle, laissé en place, on incrusta le remplissage K. Les joints de ce châssis de pierre, marqués sur notre figure, furent coulés en plomb avec goujons de fer posés ainsi que l’indique le détail L. Il est à présumer que la crainte qu’avaient les architectes de voir fléchir les arcs des vieilles fenêtres, affaiblis d’un rang de claveaux, les détermina à donner plus d’aiguïté à l’arc tiers-point des meneaux. Chacun de ces meneaux se composait ainsi : 1o de la colonnette centrale, dont nous donnons la section en M ; 2o du sommier central en fourche ; 3o des deux sommiers latéraux ; 4o des deux closoirs des arcs inférieurs ; 5o des quatre claveaux latéraux ; 6o de la clef de l’œil et de deux closoirs supérieurs, en tout treize morceaux de pierre pour une fenêtre de 10m,00 de haut sur 3m,40 de largeur en moyenne. Mais les espaces vides laissés entre ces divisions de pierre étaient trop grands encore pour pouvoir être vitrés sans le secours du fer. Une barre transversale passant à la naissance des arcs en N et traversant la tête du chapiteau P fut posée en construisant le châssis. Des barlotières O, scellées entre les pieds-droits et le meneau central, formèrent une suite de panneaux quadrangulaires ; des montants verticaux R servirent encore à diminuer la largeur des deux vides et formèrent la bordure du vitrail. Dans l’œil, quatre barres S vinrent aussi diviser la surface vide du cercle. Ces barres furent scellées dans le châssis circulaire. On observera que les joints de l’appareil tendent toujours aux centres du cercle ou des tiers-points.

Déjà cependant les fenêtres des chapelles du chœur de la cathédrale de Reims, contemporaines de celles que nous donnons ci-dessous, possédaient des meneaux qui, construits par assises, renfermaient dans l’œil supérieur des redents destinés à diminuer le vide de ces œils (voy. fenêtre, fig. 18). Dans ce cas, comme toujours, c’est à la Champagne que sont dues les innovations dans l’architecture gothique. Les fenêtres hautes de la nef et du chœur de Notre-Dame de Reims, bien que construites vers le milieu du XIIIe siècle, ont consacré le principe admis par l’architecte primitif de cet incomparable édifice. Ces fenêtres, indiquées d’ailleurs dans le croquis de Villard de Honnecourt antérieurement à la reprise des travaux de la cathédrale en 1241, appartiennent ainsi comme composition à une époque plus ancienne. Elles se composent d’un meneau central portant deux tiers-points avec un œil subdivisé par des redents à six lobes (2). centrérLes meneaux reproduisent sur une plus grande largeur ceux des chapelles. Les vides n’ont pas moins de 2m,30 (7 pieds), aussi ont-ils été garnis de puissantes armatures en fer. Les redents de l’œil sont rapportés en feuillure, comme l’indique la section A faite sur ab. La feuillure maintenant les vitraux est refouillée intérieurement, ainsi qu’on le voit par la section horizontale B, faite sur le meneau central, l’extérieur étant en E. Les panneaux de vitraux sont maintenus dans l’œil au moyen de pitons d scellés à l’intérieur des redents. L’armature en fer de cet œil est elle-même scellée au nu intérieur des redents. La section C est faite sur ef. On remarquera que les tiers-points du grand arc et des deux petits arcs ont pour générateur un triangle équilatéral, les centres des arcs étant posés aux naissances mêmes des courbes. On observera aussi que le second rang de colonnettes porte les boudins formant le nerf principal des meneaux, mais que ces boudins ne suivent pas la courbe du grand arc ; de sorte que le nerf ou boudin de l’œil pénètre dans le grand biseau X, que cet œil semble circonscrit par l’archivolte, mais indépendant de son profil, que les meneaux paraissent n’être qu’un châssis rapporté ne faisant pas corps avec l’architecture, le tout étant cependant fait avec la bâtisse. Le système admis par l’architecte primitif de la cathédrale de Reims et scrupuleusement suivi par ses successeurs jusqu’à la fin du XIIIe siècle n’était plus de mode cependant à dater de 1240. À cette époque déjà, on prétendait ne plus laisser des vides aussi larges pour les panneaux des vitraux. Les fenêtres prenant toute la largeur entre les piles, un seul meneau ne suffisait pas toujours ; on voulut subdiviser ces espaces lorsqu’ils étaient très-larges, et au lieu de deux claires-voies on en établit quatre, de manière à ne plus avoir à vitrer que des vides de 1m,00 à 1m,30 au plus (3 ou 4 pieds). Mais cette extension du principe présentait des difficultés ; car rien, dans l’architecture antique, dans l’architecture romane, ni dans l’architecture orientale, ne pouvait à cette époque servir d’exemple. L’architecte qui conçut les premiers plans de la cathédrale d’Amiens, Robert de Luzarches, mais qui vit seulement élever les parties basses de la nef, avait disposé les fenêtres des collatéraux suivant le système adopté pour les fenêtres de la cathédrale de Reims : un meneau central, deux tiers-points et un œil circulaire avec redents rapportés en feuillure.

