SOMMIER, s. m. Pierre qui reçoit un arc ou une réunion d’arcs, qui leur sert de naissance, de point de départ.
Dans l’architecture du moyen âge, les arcs remplissant un rôle très-important, les sommiers, la manière de les tracer et de les appareiller, leur pose, ont préoccupé les constructeurs. Ceux-ci sont arrivés, vers le milieu du XIIIe siècle, à une science de combinaisons et à une perfection d’exécution dans la manière de construire les voûtes, qui n’ont point été égalées. Or, dans le tracé d’une voûte en arcs d’ogives, par exemple, toutes les difficultés viennent se résoudre dans les sommiers.
Les articles Construction et Voûte font ressortir l’importance des sommiers dans l’appareil des arcs de voûtes ; il n’est donc pas nécessaire de nous étendre sur la manière dont les tracés sont faits en raison de la position et de la courbure de ces arcs. Nous nous occuperons seulement de la partie décorative de ce membre de la structure des voûtes.
À dater de la fin de la période romane, les architectes du moyen âge se sont préoccupés souvent de décorer la naissance des arcs de voûtes au-dessus des chapiteaux. Il leur semblait évidemment que la transition entre la richesse du chapiteau et la froideur des profils des arcs devait être ménagée. À cette époque, à la fin du XIIe siècle, les piles avaient encore une section assez simple et les arcs se meublaient déjà de moulures. Sur les chapiteaux, des tailloirs robustes servaient d’assiette à ces arcs, il y avait ainsi interruption brusque entre les supports et l’objet supporté. Or, le sentiment de ces maîtres leur indiquait qu’une liaison était nécessaire entre les piles à section simple et les arcs allégés par des moulures, ou, tout au moins, qu’il fallait faire comprendre aux yeux comment pouvaient naître ces faisceaux de profils sur une assiette horizontale ; qu’il y avait quelque chose de choquant dans la pénétration des moulures des arcs dans des tailloirs à sections rectangulaires.
![](http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/9/9a/Sommier.voute.medievale.png/440px-Sommier.voute.medievale.png)
Ainsi, quand (fig. 1) l’architecte posait sur le tailloir rectangulaire A d’un chapiteau un arc B, à section également rectangulaire, cela s’arrangeait naturellement. Mais quand, pour obtenir un aspect plus riche, plus élégant, il voulut donner à cet arc B un profil C, par exemple, la corne D du tailloir paraissait trop saillante et ne plus rien porter. Or, si nous voyons que les Romains faisaient porter les sommiers des arcs des voûtes, non sur la saillie du chapiteau, mais à l’aplomb du nu de la colonne, — ce qui rendait le chapiteau inutile, — nous constatons que les architectes du moyen âge, plus logiques dans leur structure, prétendaient utiliser la saillie du chapiteau et porter les arcs en encorbellement.
Donc la corne D, restant isolée, choquait leur sens logique d’accord avec le sentiment ; ils firent retourner le profil C dans la hauteur du sommier, ainsi qu’on le voit en E, ou bien (fig. 2) ils arrêtèrent le profil par un renfort, et firent pénétrer ses moulures dans une section rectangulaire[1].
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Ces maîtres du moyen âge avaient de ces délicatesses qui n’ont plus prise sur nous, gens trop affairés, pour rechercher autre chose que le gros succès banal, facile et fructueux. Moulurer une archivolte, faire tomber cette moulure sur un tailloir ou une imposte, ne demande que la peine de donner un profil au tailleur de pierre ; mais arrêter cette moulure à une certaine hauteur au-dessus du lit inférieur du sommier, et trouver une transition entre les courbures profilées et l’horizontalité du couronnement d’un pied-droit ou d’une colonne, c’est se donner un souci que les artistes travaillant pour les Romains de l’empire gardaient comme superflu. Nos architectes de la fin du XIIe siècle, chez lesquels une science naissante n’avait pas encore étouffé le sentiment vrai de l’art, ne pensaient pas qu’une moulure pût naître de rien, ou tomber brusquement sur un autre membre sans une attache, une racine, une base. Ils ne se décident à supprimer cette racine des moulures d’arcs que quand ceux-ci ne sont plus, pour ainsi dire, qu’une prolongation des faisceaux de colonnettes composant les piliers, et que les chapiteaux sont réduits à l’état de bagues ornées séparant les membres verticaux des membres courbes. Aussi l’importance décorative des sommiers diminue-t-elle quand la section des piliers se rapproche de celle des arcs, pour s’effacer entièrement, si ces piliers se composent d’un nombre de membres égal à celui de ces arcs.
