Dictionnaire pratique et historique de la musique/Ouverture
Ouverture, n. f. Pièce symphonique développée, et précédant l’exécution d’un opéra, d’un oratorio, d’une cantate, etc. Dans l’ancienne musique, ce qui caractérise l’ouverture française, c’est la liaison de ses deux mouvements, le 1er se terminant sur la dominante et le 2e sur la tonique.
L’origine de cette forme instrumentale doit être cherchée dans les anciennes danceries : c’était l’habitude au xvie s. d’unir deux danses formant contraste, une danse binaire lente et une danse ternaire vive, la pavane avec sa gaillarde, sur le même thème. Dans les airs appelés Balletti, il est classique de commencer par quelques mesures binaires avant de passer à la mesure ternaire, que les Balletti soient pour les voix ou pour les instruments. L’abus des notes pointes y est fréquent chez les musiciens de cour en France. « il ne semble pas que les Italiens et les Allemands aient été jamais prodigues de ces formules que les compositeurs français ressassent à l’infini » (Prunières). Ce rythme pointé peut être considéré comme « caractéristique de l’ouverture française », dès avant Lulli.
Celui-ci, dès ses premiers
ballets, s’achemine vers un agencement
régulier des deux mouvements.
Certaines symphonies d’opéras de
Venise ont été rapprochées de l’ouverture
française. Aucune ne présente
avant 1662, époque du séjour de Cavalli
à Paris, le rythme saccadé caractéristique.
De plus, chez Monteverde,
chez Cavalli, les deux mouvements
se succèdent sans dépendre l’un de
l’autre, chacun commençant et finissant
sur la tonique, tandis que dans
l’O. française, le 1er mouvement finissant
sur la dominante, ne conclurait
pas sans le second qui s’y enchaîne.
On a contesté à Lulli l’invention
de l’ouverture parce que Cesti en
1669 et Cambert en 1670 en avaient
donné des modèles plus ou moins
réguliers. L’ouverture française existe
déjà dans Pomone, de Cambert (1671) ;
le plan comporte un premier mouvement
grave, le deuxième mouvement
est vif et fugué, le troisième de nouveau
grave. Mais chez Lulli et ses
successeurs, le troisième mouvement
est ouvert absent ou réduit à
quelques mesures. De plus, avant ses
opéras, Lulli avait travaillé pour les
ballets de la cour ; depuis 1653, il
était « compositeur de la musique
instrumentale » du roi. En 1657,
dans le ballet de L’Amour malade,
en 1658 et 1659 dans ceux d’Alcidiane
et de La Raillerie, il avait écrit « une
série d’ébauches très poussées » de
l’O. française. Enfin, en 1660, chargé
d’écrire l’O. pour la représentation
du Xerxès de Cavalli, joué à Paris
le 22 novembre de cette année-là,
Lulli pose le « modèle achevé du
genre ». Toutes les ouvertures subséquentes
seront tracées sur le même
plan, et il sera imité par les autres
compositeurs. La forme de l’ouverture
se divise en 2 parties : i. en mesure
binaire ou , en rythme saccadé,
produit par l’emploi systématique des
notes pointées, en mouvement grave et
majestueux ; cette partie se joue 2 fois ;
ii, mesure binaire ou ternaire, mouvement
vif, allure légère et sautillante ;
cette partie commence en imitation
(fugato) ; quelquefois un mouvement
lent est amené brusquement à la
fin ; il peut n’être que de quelques
mesures, ou très développé ; il se
reprend toujours avec le fugato. Ce
mouvement a fait croire que l’ouverture
se composait de 3 parties.
Mais il n’est nullement de règle. Parmi
les ouvertures de Lulli pour ses opéras,
huit n’ont pas de 2e mouvement dans
leur seconde partie. Muffat n’en fait
presque jamais usage. L’ouverture française,
dont Lulli avait fixé ainsi le
plan, comprenait donc un premier
mouvement et une conclusion d’allure
grave, un morceau central animé et
fugué. Elles produisaient à l’orchestre
un effet majestueux par leur caractère
massif, un peu lourd et formulaire.
Georges Muffat, Alsacien, formé à
Paris par les leçons de Lulli, transporta
cette forme dans les suites instrumentales
qu’il fit paraître à Augsbourg et
Passau en 1695 et 1698 sous le titre
de Florilegium primum et secundum.
Le modèle donné par Lulli fut dès lors
suivi par les musiciens étrangers, et le
titre français d’ouverture adopté en
Allemagne et en Angleterre. J.-S. Bach
a adopté cette forme dans plusieurs
œuvres, notamment comme morceau
initial de ses Suites pour orchestre.
Hændel en a suivi le modèle de très
près, non seulement pour le plan, mais pour la structure des motifs et
des progressions harmoniques. Il use
dans la majeure partie de son œuvre
du plan de Lulli, et à l’occasion du
plan italien (voir plus bas) ; il s’écarte
quelquefois des deux : son oratorio
Saül (1738) a une O. en quatre mouvements,
allegro, largo, allegro et menuet.
Rameau modifia le plan de l’ouverture
en la composant d’un morceau principal
précédé d’une courte introduction.
Il y introduisit l’élément descriptif.
Désormais l’on demanda une
intention dramatique qui rendît sensible
la relation de l’ouverture avec
l’opéra qu’elle précédait. L’O. d’Iphigénie
en Aulide (1774), de Gluck, remplit
admirablement cette condition,
par l’opposition de ses deux thèmes
alternés. Dans le théâtre espagnol, au
xviie-xviiie s., un quatuor vocal
accompagné remplaçait l’ouverture et
annonçait la pièce en forme de prologue.