Ses successeurs, ayant à vitrer les énormes fenêtres hautes de la nef, qui ont 6m,00 de largeur sur 13m,00 de hauteur, songèrent à garnir ces vides d’une armature en pierre assez puissante et assez serrée pour pouvoir poser des vitraux entre leurs vides sans avoir recours à cet amas de ferrailles que nous voyons appliquées aux fenêtres de la cathédrale de Reims. Toutefois, ils partirent toujours du même principe : ils établirent l’ossature principale suivant la donnée admise à Notre-Dame de Reims, c’est-à-dire qu’ils la composèrent d’un meneau central portant deux arcs en tiers-point avec un œil circulaire supérieur ; mais dans les deux grands intervalles laissés entre les pieds-droits et ce meneau central ils firent un second châssis de pierre, composé de la même manière : d’un meneau central portant deux tiers-points et un œil. Ce système de cristallisation , c’est-à-dire de répétition à l’infini du principe admis que nous voyons appliqué rigoureusement dès la fin du XIIIe siècle dans l’architecture gothique, n’atteignit pas de prime abord ses conséquences logiques ; il y eut des tâtonnements, il se présenta des difficultés d’exécution qui ne furent qu’imparfaitement résolues. Les fenêtres hautes de la nef de la cathédrale d’Amiens sont certainement une de ces premières tentatives, car leur construction ne saurait être postérieure à 1235.
Ces fenêtres (3)[1] se composent, comme on le sait, d’un meneau central bâti par hautes assises, de deux meneaux divisionnaires d’une plus faible section, composés de pierres en délit, de deux arcs en tiers-points parfaits, principaux, avec le grand œil supérieur, et de deux arcs en tiers-points parfaits portant sur les meneaux divisionnaires avec leur œil secondaire. Ces arcs en tiers-points secondaires portent leur nerf ou boudin continuant la section des meneaux divisionnaires, et ce nerf ou boudin vient pénétrer dans les biseaux des pieds-droits et du meneau central, ainsi que le fait voir le tracé perspectif A. Quant aux œils secondaires B et C, leur section est particulière et ne participe pas des membres dans lesquels ils pénètrent. On observera même que, gêné par l’appareil, le constructeur a posé les redents de l’œil B en feuillure comme ceux du grand œil central. (En E, nous donnons au double la section sur ab de ces œils secondaires.)

À Amiens, les constructeurs ne possédaient que des matériaux d’une assez médiocre résistance et d’une dimension peu considérable ; ils avaient donc éprouvé des difficultés pour construire ces énormes claires-voies, ils avaient dû multiplier les joints pour éviter les trop grands morceaux de pierre. Or, si on fait attention à l’appareil que nous avons exactement reproduit, on verra qu’en effet les morceaux n’ont que des dimensions ordinaires et que les joints sont tracés de manière à éviter les ruptures qui sont à craindre dans ces ouvrages à claires-voies. Comme il arrive toujours, ce ne sont pas les moyens les plus simples qui se présentent d’abord à l’esprit de ceux qui inventent. Ces meneaux, avec leurs sections variées, avec leurs redents en feuillure, offraient certainement des difficultés de tracés et de tailles, des pénétrations dont les tailleurs de pierre ne se rendaient pas aisément compte, un désaccord entre les membres principaux et les membres secondaires, des parties grêles et des parties lourdes, des jarrets dans les courbes comme aux points I, par exemple ; cependant déjà les architectes avaient fait régner le boudin ou nerf G tout au pourtour de l’archivolte, continuant la section de la colonnette H et venant pénétrer le nerf de grand œil à la tangente.

C’était un progrès de tracé sur les meneaux des fenêtres de Notre-Dame de Reims. Mais on n’arrive pas, si rapidement que l’on marche, aux méthodes simples, aux procédés pratiques sans des tâtonnements. Donner un dessin sur une échelle réduite des compartiments ajourés d’une fenêtre et une seule section pouvant suffire à en tracer l’épure en grand, c’était évidemment le but auquel devaient tendre les architectes. Il s’agissait de trouver une méthode. Il fallait aussi éviter la disproportion entre les ajours, c’est-à-dire les répartir de telle sorte qu’ils ne fussent ni trop resserrés ni trop lâches. Il fallait (puisque le parti était admis de ne plus avoir des armatures en fer d’une grande surface) faire un réseau de pierre assez également serré pour éviter ces armatures lourdes, compliquées et dispendieuses. Les architectes de la nef haute de la cathédrale d’Amiens avaient dû s’apercevoir de la disproportion qui existait entre les œils des meneaux, de la lourdeur des tiers-points secondaires englobant les œils inférieurs, de la difficulté des tailles de ces pénétrations de membres à sections différentes. Aussi, élevant peu après les fenêtres hautes de la nef celles qui s’ouvrent dans le mur occidental du transsept, ils avaient déjà apporté des perfectionnements dans le tracé des meneaux de ces fenêtres (4).

Relevant la naissance de l’archivolte au-dessus des chapiteaux des meneaux, ils purent donner un diamètre moindre à l’œil principal, trouver entre les petits tiers-points inférieurs et les deux tiers-points secondaires un large espace qu’ils remplirent par des trilobes qui ne donnaient plus un diminutif de l’œil central. Dans l’œil central, au lieu de redents simples, ils imaginèrent des redents redentés A qui occupaient mieux la surface vide et diminuaient l’importance de l’armature en fer. De plus ils ajoutèrent des redents B aux tiers-points inférieurs. Ce dessin général est évidemment mieux conçu que celui donné figure 3 ; mais aussi le travail de l’appareilleur et du tailleur de pierre est simplifié. On observera que, dans ce tracé, seuls les redents de l’œil central sont embrevés en feuillure (voir la coupe C, faite sur ab) ; tous les autres membres sont pris dans l’appareil général. De plus, une seule section est génératrice de tous les membres ; ainsi le meneau central est le profil DEF. Les meneaux secondaires I sont donnés par la section dérivée GEH. Les redents des tiers-points inférieurs adoptent la section KEL. Quant à la section faite sur ed, elle est donnée par DEM. Au moyen de cette combinaison, les axes seuls des boudins principaux P et des boudins ou colonnettes secondaires S étant tracés, et la section DEF avec ses dérivés étant donnée, l’ensemble des meneaux était obtenu sans difficulté par l’appareilleur. Restaient seulement, en dehors de cette combinaison, les redents de l’œil central. Tous les profils de cette section DEF roulaient, sauf l’exception admise seulement pour l’extra-dos T des tiers-points secondaires et de l’œil central, qui prend le profil simplifié DMD. On observera encore que, dans cette épure, l’appareil est infiniment plus simple et rationnel que dans l’épure précédente. Les joints tendent sans difficultés aux centres des tiers-points et en même temps aux centres des lobes. Ces joints étaient donc toujours normaux aux courbes, évitaient les aiguïtés et par conséquent les causes de brisures. Enfin les armatures en fer sont réduites à de simples barlotières garnies de pitons et à quelques barres secondaires légères. Toutefois, dans cette combinaison ingénieuse, des tâtonnements sont encore apparents, aucune méthode géométrique ne préside au point de départ du tracé. Nous allons voir que les architectes du même édifice arrivent bientôt à des méthodes sûres, à des règles données par des combinaisons géométriques.