![](http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/4/42/Sommier.choeur.eglise.Notre.Dame.Coulture.Mans.png/250px-Sommier.choeur.eglise.Notre.Dame.Coulture.Mans.png)
![](http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/5/5a/Colonnette.salle.donjon.Coucy.png/440px-Colonnette.salle.donjon.Coucy.png)
![](http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/3/32/Crochets.eglise.Saint.Pere.sous.Vezelay.png/440px-Crochets.eglise.Saint.Pere.sous.Vezelay.png)
![](http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/c/c0/Chapiteau.arcature.eglise.Semur.en.Auxois.png/440px-Chapiteau.arcature.eglise.Semur.en.Auxois.png)
Dans les œuvres inférieures du portail occidental de la cathédrale de Reims, on peut signaler plus d’un défaut. Ces trois ébrasements immenses des portes ne se relient pas parfaitement avec ce qui est placé au-dessus. On sent là une reprise, un changement dans la composition primitive, et un désir de produire un effet surprenant par l’accumulation surabondante des détails. Cependant, si l’on examine ce portail, — fort altéré d’ailleurs par de méchantes restaurations ; — que d’idées, que de savoir, que de hardiesses heureusement abordées et plus heureusement exprimées en pierre ! Les sommiers qui forment la naissance de la partie antérieure des trois voussures sont, comme composition et comme exécution, une des plus belles parties de cette œuvre prodigieuse. L’architecte a su donner à ces naissances, relativement étroites, la puissance d’un support par l’arrangement des sculptures. Celles-ci se combinent avec la construction, en font apercevoir la résistance. Tout cela est raisonné, vrai, facile à comprendre, logique, et tout pénétré d’un sentiment d’art sûr de l’effet qu’il veut produire.
Il s’agissait, entre deux archivoltes immenses et qui se touchent presque, de trouver un point d’appui, un point résistant à l’œil, sans tomber dans la sécheresse d’un pilastre, d’une colonne, d’un support rigide et vertical. Il fallait d’ailleurs, conformément au principe excellent des constructeurs de cette époque, consistant à ne jamais couper la sculpture ou les membres complets d’architecture par des joints ou des lits, se conformer à l’appareil qui convenait à une colossale superposition de sommiers. Il fallait faire naître ce support ou cet ensemble de supports, de rien ; développer peu à peu la résistance, non-seulement en apparence, mais de fait ; gagner par conséquent de la saillie ; obtenir de la fermeté à mesure qu’on accumulait les sommiers, car, à la réunion des deux gâbles qui couronnent les archivoltes, il fallait rejeter les eaux par une gargouille énorme. Terminer brusquement cette superposition de sommiers en encorbellement par une gargouille et par la réunion des deux gâbles, c’était produire pour l’œil un effet de bascule désagréable, presque inquiétant. Que fait l’architecte ? En retraite de la saillie de l’encorbellement et comme pour détruire l’effet de bascule, il pose une statue ; non une statue debout et grêle relativement à sa base, mais une statue assise, largement drapée et dans une pose tranquille. Puis derrière le dos de la statue, au nu de la jonction des rampants des gâbles, un haut pinacle à jour, au milieu duquel se loge encore une statue debout.
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Il y a loin de cette alliance complète entre l’architecture et la sculpture, de cette exacte application d’une échelle admise, à ces superfétations d’ornements, de profils, de frontons, de tympans chargés de sculptures disparates, sans rapports d’échelles, que nous voyons accumuler sur la plupart de nos façades monumentales. Mais pourquoi nous plaindrions-nous de ces abus ? Ne ramèneront-ils pas, à cause même de leurs excès, le goût du public vers les perceptions bien conçues, bien ordonnées et savamment exécutées ?