L’ouverture italienne, appelée
Sinfonia, s’éloigne dès l’abord du plan
français et offre en germe la symphonie
moderne. À la fin du xviie s.,
sa forme est fixée et comprend trois
mouvements successifs et enchaînés,
le premier généralement allegro, celui
du milieu toujours lent, large, grave,
le dernier rapide, presto. La mesure
de chacun est choisie pour former
un contraste avec le précédent. Les
développements sont brefs ou presque
inexistants. Le morceau lent est souvent
une mélodie instrumentale en
solo. Il y a des ouvertures (ou Sinfonie)
qui ne sont pas liées à des opéras. Chez
Bach, les Suites d’orchestre commencent
par des O. à la française, ainsi que
la 6e Partita et la Suite en si ♭ mineur
pour clavecin. La pièce qui commence
la 2e Partita, et qui est intitulée Sinfonia,
est coupée en Grave, Andante et
Allegro, et la 16e des Goldberg-Variationen
est en forme d’O. française. Il
y a trois époques à distinguer dans
l’histoire de l’O. italienne : période
d’essai, période ancienne, période
moderne. Les premiers opéras (Euridice,
de Caccini, 1600 ; Dafné, de
Gagliano, 1608) n’ont pas d’O. Il y a
une Toccata de peu de mesures en tête
de l’Orfeo de Monteverde (1607). Le San
Alessio de Landi (1634) contient déjà
2 Sinfonie de longueur et de disposition
remarquables. Celle qui précède le prologue
comprend 4 mouvements, celle
placée avant le 2e acte en contient 3. La
Sinfonia du Giasone, de Cavalli (1649),
comprend 3 mouvements qui correspondraient
à un allegro, andante et
vivace, de courtes dimensions, de style
simple. 2e période : ouverture de Scarlatti
(† 1712) affirmant la coupe tripartite,
qui se maintient jusqu’à la fin
du xviiie s., un mouvement lent entre
2 mouvements vifs. L’O. de L’Enlèvement
au Sérail, de Mozart, (1782) en
est un des derniers exemples. L’influence
de Lulli se fit sentir en Italie,
où Lotti († 1740) écrivit d’excellentes
O. à la française. La période moderne
est inaugurée par Gluck, dans l’O.
précédemment citée, d’Iphigénie en
Aulide : on sait qu’elle s’enchaîne sans
suspension à la première scène du
drame, et que, pour permettre son exécution
au concert, Halévy, puis
R. Wagner, y ajoutèrent une coda.
Cette ouverture est un chef-d’œuvre,
dont la forme dramatique présage et
résume le drame qu’elle précède. Après
Gluck, Mozart adopte le même but et
s’attache également à la signification
poétique du morceau. Beethoven
avance dans la même voie et créée ses
chefs-d’œuvre en ce genre, Egmont,
Coriolan, la grande O. de Léonore.
Weber donne un caractère brillant
à ses O. de Freischütz, Oberon, Euryanthe.
Mendelssohn inaugure le genre
de l’O. sans drame, pour le concert,
qui annonce le poème symphonique
et comme lui renferme des peintures
musicales : La Grotte de Fingal, Mélusine,
etc. Schumann écrit pour des
drames non chantés, mais en réalité
pour le concert, des O. en style de
poème symphonie, dont la principale,
Manfred (1849), est un chef-d’œuvre.
On a prétendu que Boïeldieu
« a introduit l’un des premiers, dans
ses ouvertures, des réminiscences ou
plutôt un avant-goût des motifs épars
de ses opéras. Hérold et Auber ont
suivi cet exemple ». Ainsi présentée,
l’assertion est fausse, car l’emploi de
motifs tirés de l’opéra est classique
dans les ouvertures de l’époque précédente.
Mais ils y étaient travaillés,
au lieu que avec Boïeldieu, Auber,
Hérold, etc., l’O. n’est plus qu’un pot-pourri.
L’O. « pot-pourri » est en germe
dans les O. de Mozart ou autres qui
sont bâties sur plusieurs thèmes de
l’opéra ; mais elle quitte le terrain
du développement symphonique pour
devenir une simple succession de motifs
tirés de l’opéra. D’après Wagner, ce
serait Spontini, avec La Vestale (1807),
qui aurait inauguré ce genre, cultivé
à satiété pendant le xixe s. Cette
décadence de l’O. en a causé l’abandon,
car il n’y a plus, ou presque
plus d’O. dans les grands opéras de
Meyerbeer, Verdi, etc. L’ouverture a
repris sa place à une époque plus
récente en retournant à un style plus
artistique.
On peut citer, comme célèbres ouvertures du xixe s., celles du Barbier de Séville (1816) et de Guillaume Tell (1829), de Rossini ; de Berlioz, le Carnaval romain (1844), Benvenuto Cellini (1834), Le roi Lear (1832). Plus récemment, R. Wagner a écrit des ouvertures pour Le Vaisseau Fantôme (1840), Tannhäuser (1845), Les Maîtres-chanteurs (1867). Mais il a presque toujours préféré le Prélude. Il y a de belles O. modernes : celle de Gwendoline, de Chabrier (1886) est à mettre à part.
L’école contemporaine tend à supprimer L’O., ou, pour mieux dire, à ne donner dans un drame musical de « morceau symphonique » développé que là où la réalisation du drame le comporte.