Les fenêtres des chapelles du chœur de la cathédrale d’Amiens sont contemporaines de la Sainte-Chapelle de Paris, elles datent de 1240 à 1245 ; or, les meneaux de ces fenêtres sont tracés d’après un principe géométrique fort-simple et très-bon. Il faut dire que ces meneaux consistent en un seul faisceau central portant la claire-voie sous les archivoltes (voy. Chapelle, fig. 39 et 40).

Soit (5), en A, la section horizontale d’une de ces fenêtres avec son meneau central B. Soient les lignes BB′B″, axes du meneau central et des colonnettes des pieds-droits. On remarquera d’abord que le même profil est adopté pour le meneau central et les pieds-droits. Soit la ligne CD, la naissance de l’arc qui doit terminer la fenêtre. L’espace entre les deux axes E et F, demi-largeur de la fenêtre, est divisé en quatre parties égales Ef, fG, Gh, hF. Du point f, prenant la demi-épaisseur de la colonnette ou boudin, cette demi-épaisseur est portée sur la ligne de base en f. Du point h, on reporte également cette demi-épaisseur en h′. Prenant la longueur Eh′, on la reporte sur la ligne de base en h″. Sur cette base h′h″, on élève le triangle équilatéral h′h″H. Sur la base f′h′, on élève également le triangle équilatéral If′h′, et du sommet H du grand triangle équilatéral on tracera le petit triangle équilatéral Hi′i, semblable à celui If′h′. Prenant alors la longueur ef′ et les points If′h′, Hii′ comme centres, on décrit les trilobes. Prenant les points h′ et h″ comme centres et la longueur h″O comme rayon, on décrit le grand arc OP. Pour trouver les centres des deux arcs tiers-points inférieurs, des points f′ et h′, on trace deux lignes parallèles à h′I et à f′I ; ces deux parallèles rencontrent les arcs inférieurs du trilobe en l et l′. Sur ces deux lignes, de l en m et de l′ en m′, on prend une largeur égale à la colonnette ou boudin. De ces deux points m et m′, on tire deux parallèles à mg′ et à m′g ; ces deux parallèles rencontrent les lignes internes des boudins en n et en n′ ; dès lors les deux triangles mng′, m′gn′ sont équilatéraux, et prenant les points g et g′ comme centres et la longueur gn′ comme rayon, on trace les arcs tiers-points inférieurs. En T, nous avons tracé la moitié des meneaux avec les épaisseurs des profils. Ainsi, toutes les sections normales aux courbes donnent la section génératrice du meneau central B.

L’appareil est simple, logique, solide, car toutes les coupes sont normales, comme l’indique le tracé T. Sans tâtonnements, le boudin, aux points de rencontre de deux figures courbes, conserve toujours sa même épaisseur, ce qui est la règle la plus essentielle du tracé des claires-voies des meneaux. À dater du milieu du XIIIe siècle, les meneaux sont toujours tracés d’après des méthodes géométriques délicates, au moins dans les édifices élevés dans l’Île de France, la Champagne et la Picardie. Parmi ces meneaux, ceux dont les dessins paraissent les plus compliqués sont souvent produits par un procédé géométrique simple et n’offrant aucune difficulté à l’appareilleur. Nous en fournirons la preuve. D’abord les architectes de cette époque évitent les meneaux à sections différentes dans la même fenêtre ; ils adoptent une seule section, même pour des meneaux de fenêtres à quatre travées, comme celles supérieures de l’église abbatiale de Saint-Denis (voy. fenêtre, fig. 24). Dès lors, il ne s’agit plus que de tracer les compartiments au moyen des lignes d’axes de la section des meneaux. Ce principe permet d’ailleurs de garnir les fenêtres d’un, de deux, de trois, de quatre meneaux, sans difficulté, de tracer les compartiments à une petite échelle, suivant une méthode géométrique, et de laisser faire ainsi, sans danger d’erreurs, le tracé de l’épure sur le chantier.

Les meneaux des fenêtres de l’église de Saint-Urbain de Troyes, qui datent de la seconde moitié du XIIIe siècle (1260 environ), sont tracés conformément à ce principe, c’est-à-dire qu’avec le dessin que nous donnons ici de l’une de ces fenêtres et une section des meneaux, grandeur d’exécution, l’épure peut être faite pour couper les panneaux. C’était là un avantage considérable dans un temps où beaucoup de monuments s’élevaient dans les provinces françaises, et même à l’étranger, sur des dessins envoyés par nos architectes du domaine royal. L’influence extraordinaire que le style adopté par notre école laïque avait acquise sur toute l’étendue du territoire actuellement français, sur une partie de l’Allemagne et de l’Espagne, était telle que les architectes avaient dû forcément chercher des méthodes de tracés qui ne fussent pas sujettes à de fausses interprétations.