Il est fort difficile de réunir deux archivoltes sur un point d’appui, et de les couronner par deux pignons ou gâbles, surtout si les archivoltes n’ont pas la même courbure, et si les gâbles n’ont pas des ouvertures égales, car alors les lignes sont boiteuses. Les maîtres du moyen âge se sont toujours adroitement tirés de cette difficulté, soit dans des conceptions grandioses, comme celle que nous venons de signaler, soit lorsqu’il s’agissait d’archivoltes d’édicules, de petits portails, de tombeaux. La sculpture vient alors en aide à l’architecte pour nourrir les sommiers trop maigres, pour détruire le mauvais effet des courbes boiteuses, pour masquer des pénétrations compliquées de profils. Sœur de l’architecture, non point son tyran ou son esclave, elle prend sa place dans le concert.
On sait que le système de structure de la voûte dite en arc d’ogive permet d’obtenir des ouvertures d’arcs de dimensions différentes et portant sur un même point d’appui ; que ces arcs peuvent avoir leurs naissances à des niveaux différents[10]. Alors le sommier de ces arcs semble parfois faire gauchir la colonne et son chapiteau.![](http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/9/91/Sommier.voute.arc.ogive.png/440px-Sommier.voute.arc.ogive.png)
Nous ne devons pas omettre ici les sommiers des manteaux de cheminée, lesquels prennent parfois une grande importance, à cause de la charge qu’ils ont à porter et de la poussée des claveaux qu’ils doivent maintenir dans leur plan[11]. Ces sommiers, fortement engagés dans les murs, se projettent en saillie prononcée sur les pieds-droits, forment coupe, quelquefois avec crossette, pour recevoir le premier claveau. Au commencement du XVe siècle, on a taillé de ces sommiers remarquables par la bonne entente de leur tracé. Entre autres, nous signalerons ceux des cheminées du château de Polignac, auprès du Puy en Velay. Ces sommiers sont composés de deux assises dont les queues sont engagées dans la muraille.
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Les cheminées des châteaux de la Ferté-Milon, de Pierrefonds, de l’hôtel de Jacques-Cœur à Bourges, et de beaucoup d’habitations qui datent du XVe siècle, présentent d’heureuses combinaisons de sommiers à la fois très-solides et décoratifs.
On donne aussi, dans certaines provinces, le nom de sommiers à des poutres ou poitraux qui, posés sur des piliers, sont destinés à porter des pans de bois de façades de maisons (voy. Boutique, Maison, Pan de bois). Dans l’Île-de-France, les grosses pierres, sortes de chapiteaux posés sur les piles d’angles ou sur la tête des jambes étrières recevant les bouts des poitraux et les poteaux corniers des pans de bois, étaient également appelés sommiers.
- ↑ De l’église de Montréal (Yonne), fin du XIIe siècle. En A, est tracée la section du sommier au niveau a, avec la position de la colonne et la pénétration des demi-cylindres au-dessus du tailloir.
- ↑ Voyez Donjon, fig. 35.
- ↑ Voyez Donjon, fig. 39.
- ↑ Voyez Construction, fig. 84. La construction de cette chapelle remonte à la fin de la première moitié du XIIIe siècle.
- ↑ Même date.
- ↑ Voyez Arcature.
- ↑ Partie construite de 1240 à 1250.
- ↑ Partie de 1240 à 1245.
- ↑ La partie antérieure de la gargouille de pierre, brisée, a été remplacée au XVe siècle par une grosse tête de plomb assez grotesque. Les autres parties de ce sommier magistral (celui de gauche) ont peu souffert.
- ↑ Voyez Construction, fig. 49 et 49 bis.
- ↑ Voyez à l’article Cheminée, fig. 2, 3, 6 et 7, quelques-uns de ces sommiers les plus simples.