À l’article construction, pages 197 et suivantes, à propos de la structure de l’église Saint-Nazaire de Carcassonne, nous avons fait voir que les combinaisons les plus compliquées de tracés pouvaient facilement être transmises à l’aide de dessins faits à une petite échelle ; la supériorité que devraient nous donner sur nos devanciers de six siècles des connaissances plus étendues en géométrie et tant d’autres avantages n’est pas telle cependant que nous puissions aussi facilement aujourd’hui transmettre les détails de notre architecture avec une complète confiance dans la manière de les interpréter. L’architecture n’est digne d’être considérée comme un art qu’autant qu’elle sort tout entière du cerveau de l’artiste et qu’elle peut s’écrire. Un temps où l’on arrive à tâtonner pendant l’exécution et à effacer, pour ainsi dire, sur le monument même au lieu d’effacer sur le papier, ne peut avoir la prétention de posséder une architecture[2]. Une pareille époque ne saurait montrer trop de respect pour les artistes qui savaient ce qu’ils voulaient et qui combinaient un édifice tout entier dans leur cerveau avant d’ouvrir les chantiers. Examinons donc les meneaux des fenêtres du chœur de Saint-Urbain de Troyes (6).

Soit AB la largeur de la fenêtre. Sur cette largeur, qui donne les axes des boudins ou colonnettes des pieds-droits ayant pour section une demi-section de meneau, on a tracé l’arc brisé CDE ; donc la base CD et les deux arcs de cercle circonscrivent un triangle équilatéral. Divisant ce triangle équilatéral par l’axe EF et par les deux lignes CG, DH passant par les milieux des deux lignes DE, CE, on obtient la figure EKIL, dans laquelle nous inscrivons le cercle dont le centre est sur l’axe en M. Marquant sur les lignes LC, LD deux points M′M″ à une distance égale à la longueur LM, on trace les deux autres cercles à l’aide de rayons égaux à celui du cercle dont le centre est en M. Il est clair que ces trois cercles sont tangents et inscrits par le grand arc brisé. Divisant ensuite la largeur AB en trois parties égales A, ab, B et chacune de ces trois divisions en deux, nous élevons des points N et O deux verticales, soit celle OP qui rencontre la circonférence du cercle M″ en P. De ce point P, prenant une longueur égale à bB, nous formons le triangle équilatéral PbS. Alors nous avons la base RS de la claire-voie portant sur les meneaux. Prenant les points bS comme centres et la longueur bS comme rayon, nous traçons les trois arcs brisés inférieurs ; nous cherchons sur cette base RS les centres T du second arc brisé milieu, partant des naissances a, b et devant être tangent aux deux circonférences M′M″. Toutes ces lignes forment les axes X des meneaux dont nous avons donné la section en Y. Le tracé plus sombre Z sur cette section Y donne la section des redents. L’axe p de ces redents est à une certaine distance de l’axe X et ne se confond pas avec lui. Pour tracer les redents, nous prenons donc cette distance à l’intérieur de la circonférence des cercles et des arcs brisés inférieurs. Pour les redents des cercles, m étant le point marqué sur l’axe à la distance Xp donnée par la section des meneaux, on divise la longueur mM en deux parties égales ; du point m′ milieu et prenant m′m comme rayon, nous traçons les redents à quatre lobes des cercles. Quant aux redents des arcs brisés inférieurs, ils sont tracés suivant un même rayon ; les centres des branches inférieures étant placés sur la ligne de base RS. Les redents de l’espace Q sont de même inscrits dans un triangle équilatéral. En AA, nous avons tracé à l’échelle de 0m,05 pour mètre le détail des redents des cercles avec l’armature circulaire en fer pincée par les quatre extrémités des lobes et destinée à maintenir les verrières. L’appareil des meneaux est indiqué par les lignes g, etc. En BB est donné le détail des chapiteaux. Ces meneaux, qui n’ont que 0m,095 d’épaisseur sur 0m,23 de champ, suffisent pour maintenir les vitraux de fenêtres qui ont 4m,40 de largeur sur 9m,20 de hauteur de l’appui à la clef, et encore reposent-ils sur une galerie à tour (voy. construction, fig. 103) ; ils sont taillés dans du beau liais de Tonnerre et sont bien conservés. Il était impossible de combiner et d’exécuter un châssis de pierre plus léger, mieux entendu et plus résistant eu égard à son extrême ténuité.

Les formerets de la voûte circonscrivent exactement les grands arcs brisés qui ont servi de cintre pour les bander ; car ces arcs entrent en feuillure sous ces formerets, comme l’indique la section X’. Il n’est pas besoin de dire que les meneaux verticaux sont d’une pièce et que les ajours sont taillés dans de très-grands morceaux de pierre, ainsi que l’indique l’appareil tracé sur la figure 6.

Vers la fin du XIIIe siècle et le commencement du XIVe, on employa des méthodes encore plus précises et plus rationnelles. On remarquera, dans l’exemple précédent, qu’il y a encore certains tracés qui sont livrés au tâtonnement ; ainsi, l’inscription du cercle du sommet, générateur des trois autres, dans la figure EKIL, ne peut guère être obtenue dans la pratique qu’en cherchant sur l’axe EF le centre M au moyen du troussequin ; les tangentes de ce cercle avec les lignes CI, DH et les deux arcs CE, DE ne pouvant être connues d’avance que par des opérations géométriques compliquées que certainement il était inutile de faire, les architectes ont donc été amenés à chercher des méthodes géométriques qui pussent toujours être démontrées et par conséquent dont le tracé fût absolu. Ce résultat est remarquable dans la partie de l’église de Saint-Nazaire de Carcassonne qui fut élevée au commencement du XIVe siècle. Le triangle équilatéral devient, dans cet édifice, le générateur de tous les compartiments des meneaux. Prenons d’abord les fenêtres du sanctuaire de cette église qui sont les plus simples, et qui ne sont divisées que par un meneau central supportant une claire-voie. Le tracé générateur est fait sur l’axe des colonnettes ou boudins. Soit (7) une de ces fenêtres. Les trois lignes verticales AA′A″ passent par les axes des colonnettes dont la section est donnée en B. Cet axe est tracé en a. La naissance de l’arc brisé étant en CC′, sur cette base CC′ on élève le triangle équilatéral CC′D, et prenant CC′ comme centres on trace les deux arcs CD, C′D qui sont toujours les axes des boudins donnés en a sur la section B. Divisant les lignes CD, C′D en deux parties égales, des points dd′ diviseurs et des points DCC′c, pris comme centres, nous traçons les trois angles curvilignes équilatéraux inscrits. Deux verticales abaissées des deux points dd′ divisent les deux arcs Cc, cC′ en deux segments égaux. Prenant alors à l’intérieur des deux travées des distances égales à la distance qu’il y a entre les axes générateurs a et les axes b des membres secondaires du faisceau dont la section est en B, soit en ee′, la naissance de la claire-voie étant fixée au niveau E, sur cette naissance nous cherchons le centre de l’arc de cercle qui doit passer par les points e et f ; centre qui s’obtient naturellement en faisant passer une ligne par les points e et f en élevant une perpendiculaire du milieu de cette ligne jusqu’à sa rencontre avec la ligne de niveau E. Dès lors, on considère les arcs C′D, C′d′, cd′, dd′, etc., comme membres principaux, et les arcs cC′, ef, e′f comme membres secondaires. Les centres des redents G sont pris sur les axes passant par le sommet des triangles curvilignes, ainsi que l’indiquent les rayons ponctués ; ces redents sont membres secondaires, c’est-à-dire que leur section est celle donnée par la seconde section génératrice dont l’axe est en b. Mais les arcs Cc, cC′ étant secondaires eux-mêmes, les axes des redents sont tangents à ces arcs, comme on le voit en g. Quant aux redents inférieurs h, ils sont tertiaires et prennent la section h′ sous-division de la section génératrice B. Les chapiteaux des arcs sont placés au niveau CC′.

Le tracé F de la moitié de la claire-voie, sur une échelle de 0m04 pour mètre, explique le tracé de cette épure de manière à faire comprendre la section de tous les membres. Souvent, comme dans le cas présent, la section des extrados M est simplifiée et donne la coupe N, mais cette disposition est rare ; à dater de la fin du XIIIe siècle les sections sont uniformes aux intrados comme aux extrados des arcs des claires-voies. Sur ce tracé est donnée la section du formeret qui enveloppe exactement l’arc de la claire-voie lui servant ainsi de cintre. Les claires-voies de ces fenêtres sont d’une heureuse proportion ; de l’appui à la naissance E des arcs inférieurs, les colonnettes ont 7m,70 et sont composées de deux ou trois morceaux.

Les compartiments des claires-voies supérieures engendrés par des triangles équilatéraux se prêtaient parfaitement au système des meneaux disposés par trois travées, assez généralement adopté au XIVe siècle. Puisqu’on décorait les fenêtres par des vitraux, on voulait avoir un motif milieu ; les fenêtres, par deux et quatre travées, étaient moins favorables à la peinture des sujets que la division par trois. Il y avait donc entente entre l’architecte et le peintre verrier. Dans la même église de Saint-Nazaire, les grandes fenêtres orientales du transsept sont, en effet, divisées en trois travées au moyen de deux meneaux ; les compartiments surmontant ces meneaux, bien que variés entre eux ; procèdent tous de combinaisons données par le triangle équilatéral. Voici (8) l’une de ces fenêtres.

Il est entendu qu’à dater du milieu du XIIIe siècle les compartiments des meneaux sont tracés en prenant les axes des colonnettes ou boudins. Soient donc aa′ les axes de ces colonnettes dont la section est donnée en A, avec ses décompositions en membres secondaires et tertiaires ; la ligne b étant l’axe du membre secondaire et celle c l’axe du membre tertiaire. La naissance du formeret étant en B, sur la ligne de base BB′ on élève le triangle équilatéral BB′C. Les points BB′ sont les centres des arcs principaux BC, B′C. Du même point B′ et du point D, prenant BD comme rayon, nous décrivons les deux arcs B′e, De ; du point e comme centre, nous décrivons le troisième arc DB′, mais en diminuant le rayon de la distance qu’il y a entre les deux axes A et b. Il est clair que le centre e se trouve sur le côté B′C du grand triangle équilatéral. Prenant les points e et C comme centres, nous traçons le triangle équilatéral curviligne supérieur. Du point f de rencontre de l’arc de base avec l’axe de la fenêtre et prenant toujours la distance aa′ comme rayon, nous obtenons les points de rencontre g qui sont les centres de l’arc brisé milieu fg. Ce sont là les axes des membres principaux du compartiment, ceux dont la section est la plus forte, celle A. Il s’agit maintenant de tracer les compartiments dont la section est donnée sur l’axe b secondaire. Prenant les points Ce comme centres, et ayant divisé l’arc Ce en deux parties égales, les longueurs ei, Ci, nous donnent les rayons des trois arcs formant le triangle curviligne concave à l’intérieur du triangle curviligne convexe supérieur. Ayant élevé les deux verticales ll′ à une distance des axes aa′ égale à la distance existant entre le grand axe A et l’axe secondaire b, du point n, prenant la distance ll′ comme rayon, nous obtenons les points oo′ qui sont les centres des arcs inférieurs on, o′n. Toujours en observant la distance entre les deux axes A et b de la section, nous traçons le trèfle milieu dont les centres sont posés aux angles d’un triangle équilatéral ; puis, sur la ligne de niveau oo′ prolongée, nous élevons l’arc brisé central inférieur tangent aux lobes du trèfle. Tous ces membres appartiennent à la section secondaire dont l’axe est en b. Les redents, les petits trèfles et les subdivisions tracées en P appartiennent à la section tertiaire c. En R est représentée la moitié des meneaux avec tous leurs membres, suivant l’épaisseur de chaque section, obtenus en portant à droite et à gauche des axes les demi-épaisseurs de ces sections. En S, nous figurons un des chapiteaux s des meneaux, et en T les goujons qui traversent les barres de fer placées à la naissance des claires-voies et qui sont destinés à maintenir dans leur plan et les colonnettes verticales et les compartiments. Ces scellements de goujons et tous les joints d’appareils sont coulés en plomb, précaution devenue nécessaire du jour où l’on avait réduit la section des meneaux à une très-petite surface. Si l’on veut apporter quelque attention à la disposition de cet appareil, on remarquera que les vides laissés au milieu des morceaux d’une grande dimension sont étrésillonnés par ces subdivisions de trèfles et de redents qui ajoutent à la solidité de ces claires-voies. Ces architectes de l’école gothique française sont de terribles logiciens, et la composition des meneaux de leurs grandes baies en est une nouvelle preuve.

Ainsi, par exemple, ces redents H que nous voyons apparaître vers le milieu du XIIIe siècle dans l’Île-de-France et d’abord à la Sainte-Chapelle de Paris, ces redents considérés comme une décoration, un agrément, sont primitivement indiqués par un besoin de solidité. Chaque fois qu’un inconvénient résultait d’une forme adoptée, on cherchait et on trouvait aussitôt un moyen d’y remédier, et ce moyen devenait un motif de décoration. On voit dans la figure 8 que la branche K est isolée et que le moindre tassement, qu’une pression inégale pourrait la briser en L ; or, cette branche est consolidée au moyen du redent P formant lien en potence au-dessous. Il est clair que les trèfles X, inscrits dans les triangles évidés des plus grands morceaux de l’appareil, donnent une grande force aux branches de ces triangles. De même les redents M des branches des triangles curvilignes supérieurs et ceux N des trois étrésillons droits ajoutent singulièrement à la résistance de ces parties d’appareil. On ne fait pas autre chose aujourd’hui lorsqu’on veut donner une plus grande résistance à des pièces de fonte de fer, par exemple, sans augmenter sensiblement leur poids ; mais il est vrai que l’on veut considérer ces moyens comme des innovations dues à la science moderne.

On nous permettra, tout en rendant justice à notre temps, de restituer cependant à chaque époque ce qui lui revient de fait ; on est bien forcé, quand on veut étudier avec attention la composition de ces claires-voies de pierre adoptées par l’école laïque du moyen âge, de reconnaître que ces claires-voies, occupant des surfaces considérables relativement à celles données par les modes d’architecture antérieurs et modernes, sont tracées, combinées et appareillées de manière à présenter le moins de pleins et à offrir la plus grande résistance possible. Par le tracé des nerfs principaux et des coupes des joints, toutes les pesanteurs sont reportées sur les meneaux verticaux, mais principalement sur les jambages ; quant aux panneaux ajourés, ils sont rendus presque aussi rigides que des dalles pleines au moyen de ces étrésillonnements tertiaires tels que les trèfles et les redents. Il fallait que ces combinaisons fussent assez bonnes, puisque la plupart de nos grands édifices gothiques ont conservé leurs meneaux, et que quand ils ont souffert des dégradations, il est facile de les restaurer ou de les remplacer comme on remplace un châssis de fer ou de menuiserie. Les meneaux de pierre ont même cet avantage qu’ils peuvent être réparés en partie s’il s’est fait quelques brisures, tandis qu’un châssis de bois ou de fer, une fois altéré, doit être refait à neuf.

Ajoutons que ces meneaux de pierre supportent des vitraux d’un poids énorme et les armatures de fer destinées à les attacher. Ne considérant ces membres d’architecture qu’au point de vue de l’effet qu’ils produisent, ils nous paraissent former des dessins d’un aspect agréable, rassurants pour l’œil et heureusement composés. C’est dans l’Île-de-France qu’il faut toujours aller chercher les meilleurs exemples de cette architecture au moment où elle se développe pour arriver aux formules. On trouve au sein de cette école, la plus pure et la plus classique de l’art du moyen âge, une sobriété, une application de principes vrais, obtenue à l’aide des méthodes les plus simples, une délicatesse dans les proportions, dans le choix des profils qui laissent au second rang les œuvres des autres provinces[3]. Nous donnons (9) une des fenêtres des chapelles du chœur de Notre-Dame de Paris, élevées en même temps que le chœur de l’église de Saint-Nazaire de Carcassonne, c’est-à-dire vers 1320.

On voit ici l’absence de toute combinaison compliquée, c’est toujours le dessin des meneaux des fenêtres de la Sainte Chapelle du Palais, mais allégé. Ces fenêtres se divisent encore en quatre travées au moyen d’un meneau central dont la section est donnée par l’axe A, et de deux meneaux secondaires dont la section dérivée de la principale est donnée par l’axe b. Soient a et a′ les axes de la section principale A. Du point B, prenant a′a″ comme rayon, on décrit l’arc concentrique au formeret CB. Donc, BC est le côté d’un triangle équilatéral. De ce même point B et du point I, milieu de la base du triangle, prenant BI comme rayon, nous traçons les arcs BE. Or, BE est égal à EC. On trace le cercle supérieur tangent aux arcs BC, IE. Tels sont les axes des membres principaux, ceux dont la section est donnée par le profil dont l’axe est A. Reportant en dedans de la fenêtre et des points aa′ une distance égale à la distance qu’il y a entre les axes A et b, en ee′ et divisant la ligne de base ee′ en deux parties égales, prenant ef comme rayon, nous traçons les arcs inférieurs efg, fe′g′, puis nous traçons le sous-arc secondaire concentrique à l’arc brisé IBE. Nous inscrivons un second cercle dont le centre est en F, tangent aux deux arcs inférieurs et à l’arc secondaire IBE. Prenant à l’intérieur de ce cercle et des arcs inférieurs une distance égale à la distance qu’il y a entre l’axe b de la section secondaire et l’axe c de la section tertiaire, nous traçons les axes des redents.

L’épure de ces meneaux est donc facile à faire, la composition est heureuse, claire, solide et d’un appareil solide, ainsi qu’on peut le voir en G. En K est donnée la section du pied-droit h, portant le formeret de la voûte formant archivolte à l’extérieur. En L est donné le profil de l’appui dont l’extérieur est en l avec la pénétration des bases. Le tracé m donne la projection horizontale des tailloirs des chapiteaux, celui n la projection horizontale des bases. C’est ici que la fonction des redents est évidente. Ces redents i donnent une grande force supplémentaire aux branches principales et secondaires des arcs, et on voit comme ils sont adroitement disposés pour ne pas gêner les coupes des joints. Le meneau central et les deux meneaux secondaires verticaux sont d’un seul morceau chacun ; quant à la claire-voie supérieure, elle se compose seulement de quinze morceaux, et cependant ces fenêtres ont 4m, 00 de largeur sur 4m, 50 environ de hauteur sous clef, dans œuvre.

Une fois le principe logique admis dans la construction des meneaux comme dans les autres membres de l’architecture gothique, les architectes ne s’arrêtent pas. Bientôt ils renoncent totalement aux sections génératrice, secondaire et tertiaire ; ils adoptent une seule section pour tous les membres des meneaux, sauf les redents qui prennent moins de champ. Vers la fin du XIVe siècle on cherche déjà même à éviter les arcs brisés. Les meneaux ne se composent que de courbes et de contre-courbes, de manière à ne former plus qu’un réseau d’une résistance uniforme. En théorie cela était logique ; en pratique, ces formes étaient d’un aspect moins satisfaisant.

Pour ne pas charger cet article, déjà très-étendu, d’un trop grand nombre d’exemples, nous allons étudier les meneaux adoptés au XVe siècle, et dans la composition desquels on aperçoit cette tendance des constructeurs de cette époque de ne plus tenir compte que de la logique, souvent aux dépens du style et de la simplicité apparente.

Alors, dans la composition des meneaux, les architectes cherchent à résumer toutes les forces et pesanteurs en une pression verticale.
Soit (10) une de ces fenêtres du XVe siècle[4]. La section des trois meneaux de ces fenêtres est la même (voir le détail A), elle se reproduit également dans la claire-voie ; les redents seuls ont moins de champ et prennent la section B. Au moyen des grandes contre-courbes des deux divisions principales, les pesanteurs sont amenées sur le meneau central C et sur les jambages D. Une partie de ces pesanteurs est même déviée sur les meneaux intermédiaires E par les courbes renversées a et par celles b. Les combinaisons de ces courbes et contre-courbes font assez connaître le but que s’est proposé d’atteindre le constructeur, savoir : une claire-voie formant un réseau dont les mailles se résolvent en des pressions verticales, un système d’étrésillonnement général et des renforts à tous les points faibles donnés par les redents. On comprend, par exemple, que la corne c se briserait sous la moindre pression, si elle n’était renforcée par le redent d. Les barres e destinées à maintenir les panneaux des vitraux viennent encore ajouter un étrésillonnement à celui donné par la combinaison de la claire-voie de pierre.

Si l’on veut examiner ces meneaux avec attention, on reconnaîtra que tous les points faibles, ceux qui doivent subir les plus fortes pressions, sont étayés ou étrésillonnés par des courbes qui tendent à rendre tous les membres solidaires ; que ces courbes sont tracées en raison de la véritable direction des pressions, de manière à décomposer celles qui sont obliques et à les ramener à des pesanteurs agissant verticalement ; que les joints d’appareil sont coupés perpendiculairement à la direction de ces pressions, afin d’éviter les joints maigres, sujets à glisser ou à causer des brisures. Nous n’avons pas pour ce genre d’architecture un goût bien vif, mais il nous est impossible de ne pas reconnaître là l’œuvre de constructeurs très-expérimentés, très-savants, logiques jusqu’à l’excès et chez lesquels la fantaisie ou le hasard n’avait pas de prise. Quand l’abus d’un principe conduit à de pareilles conceptions, il faut déplorer l’abus, mais il faut équitablement constater la valeur du principe et tâcher d’en tirer profit en évitant ses excès. Ces gens-là connaissaient à fond les ressources de leur art, ne faisaient toute chose que guidés par leur raison. Il ne nous appartient pas aujourd’hui de leur jeter la pierre, nous qui, possesseurs de matériaux variés et excellents, ne savons pas en tirer parti, et qui montrons notre insuffisance lorsqu’il s’agit de combinaisons de ce genre en architecture. Dans ce dernier exemple, les meneaux verticaux sont d’une seule pièce chacun, de l’appui à la naissance des courbes. La barre G traverse la tête de ces meneaux et maintient les sommiers de la claire-voie au moyen de goujons en os[5]. Quant aux barres H, ce sont des barlotières simplement engagées d’un centimètre ou deux dans les montants. Des vergettes maintenaient les panneaux des vitraux engagés dans les feuillures I. Les barres et barlotières, ainsi que les tringles e, sont garnies de pitons et de clavettes. Les architectes du XVe siècle se fiaient si bien à la combinaison de leurs meneaux qu’ils les taillèrent souvent dans de la pierre demi-dure, dans du banc royal, par exemple. Il faut dire aussi qu’ils leur donnaient une section relativement plus forte que celle adoptée pour les meneaux du XIVe siècle, qui sont toujours les plus délicats. Ces compartiments de meneaux furent conservés jusque vers le milieu du XVIe siècle. Cependant, à l’époque de la Renaissance, quelques tentatives furent faites pour mettre les meneaux en harmonie avec les nouvelles formes de l’architecture en vogue à cette époque. Témoin certains des meneaux de l’église de la Ferté-Bernard, qui présentent le plus singulier mélange des traditions du moyen âge et de réminiscences de l’antiquité romaine. On croirait voir des arabesques de Pompéii exécutées en pierre.

Voici (11) l’une de ces combinaisons. La fenêtre est divisée par deux meneaux verticaux G, son axe étant en M. L’appareilleur n’a pas ici cherché des coupes savantes pour assembler les morceaux de la claire-voie. Celle-ci ne se compose réellement que de trois linteaux ajourés, superposés, dont on voit les lits en LL′L″, les branches d’arcs O faisant partie de ces linteaux. On reconnaît encore cependant que l’architecte, par la disposition des arabesques, a voulu donner de la résistance aux points faibles des évidements. Les figurines, les enroulements n’existent qu’en dehors du vitrail, les panneaux de verre étant enchâssés dans les compartiments principaux. La colonnette K même ne porte que la demi-épaisseur des meneaux et n’existe que du côté du dehors. En A est tracée la section sur ab et en B la section sur cd. La partie la plus délicate de cette claire-voie n’est guère qu’une décoration extérieure qui ne maintient en aucune façon les panneaux de verre, mais qui cependant donne un peu plus de solidité à l’ouvrage. Ces meneaux produisent un assez bon effet et sont exécutés avec une finesse et une perfection remarquables. Les soffites rampants sous les corniches et frontons sont ornés de gravures délicates. Le système de linteaux ou d’assises ajourés adoptés ici ne pouvait convenir qu’à des fenêtres assez étroites, puisqu’il interdisait les joints verticaux. Dans la même église, les claires-voies des fenêtres ayant trois meneaux et quatre travées sont combinées dans le genre de celles données précédemment, fig. 10.

Les fenêtres de l’architecture civile possédaient aussi des meneaux, lorsqu’elles étaient d’une trop grande largeur pour qu’il fût possible de ne les fermer qu’avec un seul ventail (voy. Fenêtre, fig. 29, 31, 32, 33, 35, 36, 37, 38, 40, 41 et 42). Ces meneaux, jusqu’à la fin du XIIIe siècle, ne consistent habituellement qu’en une colonnette soulageant le linteau. Les architectes déployaient un certain luxe de sculpture dans les meneaux de palais et quelquefois même ornaient leurs fûts de figures, en manière de cariatides. centrérNous avons retrouvé à Sens un très-beau meneau de ce genre qui date du XIIe siècle (12)[6]. La statuette adossée à la colonne à section octogonale formant le corps du meneau représente la Géométrie ou l’Architecture ; elle tient un grand compas d’appareilleur. En A est tracée la section du meneau faite sur ab, et en B le côté du meneau avec le renfort postérieur destiné à recevoir les targettes. Dans la section A, nous n’avons pas indiqué par des hachures la coupe de la figure afin de laisser voir celle de la colonnette dans le fût de laquelle s’engage la statue. Sur la partie inférieure des meneaux des fenêtres hautes de la cathédrale de Nevers, à l’extérieur, on remarque aussi des statuettes adossées aux fûts des colonnettes centrales.

À l’époque de la Renaissance, on voit aussi des meneaux en forme de cariatides, ou de gaînes surmontées de bustes. Ce ne fut guère que sous le règne de Louis XIV que l’on renonça définitivement aux meneaux ; on les employait encore au commencement du XVIIe siècle pour maintenir les fermetures des baies de croisées. Les fenêtres intérieures de la cour du Louvre étaient originairement garnies de meneaux d’un aspect monumental qui donnait de l’échelle à ces grandes ouvertures. Ces meneaux sont remplacés aujourd’hui par des montants en bois avec impostes également en bois, qui ne sont guère en harmonie avec l’édifice, qu’il faut repeindre tous les dix ans et refaire à neuf lorsqu’ils viennent à pourrir, c’est-à-dire deux ou trois fois par siècle. Cela est, dit-on, plus conforme aux règles de la bonne architecture ; pourquoi ? Nous serions fort embarassés de le dire.

  1. Voyez l’ensemble de la composition de ces fenêtres à l’article fenêtre, fig. 20.
  2. Il n’est pas besoin ici de rappeler combien de fois, à Paris même, nous avons vu depuis peu défaire et refaire sur les monuments eux-mêmes ; c’est une manière de chercher le bien ou le mieux quelque peu dispendieuse. Jadis on l’essayait sur le papier ; mais, une fois l’exécution commencée, toutes les parties se tenaient, étaient solidaires, et ne pouvaient ainsi être changées sans qu’il fût possible de donner des raisons sérieuses de ces changements.
  3. Il ne faut pas oublier que la construction du chœur de l’église Saint-Nazaire de Carcassonne est due à un architecte du domaine royal.
  4. Celle que nous donnons ici vient du chœur de l’église d’Eu, dans lequel l’architecture du milieu du XVe siècle est pure et sagement entendue.
  5. À dater du XVe siècle, les constructeurs qui avaient eu l’occasion de constater combien les goujons en fer, en gonflant par suite de l’oxydation, étaient préjudiciables aux travaux de pierre et les faisaient éclater, remplacèrent ces goujons de métal par des goujons en os de mouton ou en corne de cerf. Ces derniers ont conservé toute leur dureté.
  6. Cette colonnette, qui servait de meneau à une fenêtre, est placée aujourd’hui à l’une des baies du rez-de-chaussée de la salle synodale de Sens.